Modélisation du système ferroviaire
Les outils de modélisation du système ferroviaire se sont démocratisés au fil des ans. Le besoin a émergé du fait de l’avantage économique qu’ils présentent par rapport aux campagnes expérimentales. La transition vers les outils numériques est d’autant plus justifiée de nos jours à cause de la densification des circulations qui rend la planification de ces campagnes expérimentales plus difficile. De plus, dans le cadre de l’interopérabilité, de nouveaux trains sont amenés à circuler sur le réseau ferré national RFN engendrant de nouveaux chargements sur la voie. Ces nouveaux chargements ne sont pas forcément répertoriés dans les référentiels existants. L’utilisation d’outils numériques est donc un moyen d’avoir des informations sur le comportement du système ferroviaire. Les modèles numériques permettent aussi de comprendre certains phénomènes isolés ou même de réaliser des études de faisabilité au préalable. Bien évidemment, le retour d’expérience ainsi que les campagnes expérimentales restent importantes pour valider les résultats de simulation mais aussi pour alimenter les modèles avec des paramètres réalistes. À titre d’exemple, une bonne estimation des rigidités de la semelle, du ballast et de la sous-structure est indispensable à la prédiction des déformations dans la voie.
Modèle de la voie ferrée
Un large panel de modèles existe dans la littérature pour caractériser le comportement statique ou dynamique de la voie. On distingue les modèles légers du type poutres sur un milieu multicouches {masses, ressorts, amortisseurs}, les modèles volumiques (éléments finis volumiques 3D) et les modèles intermédiaires comme des modèles surfaciques (i.e. éléments finis 2D avec hypothèse des déformations planes) ou encore des modèles réduits. Ces modèles de différents niveaux de complexité se concentrent sur différents aspects et constituants de la voie.
Modèles légers du type poutres sur un milieu multi-couches
Le modèle historique est celui proposé par (WINKLER, 1867) . On rappelle alors que la voie est ici considérée comme une poutre (i.e. rail) reposant sur une fondation élastique continue qui englobe l’ensemble {semelle, traverse, ballast, couches de la sous-structure}. La déflexion du rail sous charge statique peut facilement être calculée analytiquement. Ce modèle peu coûteux peut être intéressant dans le cas d’études préliminaires qui tendent à donner des ordres de grandeur du déplacement du rail en fonction de la qualité de la voie. Néanmoins, il reste limité à des études statiques et l’effet des composants comme la semelle, la traverse ou le ballast est noyé à travers la prise en compte d’une rigidité globale de la voie. On note tout de même que plusieurs référentiels s’appuient sur ce modèle (PINAULT, 2020), comme par exemple dans les travaux de la commission DEMAUX pour justifier le choix du chargement vertical comme premier paramètre d’agressivité du matériel roulant .
De ce fait, la résolution se fait dans un référentiel mobile de même vitesse que la charge mobile. Par ailleurs, l’effet de l’amortissement, de la vitesse de la charge et de la rigidité de la fondation sur le déplacement dans la poutre sont explicités. La vibration du rail sur fondation élastique est aussi étudiée dans les travaux de (MALLIK, CHANDRA et SINGH, 2006) ou de (DIMITROVOVÁ et VARANDAS, 2009) où l’effet de changement brutal de rigidité de la fondation est abordé. Des travaux similaires ont été réalisés au sein de la SNCF. Pour comprendre l’effet de la vitesse des véhicules sur la vibration des voies, (NGUYEN, 2002) a modélisé la voie par des modèles semi-analytiques 1D où les éléments {semelle, traverse, ballast et couches de la sous-structure} sont représentés chacun par une couche continue dans la direction longitudinale. L’auteur a introduit de la non linéarité dans la couche de ballast car elle influence le mécanisme de propagation des ondes dans la structure.
Une première sophistication de ces modèles a été de prendre en compte la discontinuité des appuis de la voie. Les semelles, les traverses et le ballast (ou les constituants de la sous-structure) sont notamment représentés par des couches discontinues pour introduire l’effet du travelage . Ils permettent en effet une meilleure représentation du comportement dynamique de la voie dans les plus hautes fréquences puisque la résonance « pin-pin » peut être représentée. De plus, l’effet de chaque élément peut être étudié séparément. (KNOTHE et GRASSIE, 1993) ont proposé un recensement de ces modèles existants à cette époque. Depuis, ces modèles sont toujours d’actualité. Dans leur modèle éléments finis de la voie, (LEI et NODA, 2002) ont représenté les semelles, les traverses et le ballast par des couches distinctes du milieu multi-couches. Les efforts d’interaction entre le rail et la roue sont calculés en fonction de défauts de géométrie de la voie générés aléatoirement. (SUN et DHANASEKAR, 2002) se sont intéressés quant à eux à des défauts comme les plats aux roues. Leur modèle inclut en plus la couche intermédiaire et le sol dans le milieu multi-couches. Ils sont modélisés par des ressorts et amortisseurs et la continuité du ballast est assurée par la connexion longitudinale entre les éléments du ballast (i.e. ressort dans la direction longitudinale). Plus tard, (WANG, ZHANG et OUYANG, 2017; XU, ZHAI et GAO, 2017) ont étudié l’interaction véhicule/voie via des modèles poutres sur un milieu multi-couches 3D. (XIE et IWNICKI, 2008) se sont intéressés à travers un modèle de rail sur {semelles, traverses, ballast} à l’interaction roue/rail usé à haute fréquence. Les efforts d’interaction calculés ont servi à alimenter un modèle d’usure de rail et le nouveau profil d’usure a pu être ré-implémenté dans le modèle de la voie et ainsi de suite. La même stratégie a été adoptée par (KOUROUSSIS et al., 2015) pour comprendre les phénomènes vibratoires qui se propagent dans le sol et qui sont liés aux circulations ferroviaires et à la présence de défauts localisés sur la voie. le modèle d’interaction voie/véhicule a permis d’alimenter le modèle volumique 3D du sol auquel il était découplé. (HELENO et al., 2021) ont utilisé ce type de modèles de voie pour calculer les efforts d’interaction véhicule/voie en fonction de différentes configurations de vitesses de vent qui exercent un chargement sur le véhicule.
Bien que simples, les modèles de voies discrets donnent des résultats satisfaisants quand l’intérêt est porté sur les éléments de l’armement et ce même pour des hautes fréquences. Dans le cas où l’intérêt est porté aux couches du ballast ou de la sous-structure, des modèles plus complexes sont réalisés. On cite notamment les modèles éléments finis 3D qui utilisent des éléments volumiques. Des lois de comportement non linéaires sont par ailleurs choisies pour les couches de ballast et de la sous-structure.
Les modèles volumiques
Comme mentionné plus haut, les modèles volumiques permettent une représentation plus détaillée des couches du ballast et de la sous-structure. (SAYEED et SHAHIN, 2016) ont cherché la vitesse critique de la voie en fonction de différentes vitesses du véhicule et différents états de la voie. La couche de ballast avait dans ce cas une loi de comportement élasto-plastique (critère de Mohr-Coulomb). (MEI et al., 2019) se sont intéressés à l’impact des défauts de nivellement vertical et du passage des matériels roulants sur l’amplitude des contraintes dynamiques dans le sol support ayant une loi de comportement élasto plastique. Une étude statistique a été par ailleurs menée pour dégager une loi de distribution normale pour le pic des contraintes dynamiques. En constatant que les zones de transition vers les ouvrages d’art ont des performances médiocres à long terme, (PAIXÃO et al., 2018) ont proposé un modèle volumique de la voie pour comprendre l’effet des semelles sous traverses sur le comportement dynamique des zones de transition. (VARANDAS et al., 2020) ont voulu prédire le comportement de la voie à long terme via un modèle volumique de la voie où les couches granulaires (i.e. du ballast au sol support) sont élastiques non linéaires. Un modèle d’accumulation des déformations après un grand nombres de cycles de passage de véhicules a été également rajouté (i.e. plasticité observée après plusieurs cycles). Les logiciels commerciaux comme Abaqus ou Ansys sont souvent utilisés pour modéliser la voie, notamment dans les travaux de (CONNOLLY et al., 2014 ; SANCHIS et al., 2021).
L’inconvénient principal des modèles volumiques est le temps de calcul très important qu’ils nécessitent . Ils sont de ce fait peu adaptés à une utilisation industrielle. Par exemple, (JU et LI, 2011) ont mentionné un calcul d’interaction véhicule-voie qui requiert 6,5 Go pour une durée de 9 jours sur une machine personnelle. Le modèle utilisé avait une longueur de 2145 m, une largeur de 235 m et une profondeur de 97 m, soit environ 13 millions de degrés de liberté et 4000 pas de temps simulés pour un pas de temps de 0,005 s. Pour remédier à cette problématique, plusieurs auteurs ont proposé des modèles intermédiaires pour réduire le temps de calcul. Plusieurs travaux ont émergé dans ce sens à la SNCF.
Les modèles intermédiaires
Pour diminuer le temps de calcul, plusieurs auteurs ont proposé des stratégies simplificatrices. On cite à ce titre (RHAYMA, 2010) qui a proposé une modélisation éléments finis 2D (surfacique) stochastique de la voie en formulant le problème sous l’hypothèse des contraintes planes. Le plan considéré est la plan contenant la direction longitudinale de la voie (i.e. sens de la circulation) et la direction verticale. L’étude s’inscrit dans une optique de compréhension du comportement de la voie et des mécanismes de dégradation qui ont pour origine la variabilité du ballast et des éléments de la sousstructure. De ce fait, l’étude a été axée sur les couches de ballast et de la sous-structure. Les éléments de l’armement de la voie ont été considérés élastiques linéaires avec des propriétés déterministes alors qu’une loi de comportement élasto-plastique a été choisie pour les couches du ballast et de la sous-structure. Des incertitudes ont aussi été introduites dans la définition de leurs propriétés. (FERNANDES, 2014) a plutôt utilisé l’hypothèse des déformations planes . Le but de ces travaux était d’étudier l’influence de la variabilité des couches du ballast et de la sous-structure sur la raideur de la voie. Les propriétés de l’armement de la voie ont été considérées comme déterministes.
Un inconvénient de cette méthode est qu’elle nécessite des modèles 3D pour valider le modèle surfacique 2D qui cache une hypothèse sur la largeur de la voie. Par exemple, (FERNANDES, 2014) a choisi les dimensions du modèle en faisant coïncider la déformation verticale du modèle surfacique 2D avec celle du modèle volumique 3D.
Une autre méthode pour réduire la taille du modèle est de profiter de la périodicité de la voie dans la direction longitudinale (i.e. sens des circulations). Le problème dynamique est donc résolu dans le domaine fréquentiel sur une seule cellule de la voie (CHEBLI, CLOUTEAU et SCHMITT, 2008; ARLAUD, 2016).
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Table des matières
Introduction
1 État de l’art
1.1 La voie ferrée
1.1.1 Constitution de la voie ferrée
1.1.2 Caractérisation de la raideur de la voie
1.1.3 Défauts de géométrie de la voie
1.2 Résistance de la voie aux sollicitations du véhicule
1.2.1 Les efforts verticaux
1.2.1.1 Les efforts statiques
1.2.1.2 Les efforts verticaux quasi-statiques
1.2.1.3 Les surcharges dynamiques verticales
1.2.2 Les efforts latéraux
1.2.2.1 Les efforts latéraux quasi-statiques
1.2.2.2 Les surcharges dynamiques latérales
1.3 Origine des règles de calcul des conditions de circulation
1.3.1 Classement des voies du réseau
1.3.2 Classement des matériels roulants
1.3.3 Conditions de circulation des matériels roulants établies par la commission DEMAUX
1.4 Démarche en vigueur pour l’admission des matériels roulants sur le RFN
1.5 Bilan
2 Modélisation du système ferroviaire
2.1 Modèle de la voie ferrée
2.1.1 Développement du modèle éléments finis 2D de la voie du type poutre reposant sur un milieu multi-couches : caractérisation du comportement vertical
2.1.2 Extension vers un modèle éléments finis 3D de la voie du type poutres reposant sur un milieu multi-couches : caractérisation du comportement vertical et latéral
2.2 Estimation des coefficients de rigidité et d’amortissement dans le modèle de la voie
2.2.1 Rigidité et amortissement de la semelle
2.2.2 Rigidité et amortissement de la couche {ballast + sous-structure}
2.3 Génération des défauts de géométrie de la voie
2.4 Modèle du véhicule ferroviaire
2.4.1 Développement du modèle multi-corps 2D du véhicule
2.4.2 Extension vers un modèle multi-corps 3D du véhicule
2.5 Hypothèses de calcul
2.6 Validation de l’outil
2.6.1 Validation du modèle de la voie
2.6.1.1 Modèle 2D de la voie
2.6.1.2 Modèle 3D de la voie
2.6.2 Validation du modèle du véhicule
2.7 Bilan
3 Évaluation de la fatigue dans le rail
3.1 Calcul du champ de contraintes dans le rail
3.1.1 Essai de torsion
3.1.2 Essai de flexion simple avec un effort appliqué selon −→z
3.1.3 Essai de flexion simple avec un effort appliqué selon −→y
3.1.4 Conclusion
3.2 Introduction au phénomène de fatigue
3.3 Critères de fatigue multiaxiaux
3.3.1 Paramètres de contraintes utilisés en fatigue multiaxiale
3.3.2 Revue bibliographique de quelques critères de fatigue
3.3.2.1 Approche fondée sur le calcul des invariants des contraintes
3.3.2.2 Approche intégrale
3.3.2.3 Approche des plans critiques
3.3.3 Choix d’un critère de fatigue
3.3.4 Le critère de Dang Van
3.3.4.1 Algorithme des combinaisons des points
3.3.4.2 Résolution du problème d’optimisation par la méthode ADA
3.4 Implémentation du critère de fatigue
3.4.1 Premier exemple
3.4.2 Deuxième exemple
3.5 Bilan
4 Réponse de la voie au passage du véhicule
4.1 Admission d’une voiture remorquée
4.1.1 Chargement généré par la voiture sur les voies
4.1.2 Comparaison de la réponse statique et dynamique de la voie
4.1.3 Contraintes normales et contraintes de cisaillement dans le rail
4.1.4 État de fatigue généré dans le rail : confrontation du référentiel
4.2 Admission d’une motrice
4.2.1 Chargement généré par la motrice sur les voies
4.2.2 Comparaison de la réponse statique et dynamique de la voie
4.2.3 État de fatigue généré dans le rail : confrontation du référentiel
4.3 Admission d’un wagon
4.3.1 Chargement généré par le wagon sur les voies
4.3.2 Comparaison de la réponse statique et dynamique de la voie
4.3.3 État de fatigue généré dans le rail : confrontation du référentiel
4.4 Bilan
5 Conclusion