Modélisation de systèmes écologiques complexes
Processus de modélisation
Le processus de modélisation est un exercice itératif qui boucle de l’analyse de la réalité jusqu’à la validation du modèle par rapport aux observations réelles. Dès 1979, un formalisme de normalisation du processus de modélisation a été proposé par la Society for Computer Simulation (Schlesinger, 1979).
Le modèle conceptuel décrit la réalité à l’aide de différents médiums tels que des équations, schémas ou des relations de causes à effets. Cette description est obtenue en analysant la réalité et en retenant les divers phénomènes pertinents aux yeux du modélisateur (Schlesinger, 1979). Dans le cas d’un système complexe, le modèle conceptuel peut décrire de manière hiérarchique les différents éléments dans le système et les relations entre eux.
Dans ce cas, un modèle représentationnel sera nécessaire afin de détailler chacun des éléments primaires du modèle conceptuel. Chaque élément est alors décrit de manière indépendante et possède ses propres attributs, états et règles de transitions. C’est la combinaison et l’interaction entre les éléments primaires du modèle qui permet de faire émerger le comportement global du système (Parrott et Kok, 2000).
Les utilités d’un modèle
Un modèle peut jouer plusieurs rôles en fonction du niveau de participation du modélisateur ou de l’utilisateur (Parker et al., 2003). Dans le cadre d’un projet typique de modélisation dans le but de créer un outil d’aide à la décision afin de mieux protéger une ressource, celui-ci est un instrument scientifique afin de valider la compréhension du système par l’expert. Dans ce cas, le modèle sert à tester des hypothèses scientifiques en validant le modèle avec les données provenant du système réel.
Un modèle est aussi un instrument scientifique pour les experts qui l’utilisent et le modifient. Le modèle sert à valider des propriétés dynamiques du système lorsque l’expert modifie légèrement le système et analyse les réactions à ces divers stimuli. Il est aussi possible de considérer un modèle comme outil de gestion. L’objectif est de proposer des aides fiables à la gestion raisonnée du système étudié. Un exemple concret d’utilisation d’un modèle comme un outil de gestion est le modèle proposé par Anwar (Anwar et al., 2007). Ce modèle propose un outil d’aide à la décision aux gestionnaires quant aux divers impacts écologiques et économiques prévus en fonction de la règlementation et du zonage d’une aire protégée.
Modélisation de systèmes écologiques complexes
Un système est constitué d’une collection d’objets en interactions (Coquillard et Hill, 1997). Globalement, un système peut être qualifié de complexe lorsque le comportement global du système est plus que la somme du comportement de ses entités. Cette inégalité est due aux liens hiérarchiques et aux interactions entre les individus qui ne sont pas prévisibles en analysant chaque entité de manière individuelle. Ainsi, cette approche proposée par les systèmes complexes confronte directement la philosophie réductionniste de Descartes (Schank, 2001).
L’émergence est un concept fondamental des systèmes complexes qui les distinguent des systèmes simples. Les phénomènes émergents d’un système sont définis comme des caractéristiques dynamiques qui ne peuvent être prédites par l’analyse de chaque élément pris individuellement (Parker et al., 2003) et qui créent cette inégalité entre la somme des comportements des composantes individuelles du système et le comportement du système dans son ensemble. Ces caractéristiques peuvent prendre la forme d’un patron spatial, temporel ou spatio-temporel généré par l’auto-organisation des éléments. Ainsi, l’analyse de systèmes complexes et des phénomènes émergents se concentre sur l’organisation des entités dans le système ainsi que le développement de nouvelles caractéristiques dans cette organisation (Parrott et Kok, 2000). Certains auteurs situent les systèmes complexes à la frontière entre un système organisé et le chaos. En effet, il se crée dans un système complexe une certaine organisation interne entre les différentes entités. Cependant, cette organisation est hautement dépendante de l’historique du système puisqu’une petite différence à l’état initial du système peut engendrer une dynamique du système totalement différente (Judson,1994).
Approche de modélisation orientée par patrons
L’approche de modélisation orientée par patrons propose un cadre unifié de modélisation spécialement adapté pour les systèmes complexes. La particularité de cette approche provient de l’attention particulière apportée à la validation tout au long du processus de modélisation. Puisque le comportement de chaque individu est impossible à prédire dans un système complexe, l’approche par modélisation orientée par patrons permet de s’affranchir des attributs intrinsèques des entités en quantifiant à l’aide de patrons l’organisation globale des entités dans le temps et l’espace.
En premier lieu, les données provenant du système étudié sont collectées et compilées. Par la suite, les paramètres du modèle sont déterminés de manière empirique et s’enchaîne une phase de calibration en comparant les patrons réels aux patrons simulés. Finalement, des prédictions secondaires sont dérivées du modèle afin de valider sa cohérence.
Facteurs influençant les individus
L’autonomie et la cognition de l’individu nécessitent de connaître le contexte dans lequel il évolue afin d’effectuer les bonnes actions pour atteindre ses objectifs. Généralement, ce sont les attributs individuels, les attributs spatiaux et les influences sociales qui sont modélisés et qui peuvent potentiellement influencer le comportement des individus.
Les attributs individuels
En premier lieu, les attributs individuels sont généralement utilisés dans les approches basée sur individus. La présence d’attributs permet d’exploiter au maximum la flexibilité des modèles basés sur individus comparativement aux modèles analytiques qui exigent que tous les individus soient identiques ou suivent une distribution statistique. L’âge ou la masse corporelle sont deux exemples d’attributs, spécifiques à chaque individu, couramment utilisés dans les modèles écologiques (Bennett et Tang, 2006; Huse et Giske, 1998; Morales et al.,2005).
L’attribut interne d’un individu peut, au-delà des propriétés physiologiques, qualifier la classe comportementale de celui-ci. Bien que ce soit applicable aux populations animales (Bennett et Tang, 2006), cette approche est plus souvent utilisée pour les humains. Un ouvrage intéressant dans ce domaine est le modèle de Gimblett simulant les interactions et les sources de conflit des différents utilisateurs d’un parc naturel (Gimblett, Richards et Itami, 1997). Un sondage effectué préalablement dans le parc a permis de déterminer différents types d’utilisateur dans le parc et de dresser un profil propre à chacun. Ainsi, lors de l’initialisation du modèle, un profil d’utilisateur est assigné à chaque individu et permet de reproduire la diversité des comportements et des conflits dans le parc. De manière plus simpliste, Little propose un modèle simulant l’exploitation des ressources maritimes (Little et al., 2004). L’attribut interne décrivant la catégorie de capitaine de bateau, stochastique ou cartésien, permet de classifier en deux grandes familles leur profil comportemental.
Les attributs spatiaux
L’influence de l’environnement sur le comportement des individus permet d’exploiter la deuxième force de l’approche basée sur individus comparativement aux modèles analytiques : les interactions prennent place localement. Ainsi, les attributs locaux de l’environnement sont aussi responsables de l’émergence de patrons et doivent être inclus dans le modèle pour qu’il devienne spatialement explicite. Les attributs classiques dans les modèles écologiques sont généralement la densité des proies, des prédateurs ou la présence de nourriture (Bennett et Tang, 2006; Forester et al., 2007; Huse et Giske, 1998; Little et al., 2004; Morales et al., 2005).
En plus de ces propriétés statiques, l’interaction des individus avec leur environnement change aussi la dynamique du modèle. Dans un modèle simulant le déplacement des capelans (Huse et Giske, 1998), une étude de sensibilité a démontré que la navigation des poissons est différente lorsque la nourriture consommée est retirée de l’environnement.
Bennett explore aussi cette notion de rétroaction avec l’environnement afin d’émerger un patron de distribution spatiale des élans en partie causée par la compétition des différents individus pour les ressources communes (Bennett et Tang, 2006).
Finalement, la topologie dans laquelle évoluent les individus influence leur comportement.
Alderman propose que la topologie de l’environnement modifie la portée visuelle des individus et induise directement une modification de son comportement. Ainsi, cette portée visuelle dynamique d’un individu est une propriété émergente provenant de la topologie de l’environnement combinée à la portée visuelle maximale d’un individu (Alderman et Hinsley, 2007). La capacité visuelle est aussi abordée dans le modèle de Gimblett. Celui-ci modifie la capacité visuelle à détecter la présence d’autres individus en fonction de la topologie et du type de végétation. Ainsi, la portée visuelle émergente utilisée dans ce modèle modifie le nombre de contacts visuels comptabilisés entre les utilisateurs (Gimblett, Richards et Itami, 1997).
Les influences sociales
Le comportement d’individus sociaux est évidemment influencé par la proximité des autres membres de la même espèce. Dans le cas de bancs de poissons ou de nuées d’oiseaux, les individus ont tendance à respecter certaines règles collectives. Les individus ont tendance à éviter les individus trop près d’eux, de créer une cohésion au groupe en s’alignant aux individus autour d’eux et en se rapprochant des individus trop éloignés (Couzin, 2007; Couzin et al., 2002). Ainsi, il n’existe aucun contrôle centralisé du groupe puisque la cohésion du groupe est générée par la sommation de l’influence de chaque individu sur son voisinage. Le transfert de l’information s’effectue strictement par le couplage fort entre les individus avoisinants. Ainsi, un changement de direction causé par la présence d’un prédateur ou de nourriture est amplifié et propagé comme une onde dans l’ensemble du groupe.
Processus décisionnel des individus
À partir des facteurs influençant l’individu, un processus décisionnel doit déterminer les actions à poser afin d’atteindre son but. Dans certains cas, cette prise de décision peut être hiérarchique. Le concept clé de la modélisation par patrons est l’utilisation de plusieurs patrons dans un système complexe sous plusieurs échelles spatio-temporelles différentes.
Dans l’étude des déplacements de capelans (Huse et Giske, 1998) ou des élans (Morales et al., 2005), la prise de décision s’effectue de manière hiérarchique en deux étapes. Le premier choix détermine l’activité de l’individu. Dans le cas des poissons, le choix d’activité est de se nourrir localement ou de migrer, alors que pour les élans le choix est de se nourrir, se déplacer localement ou d’explorer le territoire. Par la suite, le second choix des deux modèles consiste à déterminer la direction du mouvement afin d’effectuer l’activité désirée.
Cette prise de décision hiérarchique est aussi présente dans un second modèle modélisant le déplacement des élans (Bennett et Tang, 2006). Dans ce cas, une représentation multiéchelles des attributs de l’environnement a amené une prise de décision hiérarchique de la direction de navigation des individus. Dans ce cas particulier, l’individu détermine globalement sa direction de migration et navigue localement en pondérant ce vecteur de direction globale avec un vecteur de direction local décrivant la présence de nourriture.
Algorithme évolutionnaire
Contrairement aux réseaux bayésiens, les algorithmes évolutionnaires permettent aux individus de s’adapter explicitement à leur environnement en fonction de leurs expériences antérieures. Généralement, un algorithme évolutionnaire mimique l’évolution naturelle des organismes en modifiant leurs règles comportementales au fil des générations. La sélection naturelle favorise l’élitisme et la convergence vers un comportement approprié. Les algorithmes évolutionnaires nécessitent la simulation de plusieurs milliers de générations compte tenu de l’évolution pseudo-aléatoire de la population. Ainsi, le calcul d’adéquation (fitness) de chaque individu doit être relativement rapide afin de faire converger la population dans un temps raisonnable (Parrott et Kok, 2000).
L’algorithme génétique générique, couramment utilisé dans le domaine de l’optimisation, consiste à faire évoluer une population en fonction d’une mesure d’adéquation représentant la fonction objectif du problème. Cet algorithme itératif. Dans le domaine de l’écologie, Morales propose un modèle multi-agents adaptatif évoluant le comportement des élans afin d’optimiser leurs chances de survie et de reproduction (Morales et al., 2005). Dans ce cas, la mesure d’adéquation utilisée est le produit de la réserve de gras de l’agent et la probabilité de survie face aux prédateurs.
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Table des matières
NTRODUCTION
CHAPITRE 1 ÉTAT DE L’ART
1.1 Introduction aux modèles
1.1.1 Processus de modélisation
1.1.2 Les utilités d’un modèle
1.2 Modélisation de systèmes écologiques complexes
1.2.1 L’approche basée sur individus
1.2.2 Représentation spatio-temporelle
1.2.3 La validation des modèles écologiques complexes
1.3 Approche de modélisation orientée par patrons
1.3.1 Les patrons
1.3.2 Les étapes de modélisation orientée par patrons
1.4 Approches de modélisation de populations animales
1.4.1 Représentation des individus
1.4.2 Facteurs influençant les individus
1.4.3 Processus décisionnel des individus
1.5 Conclusion
CHAPITRE 2 DÉMARCHE DE MODÉLISATION
2.1 Étape I : Formuler la question
2.2 Étape II : Poser les hypothèses
2.3 Étape III : Définir la structure du modèle
2.4 Étape IV : Implémenter le modèle
2.5 Étape V : Analyser le modèle
CHAPITRE 3 ALGORITHMES DE DÉPLACEMENT DES INDIVIDUS
3.1 Algorithme de marche aléatoire
3.2 Algorithme de marche aléatoire corrélée
3.3 Algorithme de marche aléatoire corrélée avec indice de résidence
3.4 Algorithme de marche aléatoire corrélée avec influence sociale
3.5 Algorithme de marche aléatoire corrélée avec indice de résidence et influence sociale
3.6 Algorithme de minimisation de la moyenne des biais normalisés
CHAPITRE 4 EXTRACTION ET ANALYSE DES PATRONS
4.1 Données de l’étude.
4.2 Extraction des patrons observés
4.2.1 Patrons de trajectoire
4.2.2 Patron de répartition
4.2.3 Patron de socialisation
4.3 Extraction des patrons simulés
4.4 Comparaison des patrons observés et simulés
CHAPITRE 5 RÉSULTATS ET DISCUSSION
5.1 Évaluation des algorithmes de déplacement
5.1.1 Marche aléatoire (MA)
5.1.2 Marche aléatoire corrélée (MAC)
5.1.3 Marche aléatoire corrélée avec indice de résidence (MAC-R)
5.1.4 Marche aléatoire corrélée avec influence sociale (MAC-S)
5.1.5 Marche aléatoire corrélée avec indice de résidence et influence sociale(MAC-RS)
5.1.6 Marche aléatoire corrélée avec minimisation de la moyenne des biais normalisés (MAC-MMBN)
5.2 Temps de simulation
5.3 Discussion générale des approches utilisées
CONCLUSION
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