Les travaux de Newton et de Leibniz au XVIIième siècle sur le calcul des variations infinitésimales ont permis de poser, deux siècles plus tard, les bases du calcul différentiel. Suite à ces travaux, l’étude des équations aux dérivées partielles n’a cessé de se développer, avec notamment l’introduction de notions telles que les espaces de Sobolev. Cette étude s’attache principalement à montrer l’existence et l’unicité de la solution au problème posé. Cet outil mathématique, à l’origine des premiers modèles spatialisés, est très convoité pour modéliser de nombreux phénomènes en physique, comme l’équation de la chaleur ou l’équation de propagation des ondes sonores et des ondes électromagnétiques. La complexité des phénomènes modélisés amène souvent à considérer des équations aux dérivées partielles non linéaires avec, éventuellement, l’ajout de termes stochastiques. Pour trouver la solution de telles équations, nous avons alors recours à l’analyse numérique à travers la discrétisation et à la résolution numérique du problème. L’utilisation de ces méthodes est particulièrement pertinente depuis l’essor de l’informatique au XXième siècle et ce domaine mathématique a pu déboucher sur une multitude d’applications (par exemple en aéronautique et en prévision météorologique). Toutefois, les simulations numériques seules ne suffisent pas : l’analyse mathématique du problème est indispensable pour contrôler le comportement du système.
« Le mathématicien pur qui oublierait l’existence du monde extérieur, serait semblable à un peintre qui saurait harmonieusement combiner les couleurs et les formes, mais à qui les modèles feraient défaut. Sa puissance créatrice serait bientôt tarie». Henri Poincaré, La valeur de la science.
Le modèle de réaction-diffusion est une branche des équations aux dérivées partielles qui combine l’évolution de la densité d’individus à la fois dans le temps et dans l’espace afin de décrire les phénomènes de propagation. Au-delà des phénomènes physiques ou chimiques, la modélisation mathématique s’est récemment intéressée aux problèmes de la biologie tant en médecine et en génétique qu’en écologie. Jusqu’alors la biologie n’offrait pas suffisamment d’informations quantitatives pour pouvoir décrire les variations spatiales ou temporelles. La complexité des phénomènes biologiques observés impose une telle synergie entre les deux disciplines qu’une nouvelle science, appelée biomathématiques ou biologie mathématique, est récemment apparue. Elle connaît actuellement un développement spectaculaire. L’écologie des populations est à l’origine même de l’écologie mathématique. Le premier modèle développé dans ce contexte est le modèle proie-prédateur de Lotka (1924) et Volterra (1926). Il décrivait pour la première fois l’interaction simultanée entre deux espèces sous forme d’équations différentielles non linéaires.
La modélisation mathématique de la propagation d’espèces invasives a véritablement débuté en 1951 lorsque Skellam a découvert que le front de propagation avançait à vitesse constante. Ce modèle de diffusion combiné avec la croissance de la population a montré tout son intérêt au fil des applications : il permet notamment de prévoir quelles seraient les espèces susceptibles d’envahir le territoire, les habitats les plus propices à être envahis, la rapidité de la progression s’il y a invasion ainsi que l’impact sur les espèces autochtones (Shigesada & Kawasaki 1997). Les thèmes de recherche liés aux invasions sont donc communs aux mathématiques et à l’écologie. Depuis quelques années, ce domaine connaît un essor fabuleux, notamment à travers la généralisation des résultats en milieu homogène au cas plus réaliste d’un milieu hétérogène. En effet, les recherches se tournent actuellement vers l’étude de la propagation dans un tel milieu, principalement périodique, et plus précisément vers la structuration spatiale des populations et l’effet de l’hétérogénéité sur la persistance de l’espèce.
La modélisation de la dynamique temporelle d’une population remonte à la fin du XIXième siècle avec les travaux du pasteur anglican Malthus. Elle a pour but de comprendre les fluctuations numériques des populations, les processus de régulation et les mécanismes responsables des pullulations.
Ces recherches s’avèrent particulièrement pertinentes en terme de prévision chez les insectes forestiers car leur niveau de population montre d’importantes fluctuations numériques. La phase de latence est caractérisée par des fluctuations de faible amplitude qui se maintiennent toujours en dessous du seuil de tolérance du milieu, tandis qu’elles dépassent ce seuil de façon rare et aléatoire (type éruptif) ou de façon périodique (type cyclique) lors d’une phase de pullulation, encore appelée gradation (Dajos 1998). Différents mécanismes ont été suggérés pour expliquer cette tendance à la cyclicité. Des facteurs densité-dépendants comme la réaction de l’arbre hôte et la réponse des ennemis naturels sont principalement évoqués. Mais des facteurs exogènes tels que les conditions climatiques peuvent également être impliqués dans la dynamique. Ces facteurs pourraient, par exemple, être responsables de la fluctuation de Eppirrita autumnata sur une période de 9 à 10 ans au nord-ouest de l’Europe (Ruohomäki et al. 2000). D’autres mécanismes plus complexes peuvent également expliquer les cycles de gradation. D’après Liebhold et al. (2000), la dynamique temporelle du bombyx disparate, Lymantria dispar L., serait le résultat d’une interaction complexe avec ses prédateurs et la fructification des chênes (ressource principale de ses prédateurs). Par ailleurs, Bjornstad et al. (2002) ont montré que le déplacement du pic de pullulation de la tordeuse du Mélèze, Zeirapheira diniana Gn., le long de l’arc alpin était du à la progression d’un front généré par un processus de réaction-diffusion et une relation trophique. Les raisons de ces gradations spatio-temporelles sont encore loin d’être élucidées.
On se propose donc d’apporter de nouveaux éléments de réponse en étudiant le cycle de gradation de la processionnaire du pin, Thaumetopoea pityocampa Schiff., un autre insecte défoliateur. La périodicité de son cycle de pullulation serait d’environ 6 ans (Abgrall 2001), mais cela n’a jamais été formellement démontré.
D’autres questions scientifiques se posent actuellement en écologie, rendant incontournable la prise en compte de la dimension spatiale et le développement de modèles de type réaction-diffusion ou enveloppe bioclimatique. En effet, nous sommes confrontés à deux problématiques majeures :
– l’invasion croissante d’espèces exotiques,
– l’impact du réchauffement climatique sur les écosystèmes.
Les échanges devenant de plus en plus intenses entre les pays, le risque d’introduction de ces espèces est de plus en plus élevé, comme en témoignent les découvertes :
➤ de la chrysomèle du maïs, Diabrotica virgifera virgifera, en 2002 près des aéroports parisiens (Direction Générale de l’Alimentation 2002),
➤ du capricorne asiatique, Anaplophora glabripennis, à Gien en 2002 et à SaintAnne-sur Brivet près de Nantes en 2004 (DSF 2004b),
➤ l’invasion fulgurante de la France par la mineuse du marronnier d’Inde, Cameraria orhidella, ces dernières années (Guichard & Augustin 2002).
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Table des matières
PARTIE I : INTRODUCTION GÉNÉRALE
1. Contexte scientifique
1.1 Développement des biomathématiques
1.2 Dynamique spatio-temporelle des populations
1.2.1 Dynamique temporelle
1.2.2 Invasions biologiques
1.2.3 Effets du changement climatique
2. Objectifs généraux
PARTIE II : APPROCHE MATHÉMATIQUE
1. Dynamique temporelle
1.1 Outils mathématiques pour l’analyse des séries temporelles
1.1.1 Fonction d’auto-corrélation (ACF)
1.1.2 Fonction d’auto-corrélation partielle (PACF)
1.1.3 Analyse spectrale
1.2 Modèles de croissance
1.3 Méthode d’estimation des paramètres
2. Dynamique spatio-temporelle
2.1 Introduction au modèle de diffusion
2.1.1 Présentation du modèle de réaction-diffusion
2.1.2 Diffusion en milieu hétérogène
2.1.3 Dispersion à longue distance
2.1.4 Application récente en écologie :
exemple de Megastigmus schimitscheki
2.1.5 Application récente en écologie :
exemple de Cameraria ohridella
2.2 Introduction au modèle de type enveloppe bioclimatique
2.2.1 Définition d’une enveloppe bioclimatique
2.2.2 Description de la discrimination
2.2.3 Description du krigeage
2.3 Modèles couplant une croissance cyclique à la dispersion
3. Modèle global de progression de la chenille processionnaire du pin
3.1 Description du modèle
3.2 Analyse du schéma numérique de l’équation de diffusion
PARTIE III : APPLICATION À LA CHENILLE PROCESSIONNAIRE DU PIN
1. Présentation du modèle biologique
1.1 Problématique scientifique
1.2 Nuisance de la processionnaire du pin
1.3 Biologie de la processionnaire du pin
2. Objectifs précis de la modélisation
3. Modélisation de la dynamique spatio-temporelle
de la processionnaire du pin
CONCLUSION GENERALE
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