Le cycle solaire
La découverte de Hale a permis d’établir l’origine magnétique des taches solaires vers lesquelles s’étaient tournées les premières lunettes astronomiques au début du XVIIe siècle . Comme on peut le voir sur les figures 1.3(a) et 1.3(b), le disque solaire apparaît parsemé, dans le domaine visible, de taches sombres dont le diamètre varie de 7 000 km à plus de 60 000 km, les taches étant alors visibles à l’œil nu. Le fort champ magnétique présent au niveau des taches solaires tend à inhiber le flux de chaleur transporté par convection et conduit ainsi à une diminution de la température de surface. Localement, le rayonnement émis est donc moins intense, et ces zones nous apparaissent sous la forme de taches sombres (cf. figures 1.3(b) et 1.3(c)). Au XIXe siècle — soit plus de deux siècles après leur découverte — des observations systématiques ont révélé que le nombre et la position des taches solaires variaient au cours du temps. Bien que déjà détectable dans des données du XVIIIe siècle (dont celles de Herschel), le cycle solaire fut ainsi découvert par Heinrich Schwabe, pharmacien astronome qui observa systématiquement le Soleil pendant plus de quarante ans à la recherche d’une planète à l’intérieur de l’orbite de Mercure.. . La première mention qu’il fit d’une possible périodicité dans les variations du nombres des taches solaires passa d’ailleurs relativement inaperçue (Schwabe 1844), et cette découverte ne retiendra vraiment l’attention qu’avec la publication du troisième volume du Kosmos de Humboldt. The numbers contained in the following table leave no room to doubt that at least from the year 1826 to 1850 the solar spots have shown a period of about ten years with maxima in 1828, 1837, and 1848, and minima in 1833 and 1843. I have had no opportunity of becoming acquainted with any continuous series of earlier observations, but I readily admit that the period may be a variable one. Schwabe, in Humboldt (1852) La variation des taches solaires présente en effet une remarquable périodicité, laquelle donne leur aspect caractéristique aux diagrammes papillons dont la première construction a été établie quelques années avant la découverte du champ magnétique solaire par le couple Annie et Edward Walter Maunder (1904). Comme on le voit figure 1.3(d), ces diagrammes représentent l’évolution temporelle de la latitude moyenne des taches solaires et mettent clairement en évidence leur migration vers l’équateur, découverte par Carrington (1863). Le diagramme papillon de la figure 1.3(e) montre que ces motifs sont en fait la signature du cycle magnétique de l’étoile, dont le champ connaît une inversion de polarité tous les 11 ans (Babcock 1961). Le champ magnétique solaire présente ainsi un comportement temporel semblable à celui d’une onde dont la période est de 22 ans. Toutefois, sur une échelle de 80 ans environ, l’amplitude du cycle n’apparaît pas constante mais modulée de manière apériodique, selon le cycle de Gleissberg (1939, 1971). De plus, l’analyse des taches solaires révèle des périodes d’activité réduite pendant lesquelles les taches peuvent presque entièrement disparaître de la surface du Soleil (cf. figure 1.4). Cependant, l’abondance de certains isotopes tels que le 10Be contenu dans les calottes polaires — dont la production est modulée par la fréquences des éruptions solaires et la force du champ magnétique de l’héliosphère 5 — semble suivre les mêmes variations périodiques pendant le minimum de Maunder à la fin du XVIIe siècle (Eddy 1976) ; cela suggère que l’activité magnétique connaît seulement une baisse d’intensité (cf. figure 1.4(a)). Par ailleurs, ainsi que l’avait remarqué l’astronome allemand Gustav Spoerer (1889), la répartition des taches solaires n’a pas toujours été symétrique par rapport à l’équateur : sur la figure 1.4(b), les taches solaires apparaissent essentiellement localisées dans l’hémisphère sud pendant le minimum de Maunder. Une telle localisation hémisphérique du champ magnétique est également observée à la surface de la planète Mars — dont la dynamo n’est plus active — (Langlais & Quesnel 2008) et pourrait résulter d’une interaction entre modes de différentes parités par rapport à la symétrie équatoriale (Gallet & Pétrélis 2009). Enfin, l’analyse de l’abondance du 14C présent dans les cernes des arbres a permis de retracer les variations de l’activité magnétique solaire sur les 11 000 dernières années et a révélé la présence de 27 grands minimums espacés de manière irrégulière à des intervalles de 200–300 ans, parmi lesquels on distingue les minimums « courts » d’une durée de 30 à 90 ans — semblables à celui de Maunder —, et les minimums « longs » d’une durée supérieure à 110 ans — semblables à celui de Spörer (Usoskin et al. 2007). La variation de l’activité solaire basée sur la mesure du 14C est illustrée figure 1.5. Ces modulations de l’amplitude du cycle solaire sont susceptibles d’avoir un impact sur l’évolution du climat terrestre, les minimums de Maunder et de Spörer coïncidant avec des périodes de refroidissement (Eddy 1976, Lockwood et al. 2010). Aussi de nombreuses études ont-elles tenté de prédire ces variations, dont l’origine pourrait être liée aux effets de fluctuations stochastiques (Schmitt et al. 1996, Choudhuri & Karak 2012, Hazra et al. 2014) ou de chaos déterministe, étant donnée le caractère intrinsèquement non-linéaire du système (ch. 6, Dormy & Soward 2007, Weiss 2011).
L’approximation convective
Enfin, la compressibilité d’un gaz n’étant pas comparable à celle d’un métal liquide, les zones convectives stellaires se présentent donc comme des milieux dans lesquels la stratification du fluide sous son propre poids est a priori moins négligeable que dans le noyau terrestre. Comme l’indique la table 1.1 page 10, la masse volumique du plasma solaire varie en effet de plusieurs ordres de grandeur entre le bas de la zone convective et la surface. En conséquence, la contrainte d’incompressibilité qui découle de l’approximation Boussinesq ne peut être satisfaite dans un tel système. D’une manière plus générale, si les propriétés du fluide diffèrent significativement d’une extrémité à l’autre de la zone convective, il est légitime de s’attendre à une asymétrie entre les écoulements ascendants et descendants, telle qu’on l’observe par exemple au niveau de la granulation solaire, mais aussi dans des expériences de laboratoire (Dubois et al. 1978). Cette asymétrie ne peut être capturée par l’approximation de Boussinesq, laquelle revient à négliger les variations de la densité, except in so far as they modify the action of gravity (Rayleigh 1916), autrement dit, partout à l’exception du terme de poussée d’Archimède. Spiegel & Veronis (1960) ont montré que cette approximation permettait également de décrire, sous certaines conditions, la convection d’un gaz parfait. L’approximation de Boussinesq présente un double avantage : d’une part, d’un point de vue théorique, elle permet de simplifier les équations de manière à capturer le mécanisme d’instabilité avec une complexité minimale ; d’autre part, d’un point de vue pratique, le jeu d’équations est plus simple à intégrer car il filtre les ondes sonores, qui ne sont a priori pas essentielles pour comprendre la dynamique d’un écoulement pour lequel la vitesse du fluide est nettement inférieure à la vitesse du son. Aussi l’un des enjeux consistait-t-il à dériver une autre approximation capable de décrire les écoulements convectifs à faible nombre de Mach dans des systèmes stratifiés. C’est ainsi que l’approximation anélastique a été développée en premier lieu pour décrire la convection atmosphérique (Ogura & Phillips 1962, Gough 1969) et a été reprise, par la suite, dans un modèle de convection thermo-compositionnelle du noyau terrestre (Braginsky & Roberts 1995). Lantz & Fan (1999) ont redérivé un modèle semblable pour les zones convectives solaires et stellaires. Jones et al. (2011) ont ensuite définis des cas tests numériques à partir de ce même modèle qui est parfois désigné dans la littérature sous le terme de LBR anelastic approximation (d’après les noms de Lantz, Branginsky et Roberts), afin de le distinguer d’autres variantes de l’approximation anélastique (Gilman & Glatzmaier 1981, Drew et al. 1995, Brun et al. 2004). Dans cette thèse, nous étudierons les effets sur la génération du champ magnétique induits par le passage de l’approximation Boussinesq à l’approximation anélastique. Cela se traduit principalement par les conséquences suivantes :
— le choix d’une distribution de masse centrale ;
— l’introduction d’un profil de référence stratifié.
L’approximation anélastique et son implémentation numérique sont décrites dans le chapitre 2 et les résultats obtenus sont présentés au chapitre 3. Enfin, le chapitre 4 traite de l’apparition de différentes formes d’intermittence dans la dynamique temporelle de différents modèles de dynamos.
Bilan général
NOS TRAVAUX ont permis d’établir l’existence de plusieurs similarités entre modèles Boussinesq et anélastiques (cf. section 3.1). La classification binaire entre dynamos dipolaires et multipolaires peut être étendue aux modèles anélastiques. Ainsi, des champs magnétiques dipolaires de grande échelle sont obtenus si la force de Coriolis (autrement dit, l’influence de la rotation) est prépondérante par rapport à l’inertie ; le critère du nombre de Rossby local peut être généralisé aux dynamos anélastiques tant que le contraste de densité vérifie N% ≤ 2. Ce critère reposant sur des moyennes volumiques, il semble devenir inadapté pour de plus fortes stratifications, sans que cela ne remette en question le rôle de l’inertie dans la perte de la branche dipolaire. Nous avons cependant mis en évidence quelques différences significatives propres aux simulations anélastiques. Les configurations du champ magnétique dominées par un mode non-axisymétrique m = 1 s’avèrent ainsi plus courantes au sein des modèles anélastiques. On constate aussi qu’une forte stratification en densité semble pouvoir inhiber la génération de champs magnétiques dominés par un dipôle axial, en accord avec d’autres études (Gastine et al. 2012, Jones 2014). Il convient néanmoins de nuancer ces résultats. Une étude détaillée de modèles faiblement stratifiés nous a d’abord permis de mettre en lumière le rôle important joué par le profil de gravité (cf. section 3.2). En effet, en plus des transitions usuelles entre branches dynamos obtenues avec une distribution de masse uniforme, nous avons montré que, dès lors qu’une distribution de masse centrale est considérée, la branche dipolaire peut désormais perdre sa stabilité au profit de la branche multipolaire, à bas nombre de Rayleigh et bas nombre de Prandtl magnétique. Dans ce régime de paramètres restreint, les dynamos sont alors dominées au niveau de la sphère externe par un dipôle équatorial. L’émergence de ce mode proche du seuil dynamo peut rappeler, dans une certaine mesure, les résultats de Aubert & Wicht (2004) qui ont étudié la compétition entre les dipôles axial et équatorial pour différents facteurs de forme de la zone convective dans des modèles de géodynamo. Dans notre cas, l’apparition de ce mode semble reliée à la concentration des cellules de convection autour de la sphère interne, laquelle résulte de la dépendance en 1/r 2 du profil de gravité. Un tel effet de filtre pourrait rester pertinent pour des stratifications modérées (N% ≤ 1,5) mais n’est toutefois pas à même de rendre compte de la forte composante m = 1 de modèles plus stratifiés. En outre, la rareté des dipôles axiaux dans les simulations anélastiques ne pourrait être qu’une conséquence indirecte de la stratification, comme l’indique notre étude détaillée de l’évolution du domaine de stabilité de la branche dipolaire (cf. section 3.3). Au cours de cette évolution, il est fondamental de remarquer que le nombre de Reynolds magnétique critique de la branche dipolaire évolue peu, de sorte que l’on a toujours Rmc ∼ 102. En revanche, plus N% est élevé, plus la convection se développe rapidement au fur et à mesure que l’on s’écarte du seuil de convection. La conjonction de ces deux tendances va donc avoir une double conséquence sur la stabilité de la branche dipolaire : d’une part, on constate effectivement que les nombres de Rayleigh pour lesquels les dynamos dipolaires sont des solutions stables se rapprochent du Rayleigh critique de convection lorsque la stratification augmente ; d’autre part, plus la stratification est importante, plus est atteinte rapidement la limite au-delà de laquelle l’inertie cause la perte de la solution dipolaire. Il en résulte que la branche dipolaire s’étend sur une gamme de nombres de Rayleigh de moins en moins étendue lorsque la stratification croît, d’où une impression globale de rareté des dipôles axiaux dans les simulations anélastiques. La perte de la branche dipolaire semble donc rester tributaire de l’importance de l’inertie et la restriction du domaine de stabilité des dipôles axiaux apparaît d’abord comme le reflet de l’espace de paramètres actuellement à la portée des calculateurs, et non comme le résultat d’une modification des mécanismes dynamos induite par la stratification. Plusieurs stratégies permettent d’ailleurs de maintenir un nombre de Reynolds magnétique de l’ordre de la centaine sans que l’inertie ne vienne déstabiliser la solution dipolaire. Une première option — dont le coût numérique reste relativement modérée et que nous avons pu effectivement tester — consiste à augmenter le nombre de Prandtl magnétique. Une autre option serait de diminuer le nombre d’Ekman, mais cela devient vite plus exigeant en matière de ressources numériques. Si nous abaissons la valeur du nombre d’Ekman de E = 10−4 à 3× 10−5 en gardant Pr = 1 et N% = 2, nous retrouvons la bistabilité que nous avions perdue à E = 10−4. Nous avons, en effet, trois exemples de cas bistables pour Pm = 1 à Ra/Rac = 2,6 et pour Pm ∈ {1,2} à Ra/Rac = 2,9. À l’instar de Jones (2014), il n’est donc pas déraisonnable de conjecturer que les solutions dipolaires persistent sur un plus grand domaine de paramètres pour des valeurs plus basses du nombre d’Ekman, actuellement trop coûteuses à simuler. Dans un premier temps, la vérification d’une telle assertion requiert une exploration plus dense ainsi qu’une analyse plus détaillée des dynamos que nous pourrons obtenir à E = 3×10−5. Enfin, nous avons également étudié la dynamique temporelle de différentes dynamos (cf. section 4). Cela nous a d’abord permis d’observer un comportement d’intermittence on-off proche du seuil d’un modèle de dynamo de Couette sphérique, réaliste d’un point de vue expérimental. Nous avons aussi relié les modulations basse fréquence de dynamos convectives à deux types de comportements établis pour des systèmes de champ moyen. Nous avons notamment identifié l’existence d’une modulation de parité conduisant à la localisation périodique du champ magnétique dans un hémisphère, ainsi que l’apparition chaotique de minimums d’énergie magnétique. Cette modulation d’amplitude rappelle, du moins en partie, les variations de l’activité magnétique solaire. L’étude de la structure de bifurcation confirme que les interactions entre modes de différentes symétries par rapport au plan équatorial peuvent jouer un rôle fondamental dans la dynamique du champ magnétique, en accord avec des résultats de l’expérience VKS (Pétrélis & Fauve 2008, Gallet et al. 2012).
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Table des matières
Quelques notations
1 Introduction
1.1 Du magnétisme à la théorie dynamo
1.2 Le champ magnétique solaire
1.2.1 Le cycle solaire
1.2.2 Une étoile parmi d’autres
1.3 Activités magnétiques stellaires
1.4 L’approche numérique
1.4.1 La géodynamo
1.4.2 Limitations
1.4.3 De la Terre aux étoiles
2 Modélisation
2.1 L’équation d’induction
2.2 Différentes approximations pour la convection
2.2.1 Modèle compressible
2.2.2 Modèle anélastique
2.2.3 Modèle Boussinesq
2.3 Le système magnétohydrodynamique
2.4 Approximation numérique
2.4.1 Présentation du code PARODY
2.4.2 Implémentation des équations anélastiques
3 Dynamos anélastiques
3.1 Topologie du champ magnétique
3.1.1 Paramètres de sortie
3.1.2 Dynamos dipolaires et multipolaires
3.1.3 Dipôle équatorial
3.1.4 Discussion
3.2 Influence de la distribution de masse
3.2.1 Bifurcations entre branches dynamos
3.2.2 Dipôle équatorial
3.3 Dynamos dipolaires et stratification
3.3.1 Bistabilité
3.3.2 Seuil du dipôle
3.3.3 Perte du dipôle
3.3.4 Mécanismes dynamos
3.4 Lois d’échelle
3.4.1 Scaling du champ magnétique
3.4.2 Scaling du champ de vitesse
3.4.3 Scaling du temps de dissipation ohmique
3.4.4 Scaling du Nusselt
3.4.5 Discussion
4 Intermittence
4.1 On-off : notion de bruit multiplicatif
4.1.1 Un modèle simple
4.1.2 Propriétés caractéristiques
4.1.3 Influence du spectre du bruit
4.1.4 Bilan
4.2 Dynamos de Couette sphérique
4.2.1 Contexte et motivations
4.2.2 Équations
4.2.3 Simulations numériques directes
4.2.4 Discussion
4.3 Dynamos stellaires : symétries et modulations
4.3.1 Contexte
4.3.2 Résultats
4.3.3 Bilan
5 Conclusion
5.1 Bilan général
5.2 Perspectives
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