Modélisation par éléments finis des dispositifs pour la spintronique

Les composants électroniques conventionnels sont fondés sur l’utilisation de matériaux conducteurs et semi-conducteurs dans lesquels l’information est stockée sous forme de charges électroniques et transmise par un courant électrique. L’électronique de spin ou spintronique utilise les propriétés magnétiques de l’électron pour transférer et stocker l’information. Cette discipline a émergé avec le constat que la résistance perçue par un courant électrique dépend de la direction de l’aimantation des couches qu’il traverse. La découverte de ce phénomène appelé magnétorésistance géante par Fert et al. et Grünberg et al. fut récompensée par le prix Nobel de physique en 2007 (Baibish, et al., 1988; Binasch, et al., 1989). L’utilisation de cette découverte dans les nouvelles générations de têtes de lecture de disques durs a permis d’augmenter nettement la capacité de stockage dès les années 90. Parallèlement, L. Berger (Berger, 1996) et J.C. Slonczewski (Slonczewski, 1996) prédirent que l’aimantation d’une couche ferromagnétique pouvait être contrôlée par un courant électrique via un transfert de spin entre le courant et la couche aimantée. La découverte de ce phénomène de transfert de spin permit d’agrandir le champ d’application de la spintronique aux mémoires à accès aléatoire (Magnetic-RAMs), aux oscillateurs micro-ondes (Spin-Torque Oscillators), aux composants logiques ou encore aux mémoires à haute densité comme les « Racetrack Memories » basées sur la propagation de parois de domaines (Parkin, 2004; Parkin, et al., 2008; Brataas, et al., 2012). Dans ce type de mémoires, l’information est stockée dans des fils nanométriques tridimensionnels sous forme de séquences de parois de domaines présentant une aimantation alternée.

Bases de micromagnétisme 

Description des matériaux ferromagnétiques

Les matériaux ferromagnétiques possèdent la propriété de s’aimanter quand ils sont exposés à un champ magnétique et de conserver l’orientation magnétique lorsque ce champ est supprimé. La quantification de cette propriété est apparue avec la naissance de l’électromagnétisme au XIXème siècle. Mais il a fallu attendre le début du XXème et les théories quantiques pour en expliquer l’origine. Ces deux approches séparées, qui se sont succédées, ne permettaient cependant pas de décrire le comportement macroscopique des matériaux ferromagnétiques, c’est pourquoi une théorie intermédiaire a été développée : le micromagnétisme.

Approche mésoscopique : le micromagnétisme

Le premier pas vers le développement d’une théorie mésoscopique fut la mise en évidence, en 1905, par P. Langevin d’un champ « moléculaire » liant les moments magnétiques microscopiques. Il expliqua ainsi la notion d’ordre magnétique. W. Heisenberg démontra, en 1929, l’origine quantique de ce champ (§0 de ce chapitre). P. Weiss, en 1907, supposa que les matériaux ferromagnétiques sont composés de domaines dans lesquelles l’aimantation est uniforme. La compréhension de ces domaines fut améliorée par l’introduction de l’anisotropie magnéto-cristalline qui tend à aligner les moments suivant des axes préférentiels du réseau cristallin (§0 de ce chapitre). En 1935, L.D. Landau et E. Lifshitz expliquèrent la formation des domaines magnétiques dans un matériau (§2.3 de ce chapitre). Suite aux progrès dans la compréhension des microstructures, W. F. Brown publia en 1963 un papier fondamental (Brown, 1963) dans lequel il échafauda l’approche micromagnétique moderne à travers laquelle l’aimantation est vue comme un continuum qui tend à minimiser l’énergie magnétique totale à laquelle est soumis un échantillon magnétique. Par la suite, la théorie du micromagnétisme se consolida et devint un outil efficace pour décrire les processus d’aimantation microscopiques (Kronmüller, et al., 2003).

Formalisme du micromagnétisme

Le micromagnétisme permet de faire le lien, pour les matériaux ferromagnétiques, entre leur description électromagnétique et quantique grâce à l’aimantation. En effet, l’aimantation est introduite comme une variable continue dans les équations de Maxwell et est définie comme la valeur moyenne locale des moments magnétiques du matériau dans la théorie quantique. En conservant ces deux caractéristiques, l’aimantation, introduite dans le micromagnétisme, permet de décrire les propriétés et le comportement magnétique d’objets dont la taille est supérieure à l’échelle atomistique mais inférieure à celle d’un domaine magnétique. Le micromagnétisme s’intéresse, en particulier, à la distribution d’aimantation qui se développe dans les objets magnétiques micro-nanométriques en minimisant les différentes énergies magnétiques.

Formation de domaines magnétiques et de parois de domaines

Dans un système magnétique macroscopique, une aimantation uniforme crée des pseudo-charges magnétiques en surface qui engendrent une forte accumulation d’énergie démagnétisante. Pour la réduire et atteindre un état d’équilibre, le système se divise en domaines magnétiques dans lesquels l’aimantation vaut sa valeur à saturation Ms qui est uniforme et constante à. Ainsi, le nombre de charges magnétiques en surface diminue, voire s’annule pour une distribution d’aimantation en boucle qui satisfait totalement la conservation du flux magnétique .

Les parois de domaines : un compromis énergétique 

Bien que l’énergie démagnétisante soit l’énergie magnétique principale qui crée les domaines magnétiques, les énergies d’échange et d’anisotropie magnéto-cristalline interviennent aux niveaux des parois de domaines. Le système ne peut minimiser individuellement toutes les énergies magnétiques. En effet, l’énergie d’échange est minimale pour des moments magnétiques voisins alignés. Or, comme décrit précédemment, un tel alignement engendre la création de charges magnétiques en surface de l’objet et l’augmentation de l’énergie démagnétisante. Les effets des deux champs sont donc opposés. Le système doit donc présenter, au niveau de la paroi de domaines, une distribution d’aimantation résultant d’un compromis entre ces différentes interactions.

La paroi de 1D de Bloch 

Il est possible de minimiser analytiquement les énergies d’échange et d’anisotropie dans le cas d’une paroi 1D unidimensionnelle séparant deux domaines magnétiques infinis, afin d’obtenir la distribution d’aimantation d’équilibre appelée paroi de Bloch (Hubert, et al., 2009). Par analogie, nous définissons comme distribution de Bloch la distribution d’aimantation 1D qui se développe en présence des énergies d’échange et démagnétisante.

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Table des matières

Introduction
Chapitre I : Bases de micromagnétisme
1. Description des matériaux ferromagnétiques
2. Formalisme du micromagnétisme
3. Equation de Landau-Lifshitz-Gilbert (LLG)
4. Etude d’un objet micromagnétique: la paroi de domaines
5. Conclusion du chapitre
Chapitre II : Introduction du transport dépendant du spin dans l’équation de LandauLifshitz-Gilbert
1. Formalisme
2. Modèle diffusif de Zhang et Li
3. Modèle diffusif généralisé (GDD)
4. Forme de Thiaville du couple de transfert de spin
5. Estimation du paramètre de non-adiabaticité d’un système
6. Conclusion du chapitre
Chapitre III : Couplage numérique auto-cohérent entre micromagnétisme et transport
1. Micromagnétisme numérique
2. Le logiciel micromagnétique éléments finis feeLLGood
3. Formulation faible du couplage des équations de transport polarisé en spin et de l’équation du micromagnétisme
4. Limitations dues à l’introduction de termes de transport dans feeLLGood
5. Conclusion du chapitre
Chapitre IV : Parois transverses dans des rubans à section rectangulaire
1. Validation du code micromagnétique
2. Propagation de parois transverses dans le modèle non local de Zhang et Li
3. Propagation de parois transverses dans le modèle diffusif généralisé (GDD)
4. Conclusion du chapitre
Chapitre V : Parois transverses dans les fils à section circulaire
1. Validation de feeLLGood étendu pour l’étude d’une paroi transverse dans un fil à section circulaire
2. Distribution d’aimantation statique dans la constriction d’un fil
3. Impact d’une constriction sur la dynamique d’une paroi transverse soumise à un courant polarisé en spin dans un fil
4. Non-adiabaticité géométrique
5. Conclusion du chapitre
Conclusion

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