Le paludisme est la parasitose la plus mortelle avec une estimation de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à 405 000 décès en 2018. Au cours du XXème siècle, l’introduction progressive de diverses molécules thérapeutiques via des campagnes d’éradications couplées à l’utilisation d’insecticides (pour éliminer les anophèles, vecteurs de la maladie) a permis de diminuer cette mortalité. Cependant, Plasmodium, le parasite responsable du paludisme a su développer des résistances à ces molécules.
Alors que la mortalité progressait durant les années 1990, l’introduction de l’artémisinine et de ses dérivés au début des années 2000 révolutionna la lutte antipaludique grâce à l’efficacité de ces composés. Ces nouvelles molécules en association avec de nouvelles approches dans la lutte antivectorielle ont permis d’arriver aux résultats actuels. Or, le parasite a de nouveau évolué et les souches résistantes à l’artémisinine et ses dérivés sont aujourd’hui majoritaires en Asie du Sud-Est, zone géographique connue pour avoir vu émerger d’autres résistances dans le passé. Une dissémination de celle-ci en Afrique serait dramatique sur ce continent déjà le plus touché par le paludisme.
Malgré la découverte et le développement continu de nouvelles molécules antipaludiques, aucune ne semble être en mesure de pouvoir éliminer cette nouvelle résistance qui met en difficulté les objectifs de l’OMS en termes de réduction du nombre de cas et de décès dans le monde. Identifiée par des biologistes du Laboratoire de Chimie de Coordination (LCC) de Toulouse en 2010, elle est due à une mutation génétique (gène Pfkelch13) permettant aux parasites de se mettre en quiescence et ainsi ignorer les effets du traitement. Les voies protéiques entourant la mutation sont encore peu connues mais des voies métaboliques sont encore actives chez ces parasites quiescents.
Le paludisme : première parasitose mondiale
Une parasitose est définie comme étant une « infection ou infestation par un parasite, qui peut être cliniquement symptomatique (maladie parasitaire) ou inapparente (parasitose latente) ». On peut diviser ces parasitoses en deux classes : les ectoparasitoses, où le parasite reste à l’extérieur de l’hôte (ex : morsure de tique) et les endoparasitoses, où le parasite pénètre à l’intérieur de l’hôte (ex : le paludisme). Le terme malaria est celui principalement utilisé à l’étranger pour parler du paludisme. Ce terme dérive de l’italien mal’aria qui signifie « mauvais air ».
Le parasite : Plasmodium spp
Le paludisme est dû aux parasites du genre Plasmodium. Ces parasites sont des protozoaires (ils sont composés d’une seule cellule, Annexe 1). Les Plasmodium appartiennent :
– A l’embranchement des Apicomplexa, rassemblant les protozoaires comportant un organite appelé l’apicoplaste ainsi qu’un complexe apical qui permet au parasite de pénétrer dans une cellule. Les parasites au sein de cet embranchement possèdent une reproduction sexuée (gamogonie) et asexuée (schyzogonie),
– A l’ordre des Euccocidea, comportant des protozoaires monoxènes ou dixènes (1 ou 2 hôtes nécessaires au développement) parasitant les cellules épithéliales ou les hématies,
– Au sous-ordre des Haemosporina, où les protozoaires sont dixènes, parasites des hématies et transmis par des diptères,
– A la famille des Plasmodidae.
5 espèces de Plasmodium sont responsables du paludisme chez l’Homme : Plasmodium falciparum, vivax, malariae, ovale et knowlesi. Une autre espèce, P. berghei, est importante car elle est responsable du paludisme chez le rongeur et est utilisée comme modèle dans la recherche préclinique contre le paludisme.
Le vecteur : Anopheles spp
Le vecteur désigne le responsable de la transmission du parasite. Dans le cas du paludisme, ce vecteur est un moustique (diptère) du genre Anophèles. Ce genre rassemble plus de 450 espèces de moustiques réparti sur l’ensemble du globe dont un quart est capable de transmettre le paludisme à l’Homme. L’espèce la plus connue capable de cette transmission est Anopheles gambiae .
Le cycle de vie des anophèles (et des autres moustiques) possède quatre stades :
– Stade zygotique : une fois pondu dans l’eau, l’œuf va mettre quelques jours avant d’éclore et donner une larve.
– Stade larvaire : la larve vit et s’alimente sous la surface de l’eau pendant au minimum 5 jours. Elle respire au travers de celle-ci à l’aide de stigmates.
– Stade nymphal : enfermée au sein d’une pupe, la larve va se transformer pendant quelques jours.
– Stade imagal : stade adulte.
La transmission à l’Homme est uniquement due aux anophèles femelles puisque ce sont unique elles qui se nourrissent de sang chez les moustiques. Outre le paludisme, les anophèles sont aussi notamment responsables de la transmission de la filaire de Bancroft ou encore de certaines fièvres hémorragiques. Les piqûres interviennent la nuit et elles sont non prurigineuses (sans démangeaisons). De plus, le vol de l’anophèle est silencieux.
Le cycle de développement de Plasmodium
Le cycle de Plasmodium se répartit entre le moustique et l’Homme. Le parasite est transmis à l’Homme par l’anophèle, via la piqûre, sous forme de sporozoïtes. Le cycle au sein de l’Homme comporte deux parties : une phase exo-érythrocytaire ou hépatocytaire et une phase intra-érythrocytaire. Lors de la première phase, les sporozoïtes vont rejoindre le foie et infecter des hépatocytes pour s’y multiplier, se développer sous forme de schizontes à l’origine des formes dites mérozoïtes et qui sont libérés dans le sang, lors de l’éclatement des hépatocytes. Chez P.vivax et ovale, ces formes hépatocytaires sont capables de survivre plusieurs mois au sein des hépatocytes.
Vient ainsi la seconde phase où ces mérozoïtes vont infecter les hématies et devenir des trophozoïtes pour ensuite soit entrer dans un cycle de multiplication asexuée (trophozoïtes → schizontes → mérozoïtes) soit entrer dans un stade de différentiation sexuée (trophozoïte → gamétocyte mâle ou femelle). Ces deux voies provoquent une hémolyse. Les parasites se développent au sein des hématies car ils trouvent au sein de celles-ci l’hémoglobine (la protéine de transport de l’oxygène) qu’ils dégradent afin de produire de l’énergie ainsi que les acides aminés qui leur sont requis.
Les gamétocytes peuvent ensuite être absorbés, lors d’un repas sanguin par un autre moustique Anopheles femelle au sein duquel, après maturation des gamètes mâles et femelles et la fécondation, plusieurs stades conduiront à la production de nouveaux sporozoïtes. Des études ont révélé que le Plasmodium était capable de modifier le comportement d’un anophèle parasité. Lacroix et al. ont ainsi montré que l’anophèle est plus susceptible de piquer un enfant comportant des gamétocytes que ceux non infectés ou bien comportant les stages asexués dans le sang. Ce comportement facilite la transmission de l’Homme au moustique. De nombreux autres paramètres semblent intervenir dans la relation anophèle Plasmodium que ce soit du au parasite ou bien à l’environnement. On a notamment une hausse du nombre de piqûre chez les anophèles parasités ainsi qu’une durée de vie allongée à cause d’un cycle de reproduction réduit.
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Table des matières
1 Introduction
2 Le paludisme : première parasitose mondiale
Le parasite : Plasmodium spp
Le vecteur : Anopheles spp
Le cycle de développement de Plasmodium
Physiopathologie du paludisme
2.4.1 L’accès palustre simple
2.4.2 L’accès palustre grave et le neuropaludisme
Méthodes pour le diagnostic du paludisme
Epidémiologie
2.6.1 Répartition
2.6.2 Nombre de cas et incidence
2.6.3 Nombre de décès et taux de mortalité
3 La prévention antipaludique
La lutte antivectorielle
3.1.1 Les moustiquaires imprégnées d’insecticide
3.1.2 La pulvérisation résiduelle intérieure
3.1.3 Autres moyens de lutte antivectorielle
La vaccination
La chimioprévention
4 Les traitements médicamenteux
Quinine et ses dérivés
4.1.1 La quinine
4.1.2 Les 4-aminoquinoléines
4.1.3 Les 8-aminoquinoléines
4.1.4 Les arylaminoalcools
La combinaison atovaquone-proguanil
L’association sulfadoxine-pyriméthamine
Antibiotiques utilisés comme antipaludiques
L’artémisinine et ses dérivés : révolution dans la thérapie antipaludique
4.5.1 Découverte de l’artémisinine
4.5.2 Généralités sur l’artémisinine
4.5.3 Dérivés d’artémisinine et ACT
Thérapies médicamenteuses en cours de développement
4.6.1 Molécules en phase 2 des essais cliniques
4.6.2 Molécules en phase I des essais cliniques
4.6.3 Molécules en développement préclinique
Nouvelles cibles prometteuses
5 Plasmodium, un parasite résistant à tous les médicaments sur le marché
PfCRT et chloroquino-résistance
PfMDR1 et résistance aux dérivés quinoléiques
Mutations dans la voie des folates et sur le cytochrome bc1
La résistance à l’artémisinine
5.4.1 Identification du mécanisme de la résistance
5.4.2 Principe du RSA et du QSA
5.4.3 Découverte du gène Pfkelch13, marqueur de la résistance à l’artémisinine
5.4.4 Mutation du gène Pfkelch13 et résistance aux autres antipaludiques
5.4.5 Situation actuelle sur le terrain
6 Molécules et cibles d’intérêt contre les parasites quiescents
Molécules ciblant les voies protéiques en lien avec Pfkelch13
6.1.1 Inhibiteurs de PI3K
6.1.2 Inhibiteurs de P4K
Molécules ciblant les voies actives chez les parasites quiescents
6.2.1 Inhibiteurs de PI4K
6.2.2 La voie des isoprénoïdes
6.2.3 La voie des acides gras (FASII)
6.2.4 Les voies mitochondriales
6.2.5 Les voies épigénétiques
7 L’approche hybride
Hybrides antipaludiques développés
7.1.1 Basés sur l’artémisinine
7.1.2 Basés sur les dérivés quinoléiques
7.1.3 Hybrides comportant un chimiosensibilisant
Hybrides ciblant les parasites résistants à l’artémisinine
8 Conclusion