La stabilité dans les écosystèmes : changer vers l’état d’équilibre
De façon plus générale en écologie, l’analyse des changements est souvent posée relativement à la compréhension du rôle de la complexité ou de la diversité dans la stabilité des écosystèmes (Pimm, 1984, Tilman et Downing, 1994). Le changement est regardé entre l’état du système après perturbation et l’état d’équilibre. L’analyse porte sur le rôle de la diversité dans la capacité du système à retourner à l’état d’équilibre après perturbation. Ces questions sur le fonctionnement des écosystèmes visent aussi à répondre aux préoccupations sur les conséquences de la simplification des écosystèmes par les humains, notamment pour l’agriculture (McCann, 2000).
Dans cette approche, la stabilité est posée comme une propriété positive du système puisqu’elle lui permet de retrouver plus rapidement son équilibre après avoir été perturbé.
Les forêts tropicales qualifiées de mâtures ou primaires sont considérées plus stables en raison de leur diversité à de multiples échelles (Thompson et al., 2010) Ainsi, dans l’analyse du changement, l’accent est mis sur sa vitesse. L’unité de temps nécessaire pour un retour à l’équilibre se définit comme la résilience du système. Dans cette approche, la resilience désigne: « how fast the variables return towards their equilibrium following a perturbation » (Pimm, 1984, p. 2). Cette définition suppose implicitement qu’il existe un seul état d’équilibre (« their equilibrium ») dont le système est proche.
Cette approche est questionnée par Holling, qui considère aussi la stabilité mais la définit comme l’une des propriétés du système : « the ability of a system to return to an equilibrium state after a temporary disturbance » (Holling, 1973, p. 17). Dans cette approche, l’auteur considère qu’il existe plusieurs états d’équilibre (« an equilibrium »). Holling propose une autre définition de la résilience. Pour distinguer «sa» résilience de celle visant à mesurer le changement d’un système proche de l’équilibre, il les caractérise respectivement «ecological resilience» et «engineering resilience» (Holling, 1996). Si la résilience définit par Pimm et l’« engineering resilience » définit par Holling désignent toutes les deux une notion de temps entre un état perturbé et un état à l’équilibre, elles se distinguent par le fait que le premier considère le point d’arrivée comme l’unique état d’équilibre tandis que le second le considère comme un état d’équilibre (parmi d’autres).
Ces divergences dans l’utilisation du concept de résilience renvoient, tout comme les débats sur les séries régressives, à la façon de se représenter l’écosystème et sa « destinée » ou le caractère déterminé de son évolution.
Les approches du changement en écologie décrites dans cette section sont basées sur l’étude des phases qui séparent un système dans son état perturbé de son état d’équilibre.
Dans ces approches, l’orientation du changement est un état naturel vers lequel le système se dirige. Le changement de l’environnement est considéré comme une perturbation dans cette trajectoire.
Dans les forêts sèches à Madagascar et en Afrique de l’ouest, cette perspective conduit à considérer les zones moins densément boisées – telles que les savanes arbustives – comme des écosystèmes dégradés et les zones boisées comme des reliques de forêts (Koechlin, 1972, Fairhead et Leach, 1995).
La vulnérabilité : le changement témoin des dysfonctionnements du système
Dans l’approche Vulnérabilité, le changement est analysé à travers les relations entre le système et les perturbations qui l’affectent. Les récentes orientations dans cette approche questionnent les causes sous‐jacentes au changement du système.
Cette approche s’est surtout développée ces dernières années en rapport aux thématiques du changement climatique (Schröter et al., 2005, Turner II, 2010). Les zones arides figurent souvent parmi les cas d’études mobilisés pour développer les concepts dans ce domaine (Reynolds et al., 2007, Fraser, 2011).
Les récents travaux sur la vulnérabilité se fondent notamment sur la remise en cause des modèles d’analyse des risques (modèle « risk‐hazards » ou RH) qui considèrent une relation de type « dose‐effet » entre la perturbation et le système (Turner II et al., 2003, Adger, 2006, Ribot, 2009). Les nouveaux modèles – très influencés par la Political ecology (Füssel et Klein, 2006, Miller et al., 2010) – sont fondés sur l’analyse de la vulnérabilité comme une propriété inhérente au système qui s’exprime lorsque celui‐ci est exposé à la perturbation (Turner II et al., 2003, Ribot, 2009).
Dans les études sur le changement climatique, le modèle RH s’intéresse à l’impact du changement climatique sur le système. L’impact est appréhendé comme une quantité de dommages subits par le système. L’approche vulnérabilité considère que la vulnérabilité est inhérente au système, et notamment au système social. Elle s’intéresse aux dysfonctionnements dans le système qui permettent de comprendre pourquoi le changement climatique a eu cet effet (Ribot, 1995). Ces deux approches ont parfois été appelées respectivement Vulnérabilité biophysique et Vulnérabilité sociale (Adger et al.,2004).
Les discussions sur un déterminisme social ou écologique sont contingentes à la construction de ces concepts autour des problématiques de changement climatique (perturbation d’ordre biophysique). Mais la principale divergence conceptuelle entre les deux approches se situe autour de la relation entre le système et les perturbations qui l’affectent. En effet, les deux approches placent les causes de la vulnérabilité à des niveaux différents. La vulnérabilité sociale situe les causes de la vulnérabilité au sein du système, tandis que la vulnérabilité biophysique les situe en dehors du système. Ces deux perspectives ont des répercussions dans l’analyse. Dans une étude sur les sécheresses, l’analyse vulnérabilité biophysique cherche à comprendre quels sont les différents résultats de la sécheresse (e.g., famine, dégradation des sols, perte de revenus) tandis que l’analyse vulnérabilité sociale cherche à comprendre quelles sont les multiples causes de la famine (e.g., aléas climatiques, pauvreté, instabilité politique)(Ribot, 2009).
De nouveaux rôles attendus ou reconnus pour la forêt
Les principes véhiculés par la gestion durable des forêts favorisent la reconnaissance d’autres usages et d’autres rôles à la forêt. Dans les zones tempérées, ces nouveaux rôles sont intégrés à l’aménagement à travers la notion de multifonctionnalité des forêts.
L’émergence des préoccupations environnementales et le développement des loisirs de pleine nature suscitent de nouvelles attentes vis‐à‐vis des forêts. Les fonctions de production et de protection des sols se voient ainsi accompagnées de fonctions de protection de la biodiversité et récréatives (Ifen, 2005). Concernant l’aménagement forestier dans les zones tropicales, et particulièrement dans les zones sèches, l’intégration de nouveaux rôles se traduit par la reconnaissance des activités de cueillette, du pâturage, d’exploitation de bois de service etc. (Peltier et al., 1994). Le rôle des ressources forestières pour la subsistance des populations dans des contextes de forte pauvreté est aussi reconnu (Valeix, 1999, Angelsen et Wunder, 2003, Colfer et al., 2006).
La prise en compte de ces fonctions et usages incite à une évolution dans la conception de l’aménagement forestier :
« L’aménagement forestier doit privilégier une approche holistique et intégrée et que les différentes fonctions de la forêt, qu’elles soient économiques, écologiques et sociales, se complètent et ne doivent pas être dissociées, même si elles peuvent faire l’objet, forêt par forêt, d’une hiérarchisation. » (Valeix, 1999, p. 343)
Cette diversification des objectifs de l’aménagement forestier se traduit aussi par l’émergence de nouvelles approches de gestion. L’aménagement forestier à objectifs multiples (« Multiple use forestry ») vise à étendre les principes d’aménagement à d’autres usages que le bois (Nasi et Frost, 2009). L’approche écosystème (« Ecosystem approach ») propose une gestion intégrée de multiples ressources à l’échelle du paysage qui favorise la conservation et l’utilisation durable (Sayer et Maginnis, 2005).
Quelles relations entre humains et écosystèmes forestiers ?
Dans cette thèse, le terme « gestion des forêts » sera utilisé comme une expression générique pour mentionner les relations à organiser entre les humains et les écosystèmes forestiers. Ces relations se déclinent en différents modes de gestion selon les conceptions de la forêt. Trois grands modes de gestion – qui ne s’excluent pas forcément les uns les autres– sont présentés dans ce paragraphe : la gestion au sens des forestiers, la gestion au sens de l’école des biens communs et la gestion au sens des conservationnistes.
Les sciences forestières proposent des méthodes pour organiser une certaine relation entre les humains et les écosystèmes forestiers dans laquelle les Hommes gèrent l’écosystème pour qu’il fournisse des «choses» utiles.
« Quoi qu’il en soit, on retiendra donc d’abord que la forêt française comme celle de nos voisins européens et comme la quasi‐totalité des espaces boisés de la planète, est un espace – et une ressource – qui doit être aménagé par l’homme. La forêt doit, comme on dit, être gérée ». (Buttoud, 2003, p. 12)
En sciences forestières, la notion de gestion des forêts est étroitement associée à celle d’aménagement forestier. Avec les nouveaux rôles assignés aux forêts, les objectifs ont évolué et s’étendent au‐delà de la production de bois. Mais « la planification spatiale et temporelle des opérations d’aménagement et d’exploitation » (Bertrand et al., 1999b) reste le fondement des préconisations des sciences forestières pour organiser la gestion des forêts. Implicitement, la notion de gestion des forêts est affectée d’une certaine valeur. Elle évoque la « bonne gestion », comme si l’adjectif durable était indissociable du terme gestion.
L’adaptation : changer pour survivre
L’adaptation apparaît dans les approches vulnérabilité et résilience présentées ci‐dessus. Ce concept est notamment utilisé pour décrire le changement autour des questions d’adaptation au changement climatique. Tout comme la vulnérabilité, l’adaptation permet d’analyser le changement dans les relations entre le système et la perturbation. Mais, contrairement à la vulnérabilité, elle fait référence à un moteur du changement dans une dynamique positive.
Le terme adaptation, tel qu’il est mobilisé dans ces domaines, trouve ses origines dans les sciences naturelles et les théories de l’évolution. Dans ces disciplines, l’adaptation réfère au «développement de caractéristiques génétiques ou comportementales qui permettent aux organismes de faire face aux changements de l’environnement dans le but de survivre et se reproduire» (Smit et Wandel, 2006, p. 283). L’adaptation peut être attribuée à un organisme, une population ou un écosystème. Le changement de l’environnement est posé comme une contrainte à laquelle les systèmes les mieux adaptés survivront. Les moteurs du changement sont la mutation et la sélection naturelle (UPR Green, 2010b).
Dans les approches visant à comprendre comment les systèmes socio‐écologiques réagissent face aux changements (Résilience et Vulnérabilité des SES), le concept est sollicité à travers la notion de capacité d’adaptation (“adaptability”) pour décrire la capacité du système à répondre au changement. Cette notion est plutôt utilisée pour comprendre pourquoi le système change (ou peut changer) que le changement en soi.
Les relations entre résilience et capacité d’adaptation sont très étroites dans l’approche Résilience, mais elles recouvrent une diversité de points de vue (Gallopín, 2006). La capacité d’adaptation est définit comme: “the capacity of people in a social‐ecological systems to build resilience through collective action” (Folke, 2006, p. 262).
Elle est plus souvent considérée comme un attribut du système social. Walker et al. (2004) justifient ceci par le fait que les dynamiques des SES sont dominées par les actions humaines. Les conditions qui favorisent les capacités d’adaptation par le système social sont la capacité d’apprentissage, la diversité des institutions ou la combinaison de plusieurs systèmes de connaissance (Folke et al., 2002). La capacité d’adaptation permet au SES de «continuer à se développer dans le même bassin d’attraction» (Folke et al., 2010). Dans les cadres d’analyse de la vulnérabilité, la capacité d’adaptation est considérée comme l’une des composantes de la vulnérabilité du système (Turner II et al., 2003, Adger, 2006, Gallopín, 2006).
L’adaptation, manifestation de la capacité d’adaptation, est considérée comme un changement du système pour répondre à une perturbation ou un ajustement pour réduire la vulnérabilité à une perturbation (Smit et Wandel, 2006). Le changement associé à l’adaptation est donc positif puisque celui‐ci fait contrepoids à la vulnérabilité du système. Smit et Wandel (2006) soulignent aussi que l’adaptation peut être anticipée ou réactive. Par ailleurs, même si la sensibilité peut être déterminée par des conditions sociales ou écologiques du système, la capacité d’adaptation est quant à elle déterminée par des forces d’origine sociale, culturelle ou politique telles que la capacité de gestion, l’accès aux ressources financières ou technologiques, l’accès à l’information etc.
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Table des matières
Introduction générale
Partie 1 : Modéliser la gestion des écosystèmes forestiers
Chapitre I. La forêt : vers de nouvelles définitions de l’objet géré et étudié
Section 1. De la forêt‐bois à gestion unique à la forêt multi‐usage à gestions multiples
Section 2. De multiples points de vue scientifiques convoqués dans les débats
Section 3. Vers un cadre générique intégrateur: le système socio‐écologique
Chapitre II. L’état de la forêt : vers de nouvelles approches du changement
Section 1. Le changement du système vers l’équilibre
Section 2. Le changement du système en réponse aux changements de son environnement
Section 3. Le changement du système par choix des acteurs
Chapitre III. Modéliser les systèmes de gestion des écosystèmes de forêt sèche pour
l’étude des transferts de gestion à Madagascar et au Niger
Section 1. Définition du système socio‐écologique dans la thèse
Section 2. Etudier le changement des fonctions du système socio‐écologique
Partie 2 : Des transferts de gestion pour réduire la vulnérabilité des systèmes socioécologiques de forêts sèches
Chapitre IV. L’émergence des transferts de gestion à Madagascar et au Niger
Section 1. Le contexte international
Section 2. Des politiques forestières nationales marquées par les politiques coloniales
Section 3. Des débats et stratégies semblables dans des contextes différents
Chapitre V. Proposition d’un cadre d’analyse des transferts de gestion forestière : une réponse à un diagnostic de vulnérabilité d’un SES
Section 1. Analyser les transferts de gestion comme réponse à un diagnostic de vulnérabilité
Section 2. Les systèmes socio‐écologiques définis dans les deux cas d’étude
Section 3. Effets des transferts de gestion sur la vulnérabilité des systèmes socio‐
écologiques cibles
Partie 3 : Les effets des transferts de gestion sur les SES globaux
Chapitre VI. Les fonctions comme unités d’expositions aux aléas au sein d’un même SES
Section 1. Fonctions identifiées et méthodes d’analyse de leur changement
Section 2. Evolution de l’expression des fonctions au sein des SES
Section 3. Analyser la vulnérabilité différentielle par une description qualitative du changement de chaque fonction
Chapitre VII. Les interactions entre fonctions, sources de changement
Section 1. Le SES de Ñinpelima : un cas d’étude pour analyser les interactions entre fonctions
Section 2. Le SES d’Ambatoloaka : mise en évidence d’autres dynamiques des
interactions
Section 3. Tendances générales des interactions entre fonctions
Partie 4 : Discussion générale
Chapitre VIII. Discussions méthodologiques
Section 1. Délimiter l’objet d’étude et choisir des unités d’analyse pour étudier le changement
Section 2. Changement du système : Adaptation vs Transformation ?
Section 3. Comprendre les choix de gestion et les améliorer avec l’approche vulnérabilité
Chapitre IX. Implications de l’étude pour les transferts de gestion
Section 1. L’intérêt des usages et de la gestion locale pour s’ajuster aux changements
Section 2. Questions soulevées par l’homogénéisation des fonctions
Section 3. Diversifier les fonctions prises en compte par les transferts de gestion ?
Conclusion générale
Bibliographie
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