Modélisation et simulation multi-niveaux de la combustion d’une thermite composée de nanoparticules Al/CuO

Les matériaux énergétiques sont connus et employés depuis le IXème siècle avec l’invention de la poudre noire en chine, mélange de charbon de bois et de salpêtre (nitrate de potassium et de soufre). Ce type de matériau a la capacité de stocker de l’énergie et de la libérer sous l’impulsion d’un stimulus qui peut être de différentes natures : électrique, thermique, optique ou mécanique principalement. Si ce stimulus possède suffisamment d’énergie, des réactions chimiques exothermiques sont initiées dans le matériau énergétique, on parle alors d’initiation de celui-ci. Si ces réactions initiales sont auto-entretenues, on parle alors de combustion.

Les matériaux énergétiques conventionnels sont fabriqués suivant deux procédés principaux [1] :
— Par intégration, dans une même molécule, d’agents oxydants et réducteurs, ce qui produit des matériaux énergétiques dits mono-moléculaires, comme la nitrocellulose (NC), la nitroglycérine (NG), le trinitrotoluène (TNT) et la cyclotriméthylènetrinitramine (RDX).
— Par mélange de poudres d’agents oxydants et réducteurs, ces matériaux énergétiques sont appelés composites, comme la poudre noire ou les thermites.

Lors de leur combustion, les matériaux énergétiques mono moléculaires se décomposent en de nombreuses espèces chimiques réactives qui conduisent à la formation de produits de réaction de plus grande stabilité. La différence d’enthalpie entre le réactif et les produits de réaction est l’énergie libérée sous forme de chaleur de réaction. Il faut donc agir, par des manipulations complexes au niveau moléculaire, sur la structure de la molécule de réactif pour modifier l’énergie libérée lors de la réaction. Au contraire, dans le cas des matériaux composites et particulièrement des thermites, les caractéristiques thermiques du matériau peuvent être contrôlées en agissant sur des paramètres physiques du système tels que la taille des particules, le taux de compaction ou la composition, par exemple, qui sont des caractéristiques aisément manipulables.

Dans un premier temps, les matériaux énergétiques ont été majoritairement employés dans les domaines de l’armement et de la pyrotechnie. Mais depuis le XXème siècle, la découverte des réactions aluminothermiques par H. Goldschmidt [2] a permis leur utilisation dans de nouveaux domaines industriels avec une première application à la soudure des rails de chemins de fer [3, 4]. Dans ce procédé, un mélange d’aluminium et d’oxyde métallique (oxyde de fer) est placé dans un creuset où il est chauffé jusqu’à l’initiation de la réaction, provoquant la production de fer en fusion. Le fer liquide est alors déversé dans un moule placé autour des rails de chemin de fer et réalise leur soudure, en se solidifiant. Cette technique est toujours employée à l’heure actuelle.

Depuis, les matériaux énergétiques se sont imposés dans de nombreuses applications industrielles telles que la micro propulsion, la micro-initiation, la génération de gaz pour l’actionnement, la libération de molécules via une onde de pression, l’inactivation d’agents biologiques, la production d’hydrogène …

L’émergence d’applications des matériaux énergétiques dans les hautes technologies, comme on peut l’observer au LAAS-CNRS depuis 1995 avec leur intégration au sein de microsystèmes [14–17], impose une maîtrise toujours plus poussée de leurs performances, leurs sensibilité à l’initiation (la facilité d’initier la réaction) et des espèces chimiques libérées par la réaction. Des efforts importants sont donc déployés afin de comprendre les phénomènes physico-chimiques régissant la réaction de combustion. Ces efforts passent en grande partie par le développement de modèles de combustion. L’étude théorique de la réaction de combustion, et le développement de modèles prédisant les propriétés des matériaux énergétiques, ont initialement porté sur les matériaux les plus communément employés, tels la NG, la NC, le RDX, le TNT, … qui sont des matériaux énergétiques organiques [18–22]. Des modèles de combustion d’une particule unique d’aluminium dans différentes atmosphères gazeuses oxydantes (O2, CO2 et H2O) ont ensuite été décrits [23] permettant de mieux comprendre les phénomènes associés à cette combustion. Enfin, un travail important est en cours afin de comprendre comment la réaction de combustion des particules d’aluminium s’initie et plusieurs modèles ont été proposés. Mais il n’existe pas, à ce jour, de consensus dans la mesure où il est difficile d’observer expérimentalement les phénomènes, qu’il s’agisse de l’initiation ou bien de la combustion, du fait de leurs cinétiques très rapides (quelques ns) et des hautes températures où ils ont lieu (> 1000 K).

En l’absence de certitudes sur les phénomènes gouvernant la combustion des thermites, l’évaluation de leurs performances est actuellement, et principalement réalisée par des calculs thermodynamiques à l’équilibre [24]. Ces calculs se fondent sur la connaissance de données thermodynamiques basiques du système telles que les enthalpies, capacités calorifiques ou pressions de vapeur saturante des phases condensées. L’état final du système est déterminé à partir de son état initial, en supposant que la réaction de combustion est totale. De tels calculs sont très performants pour comparer intrinsèquement l’énergie maximale que peut dégager une composition de thermite. En revanche, ils sont limités par l’hypothèse d’une réaction de combustion totale et ne peuvent pas décrire l’évolution temporelle de la réaction. A notre connaissance, il n’existe pas à ce jour, de modèle permettant de décrire le déroulement de la combustion d’une thermite, en particulier pour déterminer la pression générée durant la réaction, ni d’expliquer les évolutions des caractéristiques de combustion de ce mélange en fonction de la taille des particules d’aluminium, de la taille des particules d’oxyde métallique, de la compaction du mélange ou de la proportion de ces composés introduits dans le mélange.

Ma thèse vise à pallier ce manque. Pour cela, les objectifs que nous nous sommes fixés sont de :
— Tenir compte, autant que possible, des phénomènes macroscopiques et microscopiques tels que les fusions, évaporations, décompositions, oxydations, condensations, diffusions… ayant lieu sur la gamme de température et de pression parcourue lors de la combustion. Dans ce cadre, nous avons été amené à utiliser des outils DFT (Density Functional Theory) afin d’étudier des phénomènes mal connus ou qui nécessitent une description plus précise.
— Réunir tous les phénomènes inventoriés dans un modèle unique permettant de décrire la combustion en fonction des paramètres du mélange : la taille des différentes particules, la compaction et la proportion d’aluminium et d’oxyde. Ce modèle doit rendre compte de la pression générée ainsi que de l’évolution de la température et de la composition du mélange lors de la combustion. Ces caractéristiques thermiques seront comparées autant que possible à des mesures expérimentales afin de valider et de mettre en évidence les limites du modèle.
— Implémenter ce modèle dans un logiciel qui permette de simuler la combustion avec un coût raisonnable en temps de calcul et en ressources informatiques.

Ce programme sera utile et accessible à l’ensemble de la communauté des matériaux énergétiques.

Pour atteindre ces objectifs, nous avons, dans un premier temps, développé une représentation thermodynamique à l’équilibre local de la combustion qui donne l’évolution de la pression, de la température et de la composition du mélange en fonction de l’avancement de la réaction de combustion. Ce modèle très générique permet une comparaison aisée et rapide de la pression générée lors de la combustion de mélanges réalisés avec divers oxydes métalliques. Cependant, l’évolution du système est décrite à l’aide du paramètre « avancement de réaction » qui n’est pas équivalent au temps et qui ne représente donc pas l’évolution réelle de la réaction. Nous avons ensuite développé, pour compléter notre vision, un modèle cinétique de combustion qui repose principalement sur les échanges, condensations, évaporations et décompositions, ayant lieu aux interfaces entre les particules composant le mélange et la phase gazeuse. Dans la mesure où nous avons l’ambition de prédire la pression générée, ce modèle cinétique résulte globalement du couplage de deux niveaux de modélisation. Le premier portant sur la phase condensée du mélange, et le second sur la phase gazeuse et ses interactions. Nous avons donc étudié la composition de cette phasegazeuse en nous appuyant sur des calculs ab-initio. Pour finir, nous avons établi un modèle couplant la représentation cinétique de la combustion avec une description simplifiée, quasi-statique, du transfert de chaleur au sein d’une chambre de combustion typique, nous permettant d’aborder l’effet des pertes thermiques sur la pression générée.

Généralités et définition du périmètre d’étude

Commençons par noter qu’une thermite est constituée d’un métal réducteur, généralement de l’aluminium, et d’un oxydant. La réaction d’oxydation du métal par l’oxydant est un processus chimique fortement exothermique, qui est habituellement résumé de la manière suivante :

M + AO ⇒ MO + A + Q (1.1)

Avec M le métal, A le réducteur correspondant à l’oxydant AO et MO l’oxyde métallique correspondant au métal M. Q est la chaleur dégagée par la réaction (typiquement exprimée en kJ/mol).

On voit, dans cette définition, que les thermites désignent une variété de matériaux assez large puisque de nombreuses espèces métalliques ont une tendance naturelle à l’oxydation. Le plus couramment utilisé est l’aluminium (Al), mais le magnésium, le zinc, le lithium, le titane et le bore sont également des métaux qui sont en mesure de libérer une forte densité d’énergie par oxydation. Les oxydants qui peuvent composer une thermite sont encore plus variés, allant des oxydes métalliques les plus usuels (oxyde de cuivre CuO, oxyde de fer F e2O3, oxyde de bismuth Bi2O3) jusqu’aux iodates métalliques (Bi(IO3)3, Cu(IO3)2, F e(IO3)3) [25] en passant par les pérovskites (LaCrO3, LaF eO3, LaCoO3) [26] entre autres.

Afin de recenser les propriétés énergétiques des différentes compositions possibles, un inventaire comparatif des chaleurs de réaction, des températures de réaction, des productions de gaz et des densités d’un grand nombre de compositions a été entrepris par S. Fisher et M. Grubelich [27]. Les résultats de cette étude montrent que parmi tous les métaux possibles, l’aluminium permet d’obtenir les chaleurs de réaction les plus élevées, à l’opposé du titane, par exemple, qui donne les chaleurs de réaction massique comme volumique les plus faibles. Pour ces raisons, l’aluminium s’est donc imposé dans les applications requérant de fortes densités d’énergie et notre étude sera focalisée sur ce matériau.

Au-delà de la première composition employée historiquement, Al/F e2O3 [4], d’autres mélanges sont aujourd’hui utilisés, tel qu’Al/CuO. Cette dernière composition est particulièrement intéressante. D’une part pour sa forte densité d’énergie (20,8 kJ/cm3 ), et d’autre part car le CuO, tout comme l’aluminium, sont couramment exploités dans les procédés de fabrication collective au sein des centrales de technologies. C’est un atout considérable qui ouvre des perspectives importantes quant à l’utilisation des matériaux énergétiques dans les applications dévolues aux microsystèmes. Cette voie technologique a été développée au LAAS-CNRS depuis 2010 avec la thèse de Marine Petrantoni [28]. Nos travaux s’appuieront logiquement sur ces matériaux, étant donnée l’expertise du laboratoire dans ce domaine .

Le développement des nanotechnologies ces dernières années a ouvert d’autant plus les perspectives d’utilisation des thermites, en palliant à leur défaut principal, leur faible cinétique de réaction. L’apport de la nanostructuration vis à vis de la cinétique de réaction a été largement démontrée [33–35]. De plus, l’introduction de particules de taille nanométrique dans les thermites permet d’agir sur des paramètres comme la sensibilité, la stabilité, la capacité à générer des gaz et la chaleur de réaction.

Il est possible de réaliser des mélanges de réactifs de structures différentes à l’échelle nanométrique. Citons, à titre d’exemples, l’utilisation de nanoparticules d’aluminium, et d’oxydes métalliques sous forme de nanoparticules sphériques [11], ou bien sous forme de nanofilaments [38,39]. Des procédés de synthèse plus sophistiqués permettent d’obtenir d’autres structures, tels la synthèse par procédé sol-gel [40] où les deux matériaux sont synthétisés conjointement en solution, ou bien le broyage à réaction stabilisée [41] que nous détaillerons ultérieurement. Au LAAS-CNRS, des couches minces d’aluminium et d’oxyde de cuivre sont déposées par pulvérisation cathodique sur un support permettant de réaliser des dispositifs que nous appelons multicouches, et qui sont, par exemple, employés pour la réalisation d’initiateurs pyrotechniques [16]. Chacune de ces structurations possède des caractères thermiques spécifiques souvent très marqués, permettant de répondre à des cahiers des charges très diversifiés. Nous restreindrons notre étude aux compositions réalisées par mélange de nanoparticules dans un solvant. Cette méthode, assez simple dans sa mise en oeuvre, est applicable à un grand nombre de thermites. Elle permet de réaliser de grandesquantitésde matériaux énergétiques répondant à des besoins de systèmes capables de générer de grandes quantitésd’énergie. C’est également un domaine de recherche important au sein duquel de nombreuses études expérimentales ou théoriques vont pouvoir nourrir notre démarche de modélisation prédictive. Il est à noter que les nanoparticules d’aluminium employées habituellement pour réaliser les mélanges sont sphériques et possèdent une structure coeur coquille. Lecoeur sphérique d’aluminium est invariablementcouvert d’une couche d’oxyde d’aluminium Al2O3 se formant naturellement par oxydation. Cette couche d’oxyde native possède une épaisseur de 2 à 5 nm et joue un rôle crucial dans les mécanismes d’initiation de la combustion [42, 43]. Nous avons maintenant défini le cadre de notre étude et, dans ce qui suit, nous allons nous intéresser aux propriétés de thermites réalisées à partir d’un mélange de particules d’aluminium et d’oxyde métallique.

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Table des matières

Introduction
1 Contexte scientifique & État de l’art
1.1 Introduction
1.2 Généralités et définition du périmètre d’étude
1.3 Les propriétés des nanothermites
1.3.1 Effet de la proportion d’aluminium et d’oxyde métallique dans le mélange
1.3.2 Impact du confinement et de la compaction du mélange (%TMD)
1.3.3 Influence des dimensions des particules sur les caractéristiques de combustion
1.4 Modèles de combustion des matériaux énergétiques usuels
1.4.1 NASA-CEA : Chemical equilibrium with applications
1.4.2 Modélisation de la combustion des compositions propulsives solides
1.5 Les modèles de combustion des nanothermites
1.5.1 La combustion des nanoparticules d’aluminium
1.5.2 Modèles par diffusion d’espèces dans la couche d’alumine
1.5.3 « Melt Dispersion Mechanism » : mécanisme mécano-chimique de combustion
1.6 Conclusions
2 Une première approche à l’équilibre thermodynamique local appliquée à la génération de pression
2.1 Comparaison des caractéristiques thermiques par S. Fisher et M. Grubelich
2.2 Développement d’un modèle thermodynamique à l’équilibre local
2.3 Applications du modèle thermodynamique à l’équilibre local
2.3.1 Etude du cas de référence de la thermite Al/CuO
2.3.2 Application à d’autres compositions de thermites
2.4 Validation expérimentale et discussion
2.5 Conclusion
3 Développement d’un modèle micro-cinétique de combustion d’une thermite Al/CuO
3.1 Etude phénoménologique de la combustion d’un mélange de nanoparticules Al/CuO
3.1.1 Diffusion des atomes d’aluminium dans la structure coeurcoquille des nanoparticules d’aluminium
3.1.2 Réactions en surface des particules
3.1.3 Étude de la composition de la phase gazeuse lors de la combustion
3.1.4 Méthodologie pour un calcul efficace de l’équilibre thermodynamique de la phase gazeuse
3.2 Développement d’un modèle micro-cinétique de combustion des thermites
3.2.1 Diffusion à travers la couche d’alumine
3.2.2 Echanges à la surface des particules
3.2.3 Calcul de la composition de la phase gazeuse à l’équilibre thermodynamique
3.2.4 Calcul de la variation de température
3.2.5 Bilan
3.3 Modélisation des pertes thermiques dans une chambre de combustion cylindrique
3.4 Implémentation dans un programme de simulation : le logiciel ALICKIA
3.4.1 Choix du langage de programmation et structuration du programme
3.4.2 Résolution numérique et procédure algorithmique
3.5 Conclusion
4 Validation et application de notre modèle cinétique
4.1 Validation du modèle phénoménologique de combustion
4.1.1 Caractéristiques de l’expérience de référence et valeurs des paramètres de simulation
4.1.2 Résultats de simulation dans les conditions de référence
4.1.3 Correction de la procédure d’initiation
4.1.4 Comparaison des résultats de simulation avec des mesures de pression pour différents %TMD
4.2 Exploitation de notre modèle phénoménologique de combustion
4.2.1 Evolution de la pression et de la température en fonction du temps
4.2.2 Variation des résultats avec les grandeurs physiques du système
4.3 Modélisation quasi-statique des transferts de chaleur et effet des pertes thermiques
4.3.1 Applications du modèle de transfert de chaleur quasi-statique
4.3.2 Initiation de la réaction de combustion
4.3.3 Etude de l’impact de la diffusion thermique
4.3.4 Echange de chaleur par convection entre gaz et enceinte
4.4 Conclusion
Conclusions Générales

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