Modélisation statistique de l’exposition humaine aux ondes radiofréquences

L’exposition induite par une source lointaine

     Quand on parle de sources lointaines, on considère que la source du rayonnement électromagnétique est située à de grandes distances du corps humain. Typiquement une telle source lointaine peut être une station de base de macrocell qui sera localisée à des distances variant de la centaine de mètres à quelques kilomètres du corps humain. La taille caractéristique du corps humain étant faible comparée à ces distances, le rayonnement à l’endroit où se situe la personne peut être localement assimilé à une onde plane, c’est-àdire une onde dont les fronts d’onde sont des plans infinis et perpendiculaires à une même direction de propagation. Pour simuler numériquement ce rayonnement dans la FDTD, on utilise la technique dite de la boîte de Huygens au travers du principe d’équivalence [Merewether et al. 1980, Holland and Williams 1983]. Le principe est tout d’abord d’insérer le modèle anatomique dans une boîte virtuelle ayant approximativement les mêmes dimensions que le domaine FDTD et appelée boîte de Huygens. Ensuite, à l’aide de la description du rayonnement par une onde plane, on calcule les courants équivalents correspondant à cette onde plane tout autour de la boîte de Huygens avec une résolution égale à celle du maillage utilisé. Enfin en utilisant le principe d’équivalence, l’excitation des courants équivalents permet d’évaluer le champ induit par un tel rayonnement dans tout le domaine inclus dans la boite de Huygens. L’exposition humaine aux ondes planes a également fait l’objet de nombreuses études telles que [Hirata et al. 2009, Conil et al. 2011].

Les modèles anatomiques étudiés

     Les modèles anatomiques utilisés dans ces travaux sont deux modèles de femmes enceintes à 26 semaines d’aménorrhée présentés en Figure 2.7. Le premier modèle de femme enceinte à été réalisé grâce à la déformation d’un modèle hétérogène de femme japonaise construit à partir de données IRM [Nagaoka et al. 2007]. Après cette déformation, un modèle de fétus hétérogène a été inséré dans l’abdomen du modèle féminin. Dans la suite de cette analyse, ce modèle sera invariablement appelé femme japonaise enceinte. Le second modèle utilisé dans cette analyse est un modèle développé dans à la fois dans un projet antérieur appelé FEMONUM et dans le projet FETUS [Bibin et al. 2010, Dahdouh et al. 2014]. La réalisation du modèle de fétus est basé sur la segmentation d’images ante-natales. Le modèle de fétus ainsi réalisé est ensuite inséré dans un modèle féminin synthétique et déformable qui est basé sur un modèle féminin homogène appelé Victoria. Ce modèle homogène est seulement muni de tissus basiques tels que la peau, le muscle, la graisse subcutanée et les os ajoutés dans le tissu homogène de manière réaliste. Ce second modèle de femme enceinte sera par la suite invariablement appelé Victoria enceinte. Concernant les propriétés diélectriques des fétus, les valeurs des adultes ont été utilisées. Pour le placenta, le liquide amniotique et le cordon ombilical, nous avons utilisé les données de [Peyman et al. 2011] pour définir leurs propriétés diélectriques. Il est intéressant de noter que le fétus de la femme japonaise enceinte est localisé plus profondément dans l’abdomen que le fétus de Victoria enceinte. Ces deux modèles fournissent donc deux représentations différentes de l’exposition fœtale.

Résultats pour Victoria enceinte

     L’analyse de la précédente section a également été conduite pour le modèle anatomique Victoria enceinte. Les Figures 2.10 et 2.11 présentent les résultats sur le même schéma que les Figures 2.8 et 2.9. La Figure 2.10 présente des valeurs absolues de DAS corps entier significativement supérieures à celles de la Figure 2.8. Ceci peut être dû au fait que pour Victoria enceinte, une grande partie du fœtus (le bas du corps) est située moins profondément dans l’abdomen de Victoria que pour le cas de la femme japonaise enceinte. Ainsi l’épaisseur plus importante de tissu séparant l’air du fœtus de Victoria absorbe une quantité plus importante et la puissance arrivant au fœtus est moindre. Les têtes des deux fœtus sont quant à elles approximativement à la même profondeur, ce qui explique que pour les Figures 2.11 et 2.9, les valeurs absolues soient du même ordre de grandeur. Concernant le DAS corps entier, la Figure 2.10 présente des écarts relatifs qui diminuent avec la distance comme dans le cas de la femme japonaise enceinte (de 40% à 0.6 m à 8% à 2.5 m). Pour le DAS moyenné dans le cerveau du fétus, on observe à nouveau des valeurs d’écart relatif très faibles comparées à celle du corps entier (en dessous de 6%). La même explication que dans le cas précédent peut être avancée. Enfin, de même que précédemment, l’exposition induite par l’approximation équivalente en onde plane surestime l’exposition induite par la description en ondes sphériques. On s’intéresse maintenant à l’exposition locale du fœtus de Victoria pour voir si les expositions convergent avec l’augmentation de la distance. La Figure 2.12 présente la distribution locale de DAS dans le fœtus de Victoria. Cette distribution est représentée pour chaque exposition à toutes les distances étudiées. Les valeurs de DAS sont exprimés en 10−3 W/kg et l’échelle de DAS est la même pour les deux expositions à chaque distance. La Figure 2.12 nous montre que les zones d’absorption principales sont les mêmes pour la description en ondes sphériques et pour l’onde plane. Elles sont localisées sur la main droite du fétus, sur la jambe droite et sur le cordon ombilical. Néanmoins, les niveaux de DAS peuvent être assez disparates et les valeurs maximales de DAS ne sont pas localisées au même endroit en fonction de la distance. En effet, pour l’exposition induite par l’onde plane, la jambe est la zone la plus exposée alors que dans le cas de la description en ondes sphériques, à 1 m et à 1.5 m, la zone la plus exposée est le cordon ombilical. Cet ordre d’intensité de DAS semble s’inverser à 2.5 m et se rapprocher de l’exposition de l’onde plane équivalente. Des simulations additionnelles montrent que pour des distances supérieures, les deux expositions deviennent identiques. A partir de 2.5 m, l’onde plane semble être une bonne approximation de l’exposition induite par une station de base de femtocell si l’on se fie à sa description en ondes sphériques.

Etat de l’art sur l’analyse statistique de l’exposition

     Si les progrès en terme de capacité de calcul ont été très significatifs dans le domaine de la dosimétrie numérique ces dernières années, le calcul numérique du DAS induit dans des modèles anatomiques reste une procédure couteuse en temps de calcul comme expliqué dans la Section 2.2. Ceci ajouté aux facteurs de variabilité de plus en plus nombreux dus à la diversification des usages et des technologies et à la variabilité humaine (morphologie, posture etc.) comme illustré en Figure 3.1, le management de l’incertitude en dosimétrie devient un vrai challenge. En effet, les temps de simulation pouvant être de l’ordre de plusieurs heures, l’incertitude du DAS due aux paramètres d’entrée ne peut être étudiée via une approche classique telle que les simulations de Monte Carlo. Des méthodes avancées de propagation d’incertitude ont donc été proposées pour répondre à ce défi de la variabilité. Dans nos problèmes où la durée de simulation est longue et où les paramètres spatiaux sont très divers, les approches qui se sont montrées efficaces dans le traitement de l’incertitude sont les approches dites non-intrusives. Par opposition aux méthodes intrusives qui modifient les équations du code de calcul du simulateur numérique (exemple : la FDTD) pour prendre en compte l’incertitude des paramètres d’entrée, l’objectif de telles méthodes est de considérer le modèle FDTD comme une boîte noire et de construire un méta-modèle approchant le comportement de cette boîte noire à partir d’un nombre limité d’observations de la sortie. En 2008, Silly-Carrete présente dans ces travaux de thèse [Silly-Carette 2008] l’application d’une méthode de projection spectrale pour l’étude de la propagation de paramètres d’entrée incertains tels que l’orientation d’une onde plane ou la variabilité des propriétés diélectriques à travers le modèle physique de la FDTD. La méthode utilisée pour la propagation d’incertitude se base sur la décomposition des champs électriques et magnétiques sur une base de polynômes orthogonaux multivariés fonctions des paramètres d’entrée. Cette méthode est appelée développement par chaos polynomial. Dans ces travaux, le calcul des coefficients des polynômes dans cette base se fait par projection sur les sous-espaces engendrés par les polynômes. Dans la résolution d’un problème de projection se basant sur le calcul intégral, des quadratures Gaussiennes sont utilisées pour le calcul des intégrales de projection. Cette approche, si elle permet d’évaluer avec précision la valeur des coefficients de la base polynomiale, présente l’inconvénient de voir le nombre de points de calcul nécessaire à l’estimation de l’intégrale exploser avec le nombre et le degré des polynômes de base (même dans le cas d’utilisation de quadratures creuses) . Bien qu’élégante, la mise en œuvre de cette approche est très difficile dans notre cas à cause du budget de calcul conséquent qui nécessiterait des temps de calcul irréalistes. Si la méthode de résolution ne convenait pas à nos cas d’application, l’approche du développement par chaos polynomial a été reprise en 2012 par Ghanmi [Ghanmi 2012] avec une méthode de résolution différente. En effet, plutôt que de s’orienter vers une approche de projection, ces travaux considèrent la décomposition sur la base polynomiale comme un problème de régression. Les coefficients sont alors estimés par une méthode des moindres carrés. Ces travaux abordent également la question d’ensembles creux de polynômes conservant les polynômes de bases les plus influents sur la sortie dans le but de réduire le coût de calcul. Cette approche, bien que nécessitant une planification d’expériences itérative gouvernée par la qualité du méta-modèle généré, présente l’avantage, via une troncature creuse, de requérir un budget de simulation moins important que la projection. Cette méthodologie est appliquée à l’exposition d’une tête humaine et des parties génitales d’un modèle d’enfant à un téléphone mobile ayant plusieurs degrés de liberté spatiaux. Avec une approche différente, les travaux de thèse de Habachi [EL Habachi 2011] se consacrent à l’étude de l’influence de la variabilité de la morphologie humaine sur l’exposition corps-entier induite par une onde plane dans des modèles anatomiques déformés. En particulier, la thèse s’attache au problème de l’estimation du quantile à 95% de la distribution de sortie du DAS fonction des paramètres morphologiques d’entrée. Cette estimation de quantile repose ici sur une stratégie de planification d’expériences séquentielle basée sur l’inférence bayésienne d’un modèle paramétrique permettant de raffiner la région du quantile. Dans cette même optique d’estimation de quantile, Jala développe dans ses travaux [Jala 2013] des méthodologies de planification séquentielle d’expériences orientées vers l’estimation de quantiles des distributions de sortie basées sur la modélisation par processus Gaussiens (également connue sous le nom de Krigeage dans un cadre plus général). Ces méthodologies sont appliquées à l’évaluation de l’exposition de modèles de fœtus. Enfin, plus récemment, Jawad [Jawad 2014] utilise le Krigeage pour caractériser l’exposition électromagnétique du corps humain et associe le modèle réduit obtenu à un modèle de canal de propagation stochastique. Dans mes travaux développés dans ce rapport de thèse, j’ai également utilisé des approches non intrusives pour traiter le problème de la propagation de l’incertitude des paramètres d’entrée à travers le modèle physique de la FDTD. Les approches utilisées reprennent celles développées dans [Ghanmi 2012] et [Jala 2013]. Mais tout d’abord, avant d’étudier plus en détail la façon dont on propage l’incertitude à l’aide de ces méthodes, il convient de présenter la modélisation de l’espace incertain des paramètres d’entrée ainsi que les différents traitements statistiques envisagés pour la variable de sortie. La suite de ce chapitre est donc consacrée à la modélisation statistique de l’espace d’entrée et à l’analyse statistique de la sortie.

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Table des matières

1 Introduction générale 
2 L’exposition humaine 
2.1 L’évaluation de l’exposition
2.2 La dosimétrie numérique
2.3 Les modèles de corps humains 
2.4 La modélisation des différentes sources d’exposition 
2.4.1 L’exposition induite par une source proche
2.4.2 L’exposition induite par une source lointaine
2.4.3 L’exposition induite par une source intermédiaire
2.5 Analyse comparative des expositions fœtales induites par des sources intermédiaires et des sources lointaines
2.5.1 Les modèles anatomiques étudiés
2.5.2 Comparaison de l’exposition à une onde plane avec celle de la description en ondes sphériques
2.5.3 Résultats de la femme japonaise enceinte
2.5.4 Résultats pour Victoria enceinte
2.6 Conclusion 
3 L’analyse statistique et son application à la problématique de l’exposition
3.1 Etat de l’art sur l’analyse statistique de l’exposition 
3.2 Modélisation statistique de l’espace d’entrée
3.2.1 Espace probabiliste
3.2.2 Paramètres d’entrée spatiaux
3.2.3 Paramètres d’entrée morphologiques
3.2.4 Transformée isoprobabiliste
3.3 Etude statistique de la sortie du modèle physique
3.3.1 Les moments statistiques
3.3.2 Etude des quantiles de sortie
3.3.3 Analyse de sensibilité globale de paramètres indépendants
3.3.4 Analyse de sensibilité globale de paramètres dépendants
3.4 Conclusion 
4 Analyse statistique par méta-modèle 
4.1 Le chaos polynomial 
4.1.1 Historique
4.1.2 La théorie du chaos polynomial
4.1.3 Les troncatures pleine et hyperbolique
4.1.4 La troncature LARS
4.1.5 Sélection et validation de modèle
4.1.6 Analyse de sensibilité et analyse de signature
4.1.7 Planification d’expériences
4.1.8 Exemple d’application : exposition d’un modèle d’enfant à une station de base de femtocell
4.1.9 Exemple d’application : exposition en zone urbaine : calcul du champ réfléchi par un immeuble à géométrie variable
4.2 Le Krigeage universel
4.2.1 Un bref historique
4.2.2 La formulation du Krigeage universel
4.2.3 Les fonctions d’autocorrélation
4.2.4 Le meilleur prédicteur linéaire sans biais (BLUP)
4.3 Hybridation du chaos polynomial et du Krigeage universel 
4.3.1 Exemple d’application analytique : la fonction d’Ishigami
4.3.2 Exemple d’application analytique : la fonction de Borehole
4.3.3 Exemple d’application analytique : la fonction de Sobol
4.3.4 Application à l’exposition d’un foetus à un système femtocell
4.3.5 Application à l’étude de l’influence de l’incertitude morphologique
4.4 Conclusion 
5 Planification d’expérience adaptative pour l’estimation du quantile à 95% de la distribution de sortie 
5.1 La méthode BOAS (Bootstrapped Oriented Adaptive Sampling ) 
5.1.1 La théorie du bootstrap et les intervalles de confiance
5.1.2 Stratégie adaptative de planification d’expériences
5.1.3 Critères d’arrêt et estimateurs de précision
5.1.4 Exemple analytique : la fonction d’Ishigami
5.1.5 Exemple analytique : la fonction de Borehole
5.1.6 Exemple analytique : la fonction de Sobol
5.1.7 Exemple d’application : exposition d’un modèle d’enfant à une station de base de femtocell
5.2 Comparaison de performances avec la méthode GPS (Gaussian Process Shrunk ) 
5.2.1 La méthode GPS
5.2.2 Comparaison de performances avec la fonction d’Ishigami
5.2.3 Comparaison de performances avec la fonction de Borehole
5.3 Conclusion
6 Conclusion générale et perspectives 
Références
Publications personnelles

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