MORALE ET SYSTEMES CHEZ MONTAIGNE

La nature humaine chez Montaigne

ย  ย  Lโ€™homme est un รชtre vivant comme les autres รชtres, mais diffรฉrent dโ€™eux. Ce qui fait cette diffรฉrence peut du fait de sa nature. Cette derniรจre est ce qui constitue lโ€™homme, ce par quoi il se caractรฉrise. La nature de lโ€™homme est sa substance, son essence, bref tout ce qui reste inchangรฉ en lโ€™homme. A cet effet, Montaigne fonde sa pensรฉe sur celle-ci afin de pouvoir mieux connaitre lโ€™homme. Mais, il sera confrontรฉ au caractรจre changeant de lโ€™homme qui bloc la connaissance de celui-ci. Pour Montaigne, lโ€™homme est de nature inconsistant dans tout son รชtre. Cโ€™est-ร -dire quโ€™il ne cesse de changer dโ€™attitude ร  tout instant. Parfois bon, parfois mauvais ; gรฉnรฉreux aujourdโ€™hui, cruel demain ; dire vrai ร  lโ€™instant, รชtre faux aprรจs ainsi de suite. Il fait le constat en lui-mรชme et se prend pour exemple. Ce quโ€™il conรงoit cโ€™est quโ€™ ยซ on ne peut rien dire de lโ€™homme ยป. Autrement dit, il faut savoir, dโ€™abord, ce quโ€™est lโ€™homme pour pouvoir en parler. Ainsi, donc, il cherche ร  rรฉpondre ร  la question ยซ quโ€™est-ce-que lโ€™homme ? ยป, mais, il tombe sur un รชtre insaisissable selon les circonstances. Ce sont ces circonstances qui orientent la visรฉe de lโ€™homme. Ainsi, dit-il ยซ Voilร  pourquoi pour juger dโ€™un homme, il faut suivre longuement et curieusement sa trace : si la constance ne sโ€™y maintien de son seul fondement, (โ€ฆ), si la variรฉtรฉ des occurrences lui fait changer de pas, (โ€ฆ) laissez-le courir : celui-lร  sโ€™en va avec le ventโ€ฆ ยป14 Lโ€™auteur des Essais laisse entendre ici que le jugement que nous faisons sur qui que ce soit ne doit pas รชtre fait ร  la hรขte. Cโ€™est-ร -dire quโ€™il faut bien connaitre la personne en question. Ce qui parait difficile pour ne pas dire impossible, en tout cas dans la conception Montaignienne. En somme, la nature humaine semble difficile ร  cerner de faรงon exacte ; en tout cas selon Montaigne. Car suivant sa pensรฉe dans les Essais, on ne peut dire ce que lโ€™homme est. Ou bien mรชme ce quโ€™est Michel de Montaigne puisquโ€™il รฉtudie sa personne dans son ล“uvre. Il sโ€™essaie car, il ne peut pas se rรฉsoudre. Et cela est dรป au fait que lโ€™homme ne cesse de changer dโ€™un instant ร  un autre. Cette instabilitรฉ de lโ€™homme conduit ร  lโ€™illusion que nous faisons sur lui en voulant profรฉrer des jugements. Quโ€™il soit : bon, mรฉchant, intelligent, naรฏf, gentille, jaloux etc., ce sont les circonstances qui nous le diront. Par consรฉquent, lโ€™homme se dรฉfinit naturellement par les circonstances. Comme qui dirait circonstances particuliรจres, mesures particuliรจres. Pourtant la relation que nous avons avec les autres peut permettre de les connaitre. Est-ce donc connaitre lโ€™homme ? Ou croyons nous le connaitre ? Ou encore, cโ€™est une partie de lui que nous connaissions ? Nous pouvons rรฉpondre que ce que nous dirions connaitre lโ€™homme nโ€™est quโ€™illusion. Par fois, nous le jugeons en se rรฉfรฉrant ร  nous-mรชmes. Finalement, le constat est que lโ€™homme est un รชtre obscur. Ce qui permet ร  Montaigne de dire que lโ€™homme se connait soi-mรชme. Par ailleurs notre auteur se fait connaitre aux lecteurs, ร  travers ses รฉcrits. Lโ€™inconstance nous renvoie directement au caractรจre cruel de lโ€™homme. Cependant, parlant de cruautรฉ, notre auteur fait le constat sur lui-mรชme par de multiples expรฉriences, il ne songe quโ€™ร  parler de lui-mรชme. Les Essais constituent le recueil de toutes ses expรฉriences dans son vรฉcu et dans son for intรฉrieur. En effet, la vie de Montaigne est marquรฉe par des expรฉriences quโ€™il a vรฉcues lors de la guerre des religions en France. Une guerre civile qui opposait les catholiques et les protestants. Mais ce qui attire notre attention cโ€™est son observation sur les changements de lโ€™homme. Autrement dit, comment lโ€™homme peut, dโ€™un instant quitter le statut de bon pour atterrir au mรฉchant. Montaigne tire son expรฉrience des moments vรฉcus en France ร  son รฉpoque. ยซ Il yโ€™a plus de barbarie ร  manger un homme vivant quโ€™ร  le manger mort, ร  dรฉchire par tourment et gรจnes un corps encore plein de sentiments, le faire rรดtir par le menu, le faire mordre et meurtrie aux chiens et aux pourceaux (comme nous lโ€™avons non seulement lu mais vu de fraiche mรฉmoire, non entre des ennemis anciens, mais entre des voisins et concitoyens, et, qui pis est, sous prรฉtexte de piรฉtรฉ et de religion), que de rรดtir et manger aprรจs quโ€™il est trรฉpassรฉ. ยป Il est inquiรฉtรฉ par la situation de son pays, mais aussi dรฉpassรฉ par le niveau de cruautรฉ oรน lโ€™homme peut atteindre. Ainsi, la nature de lโ€™homme devient multidimensionnelle. Dรจs lors, quel jugement faut-il faire de lโ€™homme ? Autrement dit, que faut-il dire de lโ€™homme ? Ces questions ont leur rรฉponse dans un seul et unique รฉlรฉment : lโ€™homme. Cโ€™est la question philosophique : ยซ Quโ€™est-ce que lโ€™homme ? ยป. Montaigne dira plus tard ยซ Que suis-je moi-mรชme, Michel Eyquem de Montaigne ? ยป Cela, parce que ses รฉtudes portent sur lui-mรชme. Les sujets, les thรจmes et les รฉtudes ont un seul but ; la connaissance de soimรชme. ยซ Je suis moi-mรชme la matiรจre de mon livre : ce nโ€™est pas raison que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain. ยป dit-il dans son avis Au Lecteur; et ajoute : ยซ Je nโ€™ai pas plus fait mon livre que mon livre mโ€™a fait, livre consubstantiel ร  son auteur, dโ€™une occupation propre, membre de ma vie ; non dโ€™une occupation et fin tierce et รฉtrangรจre comme tous autres livres. ยป16 Lโ€™auteur des Essais veut faire savoir que la recherche ou la connaissance doit commencer en nous-mรชmes. La premiรจre chose ร  connaitre cโ€™est lโ€™homme. Montaigne nโ€™a fait que suivre le ยซ connais-toi toi-mรชme ยป de Socrate. Cโ€™est cette connaissance qui conduira tout รชtre ร  atteindre la vรฉritรฉ de toutes choses. Cโ€™est parce que Socrate connait la complexitรฉ profonde de lโ€™homme, quโ€™il lโ€™รฉtudie, souligne Guy Lazorthes. Cette connaissance de soi va au-delร  de lโ€™รชtre simplement homme. Cโ€™est-ร -dire quโ€™elle vise lโ€™essence ou le fondement de lโ€™รชtre. La question ยซ quโ€™est ce que lโ€™homme ? ยป admettra donc une rรฉponse mรฉtaphysique. Dโ€™ailleurs, cโ€™est tout le dessein de Montaigne. Dans tout son ล“uvre, il parle que du ยซ moi ยป et utilise la premiรจre personne : ยซ je ยป. La connaissance de soi peut permettre de connaitre lโ€™autre ou les autres. Lazorthes laisse entendre : ยซ Je dirais volontiers โ€˜โ€™connais lโ€™homme pour mieux te connaitreโ€™โ€™. ยป17 Se connaitre pour savoir ce quโ€™on est et ce quโ€™on peut, afin dโ€™รฉviter des illusions. Pour lui, la connaissance de soi est la ยซ science premiรจre ยป. Et lโ€™interjection dit : ยซ renonce ร  chercher hors de toi, ร  apprendre par des moyens extรฉrieurs ce que tu es rรฉellement et ce quโ€™il te convient de faire ; reviens ร  toi, non pas certes pour te complaire en tes opinions, mais pour dรฉcouvrir en toi ce quโ€™il y a de constant et qui appartient ร  la nature humaine en gรฉnรฉral ยป. Un appel ร  lโ€™homme de mieux connaitre sa nature. Cette conception moderniste de la nature humaine est un prolongement de celle des anciens. Lโ€™humanisme du XVIe siรจcle tournait autour de cette question mรชme si lโ€™intรฉrรชt diffรจre dโ€™un penseur ร  un autre. Pour Montaigne, cโ€™est lโ€™observation de soi qui renseigne sur la nature humaine. Lโ€™รฉtude des sciences humaines contribue connaitre lโ€™homme dans sa globalitรฉ. Toutes les qualitรฉs et les dรฉfauts de lโ€™homme sont mis ร  lโ€™รฉtude par lโ€™essayiste. Car se voit dโ€™un ล“il dโ€™observateur en tout ce quโ€™il fait. Ainsi, il dรฉcouvre en lui-mรชme un รชtre indescriptible. Parce que ยซ diverse ยป et ยซ ondoyant ยป. Mais cette dรฉcouverte lui sert ร  bien se faire connaitre. ยซ Or autant que la biensรฉance me le permet, je fais ici sentir mes inclinations et affections : mais plus librement, et plus volontiers, le fais-je de bouche, ร  quiconque dรฉsir en รชtre informรฉ. Tant yโ€™a que ces mรฉmoires, si on y regarde, on trouvera que jโ€™ai tout dit ou dรฉsignรฉ : ce que je ne puis exprimer, je le montre au doigt. Je ne laisse rien ร  dรฉsirer, et deviner de moi. Si on doit sโ€™en entretenir, je veux que ce soit vรฉritablement et justement. ยป Montaigne se dรฉcrit ici de faรงon total, mais aussi de la plus sincรจre maniรจre. La nature quโ€™il voit en lโ€™homme est diversifiรฉe suivant les รฉvรจnements. Lโ€™humanisme, de Socrate ร  lui, nโ€™a pas changรฉ de chemin ; cโ€™est-ร  dire quโ€™elle permet ร  lโ€™homme de savoir ce quโ€™il peut ou ne peut pas faire. La maniรจre dont nous nous prenons ou dont les autres nous voient peut รชtre diffรฉrent. Car, dit-il, ยซ Nous sommes chacun plus riche, que nous ne pensons : mais on nous dresse ร  lโ€™emprunt, et ร  la quรชte : on nous duit ร  nous servir plus de lโ€™autre, que du notre. ยป19 Lโ€™รฉducation reรงue par lโ€™homme dรจs son enfance fait de lui un faible. En effet, lโ€™homme reรงoit une รฉducation toute faite venant des anciens. Cette รฉducation ne donne pas toute libertรฉ ร  lโ€™homme ; mais cultive la dรฉpendance. De ce fait, nous ne pourrions rien faire qui soit de nous-mรชmes sinon de lโ€™autre. Si Montaigne sโ€™intรฉresse autant ร  lโ€™รฉducation, cโ€™est pour ยซ faire un homme ยป. Alors, il critiqua sรฉvรจrement le systรจme รฉducatif de son pays. Il veut que tout homme reรงoive une รฉducation humaniste comme la sienne. ยซ Le bon pรจre que Dieu me donna (qui nโ€™a de moi que de la reconnaissance de sa bontรฉ, mais certes gaillarde) mโ€™envoya dรจs le berceau, nourrir ร  un pauvre village des siens, et mโ€™y tint autant que je fus en nourrisse, et encore au-delร  : me dressant ร  la plus basse et commune faรงon de vivre ยป. Malgrรฉ tout le luxe qui est au tour de lui, dรจs sa naissance, il est รฉduquรฉ dans la pauvretรฉ. Le but du pรจre รฉtait de cultiver en lui lโ€™humilitรฉ et la vie sociale. Cโ€™est, en fait ce que prรฉconise Montaigne pour quโ€™il yโ€™ait une bonne รฉducation. Ainsi, le ยซ comment ยป trouve sa place dans lโ€™enseignement voulu par lโ€™auteur des Essais. Pour tout dire, il ne sโ€™agit pas, pour lui, de suivre tous les programmes, mais de savoir la maniรจre quโ€™il faut pour chacun. Afin dโ€™รฉviter ce quโ€™il prend comme : ยซ rรชverie dโ€™homme qui nโ€™a goutรฉ des sciences que la croute premiรจre, en son enfance, et nโ€™en a retenu quโ€™un gรฉnรฉral et informe visage : un peu de chaque chose, et rien du tout, ร  la franรงaise. ยป Tout lโ€™apprentissage de Michel Eyquem ne sโ€™arrรชte quโ€™aux matiรจres. Autrement dit, il ne peut pas lui servir dans sa vie. Car cette mรฉthode nโ€™englobe pas la connaissance pour se conduire dans son monde. Il comprend par lร  que mรชme ses facultรฉs naturelles ne supportent pas cela. Puisque ses conceptions et son jugement, ajoute-t-il, ยซ ne marchent quโ€™ร  tรขtons, chancelant, bronchant et chopant ยป22. Pourtant, Montaigne faisait partie des meilleurs รฉlรจves ร  cette รฉpoque. ยซ Et nโ€™est enfant des classes moyennes qui ne se puisse dire plus savant que moi ยป23 affirme-t-il. Descartes, des siรจcles plus tard, va reprendre cette mรชme critique pour dรฉnoncer cette faรงon dโ€™รฉduquer dans les รฉcoles. Dans la premiรจre partie du Discours de la Mรฉthode, il affirme : ยซ Jโ€™ai รฉtรฉ nourri aux lettres dรจs mon enfance ; et, pour ce quโ€™on me persuadait que, par leur moyen, on pouvait acquรฉrir une connaissance claire et assurรฉe de tout ce qui est utile ร  la vie, jโ€™avais un extrรชme dรฉsir de les apprendre. Mais sitรดt que jโ€™eus achevรฉ tout ce cours dโ€™รฉtudes, (โ€ฆ), je changeais entiรจrement dโ€™opinion. Car je me trouvais embarrassรฉ de tant de doute et dโ€™erreurs, (โ€ฆ), sinon que jโ€™avais dรฉcouvert de plus en plus mon ignorance. Et nรฉanmoins jโ€™รฉtais en lโ€™une des plus cรฉlรจbres รฉcoles de lโ€™Europe, oรน je pensais quโ€™il devait y avoir de savants hommes sโ€™il y en avait en aucun endroit de la terre.ยป24 Descartes est ร  la quรชte dโ€™un savoir quโ€™il pourra faire confiance pour fonder la vรฉritรฉ quโ€™il recherche. Pour cela, malgrรฉ ses รฉtudes, et surtout quโ€™il frรฉquente la meilleur des รฉcoles, il nโ€™y arrive pas. Mais notre intรฉrรชt porte sur le fait quโ€™il soit dรฉรงu de son instruction. Car elle ne parvient par lui conduire ร  trouver la vรฉritรฉ. Si Descartes cherchais la vรฉritรฉ dans les รฉtudes, Montaigne cherche un individu rendu libre par lโ€™รฉducation. Alors, tous deux ne peuvent plus faire confiance ร  lโ€™รฉducation de ce mรชme pays. Or, lโ€™รฉducation joue un grand rรดle dans le milieu social de chaque pays. Cโ€™est parce quโ€™elle est le fondement des citoyens de demain. Mais, il croit plus ร  une รฉducation qui ne rรฉduit pas tout ร  lโ€™autre. Cโ€™est-ร -dire quโ€™il prรฉtend que lโ€™รฉduquรฉ puisse sโ€™appuyer de cette รฉducation pour se conduire seul. La preuve, son รฉducation lui a permis de ne pas suivre ceux qui lโ€™ont influencรฉ. ยซ Comme quelquโ€™un pourrait dire de moi : que jโ€™ai seulement fait ici un amas de fleurs รฉtrangรจres, nโ€™y ayant fourni du mien, que le filet ร  les lier. Certes jโ€™ai donnรฉ ร  lโ€™opinion publique, que ces parements empruntรฉs mโ€™accompagnent, mais je nโ€™entends pas quโ€™ils me couvrent, et quโ€™ils me cachent : cโ€™est le rebours de mon dessein. ยป Lโ€™รฉducation que Montaigne a reรงue a fait quโ€™il puisse se servir de son propre entendement. Cโ€™est-ร -dire ร  ne plus dรฉpendre des autres. Si nous parcourons les Essais, nous nous rendions compte quโ€™il sโ€™est servi de ceux qui lโ€™on influencรฉ comme un appui. Ainsi, il inaugure lโ€™รฉmancipation de lโ€™รชtre humain. Tout au long de son ล“uvre, il cherche ร  connaitre lโ€™homme ; mais, ร  travers son ยซ moi ยป. Cette recherche lui permet non seulement de se connaitre, mais de connaitre aussi autrui. Autrui est un ยซ moi ยป mais qui est autre. ยซ Chaque homme porte la forme entiรจre de lโ€™humaine condition. ยป Affirmait-il ร  ce sujet. Montaigne est conscient du fait que chaque homme a ses particularitรฉs. En plus, il a quelque chose dโ€™universelle quโ€™il partage avec tous les hommes. De ce fait, il se connait lui-mรชme et en mรชme temps connait les autres. Cet autre, Montaigne lโ€™appelle ยซ ami ยป. Il en parle ainsi pour faire savoir ce quโ€™est un vrai ami. Pendant ces siรจcles, et bien avant, lโ€™amitiรฉ avait une grande importance. Aristote disait : ยซ Par consรฉquent, ร  la faรงon dont nous regardons dans un miroir quand nous voulons apprendre ร  nous connaitre, cโ€™est en tournant nos regards vers notre ami que nous pourrions nous dรฉcouvrir, puisquโ€™un ami est un autre soi-mรชme. ยป Pour Aristote, lโ€™autre est pour nous comme un miroir par rapport ร  nous. Nous nous connaissons ร  travers les autres. De lโ€™antiquitรฉ aux temps modernes, le mot change dโ€™รฉcriture et devient : autrui. Jean Paul Sartre dit dans lโ€™existentialisme est un humanisme : ยซ Lโ€™homme qui sโ€™atteint directement par le cogito dรฉcouvre aussi tous les autres, et il les dรฉcouvre comme la condition de son existence. Il se rend compte quโ€™il ne peut rien รชtre (au sens oรน on dit quโ€™on est spirituel, ou quโ€™on est mรฉchant, ou quโ€™on est jaloux) sauf si les autres le reconnaissent comme tel. Pour obtenir une vรฉritรฉ quelconque sur moi, il faut que je passe par lโ€™autre. ยปย  La perspective sartrienne de lโ€™autre semble donner la vรฉritรฉ cherchรฉe par soi sur soi. La question de lโ€™autre continu son cheminement jusquโ€™au temps modernes comme on vient de le voir avec Sartre. Si on en parle jusquโ€™ร  prรฉsent, cโ€™est parce que lโ€™autre est une partie intรฉgrante en moi. Dans la pรฉriode antique, il รฉtait sujet dans toutes discussions. Et Montaigne รฉtant lecteur des anciens est obligรฉ dโ€™en parler. Mais ร  bien y voir, Montaigne parle de lโ€™amitiรฉ parce quโ€™il vit une vรฉritable amitiรฉ. En effet, sa rencontre avec La Boรฉtie ne relรจve guรจre du hasard. Car, malgrรฉ que celui-ci soit plus รขgรฉ que Montaigne, ils ont les mรชmes objectifs, dโ€™aprรจs lui. ยซ Nos รขmes ont charriรฉ si uniment ensemble (โ€ฆ) que non seulement je connais la sienne comme la mienne, mais que je serais certainement plus volontiers fiรฉ ร  lui quโ€™ร  moi ร  mon sujet (โ€ฆ) cโ€™est un assez grand miracle que de se doubler. ยป29 On dirait, dโ€™aprรจs lui quโ€™ils se sont connus depuis des lustres. Nรฉanmoins, chacun se reconnaissait ร  travers son proche. Cette amitiรฉ semble sincรจre quโ€™il est rare dโ€™en trouver. ยซ Nous รฉtions ร  moitiรฉ de tout ; il me semble que je lui dรฉrobe sa part ยป30 disait-il. Mais lโ€™amitiรฉ nโ€™a pas durรฉ longtemps ร  cause de la mort de La Boรฉtie. Et Montaigne en a souffert et ne cesse de penser ร  lui dans tout ce quโ€™il faisait. Il nโ€™arrive pas ร  expliquer ce qui le liait ร  Etienne. En tout cas, ils รฉtaient trรจs proches lโ€™un de lโ€™autre, ร  tel point que Montaigne voyait son รขme en lui. Tout ce quโ€™on peut dire de lui, cโ€™est ร  travers son ล“uvre que nous le savons. Il y relate tout son รชtre : ses humeurs, ses dรฉsirs, ses aversions, ses faiblesses etc. Cโ€™est ce quโ€™il appelle peindre son ยซ moi ยป. On y trouve une libertรฉ totale ; qui est le but de sa pensรฉe parce quโ€™il est un libertin.

La nonchalance comme vertu chez Montaigne

ย  ย  Toute la philosophie morale de Montaigne peut se rรฉsumer en une lutte pour le bien-รชtre intรฉrieur. Et, si nous traitons de la nonchalance, cโ€™est pour montrer lโ€™รฉtat dโ€™impassibilitรฉ quโ€™il cultive pour maintenir son รขme en paix. Cโ€™est-ร -dire, comment est-il arrivรฉ ร  traiter son รขme ร  lโ€™impassibilitรฉ des รฉmotions, des dรฉsirs et des plaisirs. En effet, la nonchalance est un รฉtat ou bien une attitude quโ€™une personne adopte en vers les sentiments. Ces derniers sont la cause de toutes les difficultรฉs de lโ€™homme. Chez Montaigne, la solution ou le remรจde pour lutter contre les maux, cโ€™est la solitude. Car, il y a des vices qui ne nous quitterons jamais nous dit-il en ces termes : ยซ Lโ€™ambition, lโ€™avarice, lโ€™irrรฉsolution, la peur et les concupiscences, ne nous abandonnent point pour changer de contrรฉe. ยป55 Il continu en disant : ยซ Elles nous suivent souvent jusque dans les cloistres (cloitres) et dans les รฉcoles de philosophie. Ni les dรฉsers (dรฉserts), ny les rochez creusez, ny le hรจre (homme sans mรฉrite, sans considรฉration ou sans fortune), ni les jeunes ne nous en dรฉmรชlent ยป. Oรน quโ€™on aille et qui quโ€™on soit, les vices demeureront toujours avec nous. Parce quโ€™ils sont ancrรฉs en nous et se manifesteront quand lโ€™occasion se prรฉsentera. Mรชme les grands hommes, les sages et autres ne font pas exception ร  la rรจgle. Pour Montaigne, mรชme si nous changeons de place, dโ€™endroit ou de lieu en gรฉnรฉral, ils nous suivent. Mais, que faudrait-il donc faire au juste pour se libรฉrer dโ€™eux ? Ou bien yโ€™a-til un moyen de pouvoir maitriser ces vices ? Montaigne dit quโ€™il faut sโ€™ ยซ Ecarter des conditions populaires qui sont en nous ; il se faut sรฉquestrer et ravoir de soy. ยป56 Cโ€™est un appel ร  tous de se dรฉmรชler du joug populaire pour se retrouver dans un lieu oรน on sera seul. En tout cas, il vit la sienne dans ce quโ€™il appelle son ยซ arriรจre-boutique ยป. On appelle arriรจre-boutique, une piรจce situรฉe immรฉdiatement et de plainpied derriรจre une boutique. Mais, chez Michel de Montaigne, son ยซ arriรจre-boutique ยป se situe dans sa bibliothรจque. Cโ€™est lโ€™endroit propice pour Montaigne de sโ€™รฉloigner des maux et de ce qui cause nos malheurs. Juste pour se prรฉparer si nous perdons, un jour, ce que nous dรฉsirons le plus. Par exemple la perte dโ€™un รชtre cher ou des biens auxquels on sโ€™attachait. Dโ€™ailleurs, cโ€™est ce dont souffrait Rousseau, dans Les rรชveries du promeneur solitaire. Ainsi, disait-il : ยซ (โ€ฆ) ils ont brisรฉ violemment tous les liens qui mโ€™attachaient ร  eux. ยป57. Il est devenu un รฉtranger dans sa sociรฉtรฉ afin de se demander : ยซ Que suis-je moi-mรชme ? ยป Dโ€™autant plus quโ€™il ne vie plus en sociรฉtรฉ. Cela lui paraรฎt comme un rรชve auquel il veut immรฉdiatement se rรฉveiller car, il est peinรฉ par la perte de ses amis. Rousseau sโ€™imagine un avenir horrible, tragique qui le plonge dans le dรฉlire, dans le bouleversement. Mais pour sortir de ce calvaire quโ€™il ne peu stopper, il se soumet ร  sa destinรฉe. Finalement dit-il : ยซ Jโ€™ai trouvรฉ dans cette rรฉsignation le dรฉdommagement de tous mes maux par la tranquillitรฉ quโ€™elle me procure et qui ne pouvait sโ€™allier avec le travail continuel dโ€™une rรฉsistance aussi pรฉnible quโ€™infructueuse. ยป Lโ€™habitude des souffrances est au point de mire chez Rousseau puisque rien ne peut plus affecter son รขme. Et les douleurs corporelles se transforment en des divertissements. Cette paix de lโ€™รขme, produite par la nonchalance reste la seule voie de secours pour notre vie. Ainsi, la philosophie morale de la nonchalance permet ร  lโ€™auteur des Essais de se dรฉpartir de tout mal pouvant accabler son รขme. Cโ€™est sa propre invention mais, suivant les pensรฉes de grands penseurs antiques. Cโ€™est-ร -dire quโ€™il nโ€™y a pas de pensรฉes uniques dโ€™รฉcrivains ; mais de doctrines. Raison pour laquelle, nous parlons de doctrines pour signifier la pensรฉe des grands รฉcrivains antiques. Et cโ€™est en ce sens que nous parlions de la doctrine des Stoรฏciens qui traite de lโ€™impassibilitรฉ de lโ€™รขme. Ils appellent cela ataraxie. Cโ€™est un รฉtat dโ€™absence de passions, qui prend la forme dโ€™absence de souffrance. De ce fait, les stoรฏciens mettent en avant les passions qui sont les seules responsables de ce phรฉnomรจne. Mais avant eux, les pรฉripatรฉticiens faisaient usage de ces passions. En effet, il sโ€™agit, pour ces derniers de modรฉrer les passions pour รฉviter quโ€™elles prennent le dessus sur lโ€™รขme. Pour eux, puisse que ces passions sont naturel en lโ€™homme, il faut les modรฉrer pour en faire des vertus. Cโ€™est-ร -dire que les passions bien rรฉglรฉes peuvent aider aux raisonnements. Les stoรฏciens, au contraire, optaient pour la suppression totale de ces passions. Car, pour eux, les passions ne font que troubler lโ€™esprit et, ne peuvent aider en rien la raison. La vertu est รฉgale ร  la raison, chez eux, et elles sont pour la droiture ; alors que les passions sont contre la droiture et veulent les dรฉtourner. Sรฉnรจque, lโ€™une des figures les plus marquantes du stoรฏcisme, nous fait savoir que le sage doit se prรฉparer aux troubles de lโ€™รขme avant de descendre sur le terrain. Car, pour lui, les passions se rรฉduisent ร  quatre : la peine, la crainte, le dรฉsir et le plaisir. Le sage ne peut que les faire disparaitre, puisquโ€™elles nโ€™augmentent pas sa sagesse, pour vivre en paix. Ce grand penseur rรฉflรฉchit sur tout ce qui conduit lโ€™homme vers les passions. Par exemple la pauvretรฉ et la mort qui constituent les plus grands maux de lโ€™homme. Selon Sรฉnรจque, la pauvretรฉ nโ€™est que la perte de choses superflues et inutiles. Et le peu de chose que nous puissions possรฉder suffise pour le sage de survivre. Les stoรฏciens disaient : ยซ un peu de pain et de vin nous suffis pour survivre. ยป En ce qui est de la mort aussi, Sรฉnรจque dit que cโ€™est une chose naturelle ร  laquelle personne nโ€™y รฉchappera. Et, le plus รฉtonnant est quโ€™on ne sait ni lโ€™heure ni le lieu ; donc le sage sโ€™y est dรฉjร  prรฉparรฉ.

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Table des matiรจres

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LA CRITIQUE DES SYSTEMES
1-La nature humaine chez Montaigne
2-La peinture du ยซ moi ยป chez Montaigne
3-Le Style dโ€™รฉcriture
DEUXIEME PARTIE: MONTAIGNE PROPOSE COMME MORALE : LE BONHEUR PLUTOT QUE LA SAGESSE
1-La nonchalance comme vertu chez Montaigne
2-La morale anticonformiste
3-La Philosophie comme mode de vie
TROISIEME PARTIE: La visรฉe de la pensรฉe philosophique de Montaigne
1-Lโ€™honnรชte homme Montaignien
2-La philosophie sceptique du ยซ Que sais-je ? ยป
3-Le piรจge du systรจme
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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