La thyroïde, glande endocrine moulée sur l’arbre laryngo-trachéal, est responsable de la régulation de nombreux systèmes via la triiodothyronine (T3) et la thyroxine (T4) sous la direction de la thyréostimuline (TSH) hypophysaire.
Durant la grossesse, la glande connait des modifications physiologiques pour s’adapter au bon développement de l’être en formation. Cependant, il peut apparaitre des anomalies à type d’hypo/hyper fonctionnement impactant le déroulement de la grossesse tant pour la mère que pour le fœtus. On définit ainsi 6 entités nosologiques :
● L’hypothyroïdie frustre ou infraclinique (TSH élevée, T3/T4 normales)
● L’hypothyroïdie clinique (TSH élevée, T3/T4 basses)
● L’hyperthyroïdie frustre ou infraclinique (TSH diminuée, T3/T4 normales)
● L’hyperthyroïdie clinique (TSH diminuée, T3/T4 augmentées)
● L’ hypothyroxinémie (TSH normale, T4 basse)
● L’euthyroïdie à anticorps anti thyroïde positifs (anticorps anti-thyroperoxydase dits anti-TPO, anti thyroglobuline dits anti-TG ou anti-récepteur de la TSH ditsTRAK) .
Déterminer le statut de la patiente enceinte est parfois complexe car il existe des variations de normes (TSH, T3, T4) entre la femme gravide et non gravide et entre les trimestres de grossesse. C’est pourquoi, compte tenu des conséquences potentielles maternelles et fœtales d’une dysthyroïdie et des difficultés d’interprétation des dosages, il est important de distinguer le physiologique du pathologique et de savoir quand prescrire le dépistage pour optimiser la prise en charge.
Modifications thyroïdiennes physiologiques durant la grossesse
Durant l’évolution d’une grossesse normale, les besoins materno-fœtaux en hormones thyroïdiennes se modifient, ceci s’explique par plusieurs phénomènes :
● on observe un effet TSH-like de la sous unité alpha de l’hormone chorionique gonadotrope (HCG) sur la glande entrainant une stimulation de la production d’hormones thyroïdiennes périphériques et une augmentation de 10% de son volume. Via un rétrocontrôle négatif sur l’axe hypothalamo-hypophysaire, la TSH s’adapte et s’abaisse.
● les œstrogènes augmentent la demi-vie par silylation de la protéine porteuse thyroxin binding protein (TBG) et en stimulent sa production hépatique notamment entre 7 et 16 semaines de gestation (pic). Il y a de ce fait moins d’hormones thyroïdiennes périphériques potentiellement disponibles donc la synthèse s’accélère pour maintenir l’homéostasie, aidée par la baisse de la TSH. Les taux de T4 totale sont augmentés de 50% après 16 SA dans le but de maintenir la T4 libre (LT4) dans les normes. En revanche sa limite inférieure s’abaisse au 3eme trimestre (–10-15%) du fait de l’augmentation de la TSH mais d’un taux de TBG toujours aussi important.
● la désiodase type 3 placentaire convertit activement la T4 en rT3
● le rein gravide augmente sa clairance en iode .
Thyroïde(s) et fœtus
La T4 maternelle est la seule source hormonale pour le fœtus jusqu’à 13-15 semaines d’aménorrhée (SA). En effet, le développement de la thyroïde fœtale ne débute qu’entre la 10ème et la 12ème semaine de grossesse et les hormones thyroïdiennes ne sont sécrétées qu’à partir de 18-20 semaines. Or, ces hormones sont indispensables au développement cérébral du fœtus (neuro et synaptogenèse, myélinisation et régulation de la neurotransmission), à la maturation osseuse et à sa croissance dès ses premières semaines de formation.
Modifications pathologiques du fonctionnement de la glande thyroïde durant la grossesse
Hyperthyroïdie : définition, conséquences, prise en charge
Hyperthyroïdie clinique
La prévalence de l’hyperthyroïdie durant la grossesse est de l’ordre de 2 à 3,5% dont 2 étiologies prédominent pour lesquelles la prise en charge et les conséquences diffèrent malgré un tableau initial relativement similaire. L’interrogatoire et l’examen clinique se doivent d’être minutieux.
La thyrotoxicose gestationnelle transitoire (2-3%)
Elle s’explique par un emballement de l’action TSH-like de l’HCG. Au 1er trimestre, les courbes sont inversées entre TSH et HCG comme visualisé précédemment, avec un point culminant d’HCG à 12ème semaine de gestation. Elle est plus particulièrement observée quand le taux d’HCG est élevé : grossesses multiples, mole hydatiforme et choriocarcinome (situations rares) en sont des facteurs de risque. Cliniquement elle se manifeste chez la mère par une tachycardie, des palpitations, des nausées/vomissements récurrents et une prise de poids difficile. La régression du tableau est progressive et spontanée au 2eme trimestre. L’instauration d’un traitement symptomatique est nécessaire pour passer la période : maintien d’une bonne hydratation orale, anti émétique, repos. Parfois la situation clinique est plus intense ; on parle alors d’hyperemesis gravidarum (3-10 / 1000). Les nausées et vomissements sont sévères, la perte de poids est supérieure à 5 %, une cétonurie et une déshydratation s’installent. Le traitement reste symptomatique mais il est nécessaire de recourir à une hospitalisation pour maintenir une hydratation adéquate par voie intra veineuse, d’effectuer un contrôle régulier des électrolytes, d’utiliser des antis émétiques par voie intraveineuse et d’apporter un support vitaminique. L’utilisation de beta bloquant en courte cure est à considérer ; en revanche l’introduction d’anti thyroïdiens de synthèse est à proscrire du fait du retour spontané à la normale après 14 à 18 SA. Ils seraient alors délétères, induisant un tableau d’hypothyroïdie materno-fœtale.
La maladie de Basedow (0,5%)
De cause auto-immune (présence d’anticorps anti-récepteurs de la TSH dit TRAK), le tableau est plus bruyant : palpitations, tremblements, thermophobie, perte de poids, diarrhées, goitre diffus soufflant, orbitopathie de sévérités à évaluer, myxœdème pré tibial. Ces anticorps sont la plupart du temps stimulants mais parfois bloquants ; ils passent la barrière hémato placentaire. Les conséquences materno fœtales d’une maladie de Basedow non contrôlée sont graves :
➤ Conséquences maternelles : thyrotoxicose (signes cliniques exacerbés avec confusion fébrile), insuffisance cardiaque aigue, fausse couche, pré éclampsie, prématurité, décollement placentaire, rupture prématurée des membranes.
➤ Conséquences fœtales : hyper/hypothyroïdie, dysplasie de hanches, retard de croissance in utero, petit poids pour l’âge gestationnel, soudure prématurée des os.
Deux périodes sont particulièrement à risque :
➤ Grossesse débutante : symptômes intensifiés du fait de l’effet HCG/TSH-like et/ou du fait de la majoration du taux d’anticorps anti-récepteur de la TSH.
➤ Post partum, jusqu’à 9 mois : restauration immunitaire donc possible ré ascension des anticorps spécifiques .
Il peut s’agir d’un diagnostic de novo ou d’une récidive.
Le contrôle des TRAK doit donc se faire pour :
➤ Tout tableau d’hyperthyroïdie
➤ Antécédent de maladie de Basedow antérieurement traitée (ne pas oublier les traitements définitifs tel que la chirurgie ou l’iode radioactive). Si le premier taux est élevé (> 3 fois la normale supérieure), à doser de nouveau à 18-22 SA. S’il est faible, ne pas re itérer.
➤ Dès que la grossesse est connue si la patiente est déjà sous ATS.
➤ Si les ATS sont nécessaires jusqu’à mi-grossesse, redoser les anticorps entre 18 et 22 SA. Si leur titre est toujours élevé ou si les ATS sont toujours nécessaires au 3eme trimestre, les doser de nouveau entre 30 et 34 SA – Enfant hyperthyroïdien à la naissance lors d’une grossesse antérieure. En effet l’incidence fœtale ou néo natale d’hyperthyroïdie chez des patientes avec un antécédent de Basedow actif ou guéri est de 1 à 5%.
La surveillance fœtale sera plus rapprochée, en milieu spécialisé, si le titre d’anticorps est supérieur à 3 fois la normale à n’importe quel terme ou si la patiente est toujours en hyperthyroïdie à compter de la deuxième moitié de grossesse.
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Table des matières
I. Introduction
II. Modifications thyroïdiennes physiologiques durant la grossesse
1.Thyroïde(s) et fœtus
2.TSH et placenta
III. Difficultés d’élaboration de seuils et problèmes de mesure
1.TSH
2.T4
3.Iode
IV. Modifications pathologiques du fonctionnement de la glande thyroïde durant la grossesse
1.Hyperthyroidie : définition, conséquences, prise en charge
a.Hyperthyroïdie clinique
La thyrotoxicose gestationnelle transitoire (2-3%)
La maladie de Basedow (0,5%)
Causes autres d’hyperthyroïdie
b. Hyperthyroïdie frustre
2.Hypothyroïdie : définition, conséquences, prise en charge
a. Hypothyroïdie clinique
Diagnostic
Patientes déjà traitées avant la grossesse
b. Hypothyroïdie subclinique
3. Hypothyroxinéme isolée
4.Positivité isolée des anticorps anti TPO et anti TG
5.Infertilité et thyroïde
VI. Dépistage de la dysthyroïdie chez la gestante : modalités selon l’ATA, la HAS et le protocole suivi à la Conception
1.Attentes du dépistage
a. ATA 2017
b. En France
c. A la maternité niveau 3 de la Conception
VII. Dysthyroïdie et diabète gestationnel : une association fortuite ?
VIII. Matériel et méthodes
IX. Résultats
X. Discussion
XI. Conclusion
Bibliographie