Molécules organiques complexes

Les molécules organiques complexes (MOCs) font l’objet de nombreuses recherches du fait de leur omniprésence tant dans l’environnement terrestre que dans l’espace. Les MOCs peuvent être formées à partir de la radiolyse des glaces composées de molécules simples (H2O, CO, CO2, NH3, CH4,…). Lorsque ces molécules sont exposées aux rayonnements ionisants, elles peuvent être détruites. Il est donc important d’étudier la radiorésistance des molécules organiques complexes face aux rayonnements ionisants et en fonction de l’environnement (température, molécules environnantes,…). L’étude de la destruction permettra aussi d’apporter des perspectives pratiques dans l’hadronthérapie qui est une technique de lutte contre le cancer ayant pour but d’améliorer l’irradiation des cellules cancéreuses.

Molécules organiques complexes 

Les molécules organiques complexes (MOCs, COMs en anglais) se définissent comme étant des molécules constituées de 6 atomes au minimun avec au moins un atome de carbone. Ces molécules à l’origine de la vie, sont très étudiées en biologie du fait qu’elles participent à la composition et au métabolisme de tout organisme vivant. On retrouve ce type de molécule naturellement dans les organismes des êtres vivants, dans notre environnement terrestre ainsi que dans l’espace. Parmi ces molécules, figurent notamment les acides aminés, les protéines et les nucléobases. Ces dernières sont des molécules hétérocycliques aromatiques. De nombreuses MOCs ont été détectées dans l’espace notamment dans les comètes (acides aminés) [1] mais aussi sur terre à l’intérieur des météorites (nucléobases) [2]. Les dernières découvertes de molécules organiques dans l’espace effectuées récemment par la sonde Rosetta sur la comète 67P/Tchouryumov-Gerasimenko alias Tchouri ont permis de stimuler et d’élargir considérablement le champ de recherche sur les MOCs [3].

Formation des molécules organiques complexes dans l’espace

Il est important de mentionner que l’objectif de cette partie n’est pas de faire une revue exhaustive des différentes voies abiotiques de formation des biomolécules mais simplement de citer des exemples sur la formation des molécules hétérocycliques aromatiques. La formation des biomolécules par des processus abiotiques a été mise en évidence avec les expériences de Miller et Urey dans les années 1950 [4]. Ces expériences ont montré qu’il est possible de former des biomolécules telles que des acides aminés (glycine, α-alanine et β-alanine) et l’urée à partir d’un mélange de gaz tels que H2O, NH3, CH4 et H2 exposé à une décharge électrique.

Les MOCs peuvent être synthétisées de plusieurs manières dans l’espace : à partir des réactions physico-chimiques des molécules simples qui sont présentes dans les grains de poussière interstellaire (formation à la surface par catalyse, en phase gazeuse,…) [5] mais aussi à partir des irradiations avec les ions, les électrons et les UV [6, 7]. La formation des MOCs peut donc résulter de l’interaction entre les rayonnements ionisants et les molécules simples (par exemple H2O, CO, CO2, NH3 et CH4) présentes sous forme de glace à la surface des grains du milieu interstellaire. L’action des rayonnements ionisants va conduire à la fragmentation de ces molécules (effet direct) et entrainer la formation de radicaux libres. Ces radicaux libres, vont initier des réactions chimiques (effet indirect) qui vont notamment mener à la synthèse de molécules plus complexes.

La matière organique est constamment transportée de l’espace à la terre par des micrométéorites [8, 9, 10] et peut ainsi avoir contribué à l’émergence de la vie. Par exemple, des nucléobases [2] ont été détectées dans des météorites carbonées sur Terre. Des travaux théoriques ont permis de montrer la possibilité de formation des molécules héterocycliques aromatiques dans le contexte de l’émergence de la vie [11, 12, 13]. Au laboratoire, il est possible de simuler les conditions de l’espace, donc de synthétiser des MOCs à partir de molécules simples. Des expériences ont été réalisées sur des mélanges de glaces contenant des molécules organiques simples comme CH4, NH3, CO…. L’irradiation de tels mélanges de glaces avec le rayonnement électromagnétique [6, 14, 15], les électrons [7, 16], les protons [17, 18] et les ions lourds [19, 20, 21] a mis en évidence la formation de molécules de plus grande complexité.

Des études sur la photochimie (UV) de ces glaces ont été effectuées [22] et les résultats obtenus avec les photons ont été comparés aux résultats des irradiations avec les électrons et les ions. Les résultats de l’irradiation des glaces sont très similaires pour les différents projectiles en terme de formation des nouvelles molécules organiques [22, 23, 24, 25]. Les glaces de mélanges à différentes concentrations de pyrimidine et d’eau ont été irradiés avec des photons UV [26, 27] à basse température. L’analyse des résidus a indiqué la présence de molécules organiques, notamment la 4(3H)-pyrimidone et l’uracile. Des glaces d’ammoniac, de mélange d’ammoniac et d’eau et de pyrimidine à différentes proportions ont également été exposées au rayonnement UV à basse température (15 K) [26]. Les résidus obtenus ont été analysés en utilisant la chromatographie liquide haute performance et la chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse. Les résultats ont révélés la présence de plusieurs molécules organiques telles que le précurseur 4(3H)-pyrimidone et la molécule de cytosine. D’autres biomolécules importantes comme la glycine, l’urée et la N-formylglycine ont aussi été observées.

Le formamide, un amide déjà détecté dans le milieu interstellaire, a été irradié en phase condensée à 273 K avec des ions en présence de météorites en poudre de type chondrite et fer pierreux [28]. A l’aide de la chromatographie en phase gazeuse et la spectrométrie de masse (GC-MS), plusieurs composés organiques comprenant des molécules hétérocycliques, parmi lesquels l’adénine, la guanine, l’uracile et la cytosine ont été observés. D’autres biomolécules comme l’isocytosine, l’hypoxanthine, l’acide pyruvique, l’acide lactique et l’acide citrique ont également été détectées.

Les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAPs) sont des molécules constituées d’atomes de carbone et d’hydrogène dont la structure comprend au moins deux cycles aromatiques. Ces molécules représentent un important réservoir de carbone pour le milieu interstellaire [29, 30, 31, 32]. Des expériences ont montré que les HAPs peuvent être formés à partir de la polymérisation de l’acétylène [29]. On les retrouve en très forte densité dans le milieu interstellaire avec un pourcentage d’environ 3 * 10⁻⁷ par rapport au nombre de noyaux d’hydrogène[30, 31, 32]. L’exposition aux différents rayonnements énergétiques des glaces de mélanges d’HAPs, d’eau (comme source d’oxygène) et d’ammoniac (comme source d’azote) pourrait correspondre à un scénario possible de la formation des molécules hétérocycliques. Ces molécules peuvent également être formées sur les lunes et les planètes. Par exemple, Titan a une atmosphère riche en carbone (CH4) mais aussi en oxygène et en azote. L’action des vents solaires et des rayonnements cosmiques sur le CH4 entraine une production des MOCs avec un rendement élevé [33, 34]. Dans l’atmosphère de Titan, des ions moléculaires (M > 100u où u représente l’unité de masse atomique) ont été détectés par le spectromètre à plasma de la sonde spatiale Cassini (CAPS)) [35, 36]. Un aérosol composé d’un mélange de N2, CH4 et CO permet de simuler l’atmosphère de Titan [33]. En utilisant une décharge radiofréquence comme source d’énergie, un matériau solide sombre appelé Tholin a été produit. Ce matériau a été analysé et a permis de montrer la présence de plusieurs molécules organiques parmi lesquelles les nucléobases (adénine, cytosine, guanine, uracile et thymine) et plusieurs acides aminés.

Molécules aromatiques hétérocycliques : adénine, cytosine et pyridine

Les biomolécules sont des molécules naturellement présentes dans un organisme vivant et sont indispensables à son fonctionnement. On distingue plusieurs familles de biomolécules dont les plus importantes sont les acides nucléiques, les protéines, les acides aminés et les phosphates utilisés comme constituants structurels de plusieurs molécules importantes dans les cellules pour la production d’énergie. Les nucleobases sont une classe de molécules aromatiques hétérocycliques que l’on retrouve dans la composition des acides nucléiques : l’ADN (acide désoxyribonucléique) et l’ARN (acide ribonucléique). Ces acides nucléiques jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement des organismes vivants. L’ADN sert de support à l’information génétique qui « code » l’apparence et les caractéristiques d’un organisme. L’ARN, existant sous plusieurs formes (pré-messager, messager, transfert, ribosomique, etc) a pour fonction principale de transférer l’information génétique entre les noyaux des cellules et les ribosomes où l’ARN est décodé et sert à la production de nombreuses protéines. Les acides nucléiques sont constitués d’assemblages de molécules, de plus petites tailles, appelées nucléotides. Les nucléotides qui constituent l’ADN et l’ARN sont des molécules complexes résultant de l’association d’un ou plusieurs groupe phosphates reliés à un sucre qui est lui-même relié à une nucléobase (prise sur https : //biochemneverland.f iles.wordpress.com/2014/03/04 − 01 − nucleotide − structure.jpg).

Les nucléobases peuvent être divisées en deux groupes :
— Les purines formées par deux hétérocycles.
— Les pyrimidines constituées d’un seul hétérocycle.

L’ADN a quatre types de nucléobases : adénine (C5H5N5), cytosine (C4H4N3O), guanine (C5H5N5O) et thymine (C5H6N2O2), alors que l’ARN a les mêmes nucléobases à l’exception de la thymine qui est remplacée par l’uracile (C4H4N2O2) .

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Table des matières

1 Introduction
2 Molécules organiques complexes
2.1 Formation des molécules organiques complexes dans l’espace
2.2 Molécules aromatiques hétérocycliques : adénine, cytosine et pyridine
2.3 Rayonnements dans l’espace
2.3.1 Rayonnements cosmiques d’origine galactique
2.3.2 Rayonnements d’origine solaire
2.3.3 Magnétosphère des planètes géantes
2.4 Interaction ion-matière
2.4.1 Collisions élastiques et pouvoir d’arrêt nucléaire
2.4.2 Collisions inélastiques et pouvoir d’arrêt électronique
2.4.3 Logiciel SRIM
3 Techniques expérimentales
3.1 Spectroscopie d’absorption infrarouge
3.2 Grandes installations d’accélérateurs d’ions lourds
3.2.1 Le GANIL
3.2.2 Le GSI
3.2.3 ATOMKI
3.3 Présentation du dispositif CASIMIR
3.3.1 Chambre sous vide
3.3.2 Cryostat et porte-échantillon
3.3.3 Spectromètre infrarouge
3.3.4 Rampe de mélange de gaz
4 Radiorésistance des Molécules organiques complexes en phase solide : cas de la pyridine dans une matrice d’eau
4.1 Préparation et irradiation des échantillons
4.2 Analyse spectroscopique de la pyridine
4.3 Résultats des irradiations des glaces de pyridine pure à 12 K
4.4 Résultats des irradiations de la pyridine dans une matrice d’eau à différentes concentrations
4.4.1 Radiorésistance de la pyridine dans une matrice d’eau
4.4.2 Discussion
4.5 Radiorésistance de l’eau dans les glaces de mélanges d’eau et de pyridine
4.6 Formation de nouvelles molécules au cours des irradiations de la pyridine pure et des mélanges de pyridine et d’eau à 12 K
5 Radiorésistance des molécules organiques complexes en fonction de la température : cas de l’adénine et de la cytosine
5.1 Radioresistance de la Cytosine en fonction de la température
5.1.1 Préparation et irradiation des échantillons
5.1.2 Résultats des irradiations de la Cytosine
5.2 Radiorésistance de l’adénine en fonction de la température
5.2.1 Préparation et irradiation des échantillons
5.2.2 Irradiations de l’adénine en fonction de la température
5.2.3 Formation des nouvelles molécules au cours des irradiations de l’adénine à différentes températures
5.3 Discussion
6 Conclusion

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