Les travaux de thèse ont été réalisés au sein de l’IRCCyN (Institut de Recherche en Communication et Cybernétique de Nantes) dans les équipes ADTSI (Analyse et Décision en Traitement du Signal et de l’Image) et Robotique.
Brefs rappels de physiologie
Physiologie
Le corps humain commande ses mouvements par l’intermédiaire du système nerveux central. Ce système nerveux central regroupe le cerveau et la moelle épinière. Il envoie des ordres aux muscles par les nerfs (ou axones) sous forme de trains d’impulsions chimiques. Ces trains sont transformés en trains d’impulsions électriques au niveau de la liaison axone-fibre musculaire [Bigland 54]. Chaque impulsion électrique, qui parcourt entièrement la fibre musculaire, est appelée potentiel d’action (Action Potential, AP). Les muscles du corps sont composés de faisceaux de fibres musculaires lents, rapides ou intermédiaires [Sharma 01]. La commande d’un muscle est réalisée par groupement de fibres, groupement appartenant entièrement à un muscle. L’ensemble {axone, groupement de fibres} est appelé unité motrice (Motor Unit, MU). Lors de l’arrivée d’une impulsion chimique sur une MU, il résulte un AP par fibre musculaire appartenant à la MU. Les MUs ne peuvent être activées en permanence : elles sont activées suivant un schéma bien précis [Peters 99] et il existe une période réfractaire tR pendant laquelle aucun AP ne peut les traverser. Effectivement, le AP déclenche sur son passage une réaction chimique provoquant le mouvement local de la fibre musculaire [Wheater 01] : cette réaction chimique met un certain laps de temps avant de revenir à l’équilibre. Chaque MU s’active à une fréquence, nommée taux de décharge : c’est un nombre d’impulsions par unité de temps. Ce taux de décharge peut varier dans le temps suivant des causes externes comme le temps d’effort, la force à développer ; ou interne comme le nombre de groupes de fibres musculaires actifs, le type de fibres musculaires. Ces activations successives sur une même fibre constituent un train d’impulsions. Bien que la forme des APs soit constante pour une fibre musculaire particulière, des variations en amplitude et en longueur apparaissent. De plus, d’une fibre à l’autre, le diamètre influe sur l’amplitude du potentiel d’action et la vitesse de conduction sur la longueur de la réponse.
Remarque 1. Notons que des nerfs sensorimoteurs permettent un retour d’information vers le système nerveux central : nous sommes en présence d’un système avec rétroaction.
Électromyogramme
Le relevé de ces signaux électriques s’appelle un électromyogramme (EMG ou signal EMG). A l’instar d’un électrocardiogramme (ECG) pour le muscle cardiaque, l’EMG renseigne sur l’activité du ou des muscles étudiés. Il existe deux grands types de signal EMG. L’EMG de surface (ou sEMG) est un relevé des signaux musculaires réalisé à la surface de la peau. Il est obtenu grâce à une paire d’électrodes de surface ou d’une matrice d’électrodes. Ces électrodes sont placées au-dessus d’un ou de plusieurs muscles. Dans le cas d’un relevé sur de grands muscles (dos, cuisses), le sEMG ne présente l’activité que d’un seul muscle. Par contre, la contribution de plusieurs muscles adjacents ou superposés est récupérée dans le cas de relevé sur des petits muscles (avant-bras, main). Dans ce dernier cas, les sEMG ne permettent pas d’avoir une idée précise de l’activation de chaque muscle. Le fait que les électrodes soient éloignées de la zone de décharge électrique ajoute une dégradation supplémentaire, le corps humain jouant le rôle d’un filtre passe-bas. De plus, les signaux enregistrés sont soumis à une grande variabilité au cours des expériences : des mouvements de peau [Hargrove 08], la sudation, le replacement des électrodes [Research 99]. Cependant le placement des électrodes est rapide, peu coûteux et non invasif.
L’EMG intramusculaire (ou iEMG) est un relevé des signaux musculaires réalisé à l’intérieur des muscles par une électrode implantée. Les versions actuelles de ces électrodes sont souples. Ce relevé renseigne localement sur l’activation d’un muscle, sans perturbation extérieure. L’électrode aiguille est placée beaucoup plus près des fibres musculaires : les potentiels d’actions relevés sont moins filtrés par les tissus vivants et donc plus identifiables. Cependant, nous n’obtenons qu’une image locale de l’activité musculaire.
Dans le cas des signaux iEMG, les relevés se présentent sous forme d’un mélange de trains d’ondelettes. Chaque ondelette est la somme des potentiels d’action de toutes les fibres d’une unité motrice : nous appelons cette ondelette « potentiel d’action d’unité motrice » (Motor Unit Action Potential, MUAP) [Stashuk 01,Wehner 12]. Ainsi, bien que la forme des APs varie peu d’une fibre à l’autre, par le jeu de retards et atténuations différents, les MUAPs présentent des formes différentes d’une unité motrice à l’autre. Le signal iEMG se présente donc comme une succession de MUAPs avec de possibles interférences. La MUAP de chaque MU permet de l’identifier à l’intérieur du signal iEMG. Elle varie légèrement au cours du temps à cause de raisons internes et externes. Les causes internes sont un changement d’environnement chimique, la défection d’une ou plusieurs fibres de la MU, ou encore la configuration géométrique du muscle ; une cause externe est le mouvement de l’électrode par rapport à la MU.
Problématique de l’étude
Sur les relevés iEMG, les interférences créées par la superposition des MUAPs provenant de différentes MUs peuvent être de type destructif ou constructif. Dans ces deux cas, les interférences peuvent perturber fortement le traitement du signal iEMG [von Tscharner 10]. Par exemple, dans le cas destructif, le signal est perçu comme « moins énergétique » au moment de la destruction. Les interférences se produisent d’autant plus fréquemment lorsque le nombre d’unités motrices actives croît (i.e. un début d’effort ou un effort important).
Les méthodes couramment employées pour la commande de prothèses (voir paragraphe « Description des méthodes », ) ne tiennent pas compte des interférences. La reconnaissance rapide de l’intention de l’utilisateur est le principal attrait de ces méthodes. Cependant, elles ne donnent qu’une vision fonctionnelle globale (l’intention de l’utilisateur) et non pas de la commande directe des muscles (envoyé par le système nerveux central). Seules les méthodes comprenant une décomposition du signal en ses sources parviennent à restituer l’information de commande du système nerveux central. La méthode, que nous présentons dans ce manuscrit, permet d’effectuer, suivant un modèle stochastique des signaux iEMG, la déconvolution en ligne d’une somme de trains d’impulsions filtrés : elle permet d’intégrer les interférences et de fournir séquentiellement des informations en étant au plus près des commandes initiales de l’utilisateur. Cette méthode sera destinée à fournir des informations en ligne dans le but de commander en ligne une prothèse d’avant-bras. Elle aura pourtant d’autres utilisations comme le pilotage d’exosquelettes, l’aide au diagnostic, le suivi de performance, l’étude physiologique, etc.) .
Utilisation des signaux dans les prothèses d’avant-bras
Les prothèses d’avant-bras
Des prothèses déjà existantes
Les premières prothèses d’avant-bras se composaient d’un crochet qui avait la capacité de se rétracter par une action mécanique. L’idée de la commande active de prothèse grâce au système nerveux central émane du Pr. Norbert Wiener [Shreyder 59] (1947). En 1955, sous l’impulsion de travaux sur le relevé de signaux EMG [Bigland 54], l’équipe de Battye et al. [Battye 55] fabrique le premier dispositif permettant la commande d’une prothèse à crochets à partir de signaux EMG de surface. Plusieurs problèmes technologiques et physiologiques sont ainsi soulevés après ce premier essai : la stabilité du contact entre la peau et les électrodes, l’amplification et le filtrage des signaux, la proximité des muscles, le schéma d’activation musculaire, etc.
Actuellement, les prothèses d’avant-bras vendues dans le commerce sont des prothèses ressemblant physiquement à un avant-bras humain. Cependant l’imitation de la fonctionnalité d’un avant-bras humain reste hors de portée : par exemple, la prothèse d’avant-bras MichelAngelo développée par Ottobock [Puchhammer 08] permet d’effectuer un mouvement autour d’un seul degré de liberté à la fois. En fonctionnement automatique elle ne permet de ne commander que deux degrés de liberté. Cependant les patients peuvent régler leur prothèse suivant le type de tâches à effectuer : un bouton permet de changer de mode. Cela permet de remédier au manque de fonctionnalité de ces prothèses. Une prothèse de bras complète, la Luke Arm, développée au Neural Engineering Center for Artificial Limbs par T. Kuiken [Kuiken 09] [Miller 08] pour le projet militaire DARPA [Adee 08], a été conçue pour redonner le maximum de fonctionnalités à des patients amputés d’un bras complet. Le résultat est prometteur avec 8 degrés de liberté pilotables simultanément [Toledo 09]. Cependant, la mise en place de la prothèse requiert plusieurs opérations chirurgicales lourdes, opérations visant à réinerver un muscle.
Une synthèse sur les prothèses de mains commandées par EMG peut être trouvée dans [Martin 11]. En étendant cet inventaire aux mains robotisées non destinées à la rééducation, nous pouvons citer la Shadow Dexterous Hand imitant tous les degrés de liberté d’un avant-bras humain, ou encore la SmartHand développée à la Scuola Superiore Sant’Anna, Pise, Italie. En général et en particulier pour les avant-bras, les exosquelettes sont aussi un nouvel axe de recherche dans le remplacement de fonctionnalité. Les exosquelettes ne remplacent pas le membre manquant, mais viennent assister le patient dans la réalisation du mouvement pour les actes de la vie quotidienne. Un prototype d’exosquelette spécialisé pour la rééducation fonctionnelle de la main est présenté dans [Mulas 05]. Nous notons plusieurs réalisations d’exosquelettes complets, en particulier l’exosquelette HAL-3 (Hybrid Assisted Limbed), développé par Cyberdine.
Des avancées scientifiques et technologiques
Les avancées en électronique et la présence d’un grand nombre d’amputés (post-guerre) ont favorisé le développement de prothèses fonctionnelles. Les premières prothèses myoélectriques fonctionnaient grâce à une analyse de caractéristiques temporelles des signaux sEMG relevés [Englehart 98]. Le traitement du signal sEMG était basique et permettait d’activer la prothèse selon un mode prédéfini. La notion de contrôle en vitesse était parfois possible. Les travaux menés dans de nombreux domaines ont permis une augmentation de la fonctionnalité des prothèses, leur miniaturisation et donc leur utilisation par les patients dans les activités quotidiennes. Nous notons :
• une meilleure compréhension de la physiologie : le fonctionnement du corps humain [Sharma 01], notamment la mécanique des muscles et du squelette [Hill 38, Venture 06, Sartori 13] ; les traumatismes et les pathologies associés aux muscles ; de nouvelles techniques médicales [Kuiken 09] ; la rééducation fonctionnelle [Mulas 05] ;
• des avancées dans le domaine de la robotique ; la construction d’une prothèse mécanique d’avant-bras devient possible grâce à :
− la miniaturisation des composants mécaniques : moteurs, capteurs, muscles artificiels [Ferris 09] etc. ; ainsi que de nouveaux matériaux : prothèse plus légère, plus résistante et adaptable à tous les futurs utilisateurs ;
− l’autonomie de la prothèse, qui permet une autonomie de l’utilisateur [Cipriani 10] ;
− la modélisation [Pau 12], la commande et l’optimisation d’un système robotique dans la cadre d’un remplacement fonctionnel d’un membre du corps humain ;
− la résilience du système : la sécurité doit être assurée pour l’utilisateur, les personnes entourant l’utilisateur et la prothèse elle-même ;
• de nouvelles méthodes de traitement du signal grâce à de plus grandes capacités de calcul (augmentation de la rapidité des processeurs) et à une miniaturisation des composants électroniques : analyse du domaine temps-fréquence en temps réel, décomposition [Holobar 09], filtrage bayésien [Haga 13, Monsifrot 13], méthode par Monte-Carlo-Markov-Chain (MCMC) [Ge 11], ou des méthodes de parcours d’arbre [Li 13b,Monsifrot 11,Monsifrot 13] ;
• le relevé et l’enregistrement de signaux EMG [Merletti 75,Research 99] : une meilleure compréhension des schémas d’activation des muscles et des analyses plus fines des signaux enregistrés.
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Projet
1.2 Plan du manuscrit
1.3 Notations
2 Cadre et problématique de l’étude
2.1 Brefs rappels de physiologie
2.1.1 Physiologie
2.1.2 Électromyogramme
2.2 Problématique de l’étude
2.3 Utilisation des signaux dans les prothèses d’avant-bras
2.3.1 Les prothèses d’avant-bras
Des prothèses déjà existantes
Des avancées scientifiques et technologiques
Comparaison de l’avant-bras humain et d’une prothèse d’avant-bras
2.3.2 Les méthodes de traitement hors-ligne et en ligne des signaux EMG
Informations fournies à la prothèse
2.4 Modélisation du signal iEMG
2.4.1 Modélisation convolutive
2.4.2 Forme des MUAP
3 Modélisation et estimation d’un processus impulsionnel
3.1 Train d’impulsions
3.1.1 Modèle
3.1.2 Modélisation du processus inter-impulsion
3.1.3 Chaîne de Markov
3.1.4 Masse de probabilité des temps inter-impulsion ∆
Observation des temps inter-impulsion d’un signal iEMG
Loi de Weibull discrète
Choix de la masse de probabilité
3.2 Estimation des paramètres
3.2.1 Fonction objectif
3.2.2 Estimation hors-ligne
3.2.3 Cas β = 1
3.2.4 Estimation en ligne des paramètres
4 Modélisation et estimation globales
4.1 Modélisation markovienne globale
4.1.1 État du modèle
4.1.2 Modèle de Markov caché
4.2 Filtrage bayésien
4.2.1 Principe
4.2.2 Estimation des ondelettes par filtre de Kalman
4.2.3 Estimation de la variance
4.2.4 Probabilité a posteriori de la séquence des temps de séjour
4.3 Algorithme
4.3.1 Nombre de séquences
4.3.2 Algorithme de recherche par faisceau
4.3.3 Algorithme
4.3.4 Initialisation
4.3.5 Complexité
4.4 Adaptativité
5 Estimation du nombre de sources
5.1 Modèle markovien
5.2 Filtre bayésien
5.3 Algorithme général
6 Signaux simulés
6.1 Simulation d’un signal
6.2 Première étude : variation du nombre de séquences retenues ns
6.3 Deuxième étude : variation du nombre de sources nMU
6.4 Troisième étude : variation de la longueur de la fenêtre d’oubli
6.5 Quatrième étude : nombre de sources non constant
6.6 Discussion
7 Expérimentation sur des signaux iEMG
7.1 Obtention des signaux iEMG
7.1.1 Dispositif expérimental
7.1.2 Prétraitements des signaux iEMG
7.2 Expérimentations et résultats
7.2.1 Estimation à sources connues et constantes
7.2.2 Estimation à nombre de sources inconnues et constantes
7.2.3 Estimation à nombre de sources inconnues et non-constantes
7.3 Discussion
Conclusion