Modélisation physico-chimique de l’ablation de matériaux composites en carbone

Dans les applications à température modérée, la suprématie des métaux a été remplacée par celle des thermoplastiques et des thermodurcissables, appelés communément plastiques. Parallèlement, les matériaux céramiques s’imposent de plus en plus pour les hautes températures. Parmi ceux-ci ont été élaborés les matériaux composites thermostructuraux, qui, comme leur nom l’indique, sont par ailleurs suffisamment résistants pour constituer la structure d’une application. Ironie de l’histoire, une des familles de matériaux thermostucturaux la plus utilisée, et qui remplace avantageusement les alliages métalliques ou le tungstène dans de nombreux cas, est celle des composites en carbone, dont le constituant majoritaire est le carbone sous une forme proche du graphite, c’est-à-dire un charbon de bois amélioré. L’avènement de ces matériaux a constitué un véritable changement de paradigme nécessitant par la même une recherche approfondie et spécifique pour le perfectionnement de leur élaboration et l’étude de leur comportement dans une situation donnée [75]. Le Laboratoire des Composites Thermostructuraux (LCTS), au sein duquel cette thèse a été réalisée, a été crée en 1988 pour répondre à ce besoin. Il s’agit d’une unité mixte de recherche (UMR 5801) regroupant deux partenaires académiques : le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et l’Université Bordeaux 1, et deux partenaires industriels : le groupe SAFRAN et le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA).

Contexte industriel de l’ablation

Les composites carbone/carbone (C/C), dont les propriétés mécaniques sont conservées jusqu’à 2000˚C, sont fréquemment employés comme matériaux thermostructuraux [19]. On peut citer quatre exemples d’applications hautes températures nécessitant, en l’état actuel des connaissances, l’utilisation des composites en carbone :
– le freinage hautes performances (Avions, Formule 1) (SAFRAN) [46] ;
– le projet ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor), porté en partie par le CEA, dont l’objectif est la production d’énergie par fusion nucléaire par confinement magnétique [45, 103] ;
– les cols de tuyères utilisées pour la propulsion des fusées (SAFRAN) [11] ;
– les boucliers thermiques pour la rentrée atmosphérique des engins spatiaux (CEA) [31].

Cependant, le graphite n’est pas une forme inerte du carbone dans les conditions de ces applications [15] ; il présente principalement le défaut de s’oxyder significativement sous air à partir de températures avoisinant les 500˚C (échauffement des freins, boucliers thermiques) [22], de s’oxyder fortement à 2000˚C en présence des produits de combustion (H2O, CO2) du propergol solide (cols de tuyères) [11], et de se sublimer vers 3000˚C (ITER, boucliers thermique) [27]. De plus, dans tous les cas, le matériau est susceptible de s’éroder sous l’effet de contraintes thermomécaniques générées soit par la friction (freinage) [46], soit par le bombardement du plasma (Tokamak (ITER) [45]) ou de particules d’alumine fondue (cols de tuyère [11]), soit enfin par l’écoulement d’air hypersonique (corps de rentrée [31]). En dehors de la sollicitation de friction qui appartient au domaine de la tribologie, l’ensemble de ces phénomènes est regroupé sous le terme générique d’ablation. Ils se traduisent par un recul de paroi et une modification de l’état de surface (apparition de rugosité) du matériau, provoqués sans contact mécanique solide. En présence d’oxygène, les réactions sont exothermiques, ce qui peut accroître sensiblement la température de surface et donc l’ablation. En revanche, endothermiques dans le cas des oxydations par H2O et CO2 et de la sublimation, les phénomènes de gazéification permettent de limiter le flux thermique traversant le matériau, et jouent paradoxalement un rôle important dans la protection de la structure. Ces processus de dégradation de la surface peuvent intégrer une couche plus ou moins profonde de la structure du matériau. Pour fixer les idées, en général, l’ablation se concentre dans les premiers millimètres.

Contexte scientifique

Le perfectionnement de l’élaboration des matériaux comme leur utilisation dans des applications thermostructurales nécessite une compréhension aussi précise que possible de leur comportement, dans le premier cas pour améliorer en priorité leur points faibles, dans le second, pour permettre un dimensionnement judicieux, limitant en particulier au strict minimum l’épaisseur des structures dans les applications aéronautiques et spatiales. Les tendances phénoménologiques générales sont bien comprises et simulées du point de vue du fluide pour la propulsion [11] et la rentrée atmosphérique [31] ; la composition et le comportement du plasma en confinement magnétique dans les Tokamaks (ITER) sont également bien connus [45, 103]. Cependant, le comportement complexe des composites en carbone n’est pas complètement maîtrisé et n’est pris en compte que de façon partielle dans les modèles. Les progrès continus des logiciels de simulation numérique et de la puissance des calculateurs permettent d’enrichir progressivement ces modèles, incitant à approfondir au fur et à mesure les points faibles. Ces dernières années, la demande d’une description précise du comportement ablatif du matériau, voire d’une modélisation, s’est faite de plus en plus pressante, en particulier en ce qui concerne l’évolution de l’état de surface ou rugosité. En effet, l’ablation des composites en carbone est connue pour conduire, entre autres, à une rugosité typique qui influence les autres phénomènes :
– D’abord, l’apparition de la rugosité est potentiellement à l’origine d’une augmentation des transferts de masse et de chaleur à l’interface [43].
– Ensuite, la rugosité conduit à un comportement composite complexe : la réactivité effective du composite n’est pas donnée par une moyenne arithmétique de celles de ses composants [68].
– Par ailleurs, dans les cas ou l’advection est conséquente (propulsion, rentée atmosphérique), la rugosité favorise l’érosion thermomécanique.
– Enfin, dans le cas de la rentrée atmosphérique, la participation majeure de la rugosité à la transition laminaire-turbulent dans la couche limite dynamique [16] entourant le bouclier thermique est expérimentalement observée [31].

Description succincte des matériaux

Le carbone turbostratique

Dans le cadre de l’approximation orbitalaire avec effet d’écran, la configuration électronique de l’atome de carbone, qui possède un cortège de six électrons, est de type {[1s2 ]; [2s2 , 2p2]} [44,83]. La théorie de l’orbitale moléculaire, associée à la théorie semi-empirique de la liaison de valence (ou hybridation) et à la théorie de Hückel, permet d’expliquer en partie l’origine de la grande variété des formes du carbone solide [24]. Les matériaux étudiés étant principalement constitués de carbone, on se focalisera sur la liaison carbone-carbone .

Le graphite est la forme cristalline stable du carbone dans les conditions usuelles de température et de pression. Il possède une structure lamellaire, on parle de plans de graphène [24]. Les feuillets sont liés entre eux par les forces d’interaction de Van der Waals. L’ensemble est assimilable à un cristal de structure hexagonale (plus rarement rhomboédrique). Le caractère lamellaire de la structure graphitique engendre une forte anisotropie de ses caractéristiques (électrons π délocalisés sur les plans de graphène / liaisons de Van der Waals perpendiculairement à ces plans).

Le carbone constitutif des composites C/C est de type turbostratique [102]. Par rapport à la structure graphitique, la structure turbostratique se caractérise par un arrangement moins ordonné des plans de graphène à l’intérieur des pseudo-grains cristallins, appelés cristallites. Dans les cristallites, des domaines, dits cohérents, présentent un empilement parallèle des plans de graphène . Cependant, l’ordre cristallin tridimensionnel n’étant plus strictement respecté, la distance moyenne qui sépare les feuillets est supérieure à celle du graphite. Par ailleurs, l’orientation relative des divers cristallites peut conduire à des textures plus ou moins isotropes. Les propriétés physico-chimiques du carbone turbostratique varient fortement en fonction de sa structure et de sa texture [84].

Architecture du composite 3D C/C

Le composite 3D C/C de cette étude est un matériau hétérogène multiéchelle, composé d’une préforme tridimensionelle (3D) de fibres ex-PAN (PolyAcryloNitrile) et d’une matrice ex-brai [33]. Plusieurs milliers de fibres sont associées en un fil unidirectionel, puis les fils sont arrangés orthogonalement en un motif élémentaire  répété par translation sur un réseau cubique. Cette macrostructure conduit à un réseau de macropores, appelés octets après densification de la préforme par imprégnation de brai, puis carbonisation et graphitisation. A l’interface entre deux éléments, se forme une interphase de matrice peu organisée et très réactive.

Les composants élémentaires des composites C/C (fibre, matrice, interphase), constitués de carbones turbostratiques d’origines diverses, donc de structures et textures différentes [33, 84, 94], ont des propriétés différentes. Lors de l’ablation physico-chimique, la réactivité intrinsèque des composants influe directement sur la vitesse de récession locale de la paroi [40]. Le comportement global du composite est conditionné par l’hétérogénéité de son architecture qui peut conduire à l’apparition de rugosité et à des couplages complexes.

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Table des matières

1 Introduction
1.1 Cadre de la thèse
1.1.1 Contexte historique
1.1.2 Contexte industriel de l’ablation
1.1.3 Contexte scientifique
1.2 Objectif de la thèse
1.3 Plan du mémoire
2 Synthèse en français
2.1 Description succincte des matériaux
2.1.1 Le carbone turbostratique
2.1.2 Architecture du composite 3D C/C
2.2 Etude expérimentale et stratégie de modélisation
2.2.1 Choix d’un procédé modèle d’ablation
2.2.2 Analyse de la rugosité multiéchelle
2.2.3 Stratégie de modélisation
2.3 Développement d’un outil de simulation numérique : AMA
2.3.1 Présentation
2.3.2 Validation
2.4 Principaux résultats de modélisation
2.4.1 Echelle nanoscopique
2.4.2 Echelle microscopique
2.4.3 Echelle mésoscopique
2.4.4 Echelle macroscopique
2.5 Bilan de l’approche multiéchelle
3 Multi-scale analysis of surface roughness
3.1 Introduction
3.2 Materials description
3.2.1 Architecture and elaboration of the studied C/C composites
3.2.2 Carbon structure of C/C composites and their ablative properties
3.3 Actual ablation environments versus laboratory tests
3.3.1 Examples of actual ablation environments
3.3.2 Plasma-jet and related tests
3.3.3 Oxidation reactor
3.4 Analysis and multi-scale classification of surface roughness features
3.4.1 Macroscopic scale : epi-macro-structural roughness features
3.4.2 Mesoscopic scale : epimesostructural roughness features
3.4.3 Microscopic scale : epimicrostructural roughness features
3.4.4 Synthesis on surface roughness
3.5 Multi-scale strategy for the modeling of material behavior
3.5.1 First step : oxidation reactor conditions
3.5.2 Second step : plasma tests
3.6 Conclusion
4 Experimental evaluation of intrinsic reactivities
4.1 Introduction
4.2 Experiments
4.2.1 Materials
4.2.2 Oxidation reactor and experimental protocol
4.2.3 Experimental results
4.3 Identification of Intrinsic reactivities
4.3.1 Modeling of the oxidation reactor
4.3.2 Modeling of fibers bundle
4.4 Discussion
4.5 Conclusion
5 Conclusion

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