Le « proto-secours » en montagne
Si l’histoire du secours en montagne est intimement liée à celle de l’alpinisme et, plus généralement, du tourisme montagnard, on ne saurait l’y réduire. La présence humaine en milieu montagneux, bien qu’impactée par ces activités, y est bien antérieure, et les montagnes jouent, depuis longtemps, aussi bien le rôle de refuges, que de points de passage, de « synapses » (Brunet et al. 1992, p. 337). De fait, les massifs montagneux et notamment les Alpes sont parcourus depuis l’Antiquité et les marchands ou voyageurs en périls sont secourus par les habitants de ces vallées reculées (Mézin 2016). Cependant, cette forme d’assistance est bien différente du secours en montagne contemporain, d’une part, car les espaces concernés sont différents. La haute montagne est, jusqu’au xixe siècle, terra incognita, et ni les voyageurs, ni les locaux ne s’y aventurent. Les secours ne se déroulent donc que le long d’itinéraires traversants et non sur des arêtes effilées ou à flanc de parois exposées. D’autre part, il n’existe aucune forme d’organisation pérenne, les caravanes de secours se forment selon les nécessités et sur la base du volontariat. Le champ d’action du secours en montagne change avec l’émergence du nouveau divertissement « [d]es grands bourgeois britanniques » (Descamps 2018) : l’alpinisme. L’objectif n’est plus de fuir les massifs les plus denses et les pentes les plus abruptes, mais de les approcher. La difficulté des secours augmente avec l’ambition des ascensions, mais ils sont toujours effectués par des volontaires, comme des guides locaux 2 ou des alpinistes présents sur place, ultérieurement soutenus par les militaires des régiments alpins . Toutefois, l’organisation de ce « proto-secours » en montagne n’est pas exempte de problèmes. Dans le récit d’une opération de secours publié en 1911, Thomas (1911) met en évidence le fait que, sous couvert de solidarité, les motivations des volontaires sont également pécuniaires, ces derniers étant discrètement dédommagés par la victime ou, lorsque les secours n’ont pu aboutir, par sa famille. Cette forme de rémunération, couplée à l’absence d’une institution organisatrice, favorise, selon Thomas (1911), la multiplication de caravanes concurrentes, ce qui favorise les interventions peu préparées et la prise de risque, rendant les secours plus dangereux et moins efficaces. Thomas (1911) conclut son propos par un appel à la rationalisation des secours. Il conseille de recourir à des petits groupes de secouristes préparés et entrainés, plutôt qu’à des caravanes organisées à la hâte et composées de dizaines de volontaires. Ce problème sera, en partie, résolu avec le développement de regroupements de secouristes, centralisant la prise de décision : les comité de secours. Le premier d’entre eux, les sauveteurs volontaires du Salève, apparaît en 1897 dans les Pré-Alpes (Centre Fédéral de Documentation Lucien Devies 2020), 14 ans avant l’article de Thomas. Mais cette initiative sera reprise bien plus tardivement dans d’autres régions. Caille (2016) explique cette précocité par la forte pression touristique subie par la région à la fin du xixe siècle. Le second comité de secours en montagne est créé à Grenoble en 1910 (Caille 2016 ; Centre Fédéral de Documentation Lucien Devies 2020). Quant à la majorité de ces structures, elles voient le jour au tournant des années 1930, avec, notamment, la création d’un comité de secours à Annecy en 1928, à Chamonix en 1929, à Briançon en 1932 ou à Pau en 1936 (Centre Fédéral de Documentation Lucien Devies 2020 ; Devies 1946). Cette organisation des secours, basée sur l’action de comités locaux et sans réelle coordination entre massifs, perdure jusqu’à l’après-guerre. Durant cette période, l’armée est la seule institution publique à participer activement aux secours en montagne. Son action va même en se renforçant, notamment par le support direct (personnels) et indirect (développement de matériel, formation) de l’école de haute montagne (EHM) créée en 1932 à Chamonix (Mézin 2016). Cependant, Devies (1946) remet en cause cette organisation dès 1946. De son point de vue, les différents comités locaux sont une solution bien insuffisante aux problèmes du secours en montagne, notamment comparé aux solutions mises en place en Suisse ou en Autriche. Devies prône une centralisation de l’organisation des secours, par le biais d’une institution chapeautant les différents comités locaux et subventionnée par l’État.
L’identification manuelle de la position des victimes
Les secouristes disposent de plusieurs méthodes pour localiser les victimes. Une première manière de procéder, qui nous intéresse particulièrement dans le cadre de ce travail, consiste à identifier manuellement la position du requérant à partir des informations de localisation données lors de l’appel, e.g. « Je suis sur le GR 5 », « Je vois Grenoble » ou « Je suis à côté d’un chalet. » Ces informations peuvent être extrêmement nombreuses et précises ou, au contraire, extrêmement lapidaires. L’identification manuelle d’une position peut donc être un travail difficile, même pour un secouriste habitué à ce travail. Le processus de localisation d’une victime par les secouristes est unique dans chaque cas, mais on peut identifier certaines récurrences. Lorsque la personne contactant les secours, le requérant, est mise en contact avec les secouristes, il lui est rapidement demandé de donner sa position. Quelques fois, le requérant est capable de la donner précisément et sans ambiguïté, par exemple en donnant des coordonnées GPS ou une indication extrêmement claire et discriminante (e.g. « Je suis au sommet du Grand Veymont »). Mais dans la majorité des situations, le requérant n’est pas capable de décrire convenablement sa position. Les secouristes doivent donc l’identifier, ou tout du moins l’approximer à partir des informations qu’ils peuvent obtenir. Cette tâche est cependant facilitée par deux éléments importants. D’une part, la phase de localisation se déroule en parallèle de la conversation téléphonique entre le requérant et un secouriste. Ce dernier n’a donc pas à extrapoler le maximum d’informations à partir d’une description figée, au contraire, il a la possibilité de poser des questions, de demander des précisions et donc de tester des hypothèses. Les secouristes peuvent donc procéder par essais-erreurs et adapter leur démarche en continu, en fonction de la situation et des nouvelles informations données par le requérant, ce qui facilite le travail de localisation. Le second point essentiel est que les secouristes peuvent s’appuyer sur un nombre conséquent de données pour identifier la position du requérant. En effet, les secouristes ont accès à un ensemble de données cartographiques, que ce soit au format papier ou numérique, qui leur permettent d’identifier des positions, de faire des hypothèses ou de poser des questions discriminantes (e.g. « Est-ce que vous voyez des chalets au loin ? »). D’autres sources d’informations sont également disponibles pour les secouristes, comme un ensemble de topo-guides 26 de la région, dans lesquels sont parfois les seuls documents à donner une information spécifique, comme un itinéraire recommandé. Malgré ces atouts, il est parfois difficile pour les secouristes d’identifier avec précision et certitude la position de la victime, notamment lorsque les informations données par le requérant sont peu précises ou vagues. Cela peut se produire lorsque le requérant est un tiers contactant les secouristes suite à une disparition ou lorsque la victime est complètement perdue, paniquée ou gravement blessée.
Structuration des données issues de sources textuelles hétérogènes
Comme nous l’expliquions précédemment, les bases de données géographiques ne contiennent pas l’ensemble des objets pouvant être utilisés pour décrire une position en montagne. Si on y trouve la plupart des sentiers et des sommets, il est moins fréquent de trouver des représentations de barres rocheuses, ou de vires, alors qu’il s’agit de points de repères saillants et donc régulièrement utilisés pour décrire des positions dans notre contexte. L’ajout de ce type d’objet dans la base de données utilisées par les secours permettrait d’affiner ou de faciliter la localisation des victimes. Le premier objectif scientifique du projet, « la structuration des données issues de sources textuelles hétérogènes », consiste à enrichir les bases de données à la disposition du PGHM par l’analyse de sources textuelles et plus spécifiquement de descriptions textuelles d’itinéraires de randonnée. En effet, la majorité des informations disponibles sur les itinéraires de randonnée est présentée (et diffusée) sous forme de texte, notamment par le biais de topoguides, de sites collaboratifs 39, ou encore de blogs. Les itinéraires y sont généralement présentés sous la forme d’un texte décrivant principalement les points de bifurcation et les objets permettant de les repérer (e.g. « prendre à droite à la bifurcation située au niveau d’un gros rocher ») et sont parfois (notamment sur les sites tels que camp2camp), complétés par une trace GPS. La présence de ces deux informations complémentaires permet d’envisager d’identifier les positions correspondant à certaines descriptions, et inversement. Or, comme certains des objets décrits et utilisés comme points de repère dans le récit peuvent être absents des bases de données géographiques, il devient possible de les enrichir (Medad et al. 2018 ; Moncla et al. 2019).
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Table des matières
Introduction générale
Organisation du manuscrit
I Le secours en montagne et la question du traitement de positions exprimées dans un référentiel indirect
Introduction de la première partie
1 Contexte applicatif et organisationnel
Introduction
1.1 Le secours en montagne
1.2 Le projet de recherche Choucas
Conclusion
2 Contexte scientifique et problématique
Introduction
2.1 Problématisation du sujet
2.2 Objectifs scientifiques de la thèse
Conclusion
3 État de l’art
Introduction
3.1 L’imprécision et sa modélisation
3.2 Les relations de localisation et leur modélisation
Conclusion
Conclusion de la première partie
II Définition d’une méthode de construction d’une zone de localisation probable à partir d’une description de position
Introduction de la deuxième partie
4 Aspects généraux de la méthode de construction de la zone de localisation probable
Introduction
4.1 Identification des caractéristiques principales de la méthode
4.2 Formalisation des indices des localisation
4.3 Définition de la méthode
Conclusion
5 La phase de décomposition
Introduction
5.1 La décomposition des relations de localisation
5.2 Définition du contenu de l’ontologie des relations de décomposition
Conclusion
6 La modélisation des zones de localisation
Introduction
6.1 Critères de choix de la modélisation
6.2 Choix du modèle théorique
6.3 Choix de l’implémentation
Conclusion
7 La phase de spatialisation
Introduction
7.1 Présentation générale de la méthode de spatialisation
7.2 La rasterisation des objets de référence
7.3 Le calcul de la métrique
7.4 La fuzzyfication de la métrique
7.5 Représenter des connaissances relatives à la spatialisation
Conclusion
8 La phase de fusion et la modélisation de la confiance
Introduction
8.1 Présentation générale de la méthode de fusion
8.2 La prise en compte de la confiance
8.3 Présentation détaillé des étapes de la fusion
Conclusion
Conclusion de la deuxième partie
III Applications, résultats et critiques de la méthode proposée
Introduction de la troisième partie
9 Résultats et analyse critique
Introduction
9.1 Généralités sur la modélisation des alertes
9.2 Première alerte : Grand Veymont
9.3 Seconde alerte : le fil rouge
Conclusion
Conclusion générale
Bilan des contributions
Perspectives
Annexes
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