Les différentes méthodes et types d’acquisition de surface
Le sondage électrique
La méthode de sondage électrique a constitué l’une des premières méthodes utilisées en prospection électrique en courant continu (Stefanescu et al., 1930). Le principe de ce type d’acquisition est d’effectuer des mesures en accroissant progres-sivement l’écartement entre les électrodes du quadripôle, augmentant ainsi la profondeur d’investigation. La répétition des mesures avec des écartements d’électrodes croissants permet de construire une courbe de variation de la résistivité apparente en fonction d’une profondeur d’investigation associée au dispositif. Cette méthode s’intéresse à déterminer des variations de résistivité dans des couches perpendiculaires à la surface. Cela suppose un a priori fort sur la structure du sous-sol. L’interprétation des mesures peut être réalisée au moyen d’abaques permettant de reconstruire un milieu stratifié horizontal à deux ou trois couches. Ce type d’acquisition est rapide à mettre en œuvre mais limité du fait de l’a priori important sur la structure 1D du milieu.
La traînée électrique
Cette méthode s’intéresse à la détection de variations latérales de résistivités. Le principe, différent de celui du sondage électrique, est d’effectuer une série de mesures avec le même dispositif (même écartement entre électrodes) en déplaçant ce dernier le long d’un axe. Classiquement plusieurs séries de mesures sont réalisées le long du même axe en utilisant le même dispositif et différents écartements entre électrodes.
Les mesures peuvent ensuite être représentées ensemble en fonction de leur position et d’une pseudo-profondeur fonction de la taille du dispositif.
Ce type d’acquisition, également appelé profilage électrique, est aujourd’hui essentiellement réalisé aux moyens d’appareillages spécifiques permettant des acquisitions à haut rendement (Dabas & Caraire, 2012). Ce type d’appareillage est généralement constitué d’un engin de tractage et d’un dispositif de mesure présentant des roues dentées constituant les électrodes ou utilisant des électrodes capacitives. Le profilage électrique peut également être réalisé en milieu aquatique avec des électrodes flottantes ou traînées au fond de l’eau.
Les stratégies d’inversions utilisées en tomographie électrique
Du fait du nombre relativement important des paramètres mis en jeu (quelques centaines de points en 2D à plusieurs dizaines de milliers en 3D) des méthodes de recherche systématique (Grid Search Methods) ou faisant appel à des processus aléatoires (méthode de Monte Carlo) sont peu envisageables. En effet elles nécessitent un grand nombre de résolutions du problème direct pour explorer l’espace des paramètres. Des méthodes telles que le recuit simulé (Pessel, 2000) ou l’utilisation d’algorithmes génétiques (Schwarzbach et al., 2005; Neyamadpour et al., 2009) sont parfois employées mais restent relativement peu courantes. Les approches utilisant une linéarisation du problème direct ont été utilisées du fait de leur faible coût numérique. Parmi elles nous pouvons mentionner les méthodes de rétropropagation proposées par Shima & Sakayama (1987); Noel & Xu (1991); Barker (1992); Tsourlos et al. (2005) ou celles utilisant un opérateur d’inversion approximé (Li & Oldenburg, 1994). Bien que le problème ainsi formulé converge en principe en une itération il est en général résolu de manière itérative : à chaque itération le problème est linéarisé.
L’utilisation d’une forme linéarisée du problème inverse est le choix le plus courant pour la méthode électrique. Ce type d’approche permet l’utilisation de différents algorithmes d’inversion linéaires itératifs. Certains auteurs utilisent la méthode du gradient conjugué (Zhang, 1995), mais la méthode de Gauss-Newton avec une condition de régularisation est la plus couramment utilisée (Tripp et al., 1984; Park & Van, 1991; Sasaki, 1994; Loke & Barker, 1996a,b; Yi et al., 2001; Pain et al., 2002; Günther et al., 2006; Pidlisecky, 2006; Blome, 2009).
Calcul du gradient de la fonction objective
Nous avons choisi d’utiliser la méthode de l’état adjoint pour le calcul du gradient de la fonction objective. Dans le cas où une fonctionnelle sur le modèle est rajoutée nous calculons son gradient analytiquement. Le calcul du gradient par l’état adjoint ne pose pas de difficulté en 3D ; en 2.5D en revanche il fait intervenir le potentiel et la variable adjointe en plus de leurs gradients . Le potentiel et la variable adjointe étant définis aux sommets des éléments nous effectuons la moyenne pondérée des valeurs aux sommets pour obtenir la valeur au centre d’un élément . Afin de vérifier le calcul du gradient par l’état adjoint nous pouvons le comparer à son calcul par Différences Finies (méthode des perturbations). Le modèle de départ est homogène à 770 Ω.m. Les deux gradients ainsi obtenus sont très proches l’un de l’autre. Le gradient obtenu par l’état adjoint est plus focalisé que celui légèrement plus diffus obtenu par la méthode des perturbations. Ceci peut s’expliquer par la moins bonne stabilité du calcul par Différences Finies, le résultat étant lié à l’amplitude de la perturbation élémentaire (dans la pratique, une perturbation de +/- 50 Ω.m nous a permis d’obtenir des résultats stables). Une seconde explication provient du calcul du gradient par l’état adjoint effectué sur une grille fine (grille du calcul direct) puis extrapolé sur la grille d’inversion, alors que le calcul par Différences Finies a été réalisé en perturbant directement les cellules de la grille d’inversion. Nous constatons également que l’intensité du gradient est très forte à proximité de la surface, et qu’elle s’atténue ensuite très fortement avec la profondeur. Cela indique que des traitements (régularisation, préconditionnement) sont nécessaires pour qu’au cours de l’inversion la remise à jour du modèle ne concerne pas uniquement la proximité de la surface. Le choix de la paramétrisation est très important ; sur une grille plus fine le gradient présente de très fortes valeurs à proximité des électrodes, cet effet est ici atténué par le choix de paramètres suffisamment volumineux en surface.
Inversion d’un modèle avec plusieurs hétérogénéités
Dans cette seconde application synthétique nous considérons un modèle plus complexe composé de deux blocs, un résistant et un conducteur, dans un milieu globalement homogène avec une fine couche de résistivité différente à la surface.
Le modèle présente également une légère topographie. En conservant cette même géométrie, nous avons créé trois modèles synthétiques en considérant des résistivités différentes pour les différents blocs . Les données synthétiques ont pour les trois cas été générées en considérant un dispositif Schlumberger composé de 64 électrodes, avec un espacement interélectrodes minimum de 2 m.
Toutes les données sont bruitées selon le même modèle de bruit additif que dans l’application précédente, à savoir : 70 mV de bruit blanc plus un bruit relatif de 0.1%. Les trois jeux de données sont inversés en utilisant un gradient conjugué. Le modèle de départ de chacune des inversions est un milieu homogène.
Le premier modèle est constitué d’un milieu à 100 Ω.m avec une couche supérieure à 300 Ω.m et dans lequel se trouve un gros bloc à 4000 Ω.m ainsi qu’un plus petit à 10 Ω.m.
L’erreur RMS de 4.5% est satisfaisante et les pseudosections de résistivités apparentes calculées et inversées concordent bien . Nous constatons des différences essentiellement pour les faibles pseudo-profondeurs et en particulier pour les données sur les bords extérieurs. Deux raisons peuvent expliquer cela : la plus faible résolution sur les bords du domaine et la faible épaisseur de la couche supérieure (3m). Sur le modèle inversé la couche supérieure est bien retrouvée, tant en terme de valeurs de résistivité que de dimensions, à l’exception des bords droit et gauche. Le bloc résistant est bien retrouvé et bien cerné en terme de dimensions, sa limite inférieure est par contre sous-estimée car peu résolue. Les valeurs de résistivité retrouvées sont bien inférieures aux valeurs réelles et ce bien que nous ayons poussé les itérations pour accentuer les contrastes . Les valeurs de résistivité du bloc conducteur sont mieux estimées, en revanche sa géométrie est retrouvée de manière plus diffuse. Nous pouvons enfin noter la présence d’artefacts conducteurs juste sous la couche de surface, et d’autres résistants, en profondeur, à proximité du bloc à 4000 Ω.m. Remarquons que le nombre d’itérations (85) n’est pas satisfaisant mais s’explique par un choix, sécuritaire, d’une petite valeur pour la limite du pas αmax.
Dans le second modèle synthétique nous avons cherché à inverser les contrastes entre les différentes unités. Le milieu est alors à 400 Ω.m, la couche supérieure a une résistivité de 1200 Ω.m ; les blocs de gauche et droite sont respectivement à 40 Ω.m (le contraste est ici plus faible que dans le cas précédent) et 4000 Ω.m . L’inversion a convergé dans un nombre d’itérations comparable à l’exemple précédent. Les principales erreurs restantes concernent également ici les faibles pseudoprofondeurs . La couche supérieure est bien retrouvée mais sa résistivité légèrement sous-estimée. Le sommet du bloc résistant est bien localisé, sa résistivité est en revanche inférieure à la valeur exacte et la limite inférieure du bloc n’est pas bien retrouvée. La résistivité du bloc conducteur n’est pas parfaitement estimée, mais il est surtout important de noter que le bloc n’est pas bien localisé.
En plus de retrouver une hétérogénéité globalement diffuse, nous retrouvons un bloc déformé et décalé vers la gauche. Ce comportement est à mettre en lien avec la résolution du problème, une étude approfondie via la matrice de résolution permettrait de mieux le quantier (Friedel, 2003). Au delà du dispositif et de la position de l’hétérogénéité (qui tous deux influent sur la résolution du problème) nous pensons que la résistivité de la couche de surface joue ici un rôle important. Nous avons construit un troisième modèle synthétique, identique au second, à l’exception de la résistivité de la couche de surface que nous avons abaissée à 590 Ω.m. Nous constatons que les différentes structures sont bien retrouvées et que le bloc conducteur est ici mieux localisé. Les contrastes ne sont encore une fois pas très bien retrouvés et l’image obtenue plutôt lisse. Nous avons choisi ici un pas maximal αmax plus grand ce qui nous a permis de converger vers une erreur RMS légèrement plus faible en deux fois moins d’itérations que dans les deux cas précédents. Notons toutefois que ce pas s’est parfois avéré trop grand (aux itérations 13 et 14) comme l’indique la courbe de convergence .
Nous avons vu au moyen de ces trois exemples que le code d’inversion permet de retrouver les principales structures de modèles assez complexes. Les résistivités des objets retrouvés sont en général atténuées par rapport à leurs valeurs réelles, et le modèle obtenu est globalement lisse et peut présenter des distorsions. La topographie ; relativement faible ici, est toutefois importante, sa bonne prise en compte permet de bien localiser les différentes anomalies. La forme des cibles résistantes est mieux retrouvée que celle des cibles conductrices. Le phénomène est inversé en ce qui concerne les valeurs de résistivité retrouvées. Ce comportement s’explique par la focalisation des lignes de courant vers les hétérogénéités conductrices et le fait qu’elles contournent les zones résistantes. Des comportements équivalents existent dans le cas de la sismique : on retrouve bien les contours des zones de vitesses lentes (contournées par les rais), et on retrouve bien les valeurs des vitesses sismiques des zones de forte vitesses (traversées par les rais).
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Table des matières
1 Introduction
2 L’imagerie de résistivité en courant continu
2.1 Historique
2.2 Propriétés électriques des matériaux
2.2.1 Les géomatériaux
2.2.2 Les matériaux du génie civil
2.2.3 Les tissus biologiques
2.3 Acquisition de données
2.3.1 Principe de mesure
2.3.2 Erreur sur la mesure
2.3.3 Les différentes méthodes et types d’acquisition de surface
2.3.4 Dispositifs et protocoles de mesure
2.3.5 Représentation des données
2.4 Sensibilité des dispositifs
2.5 Equations fondamentales
2.5.1 La loi d’Ohm
2.5.2 Equations de l’électromagnétique de Maxwell
2.5.3 Equation du potentiel électrique lié à une source ponctuelle
2.6 Conclusion
3 Résolution du problème direct
3.1 Méthodes de résolution
3.1.1 Solutions analytiques
3.1.2 Méthodes intégrales
3.1.3 Autres méthodes numériques
3.2 Conditions aux bords et problème 2.5D
3.2.1 Conditions aux bords pour un modèle de dimensions finies
3.2.2 Approximation 2.5D
3.3 Singularité à la source : approche additive
3.3.1 Décomposition du potentiel dans le cas d’une topographie plane (Lowry et al., 1989)
3.3.2 Cas d’une topographie non plane
3.3.3 Calcul du potentiel en utilisant la méthode BEM (Blome, 2009)
3.3.4 Nouvelle formulation additive
3.4 Singularité à la source : approche multiplicative
3.5 Conclusion
4 Résolution du problème inverse
4.1 Formulation du problème inverse
4.1.1 Introduction
4.1.2 Les stratégies d’inversions utilisées en tomographie électrique
4.1.3 Théorie de l’inversion par optimisation locale
4.1.4 Les algorithmes de minimisation par optimisation locale
4.2 Calcul des dérivées de Fréchet
4.2.1 Méthode des perturbations
4.2.2 Méthode des équations de sensibilité
4.2.3 Méthode basée sur le théorème de réciprocité
4.3 Calcul du gradient par la méthode de l’état adjoint
4.3.1 Formulation par le Lagrangien
4.3.2 Gradient de la fonction objective
4.3.3 Équation de l’état adjoint
4.3.4 Cas 2.5D
4.3.5 Calcul du gradient de la fonction objective avec des résistivités apparentes
4.3.6 Discussion sur la méthode
4.4 Paramétrisation et régularisation
4.4.1 Choix de paramètres logarithmiques
4.4.2 Discrétisation des paramètres
4.4.3 Techniques de régularisation
4.5 Conclusion
5 Problème direct : implémentation et aspects pratiques
5.1 Méthode de résolution numérique
5.1.1 Différences Finies Généralisées
5.1.2 Résolution de l’équation de Poisson à conductivités variables
5.2 Implémentation
5.2.1 Mise en œuvre pratique
5.2.2 Applications numériques
5.3 Comparaison entre les Différences Finies Généralisées et les Eléments Finis
5.3.1 Rappels sur la méthode des Eléments Finis dans le cas du problème électrique
5.3.2 Tests numériques de comparaison entre les codes en Différences Finies Généralisées (GFDM) et en Eléments Finis (FEM)
5.4 Conclusion
6 Problème inverse : aspects pratiques et applications
6.1 Mise en œuvre pratique de l’inversion
6.1.1 Formulation de la fonction coût
6.1.2 Paramétrisation
6.1.3 Calcul du gradient de la fonction objective
6.1.4 Méthode de descente et de régularisation
6.1.5 Calcul du pas et préconditionnement
6.1.6 Critère de convergence et d’arrêt
6.2 Etudes synthétiques
6.2.1 Etude du comportement des normes l1 et l2
6.2.2 Inversion d’un modèle avec plusieurs hétérogénéités
6.2.3 Comparaison des algorithmes de minimisation
6.3 Inversion de données réelles
6.3.1 Contexte géologique et environnemental du site de Tournemire
6.3.2 Acquisition des données
6.3.3 Inversion des profils à écartements de 8 m
6.4 Conclusion
Conclusions et perspectives
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