Mondialisation et villes globales
Alors que le monde continue à s’urbaniser et que les économies se mondialisent, un certain nombre de villes ont le potentiel de devenir les nouveaux lieux de notre ère. Ces villes qu’on appelle villes globales deviennent le point de convergence des réseaux de services financiers spécialisés et de l’échange sur lesquels repose l’économie mondiale. Ainsi, et en raison de la nécessité de compétences complexes et hautement spécialisées de ces villes, ces dernières se font désormais concurrence pour attirer talents et investissements.
Au cours des quelques dernières décennies, le développement de diverses villes anciennes ou nouvelles, principalement dans le « Sud Global », est en effet une conséquence de la mondialisation économique. Ce développement a abouti à la constitution d’un réseau d’agglomérations dont l’essor est dû à leurs échanges transnationaux, réseau qui est en phase de recomposer en profondeur la géographie économique du monde. Ces villes deviennent ainsi des pôles organisateurs des flux d’activités, de biens et de services, mais aussi de la redistribution de la production internationale de la richesse .
Comme le souligne Serge Sur , le pluriel importe autant que le qualificatif dans l’interprétation des « villes mondiales », parce qu’il évoque un réseau d’agglomérations dont les relations mutuelles seraient aussi importantes que leurs rapports avec leur environnement plus immédiat. Ces villes auraient vocation à être les nœuds d’une sorte de filet de la mondialisation, entraînant une restructuration de l’espace mondial autour et à partir d’elles sur le plan économique, humain et politique.
L’attention actuelle se concentre sur des villes au développement humain et économique accéléré, surtout en dehors de l’Europe où « tout se passe comme si accéder à ce club très fermé des villes globales constituait un enjeu, dont les pays émergents semblent avoir bien compris l’importance : à grands coups d’opérations médiatiques, il s’agit de construire le gratte-ciel le plus haut du monde, de proposer les objets de consommation les plus luxueux, d’accueillir les événements sportifs, culturels ou politiques de rayonnement planétaire » .
Au-delà des considérations économiques se pose une question politique, celle de la gouvernance de ces villes. En pratique, leur gestion est un autre défi pour la démocratie politique. Ces villes risquent de développer ségrégation sociale voire ethnique, ou de devenir des îlots de prospérité inégalitaire dans un environnement exploité et appauvri. Elles sont l’objet d’une nouvelle civilisation urbaine, d’une nouvelle sociabilité. C’est ce que Saskia Sassen pose à l’origine de sa théorisation de la « ville globale » où dans ces métropoles mondialisées, cohabitent deux types de population : un premier type constitué des employés des grandes firmes et un second composé des « serviteurs » de ces employés. L’analyse de Sassen part d’un postulat qu’il existe un lien structurel entre les changements économiques typiques de ces villes et l’amplification de leur segmentation sociale et urbaine .
Le benchmarking et l’organisation de la concurrence entre métropoles à l’échelle mondiale
Avec la tendance actuelle qui tourne vers la comparaison internationale dans la recherche urbaine, nous évoquons le concept de « benchmarking » qui, sous sa forme la plus simple, répond à des objectifs concurrentiels : il s’agit d’évaluer l’écart entre ses propres résultats et ceux des concurrents jugés les plus performants en vue de réduire cet écart et d’améliorer sa position de marché .
Marc Dumont souligne le fait que la mutation des modes de vie et de l’habitat dans les centres des villes mondiales est liée à l’entrée des métropoles dans un régime de concurrence exacerbée. La logique de marketing urbain qui prévaut ne se joue plus à l’échelle du territoire mais sur la scène mondiale. Dans ce cadre compétitif, ces villes cherchent à se distinguer à l’échelle mondiale à travers une course qui se situe à deux plans : se doter des attributs d’une métropole mondiale, puis de convaincre de la supériorité de ces attributs.
Mais pour Alain Bourdin , l’évaluation de l’action urbaine où les villes ne sont plus comparées pour ce qu’elles donnent à voir ou à comprendre, mais par rapport à des critères abstraits (PIB par tête, taux de pollution, degré de satisfaction des habitants mesuré par des sondages, etc.) signifie que l’on ne pense plus la ville comme un ensemble de formes spatiales, sociales, symboliques, mais de qualités objectives, ou supposées telles.
Cependant, Emmanuel Didier considère que le benchmarking ne peut pas s’appliquer aux administrations publiques comme aux structures privées pour lesquelles il a été inventé. Il existe une différence de nature entre les deux missions surtout que l’État est souverain, c’est-à-dire qu’il n’existe pas d’instance qui lui soit supérieure. Mais la singularité du benchmarking tient à ce qu’elle est dénuée de tout formalisme juridique, et c’est ce qui fait sa force : « Purement incitative, elle dépend de la bonne volonté des États non pas tant à adhérer au dessein projeté qu’à se munir effectivement des outils gestionnaires et statistiques préconisés » .
Bourdin considère qu’un glissement s’opère lorsqu’on considère la ville comme un acteur inscrit dans une compétition et dont les performances peuvent faire l’objet de mesures. Il ajoute que si la concurrence des villes fait partie du processus de mondialisation (ou de la nouvelle étape de la mondialisation), elle combine deux dimensions : la recherche de gains directs et celle d’une position dans des classements (un ranking) supposée apporter des gains indirects. Ainsi, l’enjeu du benchmarking ne serait pas par exemple de réduire les inégalités socio économiques au sein d’un territoire étudié, mais de distinguer des « champions », des « pôles de compétitivité », des « centres d’excellence » .
La circulation d’un « modèle urbain banalisé »
La mondialisation tend bien à diffuser un modèle urbain générique, principalement d’origine occidentale, sous l’effet de l’homogénéisation des modes de vie urbains (individualisme, usage de l’automobile, consommation) et des opérateurs de production de l’urbain. C’est ce que Dumont essaie d’avancer en notant qu’après 1945, l’accélération de la mondialisation est allée de pair avec une diffusion généralisée de l’urbanisation à l’échelle mondiale, sans que ces deux phénomènes se confondent :
« Si l’ensemble du monde est désormais fortement urbanisé, de nombreuses villes ne s’inscrivent pas dans les dynamiques de la mondialisation. De même, toute la population mondiale ne vit pas dans des villes. Un peu à rebours des images stéréotypées qu’elle véhicule dans l’imaginaire commun, la mondialisation, n’induit pourtant pas de dynamiques urbaines spécifiques. Elle joue davantage un rôle d’accélérateur de métropolisation et de ses modes de vie, contribuant, entre autres choses, à diffuser des modes d’habiter standardisés. Les empreintes de la mondialisation se décèlent au niveau des formes urbaines, des modes de production de l’habitat, et plus largement de la ville, ainsi que dans les formes de consommation et les référentiels de l’habitat ».
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Table des matières
Introduction Générale
PREMIÈRE PARTIE : REVUE DE LA LITTÉRATURE ET MÉTHODOLOGIE
Chapitre 1 : Mondialisation et villes globales
Chapitre 2 : La comparaison internationale comme outil de recherche
DEUXIÈME PARTIE : DÉCONSTRUIRE DUBAÏ, L’ÉMIRAT ENTREPRISE
Chapitre 3 : Cadre historique, évolution urbaine et plans
Chapitre 4 : L(es) acteur(s) d’une métropolisation incomplète
TROISIÈME PARTIE : DUBAÏ MODÈLE UNIQUE OU VILLE BAZAR ?
Chapitre 5 : La lecture de Dubaï à travers les indicateurs de classement mondiaux
Chapitre 6 : Quand Dubaï devient le « modèle »
Conclusion Générale
Bibliographie
Annexes