Les captations du geste d’hier…
Comprendre le geste peut, de nos jours, paraître assez banal voire ordinaire. Qu’il soit utile au physicien, au joueur de jeux vidéos ou au commentateur sportif, il ne manque pas d’outils pour capter, rejouer, figer ce qui ne peut être enregistré à la simple observation visuelle, comme on vient de l’évoquer. Il faut cependant se rappeler qu’il y a 200 ans, la compréhension d’un geste, qu’il soit humain ou animal, était au cœur des discussions scientifiques et artistiques puisqu’il était alors impossible de comprendre l’invisible. De fait, l’instantané d’un mouvement ne pouvait qu’être imaginé, donnant lieu à l’époque à nombre de peintures irréalistes telles que celle très répandue de Théodore Gericault .
Deux hommes, aux destins qu’on peut penser liés, puisque tous deux nés en 1830, morts en 1904 et portant les mêmes initiales, sont à l’origine des premiers travaux révolutionnaires sur la captation du mouvement. Tous deux auraient pu inventer le cinéma, seulement ils n’y voyaient pas d’intérêt : “Pourquoi montrer ce qu’on voit déjà ?”. L’important était pour eux de reculer les limites du visible, de l’impalpable.
Le premier, Etienne-Jules Marey, français, était issu du milieu médical. Toujours intéressé par le mouvement, en particulier celui du sang, une de ses principales préoccupations était de mesurer la circulation. Il met alors au point le sismographe. Technicien, il décide très rapidement de se focaliser sur la locomotion terrestre et aérienne. Une de ses grandes obsessions est alors de parvenir à saisir le mouvement rapide du cheval et de traduire ce mouvement sous forme synthétique. Il s’interroge également sur le vol d’un oiseau, cherchant avant tout à comprendre comment un objet plus lourd que l’air peut se maintenir dans l’air.
Son contemporain britannique, Eadweard J. Muybridge, suit un parcours différent puisqu’il est avant tout artiste. À la suite d’un accident gravissime de cheval, celuici s’initie à la photographie lors de sa convalescence. La qualité de son matériel et le soin qu’il accorde à ses clichés font rapidement de lui un photographe de prestige. Il est capable de saisir l’espace comme peu d’hommes de son époque. Sa renommée le conduit auprès de Leland Stanford, célèbre mécène à qui on doit l’université du même nom. Celuici, obsédé par le cheval, prenant part aux débats hippiques et s’intéressant au trot et au galop de l’animal, fait appel à Muybridge pour saisir la course d’un cheval. À cette époque, le cheval est partout, il est l’objet de discussions de passion, de représentations esthétiques, etc. Eadweard J. Muybridge est alors sollicité pour résoudre la question du cheval à haute vitesse. Le photographe doute, pense que l’enjeu est trop difficile, ses premières prises de vue ne sont d’ailleurs pas très concluantes. Il persiste cependant et met en place un système très sophistiqué mais aussi très encombrant contenant 24 appareils photos et 24 fils qui les déclenchent lorsque le cheval les heurtent en courant .
Suite à cette prodigieuse invention, le britannique devient très célèbre. Il met également en œuvre un appareil qui projette les images de façon séquentielle ; c’est, pourtant quelques décennies avant l’invention du cinéma, une première idée de film qui germe. Muybridge tient des conférences durant lesquelles il présente ses travaux, et rapidement la peinture est concurrencée par ce dispositif bien plus vrai que l’imaginaire artistique. De fait, certains artistes tels que le renommé Ernest Meissonier reprennent leurs peintures et les rectifient conformément au travaux de Muybridge. La réputation et les travaux du photographe s’étendant outre-manche, ils arrivent rapidement aux oreilles de Etienne-Jules Marey, qui décide alors de contacter le désormais très célèbre britannique. Dans sa lettre, le technicien sollicite de Eadweard J. Muybridge la captation du mouvement des ailes des oiseaux. Pas vraiment convaincu par ce que lui propose l’anglais (son système à base de fils a forcément des limites lorsqu’il s’agit de capter un animal volant), Marey parvient par lui-même à fixer de mieux en mieux et de plus en plus précisément le mouvement de la mouette. Pour ce faire, il met en place un fusil photographique de 25 images qui vise et accompagne l’oiseau lors de son vol .
L’un comme l’autre se tournent alors vers le mouvement humain. Cette fois, c’est le monde de la caricature qui s’approprie l’instantané grâce à la technique développée. Bénéfice de l’entraîneur de sport ou simple œuvre esthétique, la chronophotographie se développe alors avec des sujets de toute sorte .
Alors que le britannique voit dans ses clichés une œuvre esthétique et prône la nudité de ses sujets, pour le français, l’image ne suffit pas en elle-même, il faut l’expliquer. C’est là que la ligne apparaît. On ne se contente plus du corps, on fait apparaître les tracés. Pour ce faire, Marey habille ses sujets tout en noir et peint une ligne blanche le long du squelette de la personne. Enregistrant le mouvement du sujet devant un fond sombre, il vise alors à faire ressortir uniquement le tracé du squelette .
… et d’aujourd’hui
Effectivement, aujourd’hui, une multitude d’outils permettent d’acquérir un geste, plus ou moins précis, plus ou moins onéreux et plus ou moins encombrants. D’abord, plusieurs auteurs ont analysé des gestes avec de simples caméras vidéo. Cette méthode est certes peu onéreuse et très simple à mettre en place, elle ne donne cependant pas directement accès à la mesure mouvement. Pour évaluer un mouvement acquis par caméra vidéo, on pourra typiquement extraire le squelette par différentes techniques de suivi résumées dans [8]. Ceci dit, la précision obtenue est discutable selon le degré d’exactitude que l’on veut donner à l’évaluation. D’autres outils plus spécifiques sont développés, notamment les caméras de profondeur telles que la Kinect V2 R (Microsoft Corporation, Washington, Etats-Unis), qui permet d’extraire un squelette approximatif du sujet placé devant elle. Certains chercheurs travaillent à améliorer la précision de l’estimation de pose à partir de données issues d’une Kinect tels que Plantard et al. [9]. Pléthore d’autres outils pourraient être cités ici, comme par exemple les accéléromètres de la télécommande Wiimote R ou plus récemment les Joycon de la Nintendo Switch R (Nintendo, Kyoto, Japon), le Perception Neuron (Noitom Ltd., Pékin, Chine), la Wii Balance Board R (Nintendo, Kyoto, Japon) ou encore des outils plus spécifiques tels que le Cyclus 2 (RBM elektronikautomation GmbH, Leipzig, Allemagne) dédié à l’étude du mouvement du cylciste. Tous permettent, d’une façon ou d’une autre, embarqués ou non, d’acquérir une information sur un mouvement, localisés sur quelque(s) membre(s) ou sur le corps entier. Un outil très précis et qui est au cœur de nos travaux est le système de capture optoélectronique (Motion Capture System), utilisé notamment dans [10, 11, 12, 13, 14]. Cet outil d’acquisition de mouvement s’est répandu ces dernières années dans l’industrie cinématographique et les jeux vidéo, puisqu’il permet de capturer avec une très grande précision des positionnements 3D. Sa mise en place est plus complexe puisqu’elle nécessite de fixer sur le sujet des marqueurs réfléchissants dont les positions tridimensionnelles sont enregistrées par des caméras infrarouges situées autour du sujet exécutant un geste. Une fois les positionnements enregistrés, une étape d’étiquetage (ou labellisation) est alors nécessaire pour identifier chacun des marqueurs au cours du temps. Selon l’application, un squelette peut être extrait au cours du temps. dans une situation d’écran au basket-ball enregistrée par 10 caméras infrarouges Vicon MX-40 (Oxford Metrics Inc., Oxford, Grande Bretagne) au laboratoire M2S. Les sujets sont alors tous équipés de marqueurs positionnés sur des repères anatomiques bien précis, de manière à estimer le plus précisément possible les squelettes.
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Table des matières
Introduction
1 Introduction et contexte
1.1 Problématique
1.2 Les captations du geste d’hier
1.3 … et d’aujourd’hui
1.4 Contexte
1.5 Contributions
1.6 Plan du document
2 Etat de l’Art
2.1 Les grands domaines de l’analyse de gestes
2.1.1 Reconnaissance et analyse du geste
2.1.2 Synthèse de gestes
2.1.3 Segmentation de gestes
2.1.4 Évaluation de gestes
2.2 Représentation du geste
2.2.1 Descripteurs pour résumer un geste
2.2.1.1 Les descripteurs reposant sur un modèle du corps humain
2.2.1.2 Les descripteurs holistiques
2.2.1.3 Les descripteurs locaux
2.2.2 Discrimination de l’informativité de différents descripteurs
2.3 Techniques d’apprentissage statistique
2.3.1 Méthodes reposant sur un codage temporel
2.3.1.1 Recherche des plus proches voisins
2.3.1.2 Mesures de similarité
2.3.1.3 Modèles Markoviens
2.3.2 Méthodes reposant sur un codage global
2.3.2.1 Machines à vecteurs de support (SVM)
2.3.2.2 Forêt d’arbres décisionnels
2.3.2.3 Réseaux de neurones
2.4 Bilan
3 Modélisation de séries temporelles
Introduction et contexte
3.1 État de l’art
3.1.1 Alignement de séries temporelles par DTW
3.1.2 Modélisation de séries temporelles
3.1.2.1 Moyennage de deux séries temporelles
3.1.2.2 Extension au moyennage d’un jeu de séries temporelles
3.1.3 Mise en évidence des chemins pathologiques
3.1.4 Le DTW contraint (CDTW)
3.1.4.1 Contraintes globales
3.1.4.2 Contraintes locales
3.2 Moyennage de séries temporelles : le DBA contraint
3.3 Modélisation de la variabilité intraclasse : la tolérance
3.4 Bases de données utilisées pour la validation
3.4.1 Séries temporelles 1D : UCRTSArchive
3.4.2 Gestes : ArmGesturesM2S
3.5 Moyennage de séries temporelles
3.5.1 Procédure de classification
3.5.2 Résultats
3.6 Modélisation de la variabilité intraclasse
3.6.1 Procédure de classification
3.6.2 Résultats
3.7 Extension à la classification de gestes
3.7.1 Procédure de classification
3.7.2 Résultats
Conclusion
4 Mesure de qualité d’un geste sportif
Introduction
4.1 État de l’art
4.1.1 Évaluation de gestes chirurgicaux
4.1.2 Évaluation de gestes sportifs
4.2 Bases de données et codage du mouvement
4.2.1 Notations et codage du mouvement
4.2.2 Conditions expérimentales : bases de données
4.2.2.1 Le service de tennis
4.2.2.2 Le Zuki au karaté
4.3 Modélisation du mouvement expert
4.3.1 Mouvement nominal
4.3.2 Tolérance articulaire
4.4 Evaluation du mouvement d’un novice
4.4.1 Erreurs spatiales
4.4.2 Erreurs temporelles
4.5 Méthodolologie
4.5.1 Annotations
4.5.2 Procédure d’évaluation
4.6 Résultats
4.6.1 Reconnaissance de phases
4.6.2 Evaluation spatiale de la qualité d’un geste sportif
4.6.3 Evaluation temporelle de la qualité d’un geste sportif
Conclusion
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