La drépanocytose est une maladie génétique de l’hémoglobine transmise selon le mode autosomique récessif, résultant d’une mutation ponctuelle du sixième codon du gène β globine, le triplet GAG étant remplacé par GTG avec comme conséquence le remplacement de l’hémoglobine A normale par une hémoglobine anormale S. En Afrique, 10 à 40 % de la population est hétérozygote pour la drépanocytose, avec 200 000 à 300 000 nouveaux nés homozygotes/an. Au Sénégal, la prévalence du portage de l’hémoglobine S est de 8 à 10% et les formes majeures représentent 0,4% (65).
Seuls les syndromes drépanocytaires majeurs (drépanocytose homozygote (SS), drépanocytose double hétérozygote composite SC, drépanocytose Sβ0 thalassémie, drépanocytose Sβ+ thalassémie…) sont considérés comme étant symptomatiques et caractérisés par des complications aigues (crises vasoocclusives douloureuses) et chroniques (altération d’organes) (33). La drépanocytose hétérozygote (AS) ou encore trait drépanocytaire est caractérisée sur le plan génétique par la présence du gène S sur un seul allèle et sur le plan électrophorétique par la présence de l’hémoglobine A et la présence de l’hémoglobine S.
Le portage du trait drépanocytaire est depuis longtemps considéré comme asymptomatique et sans complication. Cette affirmation est aujourd’hui remise en cause du fait que plusieurs patients porteurs du trait drépanocytaire se plaignent de douleurs ostéo-articulaires ; et plusieurs complications organiques dégénératives en particulier osseuses (62), rénales (11, 34) et ophtalmologiques (73) et des cas de mort subite (67,89) ont été décrits. Dans la littérature, la plupart des études portant sur le trait drépanocytaire ont surtout évalué les paramètres biologiques comme la viscosité et les effets de l’hydratation au cours d’un effort physique (70, 94), et rarement la morbidité.
Au Sénégal, toutes les études évaluant la morbidité de la drépanocytose ont porté sur les syndromes drépanocytaires majeurs et en particulier la forme homozygote SS (25,28, 29). Les seules études portant sur le trait drépanocytaire évaluaient les paramètres hémorhéologiques, la déformabilité érythrocytaire et les effets de l’hydratation (68, 69). Ainsi, une évaluation de la morbidité des patients porteurs du trait drépanocytaire s’avère nécessaire afin d’identifier les facteurs de risque associés à la survenue de manifestations cliniques chez ces patients.
LES GENERALITES
DEFINITION
La drépanocytose ou anémie falciforme est une affection génétique due à une anomalie de l’hémoglobine causée par la mutation du sixième codon du gène bêta (β) de l’hémoglobine (GAG → GTG).
Cette mutation conduit à la synthèse d’une hémoglobine anormale, appelée hémoglobine S, caractérisée par la substitution d’un acide glutamique par une valine au niveau de cette protéine qu’est l’hémoglobine. Le trait drépanocytaire correspond à la forme hétérozygote de la drépanocytose (AS). Dans ce cas la mutation ne concerne qu’un seul gène de la paire . Ce trait drépanocytaire se caractérise par la présence au sein des globules rouges d’Hb anormale S (entre 35 à 45%) et d’Hb normale A entre 55 à 70%). La modification de l’Hémoglobine contenue dans les hématies est responsable en situation d’hypoxie, d’une altération de la forme des globules rouges; Ceux-ci passent d’une forme arrondie à une forme recourbée dite en faucille.
HISTORIQUE
La drépanocytose provient étymologiquement du grec « drépanon » qui signifie «faucille »et désigne une forme recourbée des hématies (figure 1); cette forme recourbée des globules rouges est observée au cours de certaines circonstances dans la drépanocytose. La drépanocytose est une maladie bien connue depuis longtemps dans la médecine traditionnelle africaine. Les Ghanéens auraient reconnu que cette maladie était un syndrome héréditaire dangereux (54). La littérature médicale nigériane quant à elle fait état des ‘’ogbanjes’’ enfants qui meurent très jeunes (49 ; 90) dès 1870. En 1874, HORTON pour sa part décrit le ‘’rhumatisme chronique’’ dans ses publications : il s’agit vraisemblablement de la drépanocytose, (2;3). En 1910, le syndrome est identifié pour la première fois par James HERRICK chez un patient noir, originaire des Antilles anglaises. Il aurait présenté une anémie sévère associée à une forme particulière des érythrocytes qui rappelle celle d’une faucille. Le patient, W.C. Noel, étudiant en dentisterie, retourna à Grenade où il mourut de pneumonie à l’âge de 32 ans (83). Le second patient est une servante noire du nom d’Ellen Anthony. Elle a été victime d’une douleur abdominale sévèretraitée par l’étudiant B.E. Washburn. Celui-ci confirme que la pathologie dont souffre Ellen Anthony correspond au syndrome décrit par James HERRICK. Il publie son observation en 1911 (83; 84 ; 99). Le troisième cas concerne également un malade de race noire (21). Le tableau clinique de cette patiente de 21 ans ressemblesingulièrement à l’histoire clinique et hématologique des patients de Herrick et de Washburn. Cette patiente attire tout naturellement l’attention d’Emmel qui soupçonne une étiologie héréditaire : trois enfants de la même famille sont décédés d’anémie ; elle-même et son père (asymptomatiques) sont sensibles au test de falciformation qu’il décrit. A la suite de ces analyses, Emmel évoque alors l’hérédité qu’il démontre à travers un test qui porte son nom de nos jours. Cette démonstration explique la réversibilité de la falciformation, in vitro, sous l’action de la pression partielle d’oxygène, si l’on ajoute du bisulfite de sodium au sang du malade ou en créant artificiellement une atmosphère pauvre en oxygène (32). En exposant sur le potentiel de falciformation (figure. 2), réversible in vitro, il souligne le rôle prépondérant de la cellule dans la maladie. En effet, il est admis que la particularité des globules aurait valeur de test diagnostic.
Les premières descriptions de la crise hémolytique ont été faites en 1924 par Sydenstricker qui expose sur les aspects aigus et douloureux(91). Ce sont Hank et Guillepsie qui remarquent en 1929 que la déformation des globules rouges se produit en cas de basses pressions en oxygène dans le sang, c’est-à-dire inférieures à 50 mmhg. (41) Sherman quant à lui distingue le trait falciforme de l’anémie falciforme et avec ses collaborateurs en 1940, ils suggèrent pour la première fois le rôle de l’hémoglobine dans cette anémie qu’ils considèrent comme héréditaire.
Dans la même lancée, Neel est le premier à exprimer clairement l’existence d’une forme homozygote, héritée de deux parents hétérozygotes; c’est la transmission mendélienne de la maladie (75). C’est ainsi que Pauling, Itano, Inger et Wells (1949) ont mis en évidence la différence électrophorétique entre l’hémoglobine normale A (HbA) et l’hémoglobine anormale S (HbS). Ce fut la première maladie génétique due à un défaut de la structure moléculaire d’une protéine spécifique (79). Harris (1950) étudie sous microscope, en lumière polarisée, des concentrations variées d’hémoglobines drépanocytaires oxygénées ou désoxygénées et confirme l’approche de Pauling en ce qui concerne le mécanisme de falciformation; en effet, les molécules de l’hémoglobine S désoxygénées s’associent entre elles pour former un arrangement avec une formation de longues chaînes d’éléments d’hémoglobine .
En 1956, Ingram met en évidence l’anomalie biochimique et démontre que la différence entre HbS et HbA correspond à la substitution d’un seul acide aminé: l’acide glutamique de la chaîne bêta de la globine est remplacé par la valine. Dans les années 60, les chercheurs découvrent que le gène qui code la production de la chaîne bêta se trouve sur le chromosome 11 ; ainsi, en ce qui concerne l’anémie falciforme, la thymine (T) va remplacer l’adénine (A) sur le codon 6 : GAG devient GTG.
EPIDEMIOLOGIE
DANS LE MONDE
La drépanocytose est la maladie moléculaire la plus répandue au monde. En effet, environ 300 millions de personnes sont porteurs d’une mutation du gène S (76) (figure 4). De même, la drépanocytose n’est plus exclusivement une maladie des populations noires d’Afrique. La présence des populations immigrées africaines et d’origine antillaise dans les capitales européennes, et sur le continent américain, sans oublier l’accroissement du métissage, étend cette maladie à l’échelle mondiale. Ainsi, dans les pays d’immigration de la population noire la fréquence du gène S est estimée à 10 %; Il s’agit des pays comme les Etats-Unis d’Amérique, les pays d’Europe, la Grande Bretagne, les Caraïbes et certains pays d’Amérique du Sud comme le Brésil ou la Colombie. (72 ; 85) Au niveau des non Africains, la drépanocytose continue de faire parler d’elle dans les pays suivants : la Sicile en Italie, la Grèce, l’Albanie, la Turquie, les pays du nord d’Israël, de même que dans tous les pays du Moyen Orient .
En AFRIQUE
En Afrique, la ‘’ceinture drépanocytaire’’ commence à l’embouchure du fleuve Sénégal, couvre toute l’Afrique occidentale, équatoriale et orientale en passant par le canal du Mozambique et le sud du Soudan jusqu’au Zambèze et l’île de Madagascar (16). Le taux de prévalence du trait drépanocytaire est compris entre 10 et 40 % en Afrique équatoriale alors qu’elle n’est que de 1 à 2 % sur la côte de l’Afrique du nord; en Afrique australe, le taux de prévalence est en dessous de 1 % (Figure 5) . (63) Dans certains pays d’Afrique comme le Nigéria, le Ghana, le Cameroun et le Gabon, les taux de prévalence se situent entre 20 et 30 % et atteignent 45 % dans quelques régions de l’Ouganda. (63) Il va sans dire que la fréquence du trait drépanocytaire détermine la densité de la prévalence de cette maladie à la naissance. En effet, dans les pays où la prévalence du trait drépanocytaire est supérieure à 20 %, la drépanocytose touche environ 2 % de la population (100) et est à l’origine de 5 % de décès d’enfants de moins de cinq (5) ans.
AU SENEGAL
Au Sénégal, la prévalence du trait drépanocytaire est estimée entre 8% et 10% (65). Une étude chez les nouveaux nés qui sont du reste très exposés à l’affection du paludisme, a permis la découverte de 0,4% de formes homozygotes à Dakar.
LE RAPPORT AVEC LE PALUDISME
Curieusement la répartition du trait drépanocytaire est très similaire à celle du paludisme (figure 6). En effet, le trait drépanocytaire a un aspect protecteur partiel contre les formes graves du paludisme à Plasmodium falciparum. Cette situation favorise ainsi la survie de l’hôte et conduit à la transmission ultérieure du gène anormal à la descendance du patient. Les mécanismes responsables de la résistance au paludisme chez les porteurs de ce trait restent encore obscurs. Cependant, quelques hypothèses ont été émises. Selon certains auteurs, l’effet de protection dérive de l’instabilité de l’hémoglobine S qui forme des agrégats avec les protéines membranaires du globule rouge (43). Cela accélère l’élimination de la cellule pour que le parasite de la malaria puisse être régulièrement détruit permettant la présence d’un nombre suffisant de cellules saines qui permettront la survie de l’individu (43). En effet, l’hématie mal oxygénée provoque des déformations supplémentaires dans le cas d’une hématie falciforme. Heureusement, les hématies non parasitées sont majoritaires et le sujet survit dès lors que les hématies parasitées sont éliminées régulièrement. Si un seul gène anormal (trait drépanocytaire) peut conférer une protection contre le paludisme (9,71), malheureusement, les enfants qui héritent de deux gènes anormaux présentent une drépanocytose et ne jouissent plus d’une telle protection. Le paludisme devient tout naturellement une cause majeure de morbidité et de mortalité chez eux.
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Table des matières
INTRODUCTION
I-GENERALITES
I-1-DEFINITION
I-2-HISTORIQUE
I-3-EPIDEMIOLOGIE
I-3-1- Dans le monde
I-3-2- En Afrique
I-3-3- Au Sénégal
I-3-4-Rapport avec le paludisme
I-4-GENETIQUE
I-5-PHYSIOPATHOLOGIE
II-LES SYNDROMES DREPANOCYTAIRES MAJEURS
II-1-LES SIGNES CLINIQUES
II-1-1- La drépanocytose homozygote
II-1-1-1- Phase inter-critique
II-1-1-2- Phase critique
II-1-1-3- Complications
II-1-1-3-1-Complications Aigues
a-Les accidents vaso-occlusifs graves
b-Les complications infectieuses
c-Les complications anémiques
II-1-1-3-2-Complications chroniques
a-Insuffisance rénale
b-Lithiase vésiculaire
c-Ostéonécrose aseptique
d-Ulcère de jambe
e-La rétinopathie drépanocytaire
f-Isuffisance cardiaque
g-Trouble de la croissance
II-1-2- Autres Syndromes drépanocytaire majeurs
II-2-SIGNES BIOLOGIQUES
II-2-1- Hémogramme
II-2-2- Test d’Emmel
II-2-3- Electrophoèse de l’hémoglobine
II-2-4- LA chromatographie liquide haute performance (HPLC) sur colonne échangeuse de cations
II-2-5- Isoélectro focalisation
II-3-TRAITEMENT
II-3-1-Mesures préventives générales
II-3-1-1-L’Hyperhydratation
II-3-1-2- Prévention des infections
II-3-1-3-Prévention des crises vaso-occlusives
II-3-1-4-Supplémentation en acide folique
II-3-1-5-Conseil génétique
II-3-2-Traitement des crises vaso-occlusives
II-3-3-Autres thérapeuthiques
II-3-3-1-La transfusion
II-3-3-2-Thérapie génique
III-LE TRAIT DREPANOCYTAIRE OU DREPANOCYTOSE HETEROZYGOTE (AS)
III-1- MANIFESTATIONS CLINIQUES DECRITES CHEZ LE PORTEUR DU TRAIT DREPANOCYTAIRE AS
III-1- 1-Signes généraux et fonctionnels
III-1- 2-Atteintes ostéo-articulaires et musculaires et leurs complications
III-1- 3-Atteintes rénales
III-1- 4-Atteintes cardio-vasculaires et pulmonaires
III-1- 5-Atteintes occulaires
III-1- 6- Autres atteintes
III-2-DIAGNOSTIC BIOLOGIQUE
III-2-1–Test d’Emmel
III-2-2-Electrophorèse de l’hémoglobine
III-3-PRINCIPES DU TRAITEMENT
CONCLUSION