Besoin de suivi et d’amélioration des performances énergétiques à l’échelle du quartier
Les enjeux liés à l’énergie et au bâtiment
La réduction des consommations d’énergie est aujourd’hui un enjeu majeur de notre société. Depuis le début de la période industrielle les consommations d’énergie mondiales ont augmenté de manière exponentielle ((IEA) 2018). Ces augmentations sont à l’origine de nombreuses externalités, dont notamment les émissions de gaz à effet de serre, responsables d’un réchauffement global de la terre (IPCC AR5 2014). Les conséquences de ce changement climatique sont multiples et affectent les systèmes physiques, biologiques et humains (IPCC AR5 2014). Il apparait ainsi indispensable et urgent de réduire les émissions anthropiques de CO2. Pour limiter le réchauffement climatique à 2 °C par rapport à l’ère préindustrielle, il est nécessaire de diviser les émissions de CO2 mondiales par 2 d’ici 2030 et par 3 d’ici 2040, pour finalement atteindre un flux d’émissions net, nul en 2050 (IPCC, 2018). Le secteur du bâtiment, qui inclut le résidentiel et le tertiaire, est responsable d’environ 30 % de la consommation mondiale d’énergie finale et 40 % de la consommation Français (International Energy Agency 2020). Enfin, ce secteur du résidentiel et tertiaire représente en Europe et en France, respectivement 12 % et 16 % des émissions de gaz à effet de serre (Baude et al. 2018).
Les actions possibles dans le secteur du bâtiment
Dans le but de baisser les consommations d’énergie et les impacts environnementaux du secteur résidentiel et tertiaire, de nombreuses actions sont possibles à l’échelle du bâtiment : rénovation, flexibilité, sobriété.
Rénovation
Une première action est la rénovation thermique des bâtiments. Près de 80 % des bâtiments résidentiels existants en Europe ont été construits avant 1990 construction (iNSPiRe Project 2014) et consomment environ 90 % de l’énergie finale de ce secteur (The Shift Project 2017a). De même, le parc de bâtiments tertiaires en Europe est majoritairement ancien ; environ 60 % des bâtiments tertiaires ont été construits avant 1980 (The Shift Project 2017b).
Dans le domaine résidentiel, plus de 60 % de l’énergie consommée en Europe est utilisée pour le chauffage (ODYSSEE-MURE 2015). D’après (The Shift Project 2017a), il serait possible par la rénovation, de réduire les émissions de CO2 issues du stock de bâtiments construits avant 1990, de 50 % à 80 % selon les pays de l’Union Européenne. Ces estimations sont basées sur les résultats des projets de recherche européens : (IEE Project 2016). Malgré ces potentiels, il existe de nombreux obstacles qui ralentissent fortement le processus de rénovation. Entre autres, les rénovations nécessitent des investissements initiaux importants avec des temps de retour sur investissement longs. Ainsi, des aides financières adaptées et un accompagnement des ménages sont nécessaires (The Shift Project 2017a).
Flexibilité
Un autre type d’action possible consiste à réaliser de la flexibilité électrique. Les besoins électriques des pays varient selon les moments de la journée et les périodes de l’année. Le système électrique fonctionne en adaptant à chaque instant la production à la demande. En France, RTE (Réseau de transport d’électricité), gestionnaire du réseau de transport de l’électricité, est responsable d’assurer cet équilibre. Selon les besoins, différents moyens de production sont appelés; les premiers appelés sont ceux dont le coût marginal est le plus faible. Ainsi, les couts de production de l’électricité et les externalités associées à cette production varient à chaque instant. Par exemple, en hiver les périodes de grand froid engendrent des pics de demande qui nécessitent la mise en route de capacités de pointe, telles que les centrales à gaz, fortement émettrices de CO2. Aussi le développement des énergies renouvelables (éolien et solaire) augmente les besoins de flexibilité. Ces sources d’énergie ont un coût marginal nul et sont donc appelées en premier sur le réseau. La variabilité de ces nouvelles sources de production a tendance à faire baisser les taux de charge (taux d’utilisation) des sources modulables existantes, et en conséquence augmente les coûts de production globaux. Ainsi, dans chacun des scénarios prévisionnels de RTE sur l’approvisionnement en électricité de la France, une augmentation des besoins en flexibilité est envisagée pour répondre aux nouvelles sources de production et aux nouveaux usages électriques .
Sobriété
Enfin un dernier levier d’action dans le bâtiment est la sobriété. La sobriété consiste à changer ses habitudes de vie pour moins consommer d’énergie et éviter les externalités associées. Il apparaît de plus en plus certain que l’efficacité énergétique et l’utilisation d’énergie propre ne suffiront pas à répondre aux enjeux liés aux consommations d’énergie et au changement climatique. L’énergie économisée dans de nombreux secteurs par l’amélioration de l’efficacité énergétique est en partie réutilisée pour produire davantage de biens et services, c’est l’effet rebond. La sobriété implique donc une prise de conscience globale des problèmes énergétiques. Dans le scénario énergétique NégaWatt, la sobriété pourrait permettre de réduire les consommations d’énergie finale en France d’environ 30 % (NégaWatt 2017a). Dans le domaine du bâtiment, la sobriété passe d’abord par une limitation des températures de consigne de chauffage, ainsi qu’une maîtrise des surfaces bâties et une modération du nombre d’équipements électriques et de l’éclairage (NégaWatt 2017b).
Le quartier : une nouvelle échelle d’étude des actions de performance énergétique
Le quartier est aujourd’hui une échelle de plus en plus privilégiée des collectivités pour leur politique de transition énergétique. De nombreux projets sont menés à cette échelle, tels que le projet Cordees (CoResponsability in District Energy Efficiency and Sustainability) utilisée comme cas d’étude dans cette thèse. Ce projet avait pour but d’améliorer les performances énergétiques du nouveau quartier de Clichy-Batignolles à Paris, en impliquant l’ensemble des acteurs du quartier : maître d’ouvrage, locataires, bailleurs, exploitants. Des campagnes de sensibilisation à destination des habitants, des écoles, et des travailleurs ont été mises en place, un audit des réseaux de chaleur a été réalisé, un important travail a été mené pour mesurer et centraliser des données d’exploitation du quartier : données de sous-stations, données Linky, données de mesure des températures intérieures.
Plus généralement l’échelle du quartier ouvre de nouveaux leviers d’action pour la réduction des consommations d’énergie et des émissions de CO2 :
♦ Sur un groupe de bâtiments, les bâtiments prioritaires et les actions de rénovation les plus pertinentes, peuvent être identifiées.
♦ Des systèmes de chauffage et climatisation mutualisés peuvent être utilisés. Des réseaux de chaleur peuvent être installés, étendus et optimisés.
♦ Des capacités d’effacement électrique conséquentes, pourraient être mises en place, et à terme être valorisées sur le marché de l’électricité.
♦ Dans le cas où les bâtiments sont reliés à un réseau de chaleur alimenté par plusieurs systèmes de production, des actions d’effacement thermique peuvent favoriser l’utilisation d’une source d’énergie moins polluante.
♦ Des actions de rénovation ou sensibilisation, peuvent être menées de manière commune sur des bâtiments proches géographiquement et architecturalement, dans le but de réaliser des économies d’échelle (mutualisation des moyens).
♦ Enfin, de plus en plus de projets de construction sont réalisés à l’échelle du quartier, on parle souvent d’éco-quartiers. Il apparaît pertinent de pouvoir suivre les performances de ces quartiers qui très souvent diffèrent fortement des objectifs.
Ainsi un quartier d’étude peut être délimité de diverses manières :
● Les bâtiments partagent un système énergétique en commun relié par un réseau de chaleur. Dans ce cas, les performances du réseau sont influencées par chacune des sous-stations alimentant les différents bâtiments.
● Les bâtiments sont regroupés géographiquement en un ilot, qui présente des contraintes en alimentation électrique.
● Les bâtiments appartiennent à un quartier neuf, construit par un aménageur commun.
● Les bâtiments appartiennent à un même acteur. Cela peut être le cas pour un groupe de bâtiments universitaires ou des logements sociaux.
● Les bâtiments appartiennent à un quartier délimité par le tissu urbain. Il est possible d’imaginer que n’importe quel quartier présentant une cohérence urbaine (architecture, usages, années de construction), puisse être considéré pour la mise en place d’actions de performance énergétique mutualisée.
Un modèle pour le suivi et l’amélioration des performances énergétiques à l’échelle du quartier
Selon le contexte présenté ci-dessus, il semble pertinent de disposer de modèles de quartier capables d’étudier des scénarios de performance énergétique visant la baisse des consommations d’énergie et des émissions de CO2, et de rendre possible la mise en place d’un suivi des performances énergétiques du quartier. Le suivi de performances est aujourd’hui principalement cadré par l’IPMVP (International Performance Measurement and Verification Protocol)(EVO 2010) : un protocole qui intègre différentes méthodes de mesure et vérification d’actions d’économie d’énergie, et met en avant les questions à se poser pour obtenir des mesures significatives. La démarche IPMVP est principalement composée de deux phases: la période de référence et la période de suivi. Sur la période de suivi, une courbe de référence ajustée doit être estimée ; cette courbe représente ce qu’on s’attendrait à observer si le système étudié était resté identique à ce qu’il était lors de la période de référence. Si aucune action spécifique n’a été réalisée entre la période de référence et la période de suivi, la comparaison entre la courbe de référence ajustée et la courbe de suivi peut permettre d’identifier des dérives de consommation. Si des actions de performance énergétique ont été entreprises entre la période de référence et la période de suivi, la comparaison permet d’évaluer les gains obtenus grâce à ces actions.
Ainsi cette thèse vise à développer une méthode de modélisation pour le suivi et l’amélioration des performances énergétiques d’un quartier . Dans une première phase, un modèle de quartier est paramétré et calibré sur une période de référence. Ce modèle calibré peut être utilisé pour étudier différents scénarios de performance énergétique (rénovation, flexibilité, sobriété). Ensuite le modèle doit permettre de simuler une consommation de référence ajustée, pour évaluer des actions de performance énergétique mises en place, ou identifier des dérives de consommation (modifications des comportements, des systèmes de régulation ou de la structure des bâtiments). Des retours d’expérience pourront aiguiller la mise en place de nouvelles actions sur le même site ou sur d’autres cas d’étude, une plus grande confiance pourra être accordée à l’efficacité des actions, et à terme, des contrats de performance pourraient être mis en place.
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Table des matières
INTRODUCTION
Chapitre 1 : Contexte, enjeux et objectifs
1.1 Besoin de suivi et d’amélioration des performances énergétiques à l’échelle du quartier
1.1.1 Les enjeux liés à l’énergie et au bâtiment
1.1.2 Les actions possibles dans le secteur du bâtiment
1.1.2.1 Rénovation
1.1.2.2 Flexibilité
1.1.2.3 Sobriété
1.1.3 Le quartier : une nouvelle échelle d’étude des actions de performance énergétique
1.1.4 Un modèle pour le suivi et l’amélioration des performances énergétiques à l’échelle du quartier
1.2 Données et sources d’informations disponibles à l’échelle du quartier
1.2.1 Les données d’exploitation
1.2.2 Les données de description du quartier
1.3 Choix de l’approche de modélisation
1.3.1 Modélisation bottom-up ou top-down ?
1.3.2 Modèles de signature énergétique
1.3.3 Modèles de simulation thermique dynamique (STD)
1.3.4 Modèles dynamiques simplifiés (RC)
1.3.5 Les principaux logiciels de simulation dynamique simplifiée à l’échelle du quartier
1.4 Problématique de la thèse
Chapitre 2 : Calibration par méthode Bayésienne
2.1 Introduction
2.2 L’approche bayésienne
2.3 Choix des probabilités a priori
2.4 Réduction du nombre de paramètres calibrés
2.5 Inférence bayésienne
2.5.1 Choix de la fonction de vraisemblance
2.5.1.1 Hypothèse des erreurs indépendantes et identiquement distribuées (i.i.d)
2.5.1.2 Prise en compte des corrélations entre les erreurs et les entrées observables
2.5.1.3 Proposition d’une formulation statistique originale pour la prise en compte des corrélations temporelles
2.5.1.4 L’hypothèse du filtre de Kalman
2.5.2 Calcul de la probabilité a posteriori
2.5.3 Les moteurs d’inférence markoviens
2.5.3.1 Métropolis-Hastings (MH)
2.5.3.2 «Slice sampling»
2.5.3.3 Méthodes Hamiltoniennes
2.6 Vérification de la convergence
2.7 Calcul de la prédiction a posteriori
2.8 Utilisation d’un métamodèle
2.9 Conclusion
Chapitre 3 : Sélection d’un modèle simplifié de type « RC »
3.1 Introduction
3.2 Les méthodes d’évaluation d’un modèle
3.2.1 Indicateurs d’écart
3.2.2 Données de validation
3.2.3 Validation croisée
3.2.4 Critères d’information
3.2.5 Analyse des résidus
3.2.6 Identifiabilité
3.3 Etat de l’art des modèles RC
3.3.1 Les études d’identifiabilité
3.3.2 Les études concernant le modèle ISO (R5C1)
3.4 Présentation de la méthode de construction d’un modèle RC identifiable
3.5 Description du modèle ISO (R5C1)
3.5.1 La méthode horaire
3.5.2 Le calcul de Cm et Am
3.5.3 Formulation mathématique et informatique du modèle
3.5.4 Calcul des flux thermiques
3.5.5 Prise en compte de la ventilation
3.6 Description du cas d’étude
3.7 Etude du modèle ISO sur un cas simplifié mono-zone
3.7.1 Estimation physique des paramètres du modèle ISO
3.7.2 Comparaison du modèle ISO avec le logiciel TRNSYS et ajout d’une seconde capacité Ca
3.7.3 Première calibration du modèle et réduction du nombre de paramètres calibrés
3.7.4 Re-paramétrage du modèle ISO_Ca
3.8 Etude du modèle ISO_Ca sur le bâtiment complet multi-zones
3.9 Etude d’une variante du modèle ISO_Ca, le modèle ISO_CpCa
3.10 Conclusion
CONCLUSION