Modélisation du système lexico-sémantique

Le système lexical: Théorie et modélisation 

Aspects théoriques : mémoire sémantique versus système lexicosémantique 

La mémoire à long terme permet de stocker des informations pour une période relativement longue, allant de quelques minutes à toute une vie. Elle fonctionne en encodant, stockant et récupérant des informations (Rossi, 2013). En 1972, Tulving dissocie pour la première fois la mémoire épisodique de la mémoire sémantique au sein même de la mémoire à long terme (Greenberg & Verfaellie, 2010). La mémoire épisodique est la mémoire des événements personnellement vécus et inscrits dans un contexte spatial et temporel précis (Desgranges & Eustache, 2011). La mémoire sémantique est décrite comme étant un thésaurus mental (Tulving, 1972). Elle contient toutes les connaissances générales et abstraites que nous possédons sur le monde. Elle permet de stocker des informations encyclopédiques portant sur les concepts, les catégories et les relations entre les différentes entités. Parmi cette accumulation de connaissances, les concepts portant sur des référents génériques (table, chat…) sont à distinguer des concepts individuels (lieux, monuments, personnes…). La mémoire sémantique est une mémoire collective composée de faits appris et partagés au sein de notre groupe social et culturel. Contrairement à la mémoire épisodique, les informations stockées en mémoire sémantique sont sans lien avec le moment de leur apprentissage. Elles sont donc affranchies du contexte d’encodage ou de l’expérience personnelle, émotionnelle et affective. Elles sont en constante évolution, elle se construisent, sont engrangées et réorganisées tout au long de la vie (Carbonnel et al., 2010; Laisney, 2011; Laisney et al., 2009).

Une unité lexicale est une unité fondamentale de sens et de forme dans une langue. Elle représente un mot ou une expression qui possède une signification autonome et peut être utilisée indépendamment (Lux-Pogodalla & Polguère, 2021). Les unités lexicales peuvent être des mots simples, tels que « chat » et « maison » ou des expressions plus complexes, comme « avoir le cafard ». Chaque unité lexicale a son propre sens qui est généralement associé à des représentations sémantiques (Segui, 2015). L’ensemble des représentations, c’est-à-dire, les connaissances qu’un sujet possède à propos des mots de sa langue serait donc contenues dans un lexique mental. Ces informations portent sur les propriétés sémantiques mais aussi syntaxiques, morphologiques, phonologiques et orthographiques des mots de la langue. Toutes ces représentations sont stockées au sein de la mémoire à long terme (Bogliotti, 2012). Le système lexico-sémantique se réfère à la manière dont nous traitons et accèdons à la signification. Il représente en mémoire à long terme, le sens des unités lexicales. Il est sollicité dans toutes les tâches nécessitant la production et la compréhension de mots (Vigliocco et al., 2004). Ce système a fait l’objet de nombreuses recherches pour tenter d’appréhender son fonctionnement.

Modélisation du système lexico-sémantique

Dans le domaine de la neuropsychologie, plusieurs auteurs ont cherché à comprendre les différents processus mis en jeu lors de la production orale de mots. Tous s’accordent à dire qu’il existe trois principales étapes dans la production verbale (Caramazza, 1997; Dell, 1986; Levelt et al., 1999) :

1. Une étape de conceptualisation, il s’agit d’un processus qui permet de sélectionner un concept à partir d’un ensemble de connaissances préalables.
2. Une étape lexicale pendant laquelle le message préverbal est formulé. Cette étape s’effectue en deux sous-étapes :
– La sélection lexicale : processus qui permet de choisir le mot approprié pour exprimer le concept, cela se rapporte aux lemmes.
– La sélection phonologique : processus qui permet de sélectionner les sons correspondant au mot choisi, cela se rapporte aux lexèmes.
3. Une étape de production articulatoire qui permet de sélectionner et générer les schémas articulatoires.

L’étape de lexicalisation a été source de nombreux questionnements. Là encore, de nombreux auteurs se sont penchés sur la question pour tenter de proposer des modèles théoriques plus spécifiques. Parmi les modèles de traitements lexicaux les plus utilisés, le modèle OUCH (Organized Unitary Content Hypothesis) de Caramazza, Hillis, Rapp et Romanie (1990) expose les différents processus mis en jeu lors de tâches langagières (figure 1). Il est utilisé notamment pour expliquer un certain nombre de phénomènes observés dans le traitement lexical, tels que les erreurs sémantiques et phonologiques dans la récupération de mots. Ce modèle est dit amodal, c’est-à-dire qu’il considère que les connaissances sémantiques sont stockées sous forme de représentations abstraites non liées à une modalité sensorielle spécifique. Autrement dit, les informations sémantiques sont stockées de manière indépendante de la modalité sensorielle utilisée pour percevoir l’information (Gaillard et al., 2001). Les auteurs postulent l’existence d’une unique composante centrale, à savoir le système sémantique, entouré de plusieurs sous systèmes. Ils proposent un accès au système sémantique via différentes modalités d’entrée : visuelle, tactile, auditive, olfactive, gustative. L’activation d’un concept au sein du système sémantique actionne également l’activation des précisions sensorielles, motrices et émotionnelles qui ont trait au concept évoqué (Carbonnel et al., 2010).

Chaque stimulus est reçu par le système d’entrée correspondant à la modalité par laquelle il est perçu. Un mot entendu sera perçu par le lexique phonologique d’entrée, un mot lu sera perçu par le lexique orthographique d’entrée et un objet vu sera perçu par le système de description structurale. Ces différents systèmes contiennent les mots et objets connus et permettent de déterminer si ce qui est perçu appartient ou non au lexique (Renard, 2022). Le système sémantique, qui occupe une place centrale, permettra d’accéder aux représentations sémantiques du mot reconnu. Ces dernières viendront mettre du sens sur ce qui est perçu. Les représentations sémantiques dépendent de l’expérience de chacun, elles sont modelées par les attitudes, les valeurs ou encore les croyances. Ce système sémantique est directement relié aux systèmes de sortie qui sont les lexiques phonologique et orthographique de sortie. Le lexique phonologique de sortie contient toutes les informations phonologiques correspondant aux mots et sera utile dans la production verbale. Le lexique orthographique de sortie quant à lui, est constitué des informations orthographiques des mots et sera utile dans la production écrite. Ces systèmes de sortie peuvent être accessibles via le système sémantique si le locuteur met du sens sur ce qui est perçu ou directement via les lexiques d’entrée.

Les informations perçues seront stockées dans les mémoires tampon jusqu’à production (orale ou écrite). Chaque stimulus perçu peut à tout moment être transféré d’un lexique à un autre via des systèmes de conversion. Un mot entendu pourra ainsi être à la fois dit ou écrit (Morin, 1993; Sainson & Trauchessec, 2020; Stirn, 2018). Le système sémantique est donc central. Les représentations sémantiques qui le composent sont constituées de traits sémantiques. Les traits sémantiques constituent le sens des mots. Chaque mot est composé de plusieurs traits sémantiques. Par exemple, le mot « table » sera composé d’un réseau de traits sémantiques tels que « objet physique / manufacturé / meuble etc. » (Ferrand, 2001). C’est l’activation de ces traits sémantiques qui va permettre la sélection lexicale. De là, découle la récupération des traits syntaxiques, morphologiques et phonologiques qui auront reçu un niveau d’activation suffisant pour être sélectionnés (Bogliotti, 2012).

Dans les années 1970, Morton a contribué à établir l’importance du concept de seuil d’activation des concepts. Ce dernier fait référence au niveau de stimulation ou d’excitation nécessaire pour qu’un concept particulier soit activé. Les concepts stockés ont des seuils d’activation différents ce qui signifie que, pour être activés, certains concepts nécessitent une stimulation plus importante que d’autres. Elle sera d’autant plus importante si le mot est rare, non imageable, long ou complexe (Sainson et al., 2022).

Tous ces processus sont régis par le contrôle exécutif général. La production lexicale nécessite en effet, l’implication de plusieurs fonctions exécutives telles que la génération d’information, l’inhibition, la flexibilité ou encore la planification. Ces dernières joueraient un rôle dans l’amélioration de l’efficacité et de la fluidité du langage (Jacquemot, 2022; Martin, 2022). L’activation des concepts dépend donc de nombreuses variables.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE THÉORIQUE
1 Le système lexical
1.1 Le système lexical : Théorie et modélisation
1.1.1 Aspects théoriques : mémoire sémantique versus système lexico-sémantique
1.1.2 Modélisation du système lexico-sémantique
1.1.3 Variables linguistiques impliquées dans l’accès au lexique
1.1.4 Variables non linguistiques impliquées dans l’accès au lexique
1.2 Le système lexical : particularité des expressions idiomatiques
1.2.1 Définition des idiomes et caractéristiques psycholinguistiques
1.2.2 Modélisation de la production et du traitement des idiomes
1.2.3 Variables linguistiques impliquées dans l’accès au lexique pour les idiomes
1.2.4 Variables non linguistiques impliquées dans l’accès au lexique pour les idiomes
2 Les troubles lexico-sémantiques fins
2.1 Description des atteintes au regard du système lexical
2.1.1 Description des atteintes au regard du modèle de Caramazza et Hillis
2.1.2 Les anomies discrètes
2.2 Troubles lexico-sémantiques fins et AVC gauche
3 Évaluation des troubles lexico-sémantiques
3.1 Les outils existants
3.1.1 Évaluation des mots
3.1.2 Évaluation des idiomes
3.2 La notion de plainte
3.3 Difficultés d’évaluation des troubles discrets du langage
PROBLÉMATIQUE ET HYPOTHÈSES
MÉTHODOLOGIE
1 Population
1.1 Population d’étude
1.2 Critères d’inclusion et d’exclusion
1.3 Description de la population étudiée
2 Matériel
2.1 Matériel d’inclusion et d’exclusion
2.1.1 Flyer de recrutement
2.1.2 Fiche d’information et formulaire de consentement
2.1.3 Questionnaire d’inclusion et d’exclusion
2.1.4 MoCA
2.1.5 Batterie d’évaluation des troubles lexicaux (BETL)
2.2 Matériel du protocole
2.2.1 Test de Dénomination Québec – TDQ30
2.2.2 LAZ 50
3 Procédure expérimentale
3.1 Considérations éthiques et réglementation
3.2 Recrutement
3.3 Lieux, dates de passation
3.4 Durée de passation
3.5 Protocole de passation
4 Analyse de données
RÉSULTATS
1 Étude de la validité discriminante (H1)
1.1 Comparaison des scores des patients et des témoins pour les épreuves portant sur les mots (H1a)
1.2 Comparaison des temps de réponse des patients et des témoins pour les épreuves portant sur les mots (H1b)
2 Étude de la validité discriminante (H2)
2.1 Comparaison des scores des patients et des témoins pour les épreuves portant sur les idiomes (H2a)
2.2 Comparaison des temps de réponse des patients et des témoins pour les épreuves portant sur les idiomes (H2b)
3 Étude de la cohérence interne
3.1 Analyse de la cohérence interne pour les patients
3.2 Analyse de la cohérence interne pour les témoins
DISCUSSION
1 Cadre théorique et objectifs de l’étude
2 Analyse des résultats
2.1 Étude de la validité discriminante pour les épreuves portant sur les mots (H1)
2.1.1 Étude de la validité discriminante pour les scores des épreuves portant sur les mots de basse fréquence (H1a)
2.1.2 Étude de la validité discriminante pour les temps de réponse des épreuves portant sur les mots de basse fréquence (H1b)
2.2 Étude de la validité discriminante pour les épreuves portant sur les idiomes (H2)
2.2.1 Étude de la validité discriminante pour les scores des épreuves portant sur les idiomes (H2a)
2.2.2 Étude de la validité discriminante pour les temps de réponse des épreuves portant sur les idiomes (H2b)
2.3 Étude de la cohérence interne (H3)
3 Limites et intérêts de l’étude
3.1 Limites
3.2 Intérêts
3.3 Perspectives
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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