Modélisation écosystémique de l’estuaire et du nord du golfe du Saint-Laurent

Site d’étude

Le fleuve Saint-Laurent est situé au Québec, à l’est du Canada, entre 46° et 52°N et 70° et 60°O. Avec un débit moyen de 11×103 m3 s-1 , il est l’un des principaux fleuves d’Amérique du Nord (Bourgault et Koutitonsky, 1999). Son estuaire débute à la pointe est de l’île d’Orléans, près de Québec, là où l’eau douce commence à se mélanger à l’eau salée, et finit 400 km en aval, à Pointe-des-Monts, où commence le golfe (D’Anglejan et Smith, 1973) .
L’estuaire s’élargit progressivement, passant de 2 à 60 km, tout en devenant plus profond et plus salé, et deux parties distinctes, séparées par un brusque changement de bathymétrie au niveau de Tadoussac, peuvent être identifiées (El-Sabh et Silverberg, 1990 ; Dolgopolova et Isupova, 2010). L’estuaire moyen, situé en amont, est caractérisé par une faible profondeur (de 15 à 100 m) et une faible salinité. L’estuaire maritime, en aval, présente une profondeur allant jusqu’à 350 m et une salinité plus grande (D’Anglejan et Smith, 1973). Le golfe du Saint-Laurent est une mer semi-fermée et hautement stratifiée, qui est connectée à l’océan Atlantique, au sud, par le détroit de Cabot, et au nord, par le détroit de Belle-Isle  (El-Sabh, 1976). Le détroit de Cabot (104 km de largeur et 480 m de profondeur) est plus large et plus profond que le détroit de Belle-Isle (16 km de largeur et 60 m de profondeur) et représente la seule entrée significative des eaux profondes nord Atlantiques dans le golfe (El-Sabh, 1977) .La principale caractéristique topographique de ce système est le chenal Laurentien, profonde vallée glaciaire de 1000 km formée lors du Wisconsinien supérieur, entre 18 Ka BP et 10 Ka BP (Syvitski et Praeg, 1989 ; Koutitonsky et Bugden, 1991), qui s’étend de la pente continentale Atlantique, en passant par le détroit de Cabot, jusqu’à la tête de l’estuaire maritime (Desrosiers et al., 2000). Deux autres chenaux se détachent du chenal Laurentien : le chenal Esquiman, qui continue vers le détroit de Belle-Isle, et le chenal d’Anticosti, situé au nord de l’île d’Anticosti . Ces chenaux profonds représentent près de 50 % de la surface du golfe du Saint-Laurent. La portion sud du golfe, quant à elle, est constituée du plateau des Îles-de-la-Madeleine, large et peu profond (inférieur à 80 m de profondeur) (Koutitonsky et Bugden, 1991).

Données d’entrée

Pour chaque groupe fonctionnel, des données d’abondance et biomasse, de production, de consommation, d’export et d’alimentation ont été récoltées et utilisées comme paramètres d’entrée du modèle. Les données provenant de la zone et la période d’intérêt, sont utilisées dans la mesure du possible, cependant, pour certaines espèces (notamment les invertébrés benthiques), les informations sont peu nombreuses ou non-existantes.

Abondance et biomasse

Les estimations d’abondance et de biomasse pour la plupart des poissons et les crevettes ont été déterminées à partir des relevés au chalut de fond effectués chaque été par le MPO dans l’estuaire et le nord du golfe du Saint-Laurent. Les valeurs ainsi obtenues sont considérées comme des valeurs minimales, car les régions côtières (profondeur < 37 m) ne sont pas couvertes lors du relevé et certaines espèces ne sont pas correctement échantillonnées par le chalut (faible capturabilité des espèces pélagiques par exemple). Pour les autres groupes, elles ont été estimées à partir d’autres études, de modèles de populations, ou de la littérature lorsque les données n’étaient pas disponibles pour la zone étudiée. Les données concernant les cétacés proviennent ainsi d’un relevé aérien effectué en 2007 par le MPO, s’inscrivant dans le cadre du Trans North Atlantic Sightings Survey (TNASS) (Lawson et Gosselin, 2009). Pour la baleine bleue Balaenoptera musculus, ces données proviennent de campagnes de photo-identifications réalisées par la Station de Recherche des Îles Mingan (MICS) depuis 1979 (Comtois et al., 2010). L’abondance des phoques est obtenue grâce à un modèle de population (Hammill et Stenson, 2000), et cette dernière est multipliée par le poids moyen de chaque classe d’âge, pour obtenir la biomasse. Pour le maquereau Scomber scombrus, les valeurs de biomasse sont obtenues à partir d’un index basé sur la production des œufs (DFO 2003).

Captures et prises accidentelles

Les débarquements commerciaux annuels des divisions 4RS sont estimés à partir des statistiques de l’OPANO (NAFO, 1999). Pour l’estuaire, les valeurs de débarquements sont obtenues à partir des fichiers ministériels ZIFF (Zonal Interchange File Format : fichier informatisé sur les échanges entre les zones). De plus, les données de prises accidentelles pour la pêcherie du turbot et de la crevette sont incluses dans le modèle. Les captures totales pour chaque groupe fonctionnel sont calculées à partir de ces trois sources différentes et sont exprimées en tonne par unité de surface par an (t km-2 an-1). Pour les mammifères marins et les oiseaux, les mortalités liées aux activités anthropiques (prises accidentelles dans des engins de pêche, collisions avec les navires, mort par arme à feu, etc.) sont comptabilisées.

Régime alimentaire

La composition du régime alimentaire de chaque groupe est déterminée grâce aux études de terrains réalisées dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent, lorsque celles-ci sont disponibles. Dans le cas contraire, les données de la littérature, pour une autre zone et/ou une autre période, sont utilisées. La contribution minimum et maximum de chaque proie potentielle au régime alimentaire est alors déterminée et utilisée dans le modèle inverse. Les valeurs sont exprimées en % de la masse totale des proies.

Proies et prédateurs principaux de l’écosystème

D’après le nombre de prédateurs de chaque proie, ainsi que le nombre de fois où celle-ci fait partie des trois proies préférées d’un prédateur, il apparaît que le groupe des euphausiacés constitue la proie principale de l’écosystème . Le groupe des crevettes est la deuxième proie la plus consommée. Le capelan, le hareng, ainsi que les petits poissons pélagiques constituent également des proies d’importance considérable dans l’écosystème du Saint-Laurent .
Un des principaux prédateurs des euphausiacés est la baleine bleue, dont le régime alimentaire est constitué à 95% de ce groupe, les 5 % restant sont distribués entre les autres groupes de zooplancton (Rioual et Savenkoff, 2012). Les euphausiacés sont aussi consommés par des poissons démersaux (plies, sébaste), des poissons pélagiques (hareng, petits poissons pélagiques), des invertébrés benthiques (calmar, crevettes) et par les amphipodes hypéridés. s crevettes sont consommées principalement par des poissons démersaux, tels que le la morue, le turbot, les raies, le sébaste, ou l’aiguillat noir Centroscyllium fabricii.
Le capelan, qui est une espèce fourragère, est consommé par un large éventail de prédateurs, allant des mammifères marins (mysticètes) et des oiseaux marins, aux poissons (morue, turbot, maquereau) et aux invertébrés (calmar).
La morue, qui est une espèce prédatrice, est consommée presque exclusivement par les mammifères marins (béluga et phoques). En se basant sur les données observées d’alimentation et de consommation (intrants du modèle), le phoque du Groenland pourrait être à lui seul responsable de 63 % de la mortalité des morues et l’ensemble des autres mammifères marins atteindrait 19 % de cette mortalité. La pêche serait, quant à elle, responsable de 22 % de la mortalité des morues (Rioual et Savenkoff, 2012).Les invertébrés benthiques se nourrissent principalement de phytoplancton, mésozooplancton et détritus. Cela vient du fait que les espèces représentées sont surtout des bivalves, ainsi que des filtreurs et détritivores.
D’après les données observées d’alimentations, le phoque du Groenland compte 26 proies potentielles, dont 6 constituent plus de 5 % de son régime alimentaire. Pour la morue, 25 proies potentielles sont dénombrées, dont 9 constituent plus de 5 % de son alimentation. Les plies comptent 10 proies potentielles, mais seulement 2 constituent plus de 5 % de leur régime alimentaire. En effet, les plies se nourrissent à 67 % de polychètes. Les loups, quand à eux, comptent 14 proies potentielles et 10 constituent plus de 5 % de leur régime alimentaire.

Structure de l’écosystème

La structure de l’écosystème de l’estuaire et du nord du Saint-Laurent est complexe. Elle est constituée d’un grand nombre d’espèces, dont le rôle est varié. Les groupes fonctionnels de la base du réseau trophique dominent le système, en termes de biomasse. L’énergie à la base du fonctionnement de l’écosystème est la production primaire assurée par le phytoplancton, qui est brouté principalement par le zooplancton. Le zooplancton est ensuite consommé par les mysticètes, dont principalement la baleine bleue, mais aussi par d’autres espèces de mammifères marins (phoque du Groenland), de poissons (capelan, hareng), ou d’invertébrés (calmar, crevettes, crabes). Les espèces de poissons fourragères, comme le capelan, jouent un rôle clé dans le réseau trophique. Ils permettent en effet de transférer l’énergie des producteurs primaires et secondaires sur lesquels ils se nourrissent, vers les niveaux trophiques supérieurs, c’est-à-dire leurs prédateurs (Savenkoff et al., 2004).
Les groupes fonctionnels de l’écosystème du Saint-Laurent présentent des régimes alimentaires variés. En effet, certaines espèces sont plutôt spécialistes, comme les plies qui se nourrissent principalement de polychètes (67 % de l’alimentation totale observée) ou les raies qui consomment majoritairement des crevettes (64 % de l’alimentation totale observée).
D’autres sont plus généralistes et ont un régime alimentaire plus diversifié, sans avoir une proie prédominante. C’est le cas du phoque à capuchon dont 8 proies sur 17 ont une proportion supérieure à 5 % dans son alimentation. La plie canadienne est un bon exemple : 7 proies sur 23 ont une proportion supérieure à 5 % dans son alimentation. De même, les loups, dont la majorité des proies constitue entre 7 et 11 % de leur régime alimentaire. Ces espèces sont donc bien installées dans leur environnement et si une de leurs proies préférentielles vient à disparaître, cela ne devrait pas affecter leur survie. Ce n’est cependant pas le cas des espèces plus spécialistes, qui sont très vulnérables aux fluctuations dans l’abondance de leurs proies (Olivieri et Vitalis, 2001).

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Table des matières

Introduction 
1. Matériel et méthodes
1.1. Site d’étude
1.2. Groupes fonctionnels
1.3. Principe et structure du modèle
1.3.1. Données d’entrée
Abondance et biomasse
Production
Consommation
Captures et prises accidentelles
Régime alimentaire
FishBase
2. Résultats
2.1. Collecte et synthèse des données
2.2. Débarquements commerciaux
2.3. Proies et prédateurs principaux de l’écosystème
2.4. Élaboration du modèle écosystémique
3. Discussion
3.1. Structure de l’écosystème
3.2. Validité du modèle
Conclusion
Références bibliographiques

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