Modélisation du système manufacturier Lean
La culture adoptée par l’entreprise et le climat qui y règne sont deux notions déterminantes dans la quête du bien-être au travail. Ces deux notions se manifestent à travers l’employé, son travail, le processus dans lequel il intervient et l’organisation générale du travail. La culture est l’ensemble de valeurs et croyances qui guident les comportements de ces membres. Le climat est l’ensemble des thématiques qui – selon les employés – décrivent le mieux leur organisation (implantation, entreprise, atelier, etc.) sur la base des pratiques et procédures qu’ils partagent (Schneider & Gunnarson, 1991). Les tentatives en vue d’identifier l’impact du Lean sur la SST se sont, pour la plupart, intéressées au travail ou à la tâche effectuée et au travailleur lui-même. C’est-à-dire qu’elles ont observé, analysé et interprété des changements – généralement sur le plan ergonomique – qui suivent des mutations organisationnelles importantes. Toutefois, se limiter au travail effectué dans la recherche des effets du Lean sous-entend affirmer que le travail traduit à lui seul le climat et la culture de l’entreprise et que la SST n’est gérée que sur le plan du poste de travail. Ce courant plonge ses croyances dans le fait que le poste de travail et le travailleur sont des éléments d’observation quant aux problèmes de SST.
En d’autres termes, le couple homme-machine constitue le terrain où se manifestent les risques en SST. Il est, donc, plus approprié d’agir directement sur ces éléments. Les activités d’amélioration continue sont définies comme étant un processus planifié, organisé et systématique de changements permanents, incrémentaux et globaux dans des pratiques déjà existantes visant à améliorer la performance de l’entreprise (Bessant, 2001; Boer et al., 2000). Ceci se fait par le biais d’une infrastructure organisationnelle et d’une culture favorable (Anand et al., 2009). De ce fait, le Lean Manufacturing n’est pas – en théorie – un ensemble de bonnes pratiques, mais une orientation nouvelle qui s’élabore au plus haut du corps managérial et qui affecte, voir même, régénère la culture et le climat de l’entreprise. Désormais, une étude qui vise à comprendre les effets du Lean sur l’état de SST devra s’étaler sur toutes les composantes du système manufacturier et non pas le poste de travail uniquement.
Dans cette optique, une notion s’avère incontournable, celle de la santé organisationnelle. La santé organisationnelle est un terme apparu avec les programmes d’optimisation et d’amélioration tel que le TQM et qui traduit l’habilité d’une organisation à atteindre ses objectifs financiers tout en installant un compromis entre performance et bien-être au travail (Shoaf, Genaidy & Karwowsk, 2004). La santé individuelle peut être perçue comme une orientation parmi d’autres (tâche, processus, implantation) qui interagit et affecte la santé organisationnelle. Une analyse des effets du Lean Manufacturing sur la SST doit s’interroger sur le niveau de santé organisationnelle des industries Lean, et non seulement sur celui de la santé individuelle de ses travailleurs. En effet, une organisation est dite ‘saine’ (healthy organisation) si elle promeut la santé de ses travailleurs sur tous les niveaux de la chaine manufacturière (poste de travail, processus et entreprise) et garantit du coup un climat favorable au bien-être (Bennis et Townsend, 1995; Covey, 1990; Schein, 1985; Lindstrom, 1994). Ce climat (le même évoqué plus haut) est caractérisé, entre autres, par le travail demandé et les ressources (job demand and resources) Le travail demandé englobe les exigences mentales (psychologiques) et physiques de la tâche ainsi que les conditions auxquelles le travailleur est exposé (vibrations, bruit, chaleur, etc.). Les ressources sont les facteurs du climat qui encourage le travailleur à atteindre les objectifs de son travail et sa satisfaction personnelle.
Ces ressources peuvent être basées sur le travailleur (campagne contre le tabagisme, aide sociale), son travail (signifiance des tâches, ergonomie des postes), le processus (rotations, polyvalence, supervision) ou sur l’organisation entière (formation, salaires) (Shoaf et al., 2004). Selon Shoaf et al., (2004), pour créer des conditions favorables à la promotion du bien-être au sein d’une organisation, des paramètres comme l’exigence physique du travail, l’exigence psychologique, les exigences environnementales ou encore les caractéristiques individuelle de la personne doivent être considérés simultanément. Toutefois, il décrit les ressources fournies comme des facteurs mis en place pour encourager les travailleurs et faire le contrepoids face au travail demandé. Cette équation devient douteuse face à des changements organisationnels importants et rapides comme le Lean Manufacturing, où il n’y a plus d’équilibre à établir entre les deux éléments (travail demandé et ressources), mais plutôt entre les composantes dans chaque élément.
Les approches d’analyse des risques en SST liés aux activités Lean Manufacturing En vue de comprendre et de maîtriser les risques associés aux activités Lean, il est primordial d’explorer les déterminants des situations critiques de toutes les composantes du système manufacturier. Il serait ainsi possible de mettre en place des modèles voir des techniques et des moyens efficaces pour approcher au plus les mécanismes de dégradation de l’état de santé et de sécurité face à un système de production Lean et les possibilités d’amélioration de tels systèmes. Plusieurs approches différentes d’analyse ont été tentées au cours des deux dernières décennies dans le but de connaître et de maîtriser les effets d’un changement organisationnel du travail sur la santé et la sécurité des travailleurs, rendant ainsi ce sujet encore plus polémique. Womack, S. (2007) dans son étude multi-méthodologique sur les risques de LMS dans les industries Lean avait eu recours à une démarche ergonomique par analyse des éléments à risque dans la constitution du poste de travail et de la tâche réalisée. En mettant l’accent sur l’interface Homme-Machine, l’auteur avait surpassé quelques autres aspects de l’organisation Lean et s’était appuyé seulement sur ses composantes relatives au poste de travail (répétitivité, temps de cycle, 5S etc.). Womack, S. (2007) « […] Les facteurs à risque psychologiques au travail n’avait pas été examinés […] », ceci pourrait être lié à l’approche d’analyse utilisée. St-Vincent, M. et al. (1996) avait introduit une nouvelle approche ergonomique participative dans le secteur électronique qui comprenait 5 modules visant à initier les travailleurs à une nouvelle pensée critique de leur espace de travail. Cette étude avait conclu sur le fait qu’une telle approche est en mesure de permettre aux utilisateurs du processus de mieux le connaître et de s’y habituer plus rapidement et du coup, mieux maîtriser les risques qui en découlaient sur leur santé et leur sécurité. Cette démarche permet aussi de fournir aux ergonomes une autre vision du risque et des améliorations possibles à travers l’implication des utilisateurs.
L’efficacité de cette approche dans cette situation, soutenue par plusieurs autres publications telles que Noro and Imada (1991) ou Jensen (1994, 2010), pourrait ouvrir le débat sur son apport au sujet des effets des activités d’amélioration continue sur l’état de santé et de sécurité des travailleurs. Une étude réalisée par l’IRRST portant sur le thème « Problèmes musculosquelettiques et organisation modulaire du travail dans une usine de fabrication de bottes » (Vézina, N., Stock, S. 1998) avait mis en oeuvre une démarche afin d’aller chercher les déterminants pouvant augmenter les risques de LMS. Cette démarche visait à la fois le poste de travail, le module et l’entreprise de part ses analyses des risques et les recommandations qu’elle proposait, d’où l’efficacité et la durabilité (Vézina et al., 2003) de ses résultats. Conscients de l’« importante variabilité des conditions d’exécution du travail », les auteurs ont adopté deux approches différentes et complémentaires. La première est ergonomique. A travers un processus dynamique de recherche et d’analyse des risques (analyse documentaire, analyse quotidienne des contraintes à chaque poste de travail, bilan quotidien des symptômes, description du déroulement de l’activité et des interactions avec l’environnement), il était possible d’évaluer la situation actuelle et de tirer des recommandations. La deuxième approche était d’ordre épidémiologique. Elle comportait des enquêtes transversales et des collectes de données par questionnaires. Ce deuxième volet avait permis d’impliquer les travailleurs et de valider les résultats de la phase ergonomique.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 REVUE DE LA LITTÉRATURE
1.1 Introduction
1.1.1 Lean, par abus de langage
1.1.2 La sécurité et santé du travail sont-elles des points à relever en priorité dans une industrie Lean ?
1.1.3 Le Lean, est-il en lui-même un danger pour la sécurité et santé de travail
1.2 Modélisation du système manufacturier Lean
1.3 Les approches d’analyse des risques en SST liés aux activités Lean Manufacturing
1.4 Lean et Santé psychologique
1.5 Une analyse des risques en SST dans l’industrie Lean : Une nouvelle approche?
1.5.1 Contexte de l’analyse
1.5.1.1 La diversité des paramètres à intégrer
1.5.1.2 Des effets difficilement détectables
1.5.1.3 Les interactions entre les risques
1.5.1.4 L’hétérogénéité des paramètres à intégrer
1.5.2 Indicateurs Lean
1.5.3 Une analyse des risques pour enclencher le mécanisme de résilience
1.5.4 Intrants et extrants
1.6 Lean et durabilité
1.6.1 Modélisation de la durabilité
1.6.2 Importance de la durabilité dans les réalisations en santé et sécurité du travail
1.7 Hypothèse
CHAPITRE 2 MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE
2.1 Devis de recherche
2.1.1 Une recherche-action
2.1.2 Hypothèse de recherche
2.2 Définition opérationnelle des variables
2.2.1 Variable indépendante : Pérennité de l’intervention d’amélioration continue
2.2.2 Variable intermédiaire : Dégradation ou amélioration des résultats de la composante SST de l’intervention d’amélioration continue
2.2.3 Variable dépendante : Persistance deslésions musculosquelettiques (LMS)
2.2.4 Variables antérieures
2.3 Procédure de cueillette des données
2.3.1 Analyse des documents et des systèmes d’information de l’entreprise
2.3.2 Entrevues semi-dirigées
2.3.3 Observations directes
2.4 Calcul de la taille de l’échantillon
CHAPITRE 3 RÉSULTATS
3.1 Profil de l’entreprise étudiée
3.1.1 Profil Lean de l’entreprise étudiée
3.1.1.1 Historique et situation actuelle du Lean Manufacturing dans l’entreprise étudiée
3.1.1.2 Culture et techniques du Lean dans l’entreprise
3.1.2 Profil SST de l’entreprise étudiée
3.1.2.1 Niveau de maîtrise des risques en SST
3.1.2.2 Intégration de la SST et des interventions Lean
3.2 Profil de la population et de l’échantillon étudiés
3.2.1 Caractéristiques de la population étudiée
3.2.2 Caractéristiques de l’échantillon
3.3 Résultats des questionnaires
3.4 Fiabilité des questionnaires
3.5 Analyse des résultats des questionnaires
3.5.1 Liens entre durabilité des résultats des améliorations et LMS
3.5.1.1 La durabilité des améliorations Lean
3.5.1.2 La manifestation des lésions musculosquelettiques
3.5.1.3 Indice de corrélation
3.5.2 Éléments influents sur la durabilité des résultats des améliorations Lean
3.5.2.1 Première corrélation : la formation
3.5.2.2 Deuxième corrélation : la communication
3.5.2.3 Troisième corrélation : la participation à la prise de décision
3.5.2.4 Quatrième corrélation : le climat d’amélioration continue
3.5.2.5 Cinquième corrélation : résultats des améliorations Lean
3.5.2.6 La confiance, la satisfaction, l’engagement et la gestion du personnel
3.6 Manifestation des LMS chez les participants
3.6.1 Nature du travail
3.6.2 Postures au travail
3.6.3 Distribution des LMS selon les régions corporelles
CHAPITRE 3 DISCUSSION ET RECOMMENDATIONS
4.1 Discussion des résultats
4.1.1 Durabilité des résultats des chantiers d’amélioration continue et son impact sur les LMS
4.1.2 Déroulement des chantiers d’amélioration continue
4.1.2.1 Choix du champ d’amélioration
4.1.2.2 Choix de la technique Lean
4.1.2.3 Avant le début du projet
4.1.2.4 Pendant le projet
4.1.3 Suivi des résultats des améliorations
4.2 Limitations
4.2.1 Limitations méthodologiques
4.2.2 Intégration non totale de la SST dans les activités d’amélioration continue chez l’entreprise témoin.
4.2.3 Place du Lean Manufacturing dans le futur des industries nordaméricaines
4.3 Recommandations
4.3.1 Recommandations pour les futures recherches
4.3.2 Recommandations pour l’entreprise témoin
CONCLUSION
ANNEXE I QUESTIONNAIRE 2-B
ANNEXE II QUESTIONNAIRE 2-A
ANNEXE III QUESTIONNAIRE 1
ANNEXE IV EXEMPLE D’UN FORMAT A3
ANNEXE V OUTIL D’ÉVALUATION ERGONOMIQUE UTILISÉ PAR
L’ENTREPRISE TÉMOIN
ANNEXE VI CERTIFICAT D’ETHIQUE
ANNEXE VII LISTE DE PUBLICATION
ANNEXE VIII RÉSUMÉ : CONNAISSANCE ET MAÎTRISE DE L’IMPACT DES ACTIVITÉS D’AMÉLIORATION CONTINUE SUR LA SANTÉ ET LA SÉCURITÉ AU TRAVAIL (SST)
ANNEXE IX ARTICLE : KNOWING AND MASTERING THE IMPACT OF LEAN MANUFACTURING ON OHS
BIBLIOGRAPHIE
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