Modéliser les systèmes de gestion des écosystèmes de forêt sèche

Modéliser les systèmes de gestion des écosystèmes de forêt sèche

Sur quelles composantes concentrer ses efforts : Ressources, fonctions ?

Au‐delà de la façon d’aborder la forêt en tant qu’objet d’étude dans son ensemble,différentes unités peuvent être étudiées et utilisées comme indicateurs des changementsdans les forêts. Ces unités révèlent aussi la façon de concevoir la relation entre les humains et les écosystèmes forestiers et de déterminer les critères fixés comme objectifs de la gestion (dans son sens générique).Les chercheurs en sciences forestières ou de l’école des « biens communs » s’intéressent aux « ressources naturelles » ou « ressources forestières ». Cette notion n’est pas neutre dans la façon de se représenter la forêt. Le dictionnaire de l’académie française définit de façon générique le mot ressource com         me « ce qui peut fournir ce dont on a besoin ». La notion de ressource implique donc une utilité. Ainsi, dans le cas des ressources naturelles, Weber et al (1990) soulignent qu’une espèce ou une chose de la nature devient ressource dès lors qu’elle est exploitée par des humains. La ressource peut donc apparaître comme une unité située à l’interface entre les humains et les écosystèmes forestiers. Cependant, le caractère naturel de la ressource favorise une utilisation ambigüe du terme. Weber et al précisent ainsi « Si les ressources renouvelables peuvent être dans certains contextes le prélèvement d’une activité humaine, pour les sciences de la nature, ce terme recouvre souvent la production biologique d’un écosystème » (Weber et al., 1990, p. 3).Les ressources d’une forêt guident donc la façon de concevoir l’aménagement ou de définir des règles car elles sont les objectifs de la gestion. Pour décrire les orientations d’un aménagement, les forestiers parlent de « ressource objectif » (Bertrand et al., 1999b). Il s’agit des composantes de l’écosystème qui peuvent être utiles aux humains et pour lesquelles l’aménagement favorise le développement et la régénération.En reconnaissant que la forêt peut jouer d’autres rôles que celui de production de bois, les sciences forestières ont favorisé le développement de la notion de fonction des forêts. Les fonctions généralement énoncées sont les fonctions économiques (ou de production), les fonctions environnementales (ou de protection) et les fonctions sociales (ou récréatives). La notion de fonction peut aussi être considérée comme située à l’interface entre humains et écosystèmes. Elle est comprise comme une propriété attribuée à l’écosystème en fonction de son utilisation par les humains (Jax, 2005).  La notion de fonction est aussi utilisée en écologie pour interroger les relations entre fonctions et structure des écosystèmes (Odum, 1954, Holling, 1994) ou, plus récemment entre fonctions des écosystèmes et biodiversité (Grime, 1997, Loreau et al., 2001).“Ecosystem structure refers to the relationships between the species, resources, and physical habitat conditions of an ecosystem. Ecosystem functions are those processes that cycle materials (such as carbon (C) and nitrogen (N)) and those that move energy (such as photosynthesis and decomposition) through the ecosystem” (Sutton‐Grier et al., 2009, p. 761) Les études portant sur les relations entre biodiversité et fonctions des écosystèmes s’intéressent généralement à une ou quelques fonctions des écosystèmes et définissent rarement le concept. Mais les exemples de fonctions considérées dans ces études sont : la respiration, l’absorption/la rétention de nutriments, les échanges gazeux (CO2). Ces études visent à comprendre si le nombre de fonctions des écosystèmes est fonction de la diversité spécifique. La notion de fonction réfère ici à l’écosystème et à son fonctionnement en tant que système complexe (Jax, 2005). Ces études guident les stratégies de conservation et de restauration des écosystèmes pour savoir si toutes les espèces doivent être conservées pour garantir les fonctions assurées par les écosystèmes (Peterson et al., 1998, Schwartz et al., 2000). L’écologie s’intéresse aussi à la notion de groupes fonctionnels qui se définissent comme des espèces qui assurent les mêmes fonctions dans un écosystème et qui sont donc potentiellement redondantes pour le fonctionnement de l’écosystème (Peterson et al., 1998). A partir de ces approches, un glissement peut s’observer vers l’idée de fonctions utiles aux hommes et vers le concept de service écosystémique, décrit dans la section suivante. La problématique de la gestion des forêts appelle des cadres qui permettent d’appréhender la coévolution entre les processus écologiques et sociaux (Norgaard, 1994). Compte tenu de la diversité des objectifs des acteurs et de la complexité des écosystèmes, une approche qui permette de saisir la complexité de ces relations est nécessaire. Le concept d’écosystème offre un cadre intéressant pour analyser les relations au sein d’un système complexe (Berkes et Folke, 1998a).  Parmi les tentatives d’intégrer les humains dans les modèles d’écologie, le concept de système socio‐écologique est celui qui s’appuie le plus sur le concept d’écosystème. Section 3. Vers un cadre générique intégrateur: le système socio­écologique Le concept de système socio‐écologique s’est imposé ces dernières années dans le domaine de la gestion des ressources naturelles pour interroger les relations entre humains et nature en posant un système qui intègre dynamiques sociales et dynamiques écologiques. Cette section aborde la définition de ce système et les perspectives apportées par ce concept sur la façon de concevoir la gestion des écosystèmes. Enfin, le concept de service écosystémique, souvent utilisé comme l’unité de l’interaction entre système social et système écologique, sera présenté au dernier paragraphe.

Considérer l’objet d’étude comme un système complexe

La première définition générique du système socio‐écologique (SES) a été proposée par  Gallopin: “An SES is defined as a system that includes societal (human) and ecological (biophysical) subsystems in mutual interaction” (Gallopin 1991 In Gallopín, 2006, p. 294). Sa première caractéristique intrinsèque est que c’est un système complexe. Bien que ceci puisse paraître tautologique, conceptualiser l’objet d’étude comme un système a des implications dans la façon de l’appréhender. La théorie des systèmes a été formalisée dans le domaine des sciences naturelles par Ludwig Von Bertalanffy en 1968. Il est à noter que le concept d’écosystème est apparu avant que celui de système soit conceptualisé. Gallopin (Gallopín et al., 2001) définit le système comme « la conceptualisation d’une portion de réalité en termes d’éléments interdépendants » (p. 7). La théorie systémique repose sur le principe d’interactions entre les composantes (ou les sous‐systèmes) du système et sur le principe d’un comportement du système qui est déterminé par ces interactions plutôt que par les propriétés individuelles de chaque composante. La conception systémique se résume souvent par la phrase suivante : « Le tout est plus que la somme des parties ». Les SES sont considérés comme des systèmes ouverts, ce qui implique que le comportement du système ne dépend pas seulement du système lui‐même mais aussi des variables de son environnement qui agissent sur lui et inversement, le système influence son environnement (Gallopín, 2003b). Le caractère complexe d’un système lui confère un nombre d’attributs qui rendent sa compréhension plus difficile. L’une des principales conséquences de la complexité est la non linéarité et le caractère imprévisible des changements dans le système.  Si le concept de SES pose l’existence d’interactions entre des dynamiques sociales et des dynamiques écologiques, il ne définit pas pour autant un cadre des relations entre les humains et les écosystèmes. Ainsi, différentes représentations de ces interactions peuvent se retrouver dans les études qui mobilisent le concept de SES. Lorsque le SES est explicitement défini, des subtilités apparaissent dans la façon de représenter les interactions (Fig. 3).

Les successions végétales : changer vers le climax

Les théories du changement en écologie végétale se sont développées autour du concept de successions végétales. Elles sont aussi mobilisées en foresterie pour étudier les successions forestières (Finegan, 1984). Ces théories ont été introduites par Clements en 1916 pour la compréhension des différents stades qui se succèdent entre un état induit par une perturbation et un état climacique de la végétation1 En foresterie, on s’intéresse souvent aux successions après le passage d’un feu ou d’une tempête. Le concept de climax, bien qu’il soit remis en cause, continue à marquer la représentation de la forêt chez de nombreux écologues et forestiers (voir chapitre I, section Les conceptions de la forêt comme végétation optimale dans un environnement non perturbé ou comme un état doté d’une plus grande naturalité que les formations ouvertes des espaces agricoles  restent très empreintes de cette approche. A Madagascar, cette représentation amène à considérer qu’avant l’arrivée des humains l’île était entièrement couverte de forêts (Kull, 2000). En Afrique de l’Ouest, elle a contribué à considérer les savanes comme des formations issues d’une dégradation des forêts tandis que les forêts observées aux alentours des villages étaient considérées comme des reliques (Fairhead et Leach, 1995).  En écologie, deux types de successions sont considérées: les séries progressives et les séries régressives. Les successions qui vont d’une formation herbacée à une formation arborée sont un exemple de série dite progressive. Cette conception des successions est liée à l’assimilation de l’écosystème à un organisme : les successions sont le développement de cet organisme qui après différents stades larvaires, aboutit au stade mature, le climax (Tansley, 1935). Certains auteurs décrivent le retour au sol nu suite au passage d’un feu comme une série régressive (Faurie et al., 1998). Clements ne reconnaissait pas ce type de phénomène, décrit comme une destruction du climax, parmi les successions et considérait seulement l’existence de séries progressives. Tansley considérait quant à lui que ces phénomènes de dégradation brutale du climax dues à des catastrophes ne peuvent pas être considérées comme des successions mais qu’il peut exister des « causes continues qui conduisent à la dégradation de la végétation vers un type inférieur » (p. 287) – telles que le pâturage – et donnent ainsi lieu à des séries régressives. Selon lui, la « destruction en soi n’est pas un critère » (p. 288) puisque les séries progressives entraînent elles aussi une destruction constante des plantes des phases précédentes (Tansley, 1935). Dans ce débat sur les séries régressives, Tansley soulève un postulat sous‐jacent à la théorie des successions végétales qui pose que la végétation suit une course prédéterminée vers le « bon » état naturel. L’analyse du changement en écologie végétale et foresterie est ainsi souvent marquée par cette image de stades de végétation qui se succèdent selon une trajectoire « normale » vers un état d’équilibre.

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Table des matières

Introduction générale
Partie 1 : Modéliser la gestion des écosystèmes forestiers
Chapitre I. La forêt : vers de nouvelles définitions de l’objet géré et étudié
Section 1. De la forêt‐bois à gestion unique à la forêt multi‐usage à gestions multiples
Section 2. De multiples points de vue scientifiques convoqués dans les débats
Section 3. Vers un cadre générique intégrateur: le système socio‐écologique
Chapitre II. L’état de la forêt : vers de nouvelles approches du changement
Section 1. Le changement du système vers l’équilibre
Section 2. Le changement du système en réponse aux changements de son environnement
Section 3. Le changement du système par choix des acteurs
Chapitre III. Modéliser les systèmes de gestion des écosystèmes de forêt sèche pour
l’étude des transferts de gestion à Madagascar et au Niger
Section 1. Définition du système socio‐écologique dans la thèse
Section 2. Etudier le changement des fonctions du système socio‐écologique
Partie 2 : Des transferts de gestion pour réduire la vulnérabilité des systèmes socio­écologiques de forêts sèches
Chapitre IV. L’émergence des transferts de gestion à Madagascar et au Niger
Section 1. Le contexte international
Section 2. Des politiques forestières nationales marquées par les politiques coloniales
Section 3. Des débats et stratégies semblables dans des contextes différents
Chapitre V. Proposition d’un cadre d’analyse des transferts de gestion forestière :une réponse à un diagnostic de vulnérabilité d’un SES
Section 1. Analyser les transferts de gestion comme réponse à un diagnostic de vulnérabilité
Section 2. Les systèmes socio‐écologiques définis dans les deux cas d’étude
Section 3. Effets des transferts de gestion sur la vulnérabilité des systèmes socio‐ écologiques cibles
Partie 3 : Les effets des transferts de gestion sur les SES globaux
Chapitre VI. Les fonctions comme unités d’expositions aux aléas au sein d’un même SES
Section 1. Fonctions identifiées et méthodes d’analyse de leur changement
Section 2. Evolution de l’expression des fonctions au sein des SES
Section 3. Analyser la vulnérabilité différentielle par une description qualitative du changement de chaque fonction
Chapitre VII. Les interactions entre fonctions, sources de changement
Section 1. Le SES de Ñinpelima : un cas d’étude pour analyser les interactions entre fonctions
Section 2. Le SES d’Ambatoloaka : mise en évidence d’autres dynamiques des interactions
Section 3. Tendances générales des interactions entre fonctions
Partie 4 : Discussion générale
Chapitre VIII. Discussions méthodologiques
Section 1. Délimiter l’objet d’étude et choisir des unités d’analyse pour étudier le changement
Section 2. Changement du système : Adaptation vs Transformation ?
Section 3. Comprendre les choix de gestion et les améliorer avec l’approche vulnérabilité
Chapitre IX. Implications de l’étude pour les transferts de gestion
Section 1. L’intérêt des usages et de la gestion locale pour s’ajuster aux changements
Section 2. Questions soulevées par l’homogénéisation des fonctions
Section 3. Diversifier les fonctions prises en compte par les transferts de gestion
Conclusion générale
Bibliographie
Liste des sigles et acronymes
Table des figures et tableaux

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