Comprendre et prédire les effets des substances chimiques sur le développement des êtres vivants représente en toxicologie un réel défi afin d’appréhender les problématiques environnementales et thérapeutiques. L’évaluation des risques est une discipline scientifique de santé dont une des priorités est de caractériser la toxicité des composés pour extrapoler quantitativement les effets à l’Homme avec un fort degré de certitude. Elle est constituée de quatre étapes : l’identification des dangers, l’évaluation de la relation dose – réponse et de l’exposition, ainsi que la caractérisation des risques (Becking, 1995). Dans un premier temps, l’identification des dangers consiste à déterminer la potentialité d’un composé à provoquer un effet indésirable. Ensuite, l’évaluation de la dose – réponse et de l’exposition établit le mécanisme d’action ainsi que la quantité de composé nécessaire pour provoquer un effet indésirable. Enfin, la caractérisation des risques intègre les informations sur le danger, la relation dose – réponse, les expositions (externes) du corps entier et les expositions (internes) des cellules cibles de la toxicité pour estimer la probabilité d’effets nocifs chez les individus et/ou les populations exposées (Perkins et al., 2019).
Depuis quelques années, les progrès scientifiques et techniques, ainsi que l’évolution des considérations éthiques concernant l’expérimentation animale remettent en cause les méthodes traditionnelles de l’évaluation des dangers, des expositions internes et des relations dose – réponses, en prônant une vision holistique des sciences biologiques et toxicologiques. Les méthodes les plus courantes passent par des expérimentations animales couteuses, soulevant des problèmes de fiabilité, de reproductibilité et de compréhension des mécanismes d’action des composés. Pour les remplacer, des méthodes de calcul mathématique (in silico), et de biologie moléculaire ou cellulaire (in vitro) sont activement développées. L’analyse des tests menés in vivo est également améliorée. L’objectif est d’accroitre la compréhension des déterminants des expositions internes (pharmacocinétique ou toxicocinétique) et des mécanismes de toxicité (pharmacodynamie ou toxicodynamie). Le critère mécaniste est primordial pour prétendre à des extrapolations quantitatives pertinentes des données de toxicité in vitro ou animales à l’Homme (Margiotta-Casaluci et al., 2016; Punt, 2020). Ultimement, ces méthodes devraient fournir des prédictions précises des effets chez l’humain, afin d’établir des liens de causalité et prévenir les effets néfastes suite à l’exposition aux composés chimiques, tout en satisfaisant le principe des 3R (remplacement, réduction, raffinement) (Beilmann, 2018; Lanzoni et al., 2019).
La modélisation mathématique pour l’extrapolation à l’Homme en évaluation des risques
Depuis quelques années, les investigations toxicologiques se sont tournées vers une approche fondée sur des preuves, plutôt que descriptive, notamment pour contrer les coûts élevés, la durée des études in vivo, ainsi que les strictes réglementations concernant le bien-être animal (Beilmann, 2018). Pour des raisons éthiques, les tests de toxicité ne peuvent être réalisés directement chez les humains. Différents outils in vitro, in vivo et in silico ainsi que des protocoles d’expérimentations animales ont donc dû être développés afin d’étudier indirectement la toxicité humaine des composés chimiques qui nous entourent. Cette partie a pour objectif de présenter les modèles pharmacocinétiques et pharmacodynamiques utilisés en évaluation des risques pour étudier la toxicité humaine.
L’évaluation des composés repose sur des modèles de devenir, d’exposition, de toxicité, de risque et d’impact. Pour la gestion des risques, le développement conjoint de ces modèles, visant à améliorer l’interprétation et l’analyse des données, permet d’apporter un soutien scientifique pour la prise de décisions réglementaires (McCarty et al., 2018). Un modèle mathématique pertinent est une simplification conceptuellement plausible d’un processus ou d’une activité basée sur des données expérimentales. Ces modèles sont construits de sorte à représenter le degré minimum de complexité des processus physiques, chimiques et biologiques nécessaires pour quantifier la toxicité d’un composé et atteindre le pouvoir prédictif requis selon le contexte décisionnel (Margiotta-Casaluci et al., 2016). Les modèles in silico présentent un certain nombre de limites freinant leur acceptation comme outils indispensable pour l’évaluation de risques. En effet, leur validation et leur développement reposent sur des données dont la disponibilité, la quantité et la qualité ne sont pas toujours de mise. De plus, leur domaine de validité est limité et défini approximativement. Finalement, la limite principale concerne le fondement prédictif et suggestif, rendant les conclusions hypothétiques. Cependant, ils offrent de nombreux avantages comparés aux tests in vivo et in vitro. Ils sont moins onéreux, hautement reproductibles et sans cesse optimisés, avec pour ambition de remplacer l’utilisation d’animaux (Erhirhie et al., 2018; Grech et al., 2017a; Leist et al., 2017).
La modélisation pharmacocinétique
La pharmacocinétique est définie par l’action d’un organisme sur un xénobiotique dont le devenir est régi par quatre processus ; l’absorption, la distribution, le métabolisme et l’excrétion (ADME). Elle permet de décrire l’évolution des concentrations d’un composé en fonction du temps selon la dose d’exposition (Grech et al., 2017a). Différents paramètres pharmacocinétiques, comme la biodisponibilité, le volume de distribution, la clairance et le temps de demi-vie, qui caractérisent la pharmacocinétique d’un xénobiotique donné, peuvent être déterminés par différentes approches. La première est l’analyse non-compartimentale permettant de déterminer les paramètres pharmacocinétiques à partir de points expérimentaux, tels que la concentration et le temps maximal, ou d’équations mathématiques simples afin de décrire les processus ADME (Gabrielsson and Weiner, 2012). La deuxième approche, dont les principes sont détaillés ci-après, modélise un organisme ou un système d’étude par un ou plusieurs compartiments, afin de quantifier les processus biologiques par une approche semimécaniste. Une signification physiologique et anatomique peut également être considérée pour ajouter une composante mécaniste au modèle (Dixit et al., 2003; Jusko, 2013). Grâce à la modélisation, de nouveaux paramètres pharmacocinétiques peuvent être définis et utilisés pour élaborer les relations entre le profil cinétique d’un composé et la physiologie. Par exemple, les modèles compartimentaux permettent de définir la clairance spécifique de différents processus d’élimination (Urso et al., 2002).
Les modèles physiologiques
Au cours des années 1970-1980, la modélisation pharmacocinétique basée sur la physiologie (PBPK) a été développée pour simuler les concentrations internes des toxiques, reconnues plus prédictives des réponses biologiques que les doses d’exposition. Les modèles PBPK considèrent l’anatomie, la physiologie, la biochimie et la physicochimie de l’organisme étudié pour simuler le devenir d’une substance dans un organisme. Ils mettent en évidence les organes ayant une action sur la substance (métabolisme, transport, dégradation, stockage…), regroupent ceux ayant peu d’importance sur les processus ou possédant grossièrement des caractéristiques similaires en un seul compartiment, puis les relient par la circulation sanguine artérielle et veineuse si l’organisme d’étude en est pourvue .
Les échanges entre les organes, matérialisés par des compartiments, se basent sur des transports de masse, retranscrits en équations différentielles. La modélisation PBPK permet de décrire quantitativement les processus ADME des composés en corrélant les déterminants critiques que sont les volumes tissulaires, les débits physiologiques, les taux d’absorption, la diffusion membranaire, les taux et coefficients de partage tissu – sang et les réactions biochimiques (Krishnan and Peyret, 2009; Munir et al., 2018; Pearce et al., 2017). Ils peuvent également considérer des facteurs impactant ces déterminants, tels que l’âge ou les conditions d’exposition à un composé, pour étudier des populations spécifiques (Beaudouin et al., 2010; Lipscomb et al., 2012). En évaluation des risques, la modélisation PBPK est de plus en plus performante et concerne divers champs d’applications. Elle se revendique pertinente pour analyser des données sur les mécanismes pharmacocinétiques, orienter les protocoles d’études expérimentales, caractériser la variabilité et l’incertitude physiologiques et pharmacocinétiques, extrapoler les données in vivo et in vitro entre les espèces, les stades biologiques, les voies d’exposition et le temps, et finalement étayer l’évaluation globale de l’exposition à un composé (Chou and Lin, 2019; Jaroch et al., 2018; Mumtaz et al., 2012; Tan et al., 2018; WHO, 2010).
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Table des matières
LISTE DES FIGURES ET DES TABLEAUX
ABREVIATIONS
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE I. Etat de l’art
La modélisation mathématique pour l’extrapolation à l’Homme en évaluation
des risques
La modélisation pharmacocinétique
Les modèles compartimentaux classiques
Les modèles physiologiques
La modélisation pharmacodynamique
Les modèles empiriques
Les modèles mécanistes
Les modèles intermédiaires entre empiriques et mécanistes
L’inférence statistique sur les paramètres des modèles
L’inférence bayésienne
Les modèles multi-niveaux
La calibration des modèles développés pour les travaux de thèse
Les intérêts et limites de la modélisation pour l’extrapolation à l’Homme
Les données de toxicologie développementale et reproductive
Les données in vivo
Les limites des données in vivo pour l’extrapolation à l’Homme
Les données in vitro
Les limites des données in vitro pour l’extrapolation à l’Homme
Les tests sur embryons de poisson zèbre (ZET)
Caractéristiques de l’espèce
Intérêt pour étudier la toxicité développementale
Protocole d’étude de l’OCDE
Les limites des données des tests sur les embryons de poisson zèbre
Modèles mathématiques pour le poisson zèbre
Synthèse des ZET
Les composés cibles en toxicologie développementale
CHAPITRE II. Modèle de distribution in vitro VIVD
Un nouveau modèle de distribution virtuelle in vitro
Objectif des travaux et contribution
Perspectives
Résumé et article du modèle VIVD
CHAPITRE III. Modèle PBPK pour évaluer de la toxicité développementale chez l’embryon de poisson zèbre
Un nouveau modèle PBPK générique pour l’embryon de poisson zèbre
Objectif des travaux et contribution
Articulation avec le modèle VIVD précédent
Nécessité d’un corrigé
Perspectives
Résumé et article du modèle PBPK
CHAPITRE IV. Modèle PK-PD multi-états pour étudier les effets des composés chimiques
Un nouveau modèle multi-états de la toxicité développementales des composés
chimiques chez l’embryon de poisson zèbre
Objectif des travaux et contribution
Articulation avec le modèle PBPK précédent
Perspectives
Résumé et article du modèle PK-PD multi-états
DISCUSSION GENERALE ET PERSPECTIVES
L’importance des données expérimentales pour un modèle prédictif pertinent
L’élaboration du test expérimental
L’analyse des données et ajustement du modèle
La validation du modèle
Les limites et perspectives d’amélioration des modèles pour prédire la toxicité
développementale de l’embryon de poisson zèbre
Le modèle PBPK
Les coefficients de partage
L’hypothèse de diffusion instantanée dans l’embryon
Les volumes tissulaires
La clairance métabolique
Les concentrations effectives
Comparaison avec les modèles de la littérature
Le modèle multi-états
La structure du modèle
La calibration du modèle
Les concentrations effectives
La place des modèles mécanistes dans l’évaluation des risques
CONCLUSION GÉNÉRALE
REFERENCES
ANNEXES
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