Identification du champ de recherche
Choisir de se développer d’une manière autonome ou à la faveur d’apports externes est une question fondamentale que les entreprises doivent se poser lors de nombreux types d’expansion et de développement. Les entreprises doivent ainsi choisir une forme organisationnelle plutôt qu’une autre dès qu’elles souhaitent se diversifier sur des nouveaux domaines d’activité ou entrer sur de nouveaux marchés géographiques. Elles doivent également choisir un mode de gouvernance particulier lorsqu’elles cherchent à obtenir de nouvelles ressources, technologies, techniques ou compétences. Plus généralement, le choix entre la croissance interne et une forme externe de développement doit être fait chaque fois qu’une entreprise désire utiliser et obtenir de nouveaux actifs, qu’ils soient isolés ou combinés, tangibles ou intangibles, complexes ou élémentaires, organisationnels ou opérationnels.
Si de nombreuses recherches en Sciences de Gestion ont déjà porté leur attention sur les facteurs conduisant les entreprises à choisir une forme organisationnelle plutôt qu’une autre, l’influence de ce choix sur leur performance, croissance et pérennité est encore un champ de recherche relativement peu exploré. En effet, à notre connaissance, encore peu de recherches ont cherché à comprendre si, pour pouvoir croître et prospérer durablement dans un secteur d’activité donné, il vaut mieux se développer d’une manière autonome ou, au contraire, avoir recours à une forme de collaboration. Certes, plusieurs recherches suggèrent qu’au même titre que la croissance interne la collaboration est un moyen de mobiliser de nouvelles ressources et compétences. Il est maintenant nécessaire de comprendre si, pour pouvoir occuper durablement une forte position concurrentielle dans un secteur d’activité donné, il est plus efficace de solliciter des ressources et compétences repérées à la faveur de contacts externes ou, au contraire, de déployer des connaissances développées d’une manière autonome, à l’intérieur de ses propres frontières.
Savoir s’il vaut mieux se développer d’une manière autonome ou en collaboration est une question qui mérite une attention toute particulière car elle touche au cœur même de l’activité des entreprises. En effet, si le développement en interne est systématiquement à l’origine de la meilleure croissance et performance, pourquoi certaines entreprises choisissent-elles de collaborer ? Inversement, si la collaboration a une influence positive sur la capacité des entreprises à occuper durablement une forte position concurrentielle sur un secteur d’activité donné, pourquoi les entreprises continuent-elles à se développer d’une manière autonome ? Enfin, si le recours à l’aide de partenaires externes permet effectivement de croître et prospérer durablement, pourquoi des entreprises disposant déjà d’une forte position concurrentielle ont-elles recours à la collaboration ? En effet, elles risquent alors de susciter et de faciliter l’émergence d’entreprises pouvant par la suite fragiliser la pérennité de leur propre position concurrentielle.
Développement des questions de recherche
Nouveau produit et Position concurrentielle
Nous considérons qu’une entreprise lance un nouveau produit lorsqu’elle parvient à mettre sur le marché un nouveau bien ou service dont les caractéristiques sont significativement différentes de celles des produits qu’elle a commercialisés auparavant de manière à pouvoir satisfaire un nouveau besoin (Martin et Mitchell, 1998 ; Katila et Ahuja, 2002). Le lancement d’un nouveau produit est ainsi « la transformation d’une opportunité de marché en la commercialisation d’un nouveau bien ou service » (Krishnan et Ulrich, 2001 : 1).
Dans la plupart des industries et, notamment, dans les industries manufacturières, lancer des nouveaux produits est indispensable aux entreprises et doit être leur raison d’être ; seules les entreprises capables de lancer régulièrement des nouveaux produits pourront alors faire face à la « création destructive » des évolutions technologiques (Schumpeter, 1934). Le lancement de nouveaux produits permet en effet aux entreprises de transformer leurs ressources et compétences en revenus financiers (Banbury et Mitchell, 1995 ; Dougherty et Hardy, 1996 ; Roberts, 1999) et de développer et d’acquérir de nouveaux actifs tangibles et intangibles – et, notamment, des nouveaux brevets, technologies et savoir-faire (Maidique et Zirger, 1985). Le lancement de nouveaux produits est également un moyen de s’adapter aux évolutions, mutations et changements de l’environnement technologique et concurrentiel (Brown et Eisenhardt, 1995 ; Eisenhardt et Martin, 2000 ; Danneels, 2002 ; Katila et Ahuja, 2002 ; Chanal et Mothe, 2005). Les entreprises les plus performantes sont ainsi celles qui entretiennent des flux d’innovation de produits réguliers et continus : elles sont alors plus rentables, ont une part de marché plus importante, un taux de croissance plus élevé, créent plus d’emplois et sont plus productives que les autres organisations (Capon, Farley, Lehmann et Hulbert, 1992 ; Roberts, 1999 ; Nerkar et Roberts, 2004).
Toutefois, si être capable d’entretenir un flux régulier de nouveaux produits est nécessaire pour qu’une entreprise puisse se développer, croître et prospérer durablement, ce n’est pas une condition suffisante. Encore faut-il que les nouveaux produits régulièrement mis sur le marché soient performants, ce qui n’est pas toujours le cas. Si bien qu’il arrive parfois que les lancements de nouveaux produits puissent menacer la pérennité de l’entreprise innovatrice dans son ensemble. Par exemple, l’échec rencontré en 1965 sur le Convair 880 / 990 Coronado est en partie responsable de la fermeture par General Dynamics de son activité de construction d’avions de transport à réaction. De même, les pertes occasionnées sur le L-1011 Tristar expliquent pour beaucoup l’abandon par Lockheed en 1984 de ce même secteur d’activité de l’industrie de la construction aéronautique.
Pour pouvoir maximiser ses chances de pouvoir se développer, croître et prospérer durablement, une entreprise doit alors également disposer d’un avantage concurrentiel durable (Barney, 1986, 1991 ; Peteraf, 1993 ; Grant, 1996) ; elle pourra alors, notamment, lancer des nouveaux produits performants. Cependant, Brown et Eisenhardt (1995 : 344) soulignent que « l’innovation de produit est [en tant que telle] une source potentielle d’avantage concurrentiel ». De même, Eisenhardt et Martin (2000 : 1117) écrivent que « les entreprises qui disposent du meilleur avantage concurrentiel sont celles qui maîtrisent les processus de reconfiguration de ressources les plus efficaces ». Ils soulignent alors que « parmi ces processus de reconfiguration se trouvent les alliances ou les fusions et acquisitions mais également le lancement de nouveaux produits » (Eisenhardt et Martin, 2000 : 1106).
Dans ces conditions, le lancement de nouveaux produits apparaît être un moyen que peuvent utiliser les entreprises pour obtenir les ressources et compétences nécessaires au développement d’un avantage concurrentiel durable qui, lui-même, permettra alors de lancer des nouveaux produits performants et, ainsi, d’obtenir une performance significative. Réussir ses lancements de nouveaux produits serait dans ces conditions une des portes d’entrée dans un cercle vertueux qui permettrait in fine aux entreprises d’occuper durablement une position concurrentielle solide, c’est-à dire de se développer, croître et prospérer durablement sur un secteur d’activité donné.
Il reste maintenant à comprendre si certaines des caractéristiques des lancements de nouveaux produits – et, notamment, le mode de lancement effectivement choisi – influencent la capacité des entreprises à obtenir les ressources et compétences nécessaires pour pouvoir occuper par la suite et dans les meilleures conditions possibles une position concurrentielle durablement solide. Il apparaît ainsi nécessaire de porter son attention sur les caractéristiques que peuvent présenter les différents modes de lancement de nouveaux produits.
Le lancement de nouveaux produits
L’innovation de produit ou l’introduction d’un nouveau produit est un processus séquentiel qui comporte plusieurs phases tant spécifiques qu’indispensables (Krishnan et Ulrich, 2001). Chacune de ces phases est déterminante et la façon dont elles sont réalisées a une influence significative sur la performance globale du lancement de nouveaux produits concerné (Krishnan et Ulrich, 2001).
Pendant la première phase de l’innovation de produit, la phase de développement du concept, l’entreprise définit les spécifications du nouveau bien ou service qui permettront de répondre aux demandes, exigences, besoins et attentes des clients potentiels ou ciblés (Krishnan et Ulrich, 2001). Ces spécifications incluent notamment la fonction du produit, ses propriétés mais également son aspect physique et sa performance technique. Autrement dit, pendant cette phase préliminaire, l’entreprise définit toutes les caractéristiques externes et fonctionnelles du produit qu’elle souhaite lancer. A ce propos, notons que les différences entre les caractéristiques d’un nouveau produit doivent être suffisamment importantes de celles de ses prédécesseurs pour que le nouveau produit satisfasse un nouveau besoin des clients. Ainsi, par exemple, le seul changement d’une caractéristique physique mineure d’un produit ancien (couleur, forme, aspect, dimension voire performance technique…) ne conduit pas, à proprement dit, à la mise sur le marché d’un nouveau produit ; il s’agit simplement de l’amélioration d’un produit existant.
Pendant la deuxième phase de l’innovation de produit, la phase d’identification des ressources et compétences nécessaires, l’entreprise va évaluer ce dont elle a besoin pour lancer le nouveau produit en question (Krishnan et Ulrich, 2001). Cette phase permet de classer les actifs, ressources et compétences nécessaires, selon s’ils devront être achetés sur le marché, redéployés à partir d’autres activités, développés ou co-développés expressément. C’est également pendant cette phase que l’entreprise va se poser la question de la responsabilité de la maîtrise d’œuvre des tâches relatives au développement et à la production du produit. Selon les cas, l’entreprise peut alors garder la responsabilité de toutes ces tâches, les partager ou, enfin, confier certaines d’entre elles à d’autres entreprises, concurrentes ou non. A ce propos, notons que nous avons considéré qu’une entreprise ne procède à un lancement de nouveaux produits que si elle est au moins co-responsable de sa production (même si, finalement, la production est tout de même sous-traitée). En effet, il est difficile de considérer qu’une entreprise lance effectivement un nouveau produit lorsqu’elle fabrique un bien ou un service sous l’entière responsabilité d’une autre entreprise. Dans ces cas-là, l’entreprise n’est, au contraire, qu’un sous-traitant d’une autre entreprise, en charge de la fabrication du produit en question. Dans ces conditions, comme nous le verrons plus loin (cf. § 2.3.1), il apparaît que le lancement de nouveaux produits peut se faire par l’intermédiaire de trois modes distincts : l’accord de licence si l’entreprise ne conserve que la maîtrise d’œuvre des tâches relatives à la production, le développement interne si l’entreprise garde la maîtrise d’œuvre de l’intégralité des tâches relatives au développement et à la production du nouveau produit et l’alliance si la responsabilité de la maîtrise d’œuvre sur certaines de ces tâches est partagée (Schilling et Steensma, 2002). Nous verrons dans la partie suivante les caractéristiques de ces trois modes de lancement de nouveaux produits.
La troisième phase du lancement de nouveaux produits consiste en la phase de conception du produit et débouche généralement sur la mise au point d’un prototype (Krishnan et Ulrich, 2001). Pendant cette phase, l’entreprise mobilise les actifs, ressources et compétences précédemment identifiés pour sélectionner les matériaux nécessaires, tester les technologies et sous-systèmes qui seront utilisés, définir les caractéristiques de l’outil de production et, enfin, construire un prototype et engager un certain nombre de tests, principalement techniques. C’est donc pendant cette phase que l’entreprise va intégrer les ressources et compétences qu’elle aura pu redéployer d’autres activités avec celles expressément développées, co développées ou acquises sur le marché. Cette phase permet également, si besoin est, de changer l’attribution des responsabilités en termes de maîtrise d’œuvre. Ainsi, s’il est apparu qu’il était trop coûteux ou trop long de prendre en charge certaines tâches et, notamment, certaines tâches relatives au développement, il est encore possible de les confier à d’autres entreprises. Enfin, pendant cette phase, l’entreprise décide du mode de production en classant les sous-systèmes composant le produit final selon si leur production sera finalement sous-traitée ou non.
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Table des matières
1. INTRODUCTION
1.1. IDENTIFICATION DU CHAMP DE RECHERCHE
1.2. FORMULATION DE LA PROBLEMATIQUE
2. DEVELOPPEMENT DES QUESTIONS DE RECHERCHE
2.1. NOUVEAU PRODUIT ET POSITION CONCURRENTIELLE
2.2. LE LANCEMENT DE NOUVEAUX PRODUITS
2.3. LES MODES DE LANCEMENT DE NOUVEAUX PRODUITS
2.3.1. Les différents modes de lancement de nouveaux produits
2.3.2. Modes de lancement de nouveaux produits et Développement de connaissances
2.4. DEVELOPPEMENT DES QUESTIONS DE RECHERCHES
2.5. PLAN DE LA RECHERCHE
3. REVUE DE LA LITTERATURE
3.1. RECHERCHES PRECEDENTES SUR LES CONSEQUENCES DES CHOIX DE MODE D’EXPANSION
3.1.1. Un type d’expansion spécifique : le lancement de nouveaux produits
3.1.2. Des recherches précédentes aux résultats ambigus
3.1.3. L’endogénéité des choix de mode d’expansion
3.2. LES DETERMINANTS DES MODES D’EXPANSION
3.2.1. Recherches mobilisant la théorie des coûts de transaction
3.2.2. Recherches mobilisant la théorie de la ressource
3.2.3. Recherches mobilisant l’approche par les Compétences Dynamiques
3.2.4. Rappel des résultats des recherches précédentes sur les déterminants des modes d’expansion
3.3. LES CONSEQUENCES DES CHOIX DE MODE D’EXPANSION
3.3.1. Endogénéité et Performance intrinsèque des modes d’expansion
3.3.2. Modes d’expansion et Développement d’une position concurrentielle solide
3.3.3. Rappel des résultats des recherches précédentes sur les conséquences des choix de mode
d’expansion
3.4. CONCLUSION DE LA REVUE DE LA LITTERATURE
3.4.1. Rappel de l’ensemble des résultats des recherches précédentes
3.4.2. Application des résultats précédents à notre objet d’étude
3.4.3. Contributions et lacunes de la littérature existante
4. FORMULATION DES HYPOTHESES
4.1. POSITIONNEMENT THEORIQUE
4.1.1. Rappel des points non traités par la littérature existante
4.1.2. Rappel des approches théoriques mobilisées
4.2. LES DETERMINANTS DES CHOIX DE MODE DE LANCEMENT DE NOUVEAUX PRODUITS
4.2.1. Rappels sur le lancement de nouveaux produits
4.2.2. L’influence des ressources disponibles en interne
4.2.3. L’influence des caractéristiques de l’expansion
4.2.4. L’influence des choix de mode de lancement de nouveaux produits précédents
4.2.5. Rappel des hypothèses sur les déterminants des modes de lancement de nouveaux produits
4.3. LES CONSEQUENCES DES CHOIX DE MODE DE LANCEMENT DE NOUVEAUX PRODUITS
4.3.1. La capacité à occuper durablement une position concurrentielle solide
4.3.2. Continuité de mode de lancement de nouveaux produits et Performance
4.3.3. Modes de lancement de nouveaux produits et Position concurrentielle
4.3.4. Rappel des hypothèses sur l’influence des choix de mode de lancement de produits sur la capacité
à occuper in fine une position concurrentielle durable et solide
4.4. RAPPEL DE L’ENSEMBLE DES HYPOTHESES ET MODELE
4.4.1. Problématique et Questions de recherche
4.4.2. Hypothèses
4.4.3. Modèle
5. TERRAIN EMPIRIQUE
5.1. DESCRIPTION DU TERRAIN EMPIRIQUE EXAMINE
5.1.1. Frontières du terrain empirique examiné
5.1.2. Adaptation de notre problématique au terrain examiné
5.2. COLLECTE DE DONNEES ET SOURCES UTILISEES
5.3. JUSTIFICATIONS DU TERRAIN EMPIRIQUE
5.3.1. Justifications théoriques
5.3.2. Justifications empiriques
5.4. L’INDUSTRIE DE LA CONSTRUCTION AERONAUTIQUE
5.4.1. Les acteurs de l’industrie de la construction aéronautique
5.4.2. Nouveaux produits et Modes de lancement de nouveaux produits
5.4.3. Justification de la méthodologie utilisée
6. ANALYSES STATISTIQUES
6.1. LE CHOIX DE MODE DE LANCEMENT DE NOUVEAUX PRODUITS
6.1.1. Les déterminants des modes de lancement de nouveaux produits
6.1.2. Les facteurs permettant le passage de la coopération au développement interne
6.1.3. Rappel des résultats sur les déterminants des modes de lancement de nouveaux produits
6.2. MODES DE LANCEMENT DE NOUVEAUX PRODUITS ET POSITION CONCURRENTIELLE
6.2.1. Continuité de mode de lancement de nouveaux produits et Performance
6.2.2. Modes de lancement de nouveaux produits et Position concurrentielle
6.2.3. Rappel des résultats sur l’influence des modes de lancement de nouveaux produits sur la position
concurrentielle des entreprises
7. DISCUSSION
7.1. PROBLEMATIQUE ET QUESTIONS DE RECHERCHE
7.2. SYNTHESE DES RESULTATS
7.2.1. Réponses apportées par la littérature en Management Stratégique existante
7.2.2. Réponses apportées par notre recherche empirique
7.3. IMPLICATIONS MANAGERIALES ET CONTRIBUTIONS THEORIQUES
7.3.1. Implications managériales
7.3.2. Contributions théoriques
7.4. LIMITES DE NOTRE RECHERCHE
7.5. FUTURES RECHERCHES ENVISAGEES
8. CONCLUSION GENERALE
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