Les blessures aux membres inférieurs représenteraient 68% des traumatismes liés aux pratiques sportives chez les hommes et 65% chez les femmes (Hootman et al., 2002). Lors de la saison sportive 55% des blessures au handball sont aux membres inférieurs, 25 % au genou et 48% de ces atteintes sont ligamentaires (Olsen, Myklebust, Engebretsen, Holme, & Bahr, 2005). Ces chiffres sont similaires au basketball (Andreoli et al., 2018). L’atteinte du genou la plus préoccupante est la lésion du ligament croisé antérieur (LCA) pour laquelle on recensait 35 000 ruptures opérées par an en France en 2007, soit 1 pour 1900 habitants (ATIH, 2007). Le nombre de reconstructions chirurgicales du LCA est en constante augmentation sur les vingt dernières années (58% d’augmentation entre 1994 et 2013 aux USA). Les femmes sont entre 1,66 et 5,13 fois plus exposées à la lésion, notamment vers 20 ans au sein des sports pivot (handball, basketball), ce qui questionne au regard de leur participation croissante à ces sports (Beynnon et al., 2014; Gornitzky et al., 2016; Lefevre, Klouche, Herman, & Bohu, 2014; Grethe Myklebust et al., 2007; Peterson & Krabak, 2014; Prodromos, Han, Rogowski, Joyce, & Shi, 2007).
Les circonstances de la blessure en handball et basketball, majoritairement hors-contact, permettent d’envisager l’élaboration et la mise en place d’actions de prévention. Le processus aboutissant à ces solutions a historiquement été proposé par Van Mechelen et ses collaborateurs (Van Mechelen, Hlobil, & Kemper, 1992). Le risque de blessure est un élément dynamique. Des modèles complexes amènent à l’interaction de nombreux facteurs de risque, définis comme tout attribut, caractéristique ou exposition d’un sujet qui augmente la probabilité de développer une maladie ou de souffrir d’un traumatisme par l’OMS. L’une des étapes les plus riches en questionnements scientifiques consiste à établir les causes de la lésion. Cette approche suppose l’étude des facteurs de risque et du mécanisme lésionnel, selon une approche épidémiologique mais aussi biomécanique, et doit être considérée séparément pour chaque discipline sportive (Bahr & Krosshaug, 2005).
Modélisation du risque de blessure en sport
Il existe plusieurs modèles dans la littérature proposant une modélisation du risque de lésion en sport, dont l’objectif est de permettre la mise en place des interventions permettant de diminuer ce risque chez les athlètes (Meeuwisse, Tyreman, Hagel, & Emery, 2007; Ruddy et al., 2019). Le processus aboutissant à ces solutions a historiquement été proposé par Van Mechelen et ses collaborateurs en suivant une approche dite réductionniste (Van Mechelen et al., 1992). Cette approche consiste à établir l’étendue du problème, décrire le mécanisme et les causes de la blessure, mettre en place des stratégies préventives puis en évaluer l’effet sur l’étendue du problème .
Cette démarche épidémiologique présente l’intérêt d’isoler un facteur de risque, défini par l’OMS comme « tout attribut, caractéristique ou exposition d’un sujet qui peut augmenter la probabilité de développer une maladie ou de souffrir d’un traumatisme », mais peut être considérée comme réductrice car elle n’intègre pas le caractère complexe des interactions menant à une lésion (Bahr & Krosshaug, 2005).
La phase critique d’une démarche de prévention est d’établir les causes de la lésion, ceci supposant de connaître les facteurs de risque et leur interaction avec le mécanisme lésionnel défini comme « le processus physique fondamental responsable d’une action, réaction ou d’un résultat donné » (the fundamental physical process responsible for a given action, reaction or result) et résultant d’un transfert d’énergie au tissu (Bahr & Krosshaug, 2005). La base de cette démarche repose sur l’identification des facteurs de risque potentiels dans les populations à risque, par des études de cas, des études longitudinales ou des analyses prospectives et sert de socle à l’étude, plus complexe, de l’association de ces facteurs au risque encouru par l’athlète, voire de la prédiction possible de ce risque (Ruddy et al., 2019).
Meeuwisse et ses collaborateurs ont proposé en 1994 le modèle continu de la prédisposition à l’accident , qui décrit la lésion comme la résultante d’un processus d’exposition progressive de l’athlète et prend en compte le caractère multifactoriel de la blessure (Meeuwisse et al., 2007; Pol, Hristovski, Medina, & Balague, 2018). Il correspond à la modélisation de l’étape 2 théorisée par Van Mechelen et al.
Au sein de ce modèle l’athlète peut être rendu prédisposé à une lésion par des facteurs de risques intrinsèques comme l’âge, le sexe, une caractéristique anatomique … A cette prédisposition peuvent se surajouter des facteurs de risque extrinsèques, rendant l’athlète susceptible d’être blessé. La somme des facteurs de risque interagissant prépare en quelque sorte l’athlète à subir une lésion. Celle-ci survient ensuite à la suite de ce que Meeuwisse nomme l’évènement incitatif. Cet évènement peut être décrit dans une perspective biomécanique, correspondant au mécanisme lésionnel.
Cette méthode d’analyse proche des modèles dynamiques est actuellement majoritairement utilisée dans les publications se référant au risque de lésion en sport, bien que d’autres modèles basés sur les systèmes complexes aient été proposés (Bates, Ford, Myer, & Hewett, 2013; Bittencourt et al., 2016; Pol et al., 2018; Ruddy et al., 2019). Notre démarche s’inscrit dans ce modèle en proposant d’établir un état des connaissances sur le processus en œuvre dans la lésion du ligament croisé chez la sportive pivot.
Étendue et sévérité des lésions du ligament croisé antérieur en sports pivot
Anatomie et biomécanique des ligaments croisés
Le genou est l’articulation intermédiaire du membre inférieur. Il s’étend anatomiquement du tiers inférieur de la cuisse, au niveau du cul-de-sac sous-quadricipital, à la tubérosité tibiale antérieure (Dufour, Pillu, & Viel, 2007). Il se compose de l’articulation fémoro-tibiale (bicondylaire) et de l’articulation fémoro-patellaire (ginglyme) et met en rapport le fémur, le tibia et la patella (Kamina & Gouazé, 2009). Ses surfaces articulaires ne sont pas congruentes. Les structures capsulo-ligamentaires, attachées de façon directe à l’os et indirecte au périoste constituent le premier niveau de maintien, passif, de la stabilité articulaire (Woo, Abramowitch, Kilger, & Liang, 2006). Les ligaments croisés antérieurs (LCA) et postérieurs (LCP) sont situés dans la fosse inter-condylaire du fémur avec un revêtement synovial propre. Ils ont près de 1 cm de section avec la particularité d’être anisotropes : leur géométrie est variable selon la section (Dufour et al., 2007; Jaafar, Dadjo, Riahi, & Bouselmame, 2010; Woo et al., 2006).
Le LCA s’insère au niveau de la partie antérieure de la zone intercondylaire du tibia et se termine à la face médiale du condyle latéral du fémur. Il a un trajet oblique en haut, arrière et en dehors, très vertical (Drake et al., 2010; Dufour et al., 2007; Kamina & Gouazé, 2009). Il a deux faisceaux, antéro-médial et postéro-latéral, dont la tension varie avec la flexion, le valgus/varus ou les rotations (Peterson & Krabak, 2014).
Le LCP s’insère à la partie postérieure du plateau tibial et se termine à la paroi médiale de la fosse inter-condylaire du fémur, avec un trajet oblique en haut, en dedans et en avant (Drake et al., 2010; Kamina & Gouazé, 2009).
Les ligaments croisés sont enroulés, torsadés. Ils se croisent dans le plan frontal et dans le plan sagittal. Ils ne se croisent dans le plan transversal que lors de mouvements de rotation médiale du genou et restent toujours tendus au cours de la flexion du genou selon un mécanisme d’isométrie (Dufour et al., 2007; Flandry & Hommel, 2011).
En appliquant les principes fondamentaux de la mécanique, le genou est en réalité une jonction à 6 degrés de liberté, 3 rotations et 3 translations (Woo et al., 2006). Sa mobilité s’organise dans les deux compartiments, fémoro-tibial et fémoro-patellaire. La mobilité fémoro-tibiale est un reflet de la particularité du genou : le compartiment médial assure par une congruence accrue la stabilité, quand le compartiment latéral permet par sa forme la mobilité. La stabilité passive du genou provient de l’interaction (transmissions des charges) entre les propriétés mécaniques des structures osseuses, ligamentaires et méniscales (Woo et al., 2006). Les ligaments croisés antérieurs et postérieurs assurent la stabilité antéro-postérieure du genou et des mouvements de charnière. Leur structure anatomique en faisceaux ligamentaires torsadés permet leur mise en tension partielle à chaque instant du mouvement et donc un contrôle constant. Les variations de la torsion de ces faisceaux créent un risque important pour le LCA entre 0° et 40° de flexion, surtout en cas d’écart latéral ou de pivot par la répercussion d’importantes contraintes de cisaillement (Besier, Lloyd, Cochrane, & Ackland, 2001; Siegel, Vandenakker-Albanese, & Siegel, 2012). Lors de la flexion les ligaments croisés vont guider les mouvements de roulements/glissements des condyles fémoraux sur les plateaux tibiaux, le LCA s’opposant à la translation antérieure du tibia (tiroir antérieur), le LCP à la translation postérieure (tiroir postérieur). Ces actions sont fondamentales pour la stabilité articulaire et viennent s’opposer aux contraintes générées par les muscles longs (tiroir antérieur du quadriceps par exemple) et les réactions du sol.
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Table des matières
Introduction générale
Cadre théorique
1. Préambule : Modélisation du risque de blessure en sport
2. Étendue et sévérité des lésions du ligament croisé antérieur en sports pivot
Anatomie et biomécanique des ligaments croisés
Place des lésions du ligament croisé antérieur dans l’épidémiologie des blessures en sports pivot
Conséquences sportives, individuelles et psychologiques d’une lésion du ligament croisé antérieur
Conséquences socio-économiques des lésions du ligament croisé antérieur
3. Perspectives épidémiologiques et démarches de prévention du risque de lésion du ligament croisé antérieur de la sportive pivot
Epidémiologie : le genre féminin, population à risque dans les sports pivot
Circonstances de survenue de la lésion du ligament croisé antérieur
Modalités et effets des programmes de prévention de la lésion du ligament croisé antérieur
4. Facteurs de risque de l’athlète féminine, mécanisme de blessure et implications d’une charge de travail dans la lésion hors-contact du LCA en sports pivot
Facteurs de risque intrinsèques
Facteurs de risque extrinsèques
Mécanisme lésionnel
Contribution personnelle
Objectifs généraux
Conclusion générale