Contexte industriel : congélation des terrains de la mine de Cigar Lake
Contexte géologique et hydrogéologique
Les gisements associés aux mines de McArthur River et de Cigar Lake sont stratégiques en raison de leur richesse exceptionnelle : la teneur moyenne en U3O8 y est 100 fois supérieure à la teneur moyenne mondiale des gisements d’uranium. Ce sont les deux plus grands gisements d’uranium à haute teneur du monde, avec des teneurs moyennes respectives de 15 % et 18 % (à Cigar Lake, il a même été observé sur un forage une teneur de 82 % en U3O8 sur un intervalle de 0,5 m).
Ils sont tous deux situés dans le bassin de l’Athabasca, au nord de la province du Saskatchewan, au Canada. Le contexte géologique, favorable à la minéralisation, est identique dans les deux mines et dans les autres gisements d’uranium de la région (comme ceux de Key Lake, McClean Lake, ou Collins Bay). Les zones minéralisées sont majoritairement associées à la discordance entre le bassin sédimentaire (constitué principalement de grès et de conglomérats, fortement altérés près de la discordance) et le socle (composé de roches métamorphisées de type gneiss, légèrement altérées près de la discordance), au niveau de systèmes de failles (figure I.1) [Jefferson et al., 2007]. Ces gisements sont ainsi dits « de type discordance ». Il est généralement admis qu’ils se sont formés par le biais d’une réaction d’oxydo-réduction lors de l’entrée en contact de fluides oxydants et réducteurs circulant en direction opposées. Ils présentent de grandes similitudes structurales, minéralogiques, géochimiques et géomécaniques. Le gîte de Cigar Lake a la forme d’une lentille horizontale orientée est-ouest, suivant la topographie de la discordance (figure I.2). Il mesure approximativement 1950 m de long, entre 20 et 100 m de large et son épaisseur moyenne est de 5,4 m (jusqu’à 13,5 m à certains endroits). Sa profondeur varie entre 410 et 450 m. Quelques petites zones minéralisées, dites « perchées », suivent les fractures dans les grès supérieurs et dans les roches inférieures du socle. La minéralisation correspond majoritairement à de la pechblende.
Le dépôt est entouré d’un halo de forte altération, affectant tant les terrains supérieurs que les terrains inférieurs, caractérisé par un développement important de matériaux argileux, chloritiques et graphitiques, faiblement résistant. Ainsi, une couche d’argile de quelques mètres d’épaisseur est présente immédiatement au dessus du gisement. Encore au-dessus et jusqu’à la couverture (d’épaisseur très limitée, de l’ordre du décamètre), se trouvent des grès, de moins en moins altérés en remontant vers la surface, les taux d’altération et de fracturation des roches immédiatement au contact de la couche d’argile étant extrêmement élevés. Dans ces grès, le halo d’altération atteint jusqu’à 300 m de large et de hauteur. Sous la discordance, le socle est composé de roches métamorphiques, la partie située directement sous le gisement étant elle aussi altérée et fracturée, avec des zones argileuses. Dans le socle, le halo ne descend pas à plus de 100 m en dessous du gisement. D’un point de vue hydrogéologique, la surface de la nappe est située à quelques mètres sous la surface, de sorte que l’on peut considérer que toutes les formations géologiques présentées au-dessus sont saturées. La pression hydrostatique au niveau de la discordance est donc d’environ 4 MPa. le gisement et les grès sont intensément fracturés. Les fractures sont majoritairement subverticales, remplies d’argiles et/ou de sable (mais certaines sont ouvertes) et associées à des grès de dissolution. La conductivité hydraulique des terrains est largement contrôlée par les fractures qui agissent comme des conduites. De manière générale, on observe peu d’écoulements dans le socle, bien que des débits assez élevés puissent être rencontrés au niveau de certaines zones de terrain de mauvaise qualité.
Congélation en masse des terrains
En résumé, les gisements d’uranium du bassin de l’Athabasca et notamment ceux de Cigar Lake et de McArthur River, ont en commun :
— la présence de grands volumes d’eau sous pression, le bassin sédimentaire formant un aquifère et la discordance étant située à environ 500 m de profondeur
— la faible résistance mécanique de la zone minéralisée et des terrains encaissants, très altérés et fracturés. Ces caractéristiques communes représentent pour les opérations minières des risques importants devant être gérés, d’autant plus à Cigar Lake de par l’intensité de l’altération hydrothermale et de la fracturation des terrains. La technique de la congélation artificielle des terrains, au préalable de leur exploitation, a été jugée la plus appropriée, notamment par rapport au pompage et/ou la cimentation (qui peuvent être malgré cela utilisés en tant que techniques d’appoint ponctuelles). La congélation permet en effet à la fois de rendre les terrains imperméables pour prévenir les venues d’eau dans les ouvrages souterrains et de stabiliser et consolider ces mêmes terrains. La technique de la congélation artificielle des terrains a été utilisée pour la première fois dans les années 1860 pour le fonçage de puits dans des mines de charbon du Pays de Galles [Schmall et Maishman, 2007]. Elle est aujourd’hui employée régulièrement dans les domaines du génie civil (excavation de tunnels, stabilisation de sols pour des fondations), du génie minier (fonçage de puits essentiellement) et de l’environnement (confinement de pollution) [Andersland et Ladanyi, 2004]. Ces applications tirent profit d’une ou plusieurs caractéristiques des sols gelés : forte résistance en compression, excellente capacité portante et faible perméabilité. La glace contenue dans les pores lie en effet les particules minérales les unes aux autres, comme le ciment dans le béton. Pour établir et maintenir un volume de terrain gelé, une énergie continue est requise. Le refroidissement est assuré par la circulation d’un fluide froid dans un réseau de tuyaux mis en place dans le sol. Des réfrigérants souvent utilisés sont les saumures de chlorure de calcium ou de sodium. Dans quelques cas, de l’azote liquide est préféré, son pouvoir de refroidissement étant très élevé. Dans le cas le plus fréquent des réfrigérants de type secondaire circulant en continu comme les saumures , les étapes d’extraction de la chaleur sont les suivantes : 1) la chaleur est transportée dans le terrain vers les tuyaux de congélation (par transferts conductifs et convectifs), 2) la chaleur est transportée par le liquide frigorifique dans le tuyau jusqu’à l’usine de congélation, 3) le liquide frigorifique est refroidi à l’usine dans le circuit primaire, 4) le liquide frigorifique est réinjecté dans les tuyaux de congélation. La stratégie adoptée à Cigar Lake est de congeler en masse la zone du gisement et les terrains qui l’entourent (les grès aquifères faiblement résistants au-dessus ainsi qu’une épaisseur suffisamment large en-dessous et sur les côtés), avant et pendant l’exploitation des zones minéralisées. La technique a également été adoptée ponctuellement pour le fonçage d’un puits, situé trop proche d’une zone fracturée.
La congélation des milieux poreux
Le comportement des milieux poreux soumis à des températures négatives peut être surprenant. Il a par exemple été observé que des pâtes de ciment peuvent se dilater lorsque l’eau interstitielle est remplacée par du benzène qui, contrairement à l’eau, se contracte en se solidifiant [Beaudoin et MacInnis, 1974]. A l’inverse, des matériaux poreux saturés d’eau peuvent se contracter si des vides d’air sont présents dans les pores [Piltner et Monteiro, 2000]. Ces expériences montrent que le comportement mécanique d’un milieu poreux saturé d’eau soumis à la congélation ne peut pas s’expliquer uniquement par la dilatation volumique de l’eau lors de son changement de phase en glace. De manière générale, lors de la congélation d’un milieu poreux, des processus thermohydro-mécaniques complexes interagissent les uns avec les autres. L’eau confinée dans les pores peut rester sous forme liquide à des températures largement inférieures à 0◦C — de l’eau liquide a par exemple été observée à −80◦C dans certaines argiles [Thimus et Henriet, 1991]. D’après les conditions d’équilibre thermodynamique, sa pression est alors abaissée par rapport à celle de la glace adjacente, et l’eau liquide des zones non gelées est par conséquent attirée vers les zones gelées (phénomène de cryosuccion). A l’inverse, on peut aussi observer l’expulsion de l’eau liquide vers les zones non gelées, qui s’explique par la pression créée dans les pores par la dilatation volumique de l’eau lorsqu’elle se transforme en glace.
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Table des matières
Introduction
I.1 Contexte industriel : congélation des terrains de la mine de Cigar Lake
I.1.1 Contexte géologique et hydrogéologique
I.1.2 Congélation en masse des terrains
I.2 La congélation des milieux poreux
I.3 Objectifs de la thèse
I.4 Organisation du mémoire
1 Présentation substantielle des travaux de thèse
1.1 Introduction
1.2 Phénomène de la congélation dans les milieux poreux
1.2.1 Solidification de l’eau dans un milieu poreux
1.2.2 Principaux phénomènes thermo-hydro-mécaniques associés à la congélation des terrains
1.3 Modèles de congélation des milieux poreux : état de l’art
1.3.1 Solutions analytiques
1.3.2 Principaux types de modèles numériques
1.3.3 Lois de comportement dans les modèles numériques
1.4 Congélation artificielle de terrains soumis à de potentiels écoulements importants
1.4.1 Pourquoi un modèle ?
1.4.2 Coexistence de phases d’un même corps pur
1.4.3 Description du modèle
1.4.4 Utilisation en pratique du modèle
1.5 Optimisation du système de congélation à l’échelle d’un puits
1.5.1 Pourquoi un modèle ?
1.5.2 Description du modèle
1.5.3 Utilisation en pratique du modèle
1.6 Conclusion
2 Modélisation des processus thermo-hydrauliques couplés associés à la congélation des terrains
2.1 Introduction
2.2 Formulation of the thermo-hydraulic model
2.2.1 Balance equations
2.2.2 Constitutive equations
2.2.3 Simplification of the function Sλ
2.3 Model validation
2.3.1 Comparison with analytical solutions
2.3.2 Comparison with experimental data
2.4 Influence of porosity variation on freezing evolution
2.4.1 Definition of a function n(T,pλ)
2.4.2 Influence of the function n(T)
2.5 Representation of processes associated with freezing of a porous medium
2.5.1 Influence of phase change on temperature evolution
2.5.2 Influence of phase change and temperature variation on flowing water
2.5.3 Influence of flowing water on temperature evolution
2.6 Conclusion
3 Modélisation des échanges de chaleur entre un tuyau de congélation et le terrain environnant
3.1 Introduction
3.2 Heat transfer in and around the freeze pipe
3.2.1 Physical model
3.2.2 Heat transfer in the freeze pipe
3.2.3 Heat transfer in the ground surrounding the pipe
3.2.4 Numerical implementation
3.3 1D approach for the heat transfer problem in the ground
3.3.1 Reduction of the 2D axisymmetric problem to a 1D problem
3.3.2 Numerical validation
3.4 Comparison of the model with a conventional approach
3.4.1 Comparison for a continuous injection
3.4.2 Comparison for a non-continuous injection
3.5 Parametric study
3.5.1 Influence of operating conditions
3.5.2 Influence of coolant properties
3.5.3 Influence of the system geometry
3.6 Importance of latent heat
3.7 Conclusion
4 Utilisation couplée des deux modèles : Applications au cas de la mine de
Cigar Lake
4.1 Introduction
4.2 Thermo-hydraulic model of artificial ground freezing
4.2.1 Coupled thermo-hydraulic model of ground freezing
4.2.2 Model of heat transfer between a freeze pipe and the surrounding ground
4.2.3 Problem solving
4.3 Comparison of the model with in situ measurements
4.3.1 Presentation of the Surface Freezing Test
4.3.2 Surface Freezing Test modeling
4.4 Interactions of the thermo-hydraulic processes in the typical configuration of
the Cigar Lake mine
4.4.1 Heterogeneity effects
4.4.2 Fracture effects
4.5 Freezing pipes layout
4.6 Conclusion
Conclusion
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