L’avènement de la chirurgie hépatique se situe vers la fin du XIXème siècle, au gré de l’amélioration progressive des techniques chirurgicales de base, concomitante aux progrès croissants de l’anesthésie et du contrôle des infections. La première tentative d’hépatectomie partielle fut décrite par Lius en 1886 (mais se solda par une hémorragie massive entrainant le décès de la patiente). En 1889, Keen rapporte la réalisation de trois hépatectomies et collige dans le même temps 73 autres cas de la littérature scientifique (1). En 1908, Pringle décrit pour la première fois la technique du clampage pédiculaire qui vise à réduire les pertes hémorragiques suite aux traumatismes hépatiques (2). Mais c’est véritablement après la seconde guerre mondiale que la chirurgie hépatique connaitra des avancées majeures, avec la première hépatectomie droite réalisée avec succès en 1951, la première greffe hépatique en 1963, et en 1966 la description de la technique d’exclusion vasculaire du foie, encore utilisée à l’heure actuelle dans moins de 10% des hépatectomies (3). Depuis la fin du XXème siècle, la chirurgie hépatique bénéficie de l’apport de l’imagerie (tomodensitométrie, échographie), et notamment interventionnelle, comme l’embolisation portale pré opératoire, permettant d’élargir ses indications.
Le foie est un organe vital représentant 2% du poids du corps. Il est composé de 2 lobes anatomiques de tailles inégales, séparés par le sillon falciforme. Le foie est divisé en 8 segments, chacun indépendant en termes de vascularisation et de drainage biliaire (figure 1). On distingue une répartition des segments en lobe droit et gauche, et une en foie droit et gauche en fonction respectivement de leur position anatomique par rapport au ligament falciforme ou de leur position fonctionnelle en fonction de leur vascularisation et de leur drainage. Ainsi le lobe droit, se situant à la droite du ligament falciforme est composé des segments 1 et 4 à 8. Le lobe gauche est donc composé des segments 2 et 3. Le foie droit, vascularisé par le pédicule hépatique droit, comprend lui les segments 5 à 8, alors que le foie gauche comprend les segments 1 à 4 .
Le débit sanguin hépatique est d’environ 1,5 L/min soit 25% du débit cardiaque. La vascularisation du foie est double, assurée en partie par l’artère hépatique (20 à 30%) et en partie par la veine porte (60 à 70%). A l’entrée dans le parenchyme hépatique, l’artère et la veine se séparent en deux branches, une branche droite destinée au foie droit et une branche gauche pour le foie gauche. L’ensemble veine porte, artère hépatique et canal biliaire forme le pédicule hépatique qui se divise au niveau du hile pour former les pédicules glissoniens droit et gauche. Trois veines sus-hépatiques assurent le drainage veineux du foie et s’abouchent dans la veine cave inférieure.
Le foie est doté d’une capacité de régénération après résection partielle, résultant d’un équilibre complexe entre facteurs stimulants et inhibant la prolifération hépatocytaire. Ce phénomène autorise la réalisation d’hépatectomie emportant jusqu’à 80% du volume hépatique initial.
Les différentes indications à une hépatectomie peuvent être classées en 4 groupes : résection de tumeur maligne secondaire (métastasectomie), tumeur maligne primitive, lésions bénignes (angiomes, kystes etc..) et résection septique (abcès, kystes hydatiques, etc.). La répartition de ces indications actuellement retrouvée en France est respectivement de 50,8%, 23,1%, 11,1% et 0,8% (14% d’indication mal définie) (6). Sur le plan histologique, par ordre de fréquence, on retrouve principalement parmi les masses hépatiques, les métastases de cancers colorectaux (adénocarcinomes majoritairement) ainsi que les angiomes bénins (7). Viennent ensuite les carcinomes hépatocellulaires et cholangiocarcinomes ainsi que les adénomes et kystes biliaires bénins ou encore les séquelles de traumatismes hépatiques. Actuellement, on distingue les hépatectomies anatomiques, suivant les limites séparant chaque segment, des hépatectomies atypiques ne respectant pas l’anatomie des segments. Au sein des hépatectomies anatomiques on distingue les hépatectomies droites et gauches pour la résection du foie droit et gauche, les lobectomies droites et gauches pour la résection des lobes droits et gauches, la bi et uni segmentectomie pour 2 ou 1 segment(s) anatomique(s). Chaque résection peut être élargie à un ou 2 segment(s) adjacent(s). On appelle hépatectomie majeure, une résection hépatique emportant au moins 3 segments hépatiques. La voie d’abord chirurgicale peut être réalisée par laparotomie ou laparoscopie selon le volume et la topographie de la résection, ainsi que l’expérience de l’opérateur (8). La résection hépatique peut nécessiter un clampage vasculaire pour limiter les pertes sanguines ; non systématique, il doit être le plus sélectif et le plus court possible, afin d’éviter une ischémie prolongée délétère pour le parenchyme hépatique. Parmi les différentes techniques de clampage, on peut citer par exemple le clampage du pédicule hépatique (manœuvre de Pringle), l’exclusion vasculaire totale du foie ou encore le clampage sélectif des branches vasculaires (9). Cette dernière, limitant à la fois l’ischémie hépatique et les pertes sanguines, est actuellement la technique de référence lorsqu’elle est anatomiquement possible.
La chirurgie hépatique est grevée d’une morbi-mortalité non négligeable et très hétérogène selon la littérature. En effet plusieurs facteurs de risques indépendants ont été identifiés comprenant les caractéristiques et antécédents des patients en préopératoire, les différents évènements per opératoires ou encore les défaillances post opératoires. Les facteurs de risque de complications et de morbi mortalité post opératoires les plus fréquemment retrouvés sont :
– En pré opératoire : la présence d’une cirrhose (10), évaluée par le score de Child-Pugh (11).
– En per opératoire, la durée de clampage (12), le volume hépatique réséqué (13) (notamment les hépatectomies majeures) et la nécessité d’une transfusion (14). On peut également citer l’expérience de l’opérateur et du centre pour ce type de chirurgie.
– En post opératoire, majorant significativement la mortalité post-opératoire, la présence d’une insuffisance hépatocellulaire (post hepatectomy liver failure – PHLF) (15) (16), définie par l’ « International Study Group of Liver Surgeries – ISGLS » comme « une détérioration post-opératoire de la capacité du foie (chez les patients dont la fonction hépatique est normale ou anormale) à maintenir sa fonction synthétique, excrétrice et détoxifiante et caractérisée par une augmentation de l’INR et une hyperbilirubinémie à partir du cinquième jour post opératoire » et stratifiée en trois groupes (annexe 1). Cette définition de la PHLF comprend des facteurs cliniques et biologiques (17). La prédiction en pré-opératoire de la PHLF a fait l’objet de nombreux travaux et publications : un des scores les plus récents ayant démontré cette relation est l’ALBIscore (18) défini par une formule mathématique élaborée à partir des données biologiques pré opératoires (taux d’albumine et de bilirubine préopératoire (19)) : (log10bilirubine (µmol/L) x 0,66) + (Albumine (g/L) x -0,085). Il permet de déterminer 3 grades, stratifiant ainsi la médiane de survie en fonction du grade (Grade A : ≤ 2,60, Grade B : > 2,60 et ≤ 1,39 et Grade C : > 1,39) .
Discussion
Dans notre série, la morbidité à J90 post-opératoire chez les patients ayant bénéficié d’une hépatectomie majeure et définie par un score de Dindo Clavien > 2 était de 23,4% (n = 32). Ce taux s’avère relativement bas au sein d’une littérature très hétérogène sur le sujet.
En effet, une méta analyse de 2019 réalisée par Franken et al. (23), retrouve un taux de morbidité de 57%. La différence observée peut s’expliquer par le fait que cette méta analyse s’est principalement intéressée aux cholangiocarcinomes péri-hilaires, faiblement représentés dans notre série et qui présentent une morbidité élevée, entre 26% (24) et 68% (25) dans la littérature. Dans une autre étude, Wei et al. (14), sur une cohorte de 155 hépatectomies élargies, ont montré une morbidité de 55,5%. Ici encore, la principale différence qui distingue nos séries réside dans la nature de la chirurgie. La population étudiée avait en effet bénéficié d’une hépatectomie élargie et donc plus à risque de morbidité de par l’importance du parenchyme hépatique réséqué. Schroeder et al. (26) ont montré un taux de morbidité à 32% sur 587 hépatectomies majeures. Ce taux supérieur à celui observé dans notre cohorte peut s’expliquer par une différence de définition de la morbidité. En effet, dans cette étude la morbidité était définie par la présence d’au moins une complication. Dans notre étude, et selon la définition de notre critère de jugement principal, seules les complications nécessitant plus qu’un traitement médical étaient comptabilisées (complications correspondant à un score de Dindo Clavien > 2). Enfin, Vibert et al. (27) dans une cohorte de 85 hépatectomies majeuresretrouvait 23% de morbidité avec une population étudiée, comparable à la nôtre. On note que dans les facteurs de risque de morbidité, la PHLF sévère était présente dans 9,4% des cas. Cette complication retrouvée chez 14,7% des patients dans notre étude est l’une des principales complications responsables de la mortalité post-opératoire chez les patients ayant une chirurgie de résection hépatique majeure .
Concernant nos critères d’analyse secondaires, nous notons un taux de mortalité avant J90 de 3,6% soit 5 patients décédés sur la période étudiée. Ces résultats diffèrent peu des données de la littérature. En effet, une récente étude allemande ayant inclus 17000 hépatectomies majeures entre 2010 et 2015 (30) retrouve un taux de mortalité à J90 de 10,4% avec des proportions de chirurgies pour tumeurs bénignes et malignes sensiblement identiques. La principale différence entre nos études est le taux d’anastomose bilio-digestive, plus important dans cette cohorte et dont le pronostic, grevé d’une morbi-mortalité plus importante, explique probablement la différence observée (30). Dans une cohorte suédoise parue en 2017 (29), où plus de 1600 hépatectomies majeures et élargies ont été réalisées, on retrouve une mortalité à J90 respectivement de 3,2%, et de 7,5% lorsqu’une anastomose bilio-digestive était nécessaire. Cette différence significative n’a pu être mise en évidence dans notre série, bien que les caractéristiques démographiques et les diagnostics anatomopathologiques soient sensiblement comparables à notre cohorte.
Concernant les résultats de l’analyse multivariée, on retrouve deux facteurs protecteurs significatifs que sont la capacité fonctionnelle supérieure à 4 MET et la laparoscopie. La capacité fonctionnelle évalue la possibilité d’un patient à réaliser un effort. Elle dépend notamment des fonctions cardiaque, pulmonaire et musculo-squelettique. L’évaluation de la capacité fonctionnelle en anesthésie revêt une importance grandissante, non seulement dans le cadre de l’évaluation péri opératoire du patient à risque cardiaque, mais aussi dans le contexte de la pré habilitation. Les performances physiques sont inversement proportionnelles à la survenue de complications post opératoires. Ceci a déjà été montré dans le cadre de la chirurgie carcinologique colo-rectale (31). Plus récemment, Van Beijsterveld et al. montraient qu’une diminution des capacités physiques préopératoire était responsable d’une augmentation des complications post-opératoires non chirurgicales et de l’allongement du temps d’hospitalisation (32). En effet, la phase péri opératoire s’apparente à une épreuve d’effort, et les patients qui peuvent réaliser un effort avec un niveau d’aérobiose élevé pourraient mieux supporter une élévation de la demande en oxygène lors d’une intervention chirurgicale, et cela sans développer de métabolisme anaérobie (32). Nos résultats laissent suspecter une très probable hausse des complications chirurgicales dans la population aux capacités physiques atténuées (inférieures à 4 MET). Cette notion appelle à de nouvelles études pour confirmer cette tendance qui pourrait nous inciter à évaluer le score MET dès la consultation chirurgicale, afin de proposer si nécessaire une pré-habilitation intensive dans un objectif de diminution des complications post opératoires et de la durée de séjour.
La laparoscopie, apparue plus tardivement en chirurgie hépatique, a démontré son intérêt au sein des chirurgies hépatiques majeures. En effet dans une revue de la littérature publiée en 2013 par Afaneh et al., les taux de mortalité et de morbidité étaient toujours plus bas lorsqu’ils sont comparés à une chirurgie par laparotomie (33). Il est intéressant de noter que l’on retrouve dans la même étude l’importance de la sélection des patients, notamment concernant l’étiologie bénigne ou maligne, la présence d’une cirrhose sous-jacente, ainsi que la taille ou la localisation des lésions (33). Cette technique chirurgicale apparait déjà comme le « gold standard» dans certaines chirurgies carcinologiques, notamment colo-rectale (34) dans un objectif de Récupération Améliorée Après Chirurgie (RAAC).
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Table des matières
Introduction
Objectif
Matériel et méthodes
Type d’étude
Critères d’inclusion
Critères de non-inclusion
Comité éthique
Critères de jugement principal et secondaires
Données recueillies
Analyses statistiques
Résultats
Description de la population
Résultat critère de jugement principal
Résultats critère de jugement secondaire
Discussion
Conclusion
Annexes
Annexe 1 : Définition de l’Insuffisance Hépatique Post opératoire (PHLF – Post Hepatectomie Liver
Failure) (17)
Annexe 2 : Evaluation pré-opératoire de la réserve fonctionnelle cardiaque ou Equivalent
Métabolique (MET) (20)
Annexe 3 : Score de Charlson (21)
Annexe 4 : Classification de KDIGO (39)
Bibliographie