Comme la plupart des pays industrialisés, la France a bénéficié pendant la dernière décennie d’une énergie abondante et bon marché. Cette situation favorable s’explique pour la France par la politique énergétique mise en place au lendemain du premier choc pétrolier en 1973, et par le retour des cours internationaux du pétrole à des niveaux relativement bas à la suite du contrechoc de 1986. Aujourd’hui, 30 ans après le lancement d’un programme nucléaire de grande envergure qui fait encore référence, les problématiques énergétiques se sont largement enrichies et complexifiées sous l’action conjuguée, de pressions sur l’offre, sur la demande, et surtout sur l’environnement. La donne énergétique mondiale a profondément évolué et les nombreuses publications et débats sur l’avenir énergétique mondial et les choix futurs de la France, contribuent à réaffirmer le caractère stratégique de l’énergie et l’importance d’une vision long terme et volontariste de politique énergétique.
L’évolution du contexte énergétique
Un bref rappel historique permet de situer la portée des enjeux actuels. Comme le rappelle le livre blanc français sur les énergies [1], la politique énergétique française a connu 3 grandes périodes marquées par des préoccupations énergétiques claires et d’ordre national : « Les années 50 ont été marquées par le souci d’une énergie nationale et abondante : charbon et hydroélectricité, les années 60 par la recherche d’une énergie à meilleur marché : le pétrole. Les crises pétrolières des années 70 ont conduit à privilégier davantage l’indépendance stratégique et le rééquilibrage de notre balance commerciale ».
La situation actuelle présente à cet égard une toute autre difficulté. Elle est marquée à l’échelle internationale par :
✿ L’augmentation de la demande mondiale et la rivalité croissante entre Etats pour l’accès à l’énergie. La Chine, l’Inde et l’Afrique consomment aujourd’hui près de 20% [2] de l’énergie consommée dans le monde. Du fait de la croissance de la demande dans ces régions et surtout en Asie, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) prévoit une augmentation de 60% de la demande mondiale d’ici 30 ans.
✿ Une compétition industrielle renforcée à l’échelle de la planète qui milite en faveur d’une énergie à bas prix et à un usage sensible de la taxation comme levier ;
✿ L’épuisement des réserves fossiles et leur concentration géographique dans les pays du moyen orient ;
✿ La réalité de l’effet de serre et son caractère planétaire qui impliquent un énorme effort de coordination des actions à l’échelle internationale. Le protocole de Kyoto en est la première étape ; la stabilisation nécessaire des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère nécessitera, par rapport à la situation actuelle, des efforts bien plus importants de la part des pays développés. Les moyens de contrôle et d’action de la puissance publique sont aussi modifiés par l’ouverture des marchés de l’énergie et une plus grande réticence des populations à la construction de nouveaux grands ouvrages : raffineries, centrales électriques, extension du réseau électrique, infrastructure de transport. Les axes traditionnels de la politique énergétique se trouvent donc renforcés et étendus à de nouvelles problématiques alors que, au même moment, les conséquences environnementales et économiques, voire politiques de choix inappropriés s’aggravent.
Le recours à la modélisation prospective
Dans ce cadre et pour éclairer les choix, les modèles de prospective énergétique constituent une aide précieuse à la décision. Ils permettent d’évaluer sur le long terme plusieurs scénarios possibles d’évolution du système énergétique. L’évolution des connaissances et des puissances de calcul, ont ainsi favorisé l’émergence d’un grand nombre de modèles énergétiques développés et utilisés indépendamment par différentes institutions. Si ces modèles ne constituent certainement pas des outils prophétiques, leur apport reste indéniable : ils permettent de formaliser une vision cohérente des nombreuses interactions du monde de l’énergie, et de faire l’économie de l’expérience directe de choix inappropriés.
Dans une problématique énergétique actuelle dont le long terme sera sans doute fait de ruptures relativement fortes avec les tendances passées, le potentiel d’ajustement offert par les technologies de transformation et d’utilisation de l’énergie, fait partie des leviers les plus prometteurs. Le travail réalisé dans le cadre de cette thèse porte sur le développement d’une modélisation de type MARKAL pour la prospective énergétique française. Ce type de modélisation est particulièrement adapté au traitement sur le long terme des enjeux technologiques de l’énergie. A partir d’une représentation explicite des caractéristiques techniques et économiques de l’ensemble des technologies actuelles et futures d’offre et de demande, la modélisation MARKAL détermine une structure optimale en termes de niveaux d’investissement et d’utilisation des technologies et calcule pour chaque technologie sélectionnée, les niveaux d’émissions atmosphériques correspondants. Ce modèle développé sous l’égide de l’AIE, est aujourd’hui utilisé par plusieurs équipes de modélisation dans plus de 35 pays ce qui permet les échanges au sein d’une communauté internationale d’utilisateurs. Enfin, il est à noter qu’aucun exercice français de modélisation MARKAL n’a à notre connaissance été mené à ce jour.
L’énergie électrique
L’électricité occupe une place centrale dans les systèmes énergétiques modernes par la multiplicité de ses usages et par la flexibilité des sources d’énergie primaire utilisables pour sa production. En France, pour l’année 2003, l’électricité primaire a compté pour environ 42% de la consommation totale en énergie primaire devant le pétrole et le gaz naturel (34% et 14,6% respectivement). Cette position est encore plus prépondérante en terme de production d’énergie avec 87,7% de la production d’énergie primaire totale en France. Enfin, du fait de la part dominante du nucléaire et de l’hydraulique, le parc électrique français possède l’un des niveaux d’émissions de gaz à effet de serre les plus bas d’Europe.
Les enjeux prospectifs et les potentiels d’ajustement futurs sont considérables. Ils concernent du côté de l’offre les choix technologiques pour le renouvellement du parc : la part de la production nucléaire dans un secteur électrique libéralisé, l’influence du progrès technologique et la part des combustibles fossiles (cycles combinés à gaz, technologies de charbon propre), le développement de la production électrique d’origine renouvelable, le niveau des contraintes environnementales, le développement de la séquestration et du stockage du CO2. Du côté de la demande, ces enjeux concernent principalement les options d’économies d’énergie, et la compétitivité de l’électricité par rapport aux autres sources d’énergie dans les secteurs de demande (notamment pour le chauffage, les procédés industriels et le transport). La modélisation prospective peut permettre l’analyse intégrée de ces différents enjeux.
|
Table des matières
I. INTRODUCTION
1. L’EVOLUTION DU CONTEXTE ENERGETIQUE
2. LE RECOURS A LA MODELISATION PROSPECTIVE
3. L’ENERGIE ELECTRIQUE
4. ORGANISATION DU DOCUMENT
5. CONTRIBUTIONS
II. PROSPECTIVE ENERGETIQUE ET MODELISATION
1. CADRE DE L’ANALYSE ENERGETIQUE
2. LES GRANDES FAMILLES DE MODELES
2.1. Les modèles économiques et l’approche descendante (Top down)
2.2. Les modèles technologiques et l’approche ascendante (Bottom-Up)
2.3. Les modèles IAM (Integrated Assesment Models) : approche climatique
2.4. Modèles existants et catégories de modèles
3. LE MODELE MARKAL
3.1. Un générateur flexible de représentations du système énergétique
3.2. Un modèle d’optimisation
3.3. Equivalence économique
3.4. La famille de modèles MARKAL
4. CONCLUSION
III. LIMITES DE LA MODELISATION PROSPECTIVE DES SYSTEMES ELECTRIQUES
1. LE BESOIN DE FLEXIBILITE DES SYSTEMES ELECTRIQUES REELS
1.1. Variation de la consommation et de la production
1.2. Gestion des déséquilibres sur le réseau
2. LIMITES DE LA MODELISATION PROSPECTIVE
2.1. Illustration par la planification du RTE dans le cadre de la PPI
2.2. Les modèles de prospective sur le long terme
IV. MODELE MARKAL DU SYSTEME ELECTRIQUE FRANÇAIS
1. HYPOTHESES DE DESCRIPTION DU SYSTEME ELECTRIQUE FRANÇAIS EN 2000
1.1. Le parc de production existant
1.2. Coûts d’exploitation et de maintenance du parc existant
1.3. Le réseau électrique en 2000: pertes et interconnexions
1.4. Options techniques pour l’approvisionnement futur
2. STRUCTURE DU MODELE DU SYSTEME ELECTRIQUE FRANÇAIS
2.1. Hypothèses générales du modèle électrique
2.3. Représentation des technologies d’offre
2.4. Vecteurs énergétiques
2.5. Cohérence des résultats de production électrique en 2000
3. RESULTATS DE SIMULATIONS
3.1. Description du scénario simulé
3.2. Résultats
4. DISCUSSION CONCLUSIVE
V. AMELIORATION DE LA FLEXIBILITE GLOBALE DU MODELE ELECTRIQUE
1. ANALYSE DE LA REPRESENTATION MARKAL DE LA FLEXIBILITE
1.1. Découpage temporel et représentation de la demande électrique
1.2. Equilibre en énergie et dimensionnement en puissance
1.3. Contraintes de réserve, dimensionnement en puissance et intermittence
2. VOIES D’AMELIORATION DE LA REPRESENTATION MARKAL
2.1. Découpage temporel plus fin : approche du modèle MARKAL-TIMES
2.2. Modélisation par contraintes : Liaison forte entre besoin de flexibilité et participation à
l’équilibre en énergie
3. FLEXIBILITE DES MODES DE FONCTIONNEMENT DU PARC
3.1. Segments de compétition et contraintes de production
3.2. Représentation flexible des technologies de production
3.3. Simulations et résultats
4. MODELISATION DE L’EOLIEN ET DE SON IMPACT
4.1. Formulations alternatives des impacts de la production éolienne
4.2. Implémentation
4.3. Simulations et résultats
5. CONCLUSION
VI. MODELISATION DU SECTEUR ELECTRIQUE OUEST EUROPEEN
1. LA ZONE ELECTRIQUE OUEST-EUROPEENNE
1.1. Structures globales de la production électrique des pays considérés
1.2. Capacités de production nucléaire
1.3. Capacités de production hydraulique
1.4. Capacités de production thermique
1.5. Production d’origine renouvelable
1.6. Interconnexions et échanges d’électricité
2. STRUCTURE DU MODELE EUROPEEN
2.1. Hypothèses générales du modèle
2.2. Nomenclature
2.3. Représentation des technologies d’offre
3. SIMULATIONS ET PERFORMANCES DU MODELE
3.1. Description du scénario simulé
3.2. Résultats
4. CONCLUSION
VII. CONCLUSION
Télécharger le rapport complet