Généralités
Au cours de cette dernière décennie, un nouveau domaine de recherche, appelé nanoscience, s’est développé de façon fulgurante. C’est un champ qui recouvre pratiquement tous les domaines scientifiques. On peut citer, notamment, la microfluidique qui s’intéresse aux écoulements de fluide à petite échelle, la combustion et plus généralement le domaine de l’énergétique [29] et de la micro propulsion. Un autre champ d’application concerne également les matériaux micro énergétiques et l’interaction d’une onde de détonation avec la microstructure [81, 93]. Dans le cas des machines thermiques, fonctionnant selon le principe de Carnot (transformation de l’énergie chimique en un travail mécanique), l’échelle de temps caractéristique de la combustion est indépendante de la taille du système. Cependant, les temps diffusifs, notamment ceux associés aux pertes thermiques, diminuent lorsque la taille du système est réduite. Ainsi, l’efficacité des machines se trouve très sérieusement dégradée car la grande partie de l’énergie, fournie par la combustion, est dissipée à travers les parois. Cette énergie n’est évidemment plus disponible pour effectuer un travail mécanique. L’utilisation de la déflagration comme mode de combustion semble peu efficace dans les micro-systèmes, d’où l’idée d’assister la combustion par onde de choc afin d’obtenir un rendement plus acceptable .
Afin de mieux comprendre l’influence des effets diffusifs sur le comportement des ondes de choc, une présentation générale de l’état de l’art dans ce domaine est faite par la suite.
Ondes de choc en milieu confiné
Généralement, lorsqu’une onde de choc se propage dans un tube de taille conventionnelle, l’échelle de temps convective, τs, est négligeable comparée à l’échelle diffusive τd [7]. Cependant, lorsque ces deux échelles sont du même ordre de grandeur, les effets diffusifs doivent être pris en compte. En effet, lorsque le rapport volume sur surface diminue, les effets de parois, liés aux phénomènes de transport (viscosité, conductivité thermique et diffusion d’espèces chimiques), ne peuvent plus être négligés. Les écoulements, dans ce genre de configuration, sont considérés à faible nombre de Reynolds. Ils sont obtenus soit par réduction d’échelle, soit par diminution de pression. Le lien entre la pression et la longueur caractéristique est fait à travers le nombre de Reynolds, basé sur la vitesse du son.
Dans une configuration de tube à choc, l’intégration des lois de conservation avec prise en compte des forces de frottement et des pertes thermiques pariétales permet de prédire la décroissance de la vitesse et de l’intensité du choc [7]. A titre d’exemple, citons le modèle 0D développé par Brouillette et al., qui permet de retrouver des résultats similaires à ceux obtenus expérimentalement par Duff [24]. Ce dernier a mené plusieurs tests dans des tubes à choc d’Argon à faibles pressions initiales (de l’ordre de quelques centaines de Pa). Il a ainsi montré que pour un rapport de pression amont/aval donné, une diminution notable de la vitesse du choc, au cours du temps, est observée. Ce phénomène est attribué à la présence d’une couche limite laminaire le long des parois. Un modèle 1D compressible a été développé par Mirshekari et Brouillette [59]. Il repose sur l’ajout des termes sources de masse volumique, de quantité de mouvement et d’énergie aux équations du mouvement. Pour simplifier l’étude, l’écoulement est rendu quasi-stationnaire en prenant un repère attaché au choc. Pour de faibles rapports de pression, le choc connaît une forte atténuation. Ce résultat, assez intuitif, a également été retrouvé par Zeitoun et Burtschell [97]. Ces derniers ont modélisé des écoulements compressibles visqueux, dans des micro-tubes, à l’aide des équations de Navier-Stokes 2D. Ils ont conclu qu’une couche limite, dont l’épaisseur est inversément proportionnelle à la pression initiale, serait responsable de ce phénomène. Un résultat similaire a été obtenu par Ngomo et al. [62] pour des écoulements compressibles 1D à forts nombres de Reynolds dans des micro tubes. Le modèle utilisé est celui de Fanno [63]. Ce dernier est obtenu à partir des équations d’Euler 1D, auxquelles est ajouté un terme de friction. Le modèle de Fanno-Rayleigh est ensuite obtenu en ajoutant un terme source, modélisant les pertes thermiques pariétales, à l’équation d’énergie du modèle de Fanno. les auteurs ont montré que les pertes thermiques jouent un rôle moins important dans l’atténuation des chocs que la viscosité.
Pour relier ces problèmes au domaine de l’énergétique et de la combustion, une présentation générale des différents travaux sur les ondes de détonation sera effectuée par la suite.
Ondes de détonation : théorie et modèle
Une onde de détonation est une zone de combustion couplée à un système d’ondes de choc assez complexes [37]. Historiquement, la détonation a été caractérisée d’abord par Berthelot et Vieille, ensuite par Mallard et Le Chatelier à la fin du 19ème siècle [31]. Les jalons d’une théorie unidimensionnelle sur la détonation ont été posés de façon indépendante par David L. Chapman en Angleterre (1899) et Emile Jouguet en France (1905) [16]. Le front de détonation est assimilé à une discontinuité au travers de laquelle le mélange réactif est instantanément transformé en produits de détonation . Cela signifie une chimie infiniment rapide et une zone de réaction extrêmement fine. Le front de détonation se propage à une vitesse supérieure à la célérité du son du milieu réactif prémélangé.
Le processus de transfert d’énergie d’une flamme laminaire se fait essentiellement par l’intermédiaire des transferts thermiques des gaz brûlés vers les gaz frais, dont l’élevation de température va, elle-même, libérer de l’énergie chimique. Dans le cas d’une détonation, le processus de transfert d’énergie est différent. En effet, l’onde de choc de forte amplitude se propage dans le milieu réactif qui sera fortement comprimé et chauffé. La décomposition chimique du prémélange gazeux libère l’énergie chimique, créant des ondes de compression qui alimentent et soutiennent la propagation du front de choc. Quand la propagation de l’onde devient indépendante du processus d’amorçage, l’onde est considérée comme autonome. Dans un tube de taille conventionnelle, après une phase transitoire, un front d’onde quasi-plan se développe en se propageant à une vitesse quasi-constante, notée σ. Celle-ci est la grandeur caractéristique la plus accessible .
Dans le cas non-réactif, des chocs de différentes intensités sont possibles. Dans la limite d’une onde de choc faible, la vitesse du choc sera proche de la célérité du son du milieu en amont du choc. Par contre, avec la présence d’une réaction exothermique, les équations de conservation n’ont pas de solution en deçà d’une vitesse limite. Celle-ci se situe bien au-delà de la vitesse du son [31]. L’état thermodynamique final du fluide, appelé état Chapman-Jouguet (CJ), est construit à partir de cette vitesse limite. Dans le diagramme de Clapeyron , l’état CJ est obtenu quand la droite de Rayleigh est tangente à la courbe d’Hugoniot des gaz brûlés . L’écoulement immédiatement en aval du front est sonique dans un repère associé au front.
Ce modèle a été affiné par Yakov B. Zel’dovich (1940), John von Neumann (1942) et Werner Döring (1943), pour donner lieu au modèle ZND [31]. Celui-ci est basé sur les équations hydrodynamiques d’Euler réactives. Les réactions chimiques procèdent à taux fini. L’écoulement est unidimensionnel et l’onde de choc est considérée comme une discontinuité au travers de laquelle aucune réaction n’est possible. L’état aval du choc est celui de Neumann où la pression et la masse volumique atteignent leurs valeurs maximales. La température étant suffisamment élevée, les réactions de dissociation des espèces du mélange initial peuvent avoir lieu et donner des radicaux libres. Ces derniers se combinent entre eux, dans la zone de réaction, pour former les gaz brûlés. C’est dans cette zone qu’a lieu le dégagement d’énergie, entraînant une hausse de température du gaz. La fin de la zone de réaction représente l’état CJ. Dans ce modèle, l’onde de détonation, est une onde de choc composite. En effet, l’onde de choc est immédiatement suivie d’une déflagration où la libération d’énergie s’accompagne d’une accélération de l’écoulement. Cette accélération est due à l’expansion des gaz brûlés et à la baisse de pression. Dans le repère du choc, l’écoulement subsonique, immédiatement en aval du choc, devient sonique à la fin de la zone de réaction. Les ondes de compression, générées par le dégagement d’énergie, alimentent le front de détonation. Ce dernier se propage de manière auto-similaire .
Modélisation du déficit de vitesse
L’inconvénient du modèle ZND est qu’il est inapte à expliquer le déficit de vitesse du front de détonation observé expérimentalement, avec une décroissance inversément proportionnelle au diamètre du tube. Zel’dovich fut le premier à penser que le confinement du front de détonation rendait non-négligeables les échanges pariétaux [33, 95]. Les transferts de quantité de mouvement et les échanges thermiques deviennent comparables au taux de dégagement d’énergie chimique. Ils peuvent devenir importants au point que la détonation ne soit plus auto-entretenue. Le modèle, proposé par Zel’dovich [95], est basé sur les équations d’Euler réactives, auxquelles sont ajoutés des termes sources (frottements et pertes thermiques). La dissipation de l’énergie par frottement est la principale cause du déficit de vitesse d’une onde de détonation [96], cela est confirmé par Zhang et Lee [98]. Les effets thermiques semblent jouer un rôle moins important [98]. Dans le cas d’une détonation 1D visqueuse, durant le processus transitoire de formation de l’onde stationnaire, les phénomènes dissipatifs génèrent des détentes le long des lignes caractéristiques. Elles ont pour conséquence de ralentir le choc. Le taux de décomposition chimique s’affaiblit avec la diminution de l’amplitude du choc et la mise en vitesse diminue. Les forces de frottement vont alors diminuer en intensité, et le cycle se répète jusqu’à ce qu’un équilibre soit atteint. Le point sonique séparant les états subsonique et supersonique représente le point CJ généralisé. Celui-ci a été identifié la première fois par Zel’dovich [95]. En ce lieu, les taux de production d’énergie entre les différentes contributions dues à la friction et à la réaction chimique s’équilibrent. La combustion du mélange réactif devient incomplète et l’état CJ n’est plus le lieu de fin de zone de réaction. Ainsi, le déficit de vitesse de détonation peut être attribué à une diminution d’énergie soutenant le front. Deux facteurs en sont à l’origine : l’énergie chimique libérée dans la partie supersonique de l’écoulement et l’énergie absorbée par les phénomènes dissipatifs. La deuxième cause l’emporte souvent sur la première .
Dans les tubes à parois lisses, une couche limite se développe rapidement le long de l’écoulement en aval de l’onde de choc. Ainsi, le coefficient de trainée, résultant des pertes de charge, sera équivalent au coefficient de Poiseuille pour un écoulement laminaire et au coefficient de Blasius pour un écoulement turbulent. D’après Murray [61], ce modèle permet certes de retrouver la variation linéaire de la vitesse en fonction de l’inverse du diamètre, mais sous-estime fortement les niveaux observés expérimentalement. Il nécessite le plus souvent une calibration.
D’autre part, Fay [28] propose d’expliquer le déficit de vitesse par le développement d’une couche limite en aval de l’onde de choc . A pression initiale fixée, la vitesse de détonation diminue en fonction de l’inverse du diamètre du tube. De même, à diamètre fixé, cette même vitesse diminue en fonction de l’inverse de la pression initiale du mélange réactif. En réduisant la pression du mélange, l’épaisseur de la zone de réaction augmente, la rendant ainsi plus sensible à la présence de la couche limite naissante en aval du choc. Selon Fay, les effets de parois étant confinés dans une couche limite, l’écoulement est influencé au travers d’ondes de pression se propageant dans la zone de réaction subsonique. Les effets de la couche limite entraînent une divergence des lignes de courant dans la zone de réaction et par conséquent une réduction de la vitesse de l’onde. Dans le repère lié au choc , la condition aux limites d’adhérence impose une vitesse égale à la vitesse du front d’onde. Elle est supérieure à la vitesse au sein de la zone subsonique, le gaz ayant été préalablement choqué. Cette augmentation de vitesse se transmet dans l’écoulement par l’intermédiaire de la couche limite croissante. Le nombre de Prandtl d’un mélange gazeux étant proche de l’unité, les couches limites thermiques et dynamiques sont équivalentes. Pour toute surface parallèle à l’onde, la pression est quasi-uniforme. La température de la paroi étant moins élevée que la température au cœur de l’écoulement, la masse volumique du gaz sera plus importante.
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Table des matières
INTRODUCTION
1 Introduction générale
1.1 Généralités
1.2 Ondes de choc en milieu confiné
1.3 Ondes de détonation : théorie et modèle
1.4 Modélisation du déficit de vitesse
1.5 Instabilités des ondes de détonation
1.6 Détonations dans les canaux à section réduite
1.7 Récapitulatif
1.8 Présentation de l’étude
2 Equations et modèles mathématiques
2.1 Différents régimes d’écoulement
2.2 Equations de Navier-Stokes pour un fluide réactif
2.3 Modèle cinétique
2.4 Relations thermodynamiques
2.4.1 Equation d’état d’un mélange de Nsp espèces chimiques
2.4.2 Energie interne, enthalpie et capacités calorifiques d’un mélange de gaz parfaits
2.4.3 Vitesse du son
2.4.4 Table thermodynamique
2.5 Propriétés de transport
2.6 Récapitulatif
3 Méthodes numériques
3.1 Solveur aérodynamique
3.1.1 Schéma WENO
3.1.2 Schéma HLLC
3.1.3 Avancement en temps
3.2 Approximation des flux visqueux
3.3 Intégration des termes sources
3.3.1 Termes sources chimiques
3.3.2 Terme source visqueux pour le modèle 1D
3.3.3 Terme source thermique pour le modèle 1D
3.4 Condition de stabilité
3.5 Détermination de la température du fluide
3.6 Conditions aux limites
3.6.1 Conditions de parois
3.6.2 Conditions aux limites d’entrée/sortie
3.7 Outils de visualisation numérique
3.7.1 Strioscopie ou “schlieren” numérique
3.7.2 Suivi des points triples
3.7.3 Procédure de calcul des champs moyens
3.8 Validation numérique du code
3.8.1 Tube de Sod
3.8.2 Interaction d’un choc avec un profil sinusoïdal de masse volumique
3.9 Etude du taux de convergence des schémas
3.10 Récapitulatif
4 Résultats
CONCLUSION