Modélisation expérimentale et numérique d’hydroliennes
La connaissance la plus complète possible du comportement d’une hydrolienne et de ses interactions avec son environnement constitue un pré-requis indispensable à l’implantation de telles machines en production. Cependant, acquérir cette connaissance n’est pas toujours chose aisée et plusieurs démarches, complémentaires, contribuent à y parvenir. Il s’agit notamment de campagnes expérimentales in situ sur des prototypes à l’échelle réelle ou proche de la réalité, d’essais expérimentaux en bassin à échelle réduite ou encore de simulations numériques. Chaque approche possède son lot d’avantages et d’inconvénients, en termes de coût, de temps, de qualité des instruments de mesure, de taille des infrastructures ou encore de limite des modèles numériques.
Le comportement d’une hydrolienne, soumise à différentes conditions d’écoulement, est désormais bien documenté à la suite d’études expérimentales [10– 12] ou numériques [13, 14]. Cependant, à l’heure où de nombreux projets d’implantation de parcs d’hydroliennes sont lancés, les questions d’interactions entre hydroliennes dans de telles configurations demeurent rarement évoquées dans la littérature scientifique. De surcroît, la plupart des études traitant des interactions consistent en des simulations numériques sur des configurations en quinconce où les hydroliennes situées en aval bénéficient d’une sur-vitesse induite par les hydroliennes placées en amont [15–17]. Par ailleurs, aucune étude expérimentale sur l’interaction d’hydroliennes à axe horizontal, dans des conditions de fonctionnement réalistes, n’a encore été rapportée. Compte tenu de la taille des installations expérimentales et de la complexité des configurations possibles d’implantation des turbines [18], il ne sera pas possible d’évaluer les effets d’interaction sur des configurations de fermes complexes dans des infrastructures expérimentales classiques. Le recours à des outils numériques dédiés est de ce fait indispensable. Outre la détermination précise des coefficients de puissance et de traînée d’une hydrolienne [13], ces outils doivent permettre la simulation de son sillage. Ainsi, à terme, il sera possible de faire interagir plusieurs hydroliennes entre elles. Pour l’heure, les méthodes numériques de type BEM (Blade Element Momentum theory) ne permettent pas de simuler précisément les sillages [13]. À l’inverse, les méthodes reposant sur la représentation d’une hydrolienne par un disque poreux ne sont pas appropriées à la caractérisation des performances d’une hydrolienne.
Caractérisation expérimentale des interactions entre hydroliennes
On s’intéresse dans ce chapitre à la caractérisation expérimentale des interactions entre deux hydroliennes, alignées avec le courant. Des essais expérimentaux en bassin ont déjà été réalisés sur une hydrolienne, à l’aide de différentes techniques. Bahaj et al. [19, 20] ont par exemple mené une étude sur les coefficients de puissance et de traînée, sur un prototype d’hydrolienne de 0,8m de diamètre, dans un tunnel hydrodynamique et dans un bassin de traction. Cependant, dans ces études, le sillage n’était pas analysé. En revanche, des caractérisations expérimentales du sillage d’une hydrolienne ont été proposées dans [18, 21], dans la limite de l’approximation du disque poreux. Malheureusement, cette approximation ne tient pas compte intrinsèquement de la rotation du fluide dans le sillage, et l’évaluation des coefficients de puissance et de traînée est en outre plus complexe. Par ailleurs, Rose et al. [22] ont réalisé plusieurs essais, certains en bassin et d’autres en eau libre (dans le Montgomery Lough), en utilisant soit une technique de mesure PIV (Particle Image Velocimetry), soit une technique de mesure ADV (Acoustic Doppler Velocimetry). Plusieurs modèles ont été testés, le plus grand étant un prototype à l’échelle un dixième d’une hydrolienne de 1,5m de diamètre dans le lac Montgomery Lough. Cependant, seules des mesures de déficit de vitesse dans le sillage sont présentées, sans mention des performances des hydroliennes. Stallard et al. [23], bien que leur étude porte surtout sur les interactions entre hydroliennes, donnent également des informations intéressantes sur le sillage d’une hydrolienne, y compris sur le taux de turbulence aval. Dans une étude menée par Tedds et al. [24], de nombreuses courbes de performances sont présentées en fonction de certains paramètres géométriques, tels que le nombre de pales ou encore l’angle de calage. Enfin, une étude de Milne et al. [25] donne des courbes de coefficients de puissance et de traînée intéressantes, bien que leur étude soit surtout orientée vers le chargement des pales dû à des écoulements oscillants, de manière similaire à Davies et al. [26].
Pour ce qui est des configurations de fermes d’hydroliennes, des considérations et préconisations générales ont été émises pour l’évaluation des performances dans de telles fermes [18, 27, 28]. Cependant, de réelles études expérimentales sur des hydroliennes dans une ferme sont encore relativement rares [23, 29, 30]. En réalité, des configurations d’interaction entre hydroliennes dans un bassin à circulation d’eau requièrent d’importantes infrastructures et sont par ailleurs quasiment impossibles à mettre en place dans un bassin de traction. L’étude de Jo et al. [29] est très similaire, en termes de configurations, à ce qui va être présenté par la suite. Cependant, cette étude n’est pas très détaillée, ce qui rend difficile toute comparaison avec nos résultats. Par ailleurs, la plupart de leurs résultats proviennent de simulations numériques obtenues avec le logiciel ANSYS CFX. Stallard et al. [23, 30] ont quant à eux mené une étude expérimentale précise sur plusieurs hydroliennes tri-pales dans un bassin à circulation d’eau. Ils y montrent notamment des profils de vitesse et de taux de turbulence dans le sillage. Cependant, bien qu’il soit fait mention de plusieurs configurations de fermes, y compris des configurations à plusieurs rangées, les résultats présentés ne concernent que des configuration à une seule rangée avec différentes distances latérales entre les hydroliennes. Il semble donc ne pas exister à ce jour d’étude expérimentale détaillée traitant des interactions élémentaires entre des hydroliennes alignées avec le courant, du point de vue à la fois des performances et de la caractérisation des sillages. Ces deux aspects sont toutefois liés. En effet, plus une hydrolienne récupère d’énergie parmi celle disponible dans l’écoulement incident, et plus son sillage est prononcé. Ceci se traduit par un coefficient de puissance élevé. À l’inverse, si ce coefficient est faible, l’énergie récupérée est moindre et le sillage est plus limité.
Sans doute pour les raisons évoquées précédemment, la plupart des études traitant de fermes d’hydroliennes reposent sur des résultats obtenus à l’aide de codes numériques. Malki et al. [15] ont réalisé des simulations, exploitant la théorie BEM (Blade Element Momentum) combinée à un modèle de mécanique des fluides numérique (Computational Fluid Dynamics, CFD), sur différentes configurations d’une ferme de trois hydroliennes. Dans cette étude, les deux premières hydroliennes sont positionnées sur une même rangée et la troisième est placée dans une position latérale intermédiaire, en aval de la première rangée. Ce type de configuration est souvent appelée staggered array en anglais, ce qui pourrait se traduire en français par ferme en quinconce. Les auteurs examinent les performances et le déficit de vitesse dans de telles fermes, et plus particulièrement l’influence de l’espacement latéral entre les hydroliennes de la première rangée. O’Doherty et al. [16] présentent des résultats similaires avec un solveur CFD tridimensionnel complet, prenant en compte la rotation des pales, pour deux configurations de fermes composées de quatre hydroliennes. Les trois premières hydroliennes constituent la première rangée, et la quatrième, en aval, est soit en quinconce, soit alignée derrière une des hydroliennes de la première rangée. Une analyse intéressante des performances et des sillages y est proposée. Plus récemment, Churchfield et al. [17] ont effectué des calculs impressionnants sur des configurations pouvant comprendre jusqu’à cinq hydroliennes, distribuées sur deux rangées. Leur solveur tridimensionnel s’attache en particulier à traiter la turbulence dans l’écoulement à l’aide d’un modèle de simulation des grandes échelles (Large Eddy Simulation, LES), tandis que les hydroliennes bipales sont prises en compte à l’aide d’une théorie de type BEM. Des profils de vitesse axiale et verticale sont présentés, de même qu’une analyse des performances globales de la ferme. Dans leur étude, Divett et al. [31] décrivent des simulations de fermes composées de quinze hydroliennes, réalisées à l’aide du logiciel Gerris avec une approximation de disque poreux comme dans [21], et s’intéressent notamment aux performances globales de la ferme. Avec une approche régionale, Trowse and Krasten [32] ont quant à eux examiné numériquement la puissance maximale pouvant être extraite par trois cents hydroliennes dans le Passage de Minas, dans la Baie de Fundy au Canada, avec par ailleurs une analyse des impacts environnementaux et socio économiques. Les modifications de l’écoulement causées par la présence de ces hydroliennes dans la zone d’implantation ont été prédites à l’aide d’un logiciel méso-échelle. Dans une étude récente, Karsten et al. [33] présentent même des simulations numériques prenant en compte jusqu’à un millier d’hydroliennes dans ce même site du Passage de Minas. En termes de méthodologie, Roc et al. [34] ont récemment proposé un modèle pour représenter les hydroliennes dans de tels logiciels.
Par ailleurs, la caractérisation des interactions entre hydroliennes implique de prendre en compte le taux de turbulence ambiante dans l’écoulement amont, qui joue un rôle décisif sur le comportement d’une hydrolienne à axe horizontal. Tout d’abord, le niveau de turbulence peut influencer les performances de l’hydrolienne, mais également modifier considérablement la forme de son sillage. Ce dernier point est d’une importance cruciale en vue de l’implantation de fermes d’hydroliennes. En effet, dans les fermes où des rangées d’hydroliennes devront être placées dans le sillage de premières rangées, le sillage d’une hydrolienne amont peut affecter sensiblement les performances d’une hydrolienne positionnée en aval. L’étude présentée dans ce chapitre vise à caractériser l’influence du taux de turbulence de l’écoulement amont sur le comportement d’une hydrolienne dans un premier temps , puis sur l’interaction de deux hydroliennes alignées avec le courant dans un second temps . Au préalable, des commentaires généraux sont émis sur la caractérisation du taux de turbulence dans les sites potentiels d’implantation de fermes d’hydroliennes , et les moyens expérimentaux ainsi que les démarches mises en œuvre sont décrits en détail . Cette étude s’intéresse à la fois aux performances des hydroliennes, en termes de coefficients de puissance et de traînée, mais également à la caractérisation de l’écoulement dans le sillage des hydroliennes, notamment en termes de déficit de vitesse et de taux de turbulence. La première partie de l’étude , qui concerne le comportement d’une hydrolienne seule, s’inscrit dans la continuité des travaux de thèse de Fabrice Maganga [10], avec une version non brevetée des pales qui permet une diffusion complète et détaillée des résultats. En particulier, on donne en annexe la totalité des résultats bruts des mesures de sillages en termes de profils de vitesse axiale et de taux de turbulence.
Remarques préliminaires sur le taux de turbulence ambiante
Un certain nombre d’études in situ ont été conduites afin de caractériser le taux de turbulence dans des sites potentiels d’implantation de fermes d’hydroliennes. Ces études ne sont pas faciles à entreprendre en raison de leur coût élevé, des conditions océano-météorologiques potentiellement rudes ainsi que du matériel de haute qualité, à l’heure actuelle inadapté à des mesures en mer, indispensable à l’évaluation du taux de turbulence.
Comportement d’une hydrolienne
Évaluation des performances
Différentes études ont été menées sur l’évaluation des performances d’une hydrolienne [12, 20]. L’étude présentée ici a pour objectif, entre autres, de fournir des données complètes et détaillées sur les coefficients de traînée et de puissance de l’hydrolienne à axe horizontal présentée dans la section précédente. Cette étude s’inscrit dans la continuité de celle menée dans le cadre de la thèse de Fabrice Maganga [10, 12] à la différence que les profils des pales désormais utilisées ne sont pas confidentiels. D’autre part, la mesure du couple se fait à présent à l’aide d’un couple-mètre, qui fournit des résultats plus précis, plus fiables et moins bruités que la balance d’efforts , toujours utilisée par ailleurs pour les mesures d’efforts.
Discussion
En termes d’application industrielle, le comportement relativement similaire, pour différentes conditions d’écoulement amont, des coefficients de puissance et de traînée de la turbine étudiée permet son installation dans une large gamme de conditions environnementales. Cette remarque reste valable pour des conditions variables dans le temps à un emplacement donné, les variations pouvant être dues notamment à l’action de la marée ou bien aux conditions météorologiques. La géométrie de l’hydrolienne utilisée (profil des pales, envergure, corde et vrillage) rend celle-ci robuste aux conditions de l’écoulement amont, à condition toutefois que celles-ci appartiennent à la gamme de fonctionnement, notamment que la vitesse d’écoulement soit au moins de 0,6m ¨s⁻¹ . Cette robustesse représente un avantage certain dans la perspective d’éventuelles interactions entre hydroliennes, puisque le taux de turbulence augmente dans le sillage des turbines. Cependant, il convient de préciser dès à présent qu’une hydrolienne aval, alignée axialement dans le sillage d’une première hydrolienne, ne se comporte pas comme si elle était placée dans un écoulement non perturbé présentant un taux de turbulence ambiante équivalent. Ceci est dû aux structures cohérentes de petites à moyennes échelles qui se développent dans le sillage d’une hydrolienne.
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Table des matières
Introduction
I Modélisation expérimentale et numérique d’hydroliennes
1 Caractérisation expérimentale des interactions entre hydroliennes
1.1 Remarques préliminaires sur le taux de turbulence ambiante
1.2 Moyens expérimentaux
1.2.1 Description du bassin et des essais
1.2.2 Décomposition de Reynolds
1.2.3 Conditions de l’écoulement amont
1.2.4 Description des prototypes d’hydrolienne
1.2.5 Mesure des efforts et des moments
1.2.6 Mesures LDV
1.2.7 Écoulement aval
1.2.8 Quantités intégrées sur un disque
1.2.9 Quantités adimensionnelles
1.3 Comportement d’une hydrolienne
1.3.1 Évaluation des performances
1.3.2 Caractérisation du sillage
1.3.3 Conclusions
1.4 Interaction entre deux hydroliennes
1.4.1 Dispositif expérimental
1.4.2 Évaluation des performances
1.4.3 Caractérisation du sillage
1.4.4 Conclusions
2 Modélisation numérique d’hydroliennes
2.1 Le problème continu
2.1.1 Équations modélisées
2.1.2 La vitesse rotationnelle
2.1.3 La vitesse potentielle
2.2 Le problème discret
2.2.1 Discrétisation du fluide
2.2.2 Discrétisation des hydroliennes
2.2.3 Émission particulaire
2.2.4 Calcul des efforts
2.2.5 Schéma numérique
2.3 Description des configurations d’hydroliennes
2.3.1 Modèles d’hydroliennes
2.3.2 Description des maillages
2.4 Évaluation des performances
2.4.1 Étude de convergence
2.4.2 Validation des performances
2.5 Caractérisation du sillage
2.5.1 Cartes de vitesse axiale
2.5.2 Profils de vitesse axiale
2.5.3 Déficit de vitesse axiale intégré
2.6 Conclusions
II Présentation et développements de la méthode particulaire tourbillonnaire
3 La méthode Vortex particulaire
3.1 Équations d’Euler
3.1.1 Formulation vitesse-pression
3.1.2 Formulation vitesse-tourbillon
3.2 Expression du champ de vitesse
3.3 Désingularisation du noyau de Biot et Savart
3.4 Ordre de la fonction de régularisation
3.5 Le terme de déformation
3.5.1 Trois formulations équivalentes
3.5.2 Expressions à l’aide du noyau de Biot et Savart
3.6 Description lagrangienne particulaire
3.7 Discrétisation particulaire
3.7.1 Expression de la vitesse
3.7.2 Paramètre de recouvrement
3.7.3 Expression du terme de déformation
3.8 Conclusion
4 Outils pour les méthodes particulaires
4.1 Remaillage
4.2 Traitement des dérivées
4.2.1 Méthodologie générale
4.2.2 Exemples
4.3 Opérateur de diffusion avec coefficient non uniforme
4.4 Interpolation particulaire
4.5 Conclusion
5 Modélisation particulaire du terme de diffusion
5.1 Équations de Navier-Stokes
5.2 Particle Strength Exchange (PSE)
5.2.1 Viscosité uniforme
5.2.2 Viscosité non uniforme
5.3 Diffusion Velocity Method (DVM)
5.3.1 Transport scalaire
5.3.2 Transport vectoriel
5.4 Application à une équation de diffusion pure unidimensionnelle
5.4.1 Simplifications unidimensionnelles
5.4.2 Étude analytique de cas réguliers
5.4.3 Étude numérique d’un cas régulier
5.4.4 Étude numérique d’un cas singulier
5.4.5 Approches hybrides auto-régularisantes
5.4.6 Conclusion
5.5 Modélisation des petites échelles en méthode Vortex
6 Algorithmes et éléments d’implémentation
6.1 Treecode
6.1.1 Méthodologie générale
6.1.2 Application au noyau de Moore-Rosenhead
6.1.3 Application au noyau de Winckelmans-Leonard
6.2 Parallélisation et décomposition de domaine
6.2.1 Ordres de Morton et de Hilbert
6.2.2 Découpage géométrique récursif
6.2.3 Algorithme K-means
6.2.4 Évaluation de l’accélération parallèle
6.3 Algorithme linked list
6.3.1 Principe
6.3.2 Application au traitement des dérivées et à l’interpolation
6.3.3 Application au remaillage
6.4 Résolution du système linéaire
Conclusion
Bibliographie
Annexes