Les Champs Magnétiques, présents sur tout le Diagramme HR
Les champs magnétiques demeurent un acteur mystérieux de la vie des étoiles. Bien qu’ils soient observés en astronomie depuis un demi-siècle, leurs modes de génération, d’amplification et même de dissipation sont encore sujets à controverses. Je présenterai ici dans une première partie une revue des objets célestes manifestant la présence de champs magnétiques avec une emphase spéciale pour le cas de notre astre solaire. Soulignons d’emblée la diversité des caractères exhibés par les étoiles magnétiques : celles-ci peuvent en effet manifester une variabilité intrinsèque, comme c’est le cas pour le Soleil, ou bien présenter une structure magnétique plus statique, la rotation propre de l’astre induisant une variabilité pour l’observateur. Ce constat m’amènera dans la deuxième partie de ce chapitre à décrire quelles sont les différentes manifestations trahissant la présence de champs magnétiques, puis en troisième partie à détailler brièvement les méthodes observationnelles utilisées pour les détecter et les étudier.
Brève introduction : les étoiles dans le diagramme HR
En astrophysique, les étoiles sont généralement classées par luminosité et couleur, cette dernière propriété étant intimement associée à la température de surface de l’étoile. Cette classification, proposée aux alentours de 1910 indépendamment par Ejnar Hertzsprung et Henry N. Russell, permet de représenter l’ensemble des étoiles dans un même schéma (voir Fig. 1.1). Cela a permis d’étudier des populations d’étoiles possédant des caractéristiques différentes, et de poser les premières bases de la théorie de l’évolution stellaire.
On constate que la majorité des étoiles se situent sur une diagonale, sur laquelle elles passent la plus grande partie de leur vie (par hypothèse d’ergodicité) : c’est la « séquence principale ». Apparaissent ensuite les géantes, étoiles en fin de vie, puis les naines blanches (qui ne sont pas toujours si blanches). Ces objets seront décrits à la fin de la section suivante. La classe spectrale est désignée par une lettre par ordre de température décroissante, ou encore par couleur allant du bleu vers le rouge : O, B, A, F, G, K, M : « Oh be a fine girl, kiss me ! »
chacune subdivisée en type spectral allant de 0 à 9, toujours par ordre de température décroissante. Par abus de langage , les étoiles tendant vers le bleu (resp. vers le rouge) sont parfois qualifiées de « précoces » (resp. de « tardives »). Le Soleil, avec une température de surface, dite température effective de 5778 K, est de classe G2. Une étoile de type A possède une température effective de l’ordre de 10 000 K.
Revue des objets célestes magnétiques
Le cas du Soleil
Structure du Soleil
Sur le diagramme HR, le Soleil est une étoile de masse plutôt faible. Comme toute étoile de la séquence principale, son équilibre est régi par la compétition entre les réactions nucléaires ayant lieu dans le cœur, tendant à expulser la matière vers l’extérieur et la gravité, tendant à contracter la matière vers le centre. Une étoile de cette masse et sur la séquence principale présente une structure interne composée d’une zone radiative interne (dont le cœur nucléaire) et d’une zone convective externe . Dans la zone radiative l’énergie issue du cœur est transportée par absorption puis réémission (avec une direction différente) de photons par les atomes, principalement d’hydrogène et d’hélium. Ainsi, un photon moyen met environ un million d’années pour traverser cette zone. À mesure que l’on se dirige vers la surface, le gaz devient de moins en moins ionisé et l’opacité augmente : l’efficacité de ce mode de transfert d’énergie est moindre. Lorsque l’opacité du gaz devient trop élevée, la variation de la température du gaz en fonction de la pression est supérieure à ce qu’elle serait si le transfert d’énergie se faisait de manière adiabatique (sans transfert de chaleur) et le milieu devient instable : à ce moment des mouvements de matière apparaissent, qui permettent de transporter de l’énergie thermique par conversion en énergie cinétique. Ainsi les 30 % externes du rayon du Soleil composent la zone convective. La zone externe est composée de la photosphère, d’une épaisseur de quelques centaines de kilomètres et qui définit la surface, puis de la chromosphère, d’une épaisseur de l’ordre de quinze mille kilomètres et enfin d’une couronne se diluant dans l’espace sur plusieurs millions de kilomètres .
Les cycles solaires
La cyclicité solaire, connue depuis le XVIIe siècle, a une période bien établie d’environ 11 ans. Depuis 1609, l’apparition des premières lunettes et des premiers téléscopes a en effet permis l’observation régulière des taches solaires, quelques observations ponctuelles à l’œil nu ayant toutefois été relevées auparavant (la plus ancienne, que l’on doit à Théophraste d’Athènes, remonte au milieu du quatrième siècle a.C.n.). Ces observations routinières consistant à dénombrer le nombre de taches solaires constituent une série de données des plus étendues dans le temps de l’histoire de la science.
Découverte de l’activité magnétique solaire
En 1908, George Hellery Hale relate la première observation de champs magnétiques à la surface du Soleil, plus exactement sur les taches solaires [25]. Cette première observation fut motivée par un double constat physique : premièrement, qu’un disque en ébonite chargé et mis en rotation produisait un champ magnétique capable de défléchir une aiguille suspendue au dessus de celui ci [54] ; deuxièmement, qu’un gaz composé notamment de carbone, lorsque soumis à de fortes températures, émet des charges négatives en grandes quantités. Si donc des mouvements de matière rapides sont présents dans ce gaz, tel que cela a été observé lors d’éruptions solaires, l’asymétrie entre la masse des particules chargées positivement et celle des particules chargées négativement serait susceptible de générer des perturbations électromagnétiques. Or les conditions à la surface du Soleil sont telles que le gaz y est partiellement ionisé ; de plus il était su que les taches solaires sont le siège de vortex, mouvements circulaires de matière. Toutes les conditions sont donc réunies pour qu’un champ magnétique y soit généré.
Peu de temps auparavant (en 1896), Pieter Zeeman découvrait l’effet qui porte aujourd’hui son nom : les raies spectrales d’une source de lumière soumise à un champ magnétique se dédoublent en plusieurs composantes, chacune d’elles présentant une certaine polarisation [67]. C’est cet effet qui fut exploité dans l’observation menée par Hale, qui aboutit à la découverte de composantes d’un doublet de polarisations circulaires opposées. Cette découverte permit d’interpréter l’origine des taches solaires : celles-ci correspondent en fait à l’émergence d’un tube de flux magnétique, la pression magnétique présente dans ce tube de flux repoussant la matière à l’extérieur (la matière dans le tube de flux, se retrouvant de densité moindre, présente alors un mouvement ascendant par rapport à son milieu environnant ainsi qu’une luminosité moindre). En effet les taches solaires émergent presque toujours deux à deux : une tache de tête (la plus à l’Est lorsque l’on regarde le disque solaire) et une tache dite de queue. La polarité de ces régions actives obéit à la loi de Hale [26, 27], selon laquelle durant un cycle de 11 ans, la polarité de la tache de tête est la même pour toutes les régions bipolaires dans un même hémisphère et est opposée à la polarité de la tache de tête dans l’autre hémisphère. Cet ordre de polarité s’inverse à la fin d’un cycle de Schwabe, la polarité de la tache de tête du cycle précédent devient alors la polarité de la tache de queue. Ainsi un cycle de Schwabe correspond à un demi-cycle magnétique, appelé cycle de Hale.
Les étoiles de type solaire
Les questions qui viennent naturellement à l’esprit en considérant l’activité magnétique du Soleil sont les suivante : « Quelle est la population d’étoiles manifestant le même type d’activité que le Soleil ? », « Est-ce que toutes les étoiles analogues au Soleil exhibent une cyclicité ? », « Y a-t-il des régimes de dynamo irréguliers ? »… En 1995, le projet H&K du Mont Wilson [8] a permis d’étudier l’activité magnétique de plus de 110 étoiles du type spectral F à K. Cette étude a révélé qu’environ 40% de ces étoiles possèdent une activité magnétique cyclique dont la moitié avec une période du cycle bien définie. Baliunas et al. (1996) [9] ; Saar et Brandenburg (1999)[55] ont de plus montré qu’il existe une diminution de la période du cycle magnétique lorsque la vitesse de rotation augmente. Cette corrélation nous donne ainsi l’indication que la rotation va probablement jouer un rôle dans l’établissement et le maintien du champ magnétique à grandes échelles. Il faut noter aussi que dans les étoiles en rotation plus lente, l’amplitude de la circulation méridienne diminue, ce qui défavorise certains scenarios de la dynamo. Récemment, Fares et al. ont mis en évidence pour la première fois un cycle complet d’activité sur l’étoile τ Bootis [20].
Des étoiles très particulières : les étoiles de type Ap
Quarante ans après l’observation de Hale et toujours au Mont Wilson, Babcock détecte les premières signatures de champs magnétiques à la surface d’étoiles de type A chimiquement particulières, en premier lieu sur l’étoile Virginis 78, en 1947 [5]. Ce sera le début d’investigations passionnantes portant sur les champs magnétiques dans des populations stellaires extrasolaires, et nous verrons que les propriétés exhibées par ces premières sont bien différentes de ce qui était connu jusqu’alors pour le Soleil.
Les étoiles « CP »
Les étoiles CP (chimiquement particulières) sont des étoiles qui présentent des anomalies d’abondances en éléments chimiques dans leur spectre par rapport aux abondances observées dans les étoiles normales à température effective et gravité égales. Ce sont généralement des étoiles à vitesse de rotation plus faible que leurs homologues.
Présentation des étoiles de type Ap magnétiques
Les étoiles de type Ap magnétiques représentent une fraction comprise entre 1.7 et 2.8% de toutes les étoiles de masses intermédiaires [51]. Néanmoins à l’heure actuelle on en dénombre un peu plus de 300 [24, 11]. Elles peuvent à leur tour être subdivisées en plusieurs classes :
– les Ap SrCrEu, présentant des excès d’abondance pour le strontium, le chrome et l’europium ;
– les Ap Si, présentant des excès d’abondances pour le silicium ;
– les He-faibles SiSrTi, présentant des excès d’abondances pour le silicium, le strontium et le titane ;
– les He-riches ; certaines étoiles Ap présentant plusieurs de ces caractéristiques simultanément. Elles possèdent comme toute étoile de type A un cœur convectif de faible extension radiale, une zone radiative étendue, et éventuellement une très fine couche convective en surface. Jusqu’à présent, toutes les étoiles Ap présumées ne pas présenter de champ magnétique se sont révélées en accueillir un, après observation suffisamment prolongée.
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Table des matières
INTRODUCTION
Présentation du manuscrit
Première partie : Mise en contexte
1 Les Champs Magnétiques, présents sur tout le Diagramme HR
1.1 Brève introduction : les étoiles dans le diagramme HR
1.2 Revue des objets célestes magnétiques
1.2.1 Le cas du Soleil
1.2.2 Les étoiles de type solaire
1.2.3 Des étoiles très particulières : les étoiles de type Ap
1.2.4 Les étoiles massives
1.2.5 Les étoiles jeunes
1.2.6 Les objets compacts
1.3 Manifestations du champ magnétique
1.3.1 L’effet Zeeman
1.3.2 L’effet Hanle
1.3.3 Les émissions en rayons X
1.3.4 Les émissions non-thermiques dans le domaine radio
1.4 Méthodes observationnelles
1.4.1 Méthodes conventionnelles
1.4.2 La spectropolarimétrie
1.4.3 L’hélio- et l’astérosismologie
1.5 Conclusion
Bibliographie
2 Origines et Phénoménologie des Champs Magnétiques Stellaires
2.1 Les instabilités MHD à l’œuvre
2.1.1 L’approche magnéto-hydrodynamique
2.1.2 L’instabilité de flottaison ou de Parker
2.1.3 Instabilités « Pinch »
2.1.4 Un petit mot sur l’instabilité magnéto-rotationnelle
2.2 Les champs d’origines dynamo
2.2.1 Les équations d’induction et de Navier-Stokes
2.2.2 La dynamo dans les zones convectives
2.2.3 La dynamo dans les zones radiatives
2.3 Les champs fossiles
2.3.1 L’ effet « batterie Biermann »
2.3.2 La conservation du flux
2.4 Conclusion
Bibliographie
Deuxième partie : Modélisation de configurations d’équilibre magnétique et de leur impact sur la structure stellaire
3 Modélisation des Champs Magnétiques de Grandes Échelles
3.1 Motivations
3.1.1 Faits observationnels
3.1.2 Faits expérimentaux
3.1.3 Modélisations numériques
3.2 L’équilibre magnéto-hydrostatique « non force-free »
3.2.1 Contexte historique
3.2.2 Configuration du champ magnétique axisymétrique
3.2.3 L’équilibre magnéto-hydrostatique barotrope
3.2.4 Remarque concernant la densité de courant azimutale
3.3 États relaxés auto-gravitants
3.3.1 Definitions et invariants axisymétriques
3.3.2 États relaxés barotropes
3.3.3 Solution à l’aide de la méthode des fonctions de Green
3.3.4 Configurations
3.4 Application aux intérieurs stellaires
3.4.1 Champ confiné dans la zone radiative solaire
3.4.2 Champ confiné dans la zone radiative d’une étoile de type Ap
3.5 Liens entre l’hélicité, la topologie et l’énergie du champ
3.5.1 Hélicité vs. mixité
3.5.2 Hélicité vs. énergie
3.5.3 Applications
3.6 Discussion
3.7 Conclusion
3.8 Publication reliée : article 1
Bibliographie
4 Éléments d’Analyse de Stabilité
4.1 Les différentes formulations
4.1.1 Méthode des modes normaux
4.1.2 Méthode variationnelle
4.1.3 Lien entre les deux méthodes
4.2 Analyse de stabilité des configurations MHS via la méthode variationnelle
4.2.1 Cas de déplacements perturbatifs appartenant aux surfaces magnétiques
4.2.2 Limitations concernant l’analyse dans le cas où les déplacements perturbatifs sont perpendiculaires aux surfaces magnétiques
4.3 Analyse de stabilité des configurations MHS par simulation numérique MHD 3D
4.3.1 Méthode numérique
4.3.2 Résultats
4.4 Perspectives
Bibliographie
5 Influence du Champ Magnétique sur la Structure Stellaire
5.1 Le jeu d’équations de la structure stellaire
5.1.1 L’équilibre hydrostatique
5.1.2 La conservation de la masse
5.1.3 L’équation de transfert de la chaleur
5.1.4 L’équation d’énergie
5.1.5 Le transport des éléments chimiques
5.1.6 Les équations de la structure stellaire utilisées dans Cesam
5.2 Effet du magnétisme sur les équations de la structure stellaire
5.2.1 Travaux antérieurs : cas solaire
5.2.2 Modification de l’équilibre hydrostatique
5.2.3 Grandeurs énergétiques
5.2.4 Les équations modifiées
5.3 Perturbation de la structure stellaire
5.3.1 Les deux cas d’application
5.3.2 Quantités physiques perturbant la balance hydrostatique
5.3.3 Perturbation de la balance hydrostatique
5.3.4 Quantités physiques perturbant la balance énergétique
5.3.5 Perturbation de la balance énergétique
5.3.6 Perturbations en surface
5.4 Comparaison avec les effets de la rotation
5.4.1 Enjeux
5.4.2 Modélisation
5.4.3 Résultats
5.5 Conclusion et perspectives
5.6 Publications reliées : articles 2 et 3
Bibliographie
Troisième partie : Modélisation dynamique
6 Vers le Transport Magnéto-Rotationnel
6.1 Le transport MHD dans les codes d’évolution stellaire
6.1.1 Codes MHD multidimensionnels vs. codes d’évolution : limites technologiques
6.1.2 Les codes d’évolution stellaire avec rotation et champ magnétique : outils existants et en devenir
6.2 Le transport magnéto-rotationnel
6.2.1 Généralités
6.2.2 L’équation d’induction
6.2.3 L’équation du transport du moment cinétique
6.2.4 L’équation du vent thermique
6.2.5 L’équation du transport de la chaleur
6.3 Influence sur la convection
6.3.1 Description de la convection dans la cadre de la « MLT »
6.3.2 Influence du champ magnétique sur l’efficacité de la convection
6.3.3 Influence du champ magnétique sur le critère de convection
6.4 Application : implémentation d’un champ magnétique initialement à l’équilibre MHS
6.4.1 Procédure d’implémentation dans Cesam
6.4.2 Résultats
6.4.3 La diffusivité magnétique
6.4.4 Implémentation de la diffusion du champ magnétique
6.5 Perspectives
Bibliographie
7 L’astérosismologie : une nouvelle sonde des intérieurs stellaires
7.1 La mission CoRoT
7.1.1 Description du satellite et de la mission
7.1.2 Observations marquantes
7.2 Théorie des oscillations
7.2.1 Les oscillations adiabatiques non-radiales
7.2.2 Théorie asymptotique des modes p et variables sismiques
7.3 Étude de l’impact de processus physiques sur la modélisation de l’étoile HD49933
7.3.1 HD49933 : données observationnelles
7.3.2 Outils employés pour l’étude
7.3.3 Résultats
7.3.4 Perspectives
7.4 Publication reliée : article 4
Bibliographie
CONCLUSION
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