La nature humaine chez Montaigne
ย ย Lโhomme est un รชtre vivant comme les autres รชtres, mais diffรฉrent dโeux. Ce qui fait cette diffรฉrence peut du fait de sa nature. Cette derniรจre est ce qui constitue lโhomme, ce par quoi il se caractรฉrise. La nature de lโhomme est sa substance, son essence, bref tout ce qui reste inchangรฉ en lโhomme. A cet effet, Montaigne fonde sa pensรฉe sur celle-ci afin de pouvoir mieux connaitre lโhomme. Mais, il sera confrontรฉ au caractรจre changeant de lโhomme qui bloc la connaissance de celui-ci. Pour Montaigne, lโhomme est de nature inconsistant dans tout son รชtre. Cโest-ร -dire quโil ne cesse de changer dโattitude ร tout instant. Parfois bon, parfois mauvais ; gรฉnรฉreux aujourdโhui, cruel demain ; dire vrai ร lโinstant, รชtre faux aprรจs ainsi de suite. Il fait le constat en lui-mรชme et se prend pour exemple. Ce quโil conรงoit cโest quโ ยซ on ne peut rien dire de lโhomme ยป. Autrement dit, il faut savoir, dโabord, ce quโest lโhomme pour pouvoir en parler. Ainsi, donc, il cherche ร rรฉpondre ร la question ยซ quโest-ce-que lโhomme ? ยป, mais, il tombe sur un รชtre insaisissable selon les circonstances. Ce sont ces circonstances qui orientent la visรฉe de lโhomme. Ainsi, dit-il ยซ Voilร pourquoi pour juger dโun homme, il faut suivre longuement et curieusement sa trace : si la constance ne sโy maintien de son seul fondement, (โฆ), si la variรฉtรฉ des occurrences lui fait changer de pas, (โฆ) laissez-le courir : celui-lร sโen va avec le ventโฆ ยป14 Lโauteur des Essais laisse entendre ici que le jugement que nous faisons sur qui que ce soit ne doit pas รชtre fait ร la hรขte. Cโest-ร -dire quโil faut bien connaitre la personne en question. Ce qui parait difficile pour ne pas dire impossible, en tout cas dans la conception Montaignienne. En somme, la nature humaine semble difficile ร cerner de faรงon exacte ; en tout cas selon Montaigne. Car suivant sa pensรฉe dans les Essais, on ne peut dire ce que lโhomme est. Ou bien mรชme ce quโest Michel de Montaigne puisquโil รฉtudie sa personne dans son ลuvre. Il sโessaie car, il ne peut pas se rรฉsoudre. Et cela est dรป au fait que lโhomme ne cesse de changer dโun instant ร un autre. Cette instabilitรฉ de lโhomme conduit ร lโillusion que nous faisons sur lui en voulant profรฉrer des jugements. Quโil soit : bon, mรฉchant, intelligent, naรฏf, gentille, jaloux etc., ce sont les circonstances qui nous le diront. Par consรฉquent, lโhomme se dรฉfinit naturellement par les circonstances. Comme qui dirait circonstances particuliรจres, mesures particuliรจres. Pourtant la relation que nous avons avec les autres peut permettre de les connaitre. Est-ce donc connaitre lโhomme ? Ou croyons nous le connaitre ? Ou encore, cโest une partie de lui que nous connaissions ? Nous pouvons rรฉpondre que ce que nous dirions connaitre lโhomme nโest quโillusion. Par fois, nous le jugeons en se rรฉfรฉrant ร nous-mรชmes. Finalement, le constat est que lโhomme est un รชtre obscur. Ce qui permet ร Montaigne de dire que lโhomme se connait soi-mรชme. Par ailleurs notre auteur se fait connaitre aux lecteurs, ร travers ses รฉcrits. Lโinconstance nous renvoie directement au caractรจre cruel de lโhomme. Cependant, parlant de cruautรฉ, notre auteur fait le constat sur lui-mรชme par de multiples expรฉriences, il ne songe quโร parler de lui-mรชme. Les Essais constituent le recueil de toutes ses expรฉriences dans son vรฉcu et dans son for intรฉrieur. En effet, la vie de Montaigne est marquรฉe par des expรฉriences quโil a vรฉcues lors de la guerre des religions en France. Une guerre civile qui opposait les catholiques et les protestants. Mais ce qui attire notre attention cโest son observation sur les changements de lโhomme. Autrement dit, comment lโhomme peut, dโun instant quitter le statut de bon pour atterrir au mรฉchant. Montaigne tire son expรฉrience des moments vรฉcus en France ร son รฉpoque. ยซ Il yโa plus de barbarie ร manger un homme vivant quโร le manger mort, ร dรฉchire par tourment et gรจnes un corps encore plein de sentiments, le faire rรดtir par le menu, le faire mordre et meurtrie aux chiens et aux pourceaux (comme nous lโavons non seulement lu mais vu de fraiche mรฉmoire, non entre des ennemis anciens, mais entre des voisins et concitoyens, et, qui pis est, sous prรฉtexte de piรฉtรฉ et de religion), que de rรดtir et manger aprรจs quโil est trรฉpassรฉ. ยป Il est inquiรฉtรฉ par la situation de son pays, mais aussi dรฉpassรฉ par le niveau de cruautรฉ oรน lโhomme peut atteindre. Ainsi, la nature de lโhomme devient multidimensionnelle. Dรจs lors, quel jugement faut-il faire de lโhomme ? Autrement dit, que faut-il dire de lโhomme ? Ces questions ont leur rรฉponse dans un seul et unique รฉlรฉment : lโhomme. Cโest la question philosophique : ยซ Quโest-ce que lโhomme ? ยป. Montaigne dira plus tard ยซ Que suis-je moi-mรชme, Michel Eyquem de Montaigne ? ยป Cela, parce que ses รฉtudes portent sur lui-mรชme. Les sujets, les thรจmes et les รฉtudes ont un seul but ; la connaissance de soimรชme. ยซ Je suis moi-mรชme la matiรจre de mon livre : ce nโest pas raison que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain. ยป dit-il dans son avis Au Lecteur; et ajoute : ยซ Je nโai pas plus fait mon livre que mon livre mโa fait, livre consubstantiel ร son auteur, dโune occupation propre, membre de ma vie ; non dโune occupation et fin tierce et รฉtrangรจre comme tous autres livres. ยป16 Lโauteur des Essais veut faire savoir que la recherche ou la connaissance doit commencer en nous-mรชmes. La premiรจre chose ร connaitre cโest lโhomme. Montaigne nโa fait que suivre le ยซ connais-toi toi-mรชme ยป de Socrate. Cโest cette connaissance qui conduira tout รชtre ร atteindre la vรฉritรฉ de toutes choses. Cโest parce que Socrate connait la complexitรฉ profonde de lโhomme, quโil lโรฉtudie, souligne Guy Lazorthes. Cette connaissance de soi va au-delร de lโรชtre simplement homme. Cโest-ร -dire quโelle vise lโessence ou le fondement de lโรชtre. La question ยซ quโest ce que lโhomme ? ยป admettra donc une rรฉponse mรฉtaphysique. Dโailleurs, cโest tout le dessein de Montaigne. Dans tout son ลuvre, il parle que du ยซ moi ยป et utilise la premiรจre personne : ยซ je ยป. La connaissance de soi peut permettre de connaitre lโautre ou les autres. Lazorthes laisse entendre : ยซ Je dirais volontiers โโconnais lโhomme pour mieux te connaitreโโ. ยป17 Se connaitre pour savoir ce quโon est et ce quโon peut, afin dโรฉviter des illusions. Pour lui, la connaissance de soi est la ยซ science premiรจre ยป. Et lโinterjection dit : ยซ renonce ร chercher hors de toi, ร apprendre par des moyens extรฉrieurs ce que tu es rรฉellement et ce quโil te convient de faire ; reviens ร toi, non pas certes pour te complaire en tes opinions, mais pour dรฉcouvrir en toi ce quโil y a de constant et qui appartient ร la nature humaine en gรฉnรฉral ยป. Un appel ร lโhomme de mieux connaitre sa nature. Cette conception moderniste de la nature humaine est un prolongement de celle des anciens. Lโhumanisme du XVIe siรจcle tournait autour de cette question mรชme si lโintรฉrรชt diffรจre dโun penseur ร un autre. Pour Montaigne, cโest lโobservation de soi qui renseigne sur la nature humaine. Lโรฉtude des sciences humaines contribue connaitre lโhomme dans sa globalitรฉ. Toutes les qualitรฉs et les dรฉfauts de lโhomme sont mis ร lโรฉtude par lโessayiste. Car se voit dโun ลil dโobservateur en tout ce quโil fait. Ainsi, il dรฉcouvre en lui-mรชme un รชtre indescriptible. Parce que ยซ diverse ยป et ยซ ondoyant ยป. Mais cette dรฉcouverte lui sert ร bien se faire connaitre. ยซ Or autant que la biensรฉance me le permet, je fais ici sentir mes inclinations et affections : mais plus librement, et plus volontiers, le fais-je de bouche, ร quiconque dรฉsir en รชtre informรฉ. Tant yโa que ces mรฉmoires, si on y regarde, on trouvera que jโai tout dit ou dรฉsignรฉ : ce que je ne puis exprimer, je le montre au doigt. Je ne laisse rien ร dรฉsirer, et deviner de moi. Si on doit sโen entretenir, je veux que ce soit vรฉritablement et justement. ยป Montaigne se dรฉcrit ici de faรงon total, mais aussi de la plus sincรจre maniรจre. La nature quโil voit en lโhomme est diversifiรฉe suivant les รฉvรจnements. Lโhumanisme, de Socrate ร lui, nโa pas changรฉ de chemin ; cโest-ร dire quโelle permet ร lโhomme de savoir ce quโil peut ou ne peut pas faire. La maniรจre dont nous nous prenons ou dont les autres nous voient peut รชtre diffรฉrent. Car, dit-il, ยซ Nous sommes chacun plus riche, que nous ne pensons : mais on nous dresse ร lโemprunt, et ร la quรชte : on nous duit ร nous servir plus de lโautre, que du notre. ยป19 Lโรฉducation reรงue par lโhomme dรจs son enfance fait de lui un faible. En effet, lโhomme reรงoit une รฉducation toute faite venant des anciens. Cette รฉducation ne donne pas toute libertรฉ ร lโhomme ; mais cultive la dรฉpendance. De ce fait, nous ne pourrions rien faire qui soit de nous-mรชmes sinon de lโautre. Si Montaigne sโintรฉresse autant ร lโรฉducation, cโest pour ยซ faire un homme ยป. Alors, il critiqua sรฉvรจrement le systรจme รฉducatif de son pays. Il veut que tout homme reรงoive une รฉducation humaniste comme la sienne. ยซ Le bon pรจre que Dieu me donna (qui nโa de moi que de la reconnaissance de sa bontรฉ, mais certes gaillarde) mโenvoya dรจs le berceau, nourrir ร un pauvre village des siens, et mโy tint autant que je fus en nourrisse, et encore au-delร : me dressant ร la plus basse et commune faรงon de vivre ยป. Malgrรฉ tout le luxe qui est au tour de lui, dรจs sa naissance, il est รฉduquรฉ dans la pauvretรฉ. Le but du pรจre รฉtait de cultiver en lui lโhumilitรฉ et la vie sociale. Cโest, en fait ce que prรฉconise Montaigne pour quโil yโait une bonne รฉducation. Ainsi, le ยซ comment ยป trouve sa place dans lโenseignement voulu par lโauteur des Essais. Pour tout dire, il ne sโagit pas, pour lui, de suivre tous les programmes, mais de savoir la maniรจre quโil faut pour chacun. Afin dโรฉviter ce quโil prend comme : ยซ rรชverie dโhomme qui nโa goutรฉ des sciences que la croute premiรจre, en son enfance, et nโen a retenu quโun gรฉnรฉral et informe visage : un peu de chaque chose, et rien du tout, ร la franรงaise. ยป Tout lโapprentissage de Michel Eyquem ne sโarrรชte quโaux matiรจres. Autrement dit, il ne peut pas lui servir dans sa vie. Car cette mรฉthode nโenglobe pas la connaissance pour se conduire dans son monde. Il comprend par lร que mรชme ses facultรฉs naturelles ne supportent pas cela. Puisque ses conceptions et son jugement, ajoute-t-il, ยซ ne marchent quโร tรขtons, chancelant, bronchant et chopant ยป22. Pourtant, Montaigne faisait partie des meilleurs รฉlรจves ร cette รฉpoque. ยซ Et nโest enfant des classes moyennes qui ne se puisse dire plus savant que moi ยป23 affirme-t-il. Descartes, des siรจcles plus tard, va reprendre cette mรชme critique pour dรฉnoncer cette faรงon dโรฉduquer dans les รฉcoles. Dans la premiรจre partie du Discours de la Mรฉthode, il affirme : ยซ Jโai รฉtรฉ nourri aux lettres dรจs mon enfance ; et, pour ce quโon me persuadait que, par leur moyen, on pouvait acquรฉrir une connaissance claire et assurรฉe de tout ce qui est utile ร la vie, jโavais un extrรชme dรฉsir de les apprendre. Mais sitรดt que jโeus achevรฉ tout ce cours dโรฉtudes, (โฆ), je changeais entiรจrement dโopinion. Car je me trouvais embarrassรฉ de tant de doute et dโerreurs, (โฆ), sinon que jโavais dรฉcouvert de plus en plus mon ignorance. Et nรฉanmoins jโรฉtais en lโune des plus cรฉlรจbres รฉcoles de lโEurope, oรน je pensais quโil devait y avoir de savants hommes sโil y en avait en aucun endroit de la terre.ยป24 Descartes est ร la quรชte dโun savoir quโil pourra faire confiance pour fonder la vรฉritรฉ quโil recherche. Pour cela, malgrรฉ ses รฉtudes, et surtout quโil frรฉquente la meilleur des รฉcoles, il nโy arrive pas. Mais notre intรฉrรชt porte sur le fait quโil soit dรฉรงu de son instruction. Car elle ne parvient par lui conduire ร trouver la vรฉritรฉ. Si Descartes cherchais la vรฉritรฉ dans les รฉtudes, Montaigne cherche un individu rendu libre par lโรฉducation. Alors, tous deux ne peuvent plus faire confiance ร lโรฉducation de ce mรชme pays. Or, lโรฉducation joue un grand rรดle dans le milieu social de chaque pays. Cโest parce quโelle est le fondement des citoyens de demain. Mais, il croit plus ร une รฉducation qui ne rรฉduit pas tout ร lโautre. Cโest-ร -dire quโil prรฉtend que lโรฉduquรฉ puisse sโappuyer de cette รฉducation pour se conduire seul. La preuve, son รฉducation lui a permis de ne pas suivre ceux qui lโont influencรฉ. ยซ Comme quelquโun pourrait dire de moi : que jโai seulement fait ici un amas de fleurs รฉtrangรจres, nโy ayant fourni du mien, que le filet ร les lier. Certes jโai donnรฉ ร lโopinion publique, que ces parements empruntรฉs mโaccompagnent, mais je nโentends pas quโils me couvrent, et quโils me cachent : cโest le rebours de mon dessein. ยป Lโรฉducation que Montaigne a reรงue a fait quโil puisse se servir de son propre entendement. Cโest-ร -dire ร ne plus dรฉpendre des autres. Si nous parcourons les Essais, nous nous rendions compte quโil sโest servi de ceux qui lโon influencรฉ comme un appui. Ainsi, il inaugure lโรฉmancipation de lโรชtre humain. Tout au long de son ลuvre, il cherche ร connaitre lโhomme ; mais, ร travers son ยซ moi ยป. Cette recherche lui permet non seulement de se connaitre, mais de connaitre aussi autrui. Autrui est un ยซ moi ยป mais qui est autre. ยซ Chaque homme porte la forme entiรจre de lโhumaine condition. ยป Affirmait-il ร ce sujet. Montaigne est conscient du fait que chaque homme a ses particularitรฉs. En plus, il a quelque chose dโuniverselle quโil partage avec tous les hommes. De ce fait, il se connait lui-mรชme et en mรชme temps connait les autres. Cet autre, Montaigne lโappelle ยซ ami ยป. Il en parle ainsi pour faire savoir ce quโest un vrai ami. Pendant ces siรจcles, et bien avant, lโamitiรฉ avait une grande importance. Aristote disait : ยซ Par consรฉquent, ร la faรงon dont nous regardons dans un miroir quand nous voulons apprendre ร nous connaitre, cโest en tournant nos regards vers notre ami que nous pourrions nous dรฉcouvrir, puisquโun ami est un autre soi-mรชme. ยป Pour Aristote, lโautre est pour nous comme un miroir par rapport ร nous. Nous nous connaissons ร travers les autres. De lโantiquitรฉ aux temps modernes, le mot change dโรฉcriture et devient : autrui. Jean Paul Sartre dit dans lโexistentialisme est un humanisme : ยซ Lโhomme qui sโatteint directement par le cogito dรฉcouvre aussi tous les autres, et il les dรฉcouvre comme la condition de son existence. Il se rend compte quโil ne peut rien รชtre (au sens oรน on dit quโon est spirituel, ou quโon est mรฉchant, ou quโon est jaloux) sauf si les autres le reconnaissent comme tel. Pour obtenir une vรฉritรฉ quelconque sur moi, il faut que je passe par lโautre. ยปย La perspective sartrienne de lโautre semble donner la vรฉritรฉ cherchรฉe par soi sur soi. La question de lโautre continu son cheminement jusquโau temps modernes comme on vient de le voir avec Sartre. Si on en parle jusquโร prรฉsent, cโest parce que lโautre est une partie intรฉgrante en moi. Dans la pรฉriode antique, il รฉtait sujet dans toutes discussions. Et Montaigne รฉtant lecteur des anciens est obligรฉ dโen parler. Mais ร bien y voir, Montaigne parle de lโamitiรฉ parce quโil vit une vรฉritable amitiรฉ. En effet, sa rencontre avec La Boรฉtie ne relรจve guรจre du hasard. Car, malgrรฉ que celui-ci soit plus รขgรฉ que Montaigne, ils ont les mรชmes objectifs, dโaprรจs lui. ยซ Nos รขmes ont charriรฉ si uniment ensemble (โฆ) que non seulement je connais la sienne comme la mienne, mais que je serais certainement plus volontiers fiรฉ ร lui quโร moi ร mon sujet (โฆ) cโest un assez grand miracle que de se doubler. ยป29 On dirait, dโaprรจs lui quโils se sont connus depuis des lustres. Nรฉanmoins, chacun se reconnaissait ร travers son proche. Cette amitiรฉ semble sincรจre quโil est rare dโen trouver. ยซ Nous รฉtions ร moitiรฉ de tout ; il me semble que je lui dรฉrobe sa part ยป30 disait-il. Mais lโamitiรฉ nโa pas durรฉ longtemps ร cause de la mort de La Boรฉtie. Et Montaigne en a souffert et ne cesse de penser ร lui dans tout ce quโil faisait. Il nโarrive pas ร expliquer ce qui le liait ร Etienne. En tout cas, ils รฉtaient trรจs proches lโun de lโautre, ร tel point que Montaigne voyait son รขme en lui. Tout ce quโon peut dire de lui, cโest ร travers son ลuvre que nous le savons. Il y relate tout son รชtre : ses humeurs, ses dรฉsirs, ses aversions, ses faiblesses etc. Cโest ce quโil appelle peindre son ยซ moi ยป. On y trouve une libertรฉ totale ; qui est le but de sa pensรฉe parce quโil est un libertin.
La nonchalance comme vertu chez Montaigne
ย ย Toute la philosophie morale de Montaigne peut se rรฉsumer en une lutte pour le bien-รชtre intรฉrieur. Et, si nous traitons de la nonchalance, cโest pour montrer lโรฉtat dโimpassibilitรฉ quโil cultive pour maintenir son รขme en paix. Cโest-ร -dire, comment est-il arrivรฉ ร traiter son รขme ร lโimpassibilitรฉ des รฉmotions, des dรฉsirs et des plaisirs. En effet, la nonchalance est un รฉtat ou bien une attitude quโune personne adopte en vers les sentiments. Ces derniers sont la cause de toutes les difficultรฉs de lโhomme. Chez Montaigne, la solution ou le remรจde pour lutter contre les maux, cโest la solitude. Car, il y a des vices qui ne nous quitterons jamais nous dit-il en ces termes : ยซ Lโambition, lโavarice, lโirrรฉsolution, la peur et les concupiscences, ne nous abandonnent point pour changer de contrรฉe. ยป55 Il continu en disant : ยซ Elles nous suivent souvent jusque dans les cloistres (cloitres) et dans les รฉcoles de philosophie. Ni les dรฉsers (dรฉserts), ny les rochez creusez, ny le hรจre (homme sans mรฉrite, sans considรฉration ou sans fortune), ni les jeunes ne nous en dรฉmรชlent ยป. Oรน quโon aille et qui quโon soit, les vices demeureront toujours avec nous. Parce quโils sont ancrรฉs en nous et se manifesteront quand lโoccasion se prรฉsentera. Mรชme les grands hommes, les sages et autres ne font pas exception ร la rรจgle. Pour Montaigne, mรชme si nous changeons de place, dโendroit ou de lieu en gรฉnรฉral, ils nous suivent. Mais, que faudrait-il donc faire au juste pour se libรฉrer dโeux ? Ou bien yโa-til un moyen de pouvoir maitriser ces vices ? Montaigne dit quโil faut sโ ยซ Ecarter des conditions populaires qui sont en nous ; il se faut sรฉquestrer et ravoir de soy. ยป56 Cโest un appel ร tous de se dรฉmรชler du joug populaire pour se retrouver dans un lieu oรน on sera seul. En tout cas, il vit la sienne dans ce quโil appelle son ยซ arriรจre-boutique ยป. On appelle arriรจre-boutique, une piรจce situรฉe immรฉdiatement et de plainpied derriรจre une boutique. Mais, chez Michel de Montaigne, son ยซ arriรจre-boutique ยป se situe dans sa bibliothรจque. Cโest lโendroit propice pour Montaigne de sโรฉloigner des maux et de ce qui cause nos malheurs. Juste pour se prรฉparer si nous perdons, un jour, ce que nous dรฉsirons le plus. Par exemple la perte dโun รชtre cher ou des biens auxquels on sโattachait. Dโailleurs, cโest ce dont souffrait Rousseau, dans Les rรชveries du promeneur solitaire. Ainsi, disait-il : ยซ (โฆ) ils ont brisรฉ violemment tous les liens qui mโattachaient ร eux. ยป57. Il est devenu un รฉtranger dans sa sociรฉtรฉ afin de se demander : ยซ Que suis-je moi-mรชme ? ยป Dโautant plus quโil ne vie plus en sociรฉtรฉ. Cela lui paraรฎt comme un rรชve auquel il veut immรฉdiatement se rรฉveiller car, il est peinรฉ par la perte de ses amis. Rousseau sโimagine un avenir horrible, tragique qui le plonge dans le dรฉlire, dans le bouleversement. Mais pour sortir de ce calvaire quโil ne peu stopper, il se soumet ร sa destinรฉe. Finalement dit-il : ยซ Jโai trouvรฉ dans cette rรฉsignation le dรฉdommagement de tous mes maux par la tranquillitรฉ quโelle me procure et qui ne pouvait sโallier avec le travail continuel dโune rรฉsistance aussi pรฉnible quโinfructueuse. ยป Lโhabitude des souffrances est au point de mire chez Rousseau puisque rien ne peut plus affecter son รขme. Et les douleurs corporelles se transforment en des divertissements. Cette paix de lโรขme, produite par la nonchalance reste la seule voie de secours pour notre vie. Ainsi, la philosophie morale de la nonchalance permet ร lโauteur des Essais de se dรฉpartir de tout mal pouvant accabler son รขme. Cโest sa propre invention mais, suivant les pensรฉes de grands penseurs antiques. Cโest-ร -dire quโil nโy a pas de pensรฉes uniques dโรฉcrivains ; mais de doctrines. Raison pour laquelle, nous parlons de doctrines pour signifier la pensรฉe des grands รฉcrivains antiques. Et cโest en ce sens que nous parlions de la doctrine des Stoรฏciens qui traite de lโimpassibilitรฉ de lโรขme. Ils appellent cela ataraxie. Cโest un รฉtat dโabsence de passions, qui prend la forme dโabsence de souffrance. De ce fait, les stoรฏciens mettent en avant les passions qui sont les seules responsables de ce phรฉnomรจne. Mais avant eux, les pรฉripatรฉticiens faisaient usage de ces passions. En effet, il sโagit, pour ces derniers de modรฉrer les passions pour รฉviter quโelles prennent le dessus sur lโรขme. Pour eux, puisse que ces passions sont naturel en lโhomme, il faut les modรฉrer pour en faire des vertus. Cโest-ร -dire que les passions bien rรฉglรฉes peuvent aider aux raisonnements. Les stoรฏciens, au contraire, optaient pour la suppression totale de ces passions. Car, pour eux, les passions ne font que troubler lโesprit et, ne peuvent aider en rien la raison. La vertu est รฉgale ร la raison, chez eux, et elles sont pour la droiture ; alors que les passions sont contre la droiture et veulent les dรฉtourner. Sรฉnรจque, lโune des figures les plus marquantes du stoรฏcisme, nous fait savoir que le sage doit se prรฉparer aux troubles de lโรขme avant de descendre sur le terrain. Car, pour lui, les passions se rรฉduisent ร quatre : la peine, la crainte, le dรฉsir et le plaisir. Le sage ne peut que les faire disparaitre, puisquโelles nโaugmentent pas sa sagesse, pour vivre en paix. Ce grand penseur rรฉflรฉchit sur tout ce qui conduit lโhomme vers les passions. Par exemple la pauvretรฉ et la mort qui constituent les plus grands maux de lโhomme. Selon Sรฉnรจque, la pauvretรฉ nโest que la perte de choses superflues et inutiles. Et le peu de chose que nous puissions possรฉder suffise pour le sage de survivre. Les stoรฏciens disaient : ยซ un peu de pain et de vin nous suffis pour survivre. ยป En ce qui est de la mort aussi, Sรฉnรจque dit que cโest une chose naturelle ร laquelle personne nโy รฉchappera. Et, le plus รฉtonnant est quโon ne sait ni lโheure ni le lieu ; donc le sage sโy est dรฉjร prรฉparรฉ.
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LA CRITIQUE DES SYSTEMES
1-La nature humaine chez Montaigne
2-La peinture du ยซ moi ยป chez Montaigne
3-Le Style dโรฉcriture
DEUXIEME PARTIE: MONTAIGNE PROPOSE COMME MORALE : LE BONHEUR PLUTOT QUE LA SAGESSE
1-La nonchalance comme vertu chez Montaigne
2-La morale anticonformiste
3-La Philosophie comme mode de vie
TROISIEME PARTIE: La visรฉe de la pensรฉe philosophique de Montaigne
1-Lโhonnรชte homme Montaignien
2-La philosophie sceptique du ยซ Que sais-je ? ยป
3-Le piรจge du systรจme
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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