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Comparaison de l’interaction laser-matière en régimes nanoseconde et femtoseconde
De ce qui précède, on peut dire que le temps de relaxation des électrons impose une grandeur limite entre les phénomènes thermiques et les phénomènes non thermiques. Pour les courtes impulsions « nanosecondes », l’ablation démarre bien avant la fin de l’impulsion alors que les impulsions ultrabrèves se terminent avant le chauffage du matériau [46]. La figure I-4 présente un schéma de comparaison de l’interaction laser-matière pour un régime nanoseconde et un régime femtoseconde.
Mécanismes de formation de particules
Suite à l’ablation laser, la matière ablatée est éjectée sous forme de particules. La taille des particules est un facteur fondamental déterminant l’efficacité de transport ainsi que l’efficacité d’atomisation, dans le cas d’un couplage avec un ICP pour l’analyse de la matière ablatée [51]. La granulométrie de ces particules dépend des paramètres du laser (longueur d’onde, durée d’impulsion, l’énergie, …), de l’environnement autour de l’échantillon (nature de gaz, pression, débit…) et également des paramètres physico-chimiques des matériaux [51, 52].
Deux grandes familles de particules sont générées après ablation laser : les agrégats de particules et les particules individuelles.
Mécanismes de formation des agrégats
Avant de décrire les différentes étapes de formation des particules, nous définissons les deux termes suivants : agrégats et agglomérats. Un agrégat ou « hard agglomerates » est une entité hétérogène formée par des chaines de petites particules liées par des liaisons covalentes ou ioniques. La taille d’un agrégat peut atteindre quelques centaines de nanomètre. L’agglomérat ou « soft agglomerates » est un enchainement de particules liées entre elles par des forces faibles (Van de Walls, de tension de surface…) facilement dissociables [35, 53]. Le mécanisme de formation des agrégats/agglomérats comporte une succession de quatre étapes : la nucléation, la condensation, la coagulation avec coalescence et enfin l’agglomération [51, 54]. Ces étapes sont décrites ci-dessous :
1-La nucléation : suite au chauffage du matériau par une impulsion laser à une température supérieure à son point de fusion, un bain liquide se forme. Ensuite, la matière est vaporisée à partir de cette couche et se retrouve dans un panache de « vapeur ». Les particules primaires issues de cette nucléation, appelées « nucléi », sont les premières particules solides de l’aérosol.
2-La condensation : les espèces gazeuses dans le panache de vapeur réagissent à la surface des nucléi et s’y incorporent. Ceci aboutit à la formation de fines particules de forme quasi-sphérique et dont la taille est de quelques nanomètres.
3-La coagulation avec coalescence : par des mouvements de collision, les particules fusionnent et coagulent pour former des particules sphériques de tailles plus importantes de quelques dizaines de nanomètre. On parle d’une coagulation thermique ou brownienne. A ce stade, ces particules sont nommées les particules primaires de l’agrégat.
4-L’agglomération : lorsque la température du panache n’est plus suffisante pour le phénomène de coagulation, les particules primaires commencent à se lier entre elles par des liaisons chimiques. En fonction de la nature des liaisons on distingue les agrégats et les agglomérats.
Mécanismes de formation des particules individuelles
La deuxième famille de particules générées par ablation laser est la famille des particules individuelles. Ces particules, de taille plutôt micrométrique, sont issues de l’éjection de la couche fondue sur la surface du matériau par d’autres mécanismes. Elles se présentent sous formes de gouttelettes liquides, des fragments solides, des particules sphériques… Les mécanismes mis en jeu sont les suivants :
Projection de gouttelettes liquides (hydrodynamic sputtering) : ce phénomène intervient à l’interface liquide-solide entre le bain liquide et la surface de l’échantillon chauffé. La pression de recul du panache de vapeur déforme et expulse le liquide sous forme de gouttelettes sphériques. La taille de ces gouttelettes varie entre 50 et 200 nm. La taille des particules dépend de l’épaisseur de la couche fondue, de la longueur d’onde du laser et de la température [54, 55].
Décollement de particules solides (solid exfoliation) : sous l’effet de l’expansion thermique et des contraintes mécaniques exercées sur le matériau, ce dernier est « fracturé » et les particules sont éjectées sous forme solide et irrégulière. Ce type d’éjection engendre des particules de taille de l’ordre du micromètre.
Eclatement de matériau (spallation sputtering) : ce phénomène est similaire au décollement de particules solides, mais dans ce cas le décollement a pour origine la couche liquide et pas la phase solide du matériau. Le panache de matière exerce une pression de recul importante sur la couche liquide (effet de piston). Cette pression est effectuée vers le bas et latéralement du centre vers les bords de la couche liquide. Lorsque la pression exercée est plus importante que la tension de surface, il en résulte une rupture de l’interface liquide-solide et une éjection des gouttelettes liquides vers les bords. Les particules éjectées présentent une forme sphérique et une taille micrométrique dépendante de l’épaisseur de la couche fondue. Après éjection de particules et refroidissement du matériau, le cratère obtenu est assimilé à la forme d’un volcan caractéristique de ce phénomène.
Explosion de phase : c’est un phénomène qui intervient pour des forts éclairements de la surface du matériau et des durées d’impulsion ultracourtes (cf. partie II.2.2 de ce chapitre).
Afin de déterminer la composition élémentaire d’un échantillon à partir de la formation de ce particules, l’ablation laser est couplée le plus souvent soit à la spectroscopie d’émission optique sur plasma induit (LIBS, acronyme anglais pour Laser Induced Breakdown Spectroscopy) [37, 56, 57], soit à une source à plasma induit par haute fréquence couplée à la spectroscopie d’émission optique (ICP-AES, acronyme pour Inductively Coupled Plasma Atomic Emission Spectroscopy) ou à la spectrométrie de masse (ICP-MS, acronyme pour Inductively Coupled Plasma Mass Spectrometry) [49, 58-61].
Caractérisation des particules issues de l’ablation laser
La caractérisation des particules produites par AL a fait l’objet de nombreux travaux afin de comprendre l’influence des paramètres expérimentaux sur la distribution de taille, la forme, la masse de ces particules… [51, 54, 62-66]. Quelques exemples de l’influence de ces paramètres sur le nombre et la taille des particules sont résumés dans le paragraphe suivant :
La durée d’impulsion du laser joue un rôle important sur distribution des tailles des particules. L’ablation laser en régime nanoseconde génère deux types de particules : les agrégats (hard agglomerates) constitués de « petites » particules et les particules individuelles. Ces dernières présentent des morphologies diverses et des formes irrégulières dont la taille varie de quelques centaines de nanomètre à quelques micromètres. Comme mentionné dans la partie II.2.3, l’efficacité de l’ablation laser en régime nanoseconde peut être améliorée en privilégiant les courtes longueurs d’onde. Sur des matériaux vitreux, il a été montré, que la taille des particules issues d’une ablation nanoseconde à une longueur d’onde de 266 nm, est plus petite (centaines de nm) que celle produite à 1064 nm (1 à 10 μm) [67].
L’ablation laser en régime femtoseconde, quant à elle, génère des agglomérats facilement dissociables et de très fines particules à distribution unimodale, de forme régulière sphérique et de taille allant de quelques dizaines à quelques centaines de nanomètre (10-400 nm) [51, 68, 69]. Par ablation d’un échantillon de laiton avec un laser femtoseconde Ti:Sapphire à 800 nm, Diwakar et al. [62] ont montré que le nombre de particules ablatées croit linéairement avec l’énergie du laser. Dans la même étude, les auteurs montrent que la variation de la durée d’impulsion du laser affecte le nombre de particules ablatées. Pour une durée d’impulsion de 1 ps, le nombre de particules générées était plus important que celui obtenu avec une durée d’impulsion de 40 fs.
En travaillant sur des échantillons métalliques à une longueur d’onde de 266 nm, Gonzalez et al. [51] ont montré une différence significative de la concentration des particules par unité de volume entre une ablation laser en régime nanoseconde (4 ns) et femtoseconde (150 fs). Pour des tailles de particules entre 10 et 400 nm, la concentration de particules générées par laser femtoseconde était largement plus importante que celle générée par laser nanoseconde. Selon les auteurs, étant donné que la mesure des tailles de particules a été réalisée dans la gamme de 10 à 400 nm, il est probable que la majorité des particules ablatées par le laser nanoseconde ait des tailles supérieures à 600 nm.
D’autres études ont porté sur l’influence de la nature, la pression et le débit du gaz environnant dans lequel se déroule l’ablation laser. En comparant deux gaz vecteurs l’hélium et l’argon et durant l’ablation avec un laser nanoseconde, Kuhn et al. [70] ont mis en évidence l’effet de l’hélium sur la réduction des tailles de particules générées. Cependant, Gonzalez et al. [71] ont montré que la nature des gaz environnants n’a pas apporté une influence significative sur la taille de particules émises de l’ablation en régime femtoseconde. En travaillant dans une atmosphère inerte (argon), Pástzi et al. [72] ont montré que la diminution de la pression du gaz (de 10 mbar à 5 mbar) réduit la taille des particules individuelles d’argent ablaté de 10 nm à 4 nm environ. D’autres études ont porté sur le débit du gaz environnant : à titre d’exemple, en augmentant le débit d’argon de 1 à 2 L/min, Boulaud et al. [73] montrent une réduction de 200 nm à 80 nm du diamètre des particules de cuivre ablatées avec un laser nanoseconde à 308 nm. Ce comportement a été interprété par un mécanisme d’agglomération défavorisé des particules. Par ablation nanoseconde de couches de peinture déposées sur des substrats en aluminium, Dewalle et al. [35] ont montré qu’en augmentant le débit de l’air dans la cellule, le phénomène d’agglomération de particules est défavorisé. Ceci peut être lié à la dilution du volume dans lequel les particules primaires interagissent pour former les agrégats.
Il est très important de noter, que les exemples donnés dans cette partie ne peuvent pas être généralisés. Comme nous l’avons déjà mentionné, la granulométrie des particules dépend de différents paramètres expérimentaux (laser, matériau, environnement) [51]. La distribution granulométrique des particules ainsi que l’influence des paramètres est spécifique pour chaque essai d’ablation même si de grandes tendances peuvent être dégagées.
Ablation laser couplée à la spectrométrie de masse à plasma à couplage inductif (AL-ICPMS) : avantages et inconvénients
Généralement, les techniques d’analyse de traces d’échantillons solides se déroulent par voie liquide comme par exemple avec la spectrométrie d’absorption atomique (SAA), la spectrométrie d’émission atomique à plasma à couplage inductif (ICP-AES), la spectrométrie de masse à plasma à couplage inductif ICPMS. Ces techniques imposent une mise en solution de l’échantillon solide : attaque acide, chauffage, digestion micro-ondes…Ce processus de préparation d’échantillon peut être complexe et long. De même, la mise en solution de certains échantillons comme les échantillons réfractaires n’est pas toujours facile à réaliser. Il existe de plus un risque de contamination et de perte des éléments volatils.
L’ablation laser réduit considérablement le temps de préparation de l’échantillon et agit comme une source d’échantillonnage à distance. Elle couvre une large gamme allant des matériaux conducteurs jusqu’aux non-conducteurs organiques ou inorganiques [23, 53, 74]. Cette technique rapide réduit les risques de contamination de surface et permet si besoin une micro-analyse locale (généralement entre 5 et 200 μm) sur tout type d’échantillons solides [20, 59]. La masse ablatée (quelques microgrammes à quelques milligrammes) est ensuite transportée à un détecteur tel que l’ICPMS pour l’analyse des particules ablatées représentant l’échantillon solide.
Avantages de l’AL-ICPMS : l’ablation laser couplée à l’ICPMS est l’une des techniques analytiques les plus répandues permettant l’analyse multi-élémentaire et isotopique d’échantillons solides [28, 74]. La première application de l’AL-ICPMS a été mise en évidence par Gray en 1985 sur des échantillons standards géologiques [75]. L’ablation laser jour le rôle de l’échantillonneur alors que l’ICPMS assure le rôle du détecteur. Cette technique réduit le risque de contamination et permet des analyses avec des limites de détection de l’ordre de 0,1 à 100 ng/g avec une résolution spatiale de l’ordre de quelques μm [53, 76]. Des analyses des matériaux homogènes par AL-ICPMS sont réalisables avec une bonne reproductibilité limitant l’incertitude relative de la mesure inférieure entre 2 et 10 % [76]. Tous ces avantages font de l’AL-ICPMS une technique analytique irremplaçable d’échantillons solides dans divers domaines : biologie et médecine [59, 61, 77, 78], archéologie [79, 80], géologie [81, 82], matériaux [83, 84], science de l’environnement [85, 86]… Inconvénients de l’AL-ICPMS : malgré tous les avantages que présente l’AL-ICPMS, elle souffre d’une contrainte importante qui est le fractionnement élémentaire. Durant une ablation laser nanoseconde, les sources de fractionnement sont liées soit à une évaporation préférentielle des analytes par chauffage, soit à la taille des particules issues de l’ablation et au mécanisme de transport des particules [20, 29, 87]. Le fractionnement affecte les performances analytiques de la technique notamment la justesse de la mesure. L’aérosol généré n’est plus représentatif de la composition réelle de l’échantillon [20, 55]. Les études sur le fractionnement élémentaire ont été largement exploitées afin de définir les conditions expérimentales convenables, capables de réduire l’effet de cette contrainte [28, 67, 74, 88, 89].
Nous présentons quelques exemples de l’influence des paramètres du laser sur le fractionnement élémentaire et sur la sensibilité de mesure par l’ICPMS :
La distribution de la taille des particules est l’un des paramètres cruciaux affectant la reproductibilité de mesures par ICPMS. En ablation nanoseconde, même si les agrégats produits sont constitués par de petites particules, ils ne sont pas forcément complètement atomisés par le plasma. Ceci affecte la reproductibilité de mesure et engendre des pics parasites dans les signaux de l’ICPMS [55, 62, 90]. Il a été montré que le fractionnement élémentaire est réduit avec les courtes longueurs d’onde (domaine de l’UV) ce qui améliore la sensibilité et la justesse de mesure par ICPMS [91].
Comparaison de l’AL-ICPMS avec différentes techniques d’analyse d’échantillons solides
L’AL-ICPMS est l’une des techniques les plus répandues pour l’analyse d’échantillons solides. Selon les besoins analytiques nécessaires, d’autres techniques performantes existent et permettent l’analyse élémentaire des échantillons solides avec des limites de détections allant de ng/g aux centaines de μg/g. Parmi ces techniques nous pouvons citer : la spectroscopie d’émission optique sur plasma induit par laser (LIBS), la spectroscopie à décharge luminescente (SDL) et la spectrométrie de masse à décharge luminescente (GDMS), la spectroscopie d’électrons Auger (AES), la spectroscopie de photoélectrons X (XPS), la spectrométrie de fluorescence X (XRF), la Spectrométrie de Masse à Ionisation Secondaire (SIMS)… Afin de situer la technique d’AL-ICPMS, le tableau I-2 regroupe les performances et les limitations de chacune de ces techniques.
L’AL-ICPMS a l’avantage d’être applicable à tout type d’échantillon, quelle que soit sa forme, sa taille et sa nature. Cette technique se caractérise par sa rapidité d’analyse et sensibilité qui permet l’analyse d’éléments à l’état ultra trace. Une résolution spatiale de quelques μm peut être obtenue par AL-ICPMS. En tant qu’analyse élémentaire et isotopique, la résolution spatiale en profondeur de l’AL-ICPMS est limitée à quelques centaines de nm.
Il faut noter que ces techniques, largement appliquées dans les laboratoires de recherche, assurent une richesse et une complémentarité d’informations sur un échantillon donné.
Microscope à effet tunnel (STM) Découvert par Gerd Binnig and Heinrich Rohrer [19, 105], le microscope à effet tunnel ou
STM (en anglais Scanning Tunnel Microscope) est un outil très important pour l’imagerie des échantillons solides à l’échelle atomique. Ces auteurs ont été les pionniers dans le développement des microscopes en champ proche à résolution nanométrique. L’effet tunnel est un phénomène physique qui se produit au niveau des particules élémentaires. L’effet tunnel est une conséquence de la dualité onde-corpuscule des particules [106]. Grâce à cet effet, une particule peut traverser une région de l’espace de hauteur de potentiel V0, appelée barrière de potentiels, en empruntant « un tunnel ». Ceci est réalisable si la fonction d’onde associée à cette particule se propage sur un domaine de dimensions similaire à celui de la barrière. Le fonctionnement d’un STM est basé sur cet effet tunnel. Le principe de fonctionnement d’un STM est présenté figure I-6.
Microscope à force atomique (AFM)
Le microscope à force atomique (AFM pour Atomic Force Microscope) a été conçu par Binnig et ses collaborateurs en 1986 comme une application du concept du STM [112]. L’AFM repose également sur l’interaction entre une pointe et un échantillon qui peut être conducteur, semi-conducteur ou isolant. Comme en STM, la pointe balaye la surface dans les trois dimensions de l’espace avec une résolution latérale nanométrique. Théoriquement, la résolution verticale en z est de l’ordre de 0,02 nm et la résolution latérale est de l’ordre de 0,01 nm [113]. Cependant, contrairement au STM, l’AFM consiste à mesurer les forces d’interactions entre les atomes de la pointe et de l’échantillon [110, 112, 114].
Composants de l’AFM
Le concept de l’AFM est dérivé de celui du STM. Les principaux composants de l’AFM sont les suivants: un support piézo-électrique, un levier, un rayon laser, une photodiode, une boucle d’asservissement et l’élément clef qui est la pointe [110-115] :
Système piézo-électrique : similaire au STM, l’échantillon à analyser avec un AFM est balayé dans les trois directions de l’espace grâce à des éléments piézoélectriques. Ces éléments sont très précis avec un pas de déplacement de l’ordre du nanomètre.
Levier (ou cantilever en anglais) : le levier est assimilé à un ressort à l’extrémité duquel est intégrée la pointe. Ce ressort assure la détection des forces d’interaction entre la pointe et l’échantillon. Ce capteur souple se déforme sous l’effet des forces d’interaction détectées. Ces forces modifient la déflexion ou la torsion du cantilever (Figure I-7).
Un rayon laser : une diode laser émet un rayonnement laser qui est réfléchi par l’extrémité du cantilever. L’influence des forces d’interaction pointe-échantillon sur la déflexion du cantilever est détectée par une photodiode.
Une photodiode : une photodiode à quatre quadrants permet de détecter le faisceau laser réfléchi. Ces quadrants assurent la détection des mouvements de flexion et de torsions du cantilever en mesurant la position du signal laser réfléchi.
Comparaison de la SPM (AFM et STM) avec le microscope électronique à balayage (MEB)
En tant que technique d’imagerie de surface à l’échelle sub-micrométrique, le microscope électronique à balayage s’impose à la fois comme un concurrent et un complément à l’AFM et à la STM.
Le microscope électronique à balayage permet la caractérisation d’échantillons solides à l’échelle nanométrique. Son principe est basé sur l’interaction électrons-matière. Un fin faisceau d’électrons primaire monocinétique balaie la surface d’un échantillon, point par point. L’interaction des électrons primaires avec la surface de l’échantillon permet d’accéder à des informations différentes selon la type d’interaction qui en résulte (électrons secondaire, électrons rétrodiffusés, rayons X…) [117].
L’imagerie en électrons secondaires permet d’obtenir une information topographique provenant des électrons réémis en extrême surface (couche inférieure à 10 nm). L’imagerie en électrons rétrodiffusés permet d’accéder à des informations qualitatives sur la variation de composition chimique. Sur l’image, une zone riche en un élément lourd apparaitra plus « blanche » que celle ayant un numéro atomique faible. Si l’interaction électrons-matière conduit à l’ionisation de l’atome par émission d’électrons, cet atome est alors excité. Il se désexcite par émission des rayons X caractéristiques de chaque élément. Une microanalyse EDX (en anglais energy dispersive X-ray spectroscopy) est ainsi possible (incertitude entre 0,2 et 0,4 % pour les éléments lourds et entre 3 à 5% pour les éléments légers) avec une résolution spatiale de l’ordre du μm.
Le tableau I-3 résume les caractéristiques de trois techniques d’imagerie d’échantillons solides à haute résolution : STM, AFM et MEB [117-120].
Principe de l’ablation laser en champ proche
L’ablation laser en champ proche consiste à coupler un faisceau laser à un microscope optique en champ proche (SNOM) à ouverture ou à pointe diffusante (cf. annexe 2 : SNOM à ouverture et SNOM à pointe diffusante). Le faisceau laser est ainsi concentré sur une zone d’interaction de dimension proche de celle du diamètre de la fibre (SNOM à ouverture) ou du diamètre de la pointe utilisée (SNOM à pointe diffusante).
Deux types de configurations d’ablation laser en champ proche existent et sont connues sous les expressions : « aperture near-field laser ablation » et « apertureless near-field laser ablation ». Dans les deux configurations, la résolution latérale dépend de la nature et des dimensions de la fibre optique ou bien du rayon de courbure de la pointe. La section suivante est consacrée à la description de ces deux configurations ainsi qu’à la discussion des travaux réalisés avec chaque configuration.
Principe de l’ablation laser en champ proche en mode « aperture »
Dans une configuration d’ablation laser en champ proche à ouverture, le faisceau laser est guidé à travers une fibre optique étirée et présentant une extrémité de quelques centaines de nanomètre. La fibre assure donc le rôle d’un guide optique du rayonnement laser [100]. L’extrémité de la fibre est placée dans la zone du champ proche de l’échantillon. La distance fibre-échantillon est maintenue à quelques nanomètres via un dispositif d’asservissement « shear-force » utilisant un diapason en quartz, la fibre optique étant fixée sur l’un de ses bras. Le diapason est excité selon sa fréquence propre. La vibration est transmise à cette fibre qui oscille parallèlement à la surface de l’échantillon. Le principe du mode shear-force consiste à détecter les forces de friction et de cisaillement entre l’extrémité de la fibre optique et la surface de l’échantillon [11]. Lorsque le laser est guidé à travers la fibre optique, il éclaire la surface de l’échantillon sur une zone sub-micrométrique sur laquelle l’ablation peut se produire. Il en résulte alors un faible volume de matière retiré de cette zone. La matière ablatée peut être par la suite analysée par spectrométrie de masse [8, 123, 124] ou par LIBS [121, 125, 126] pour une étude moléculaire et/ou élémentaire qualitative ou quantitative.
Applications de l’ablation laser en champ proche en mode « aperture »
Plusieurs équipes ont développé et utilisé cette approche d’ablation laser en champ proche pour différentes analyses : analyse de polymères et d’échantillons organiques [8, 121, 122, 127, 128], analyse de matériaux [125, 126, 129, 130], analyse de composants nanoélectroniques [102]… Différents mécanismes ont été mis en jeu : l’ablation laser, la désorption et la nanolithographie de surface. En quelques mots, la désorption est le phénomène inverse de l’adsorption. Lors de la désorption provoquée par l’ablation laser en champ proche, les liaisons entre les molécules de l’échantillon à analyser se brisent et les molécules se détachent du substrat. La nanolithographie est le procédé de création de structures de dimensions sub-longueur d’onde (motifs) sur un substrat en y déposant une résine photosensible et en l’éclairant à travers un masque identique au motif à transférer.
Dans cette partie nous présentons les principaux travaux réalisés par ablation en champ proche en mode ouverture pour différentes applications.
Comparaison des deux modes d’ablation laser en champ proche
En conclusion des paragraphes précédents (IV.2 et IV.3), les deux configurations d’ablation laser en champ proche ont été appliquées sur divers types d’échantillons (organiques, métalliques, biologiques…). Des analyses moléculaires et élémentaires ont été pu être réalisées. Malgré le grand intérêt apporté par ces deux techniques pour l’échantillonnage très localisé, des limitations existent en application expérimentale concrète et peuvent favoriser le choix d’une configuration par rapport à l’autre :
– comme nous l’avons déjà présenté, en ablation laser en champ proche, le diamètre des cratères dépend directement du diamètre de la fibre ou de la pointe, de même que la résolution latérale atteinte. Les fibres optiques sont fabriquées à partir des protocoles d’étirage à chaud, d’attaque chimique et/ou d’une phase de métallisation. Pour les mêmes conditions expérimentales, la non-reproductibilité de la taille et de la géométrie des fibres obtenues [11] constitue un inconvénient majeur pour l’interprétation et la comparaison des dimensions des cratères en fonction des paramètres expérimentaux. De plus ces fibres sont généralement préparées par les expérimentateurs contrairement aux pointes AFM et STM disponibles commercialement (différentes types et diamètres sont disponibles).
– d’autre part, lorsque le laser est guidé à travers une fibre optique, la perte significative de l’énergie du laser au niveau de la partie effilée peut rendre l’éclairement en surface de l’échantillon difficile à atteindre pour les essais d’ablation. En considérant un diamètre de fibre de 450 nm, Nudnova et al. [124] ont montré des rendements de l’énergie déposée sur la surface de l’échantillon par rapport à l’énergie initialement délivrée par le laser de l’ordre de 1%. Cette perte peut être compensée par l’utilisation de fibres de diamètre plus important (rendement plus important) mais cela dégrade la résolution spatiale, ou bien par l’utilisation de lasers à très haute densité d’énergie comme le laser femtosecondes. Pour de fortes densités d’énergie, des effets thermiques apparaissent par absorption du rayonnement laser par le revêtement métallique dont sont recouvertes les fibres (généralement en aluminium) [4, 154] Ceci aboutit à l’élévation de la température de la fibre et à la dégradation de cette couche métallique.
– une autre limitation inhérente à l’utilisation des fibres concerne le domaine spectral d’utilisation. Les fibres absorbent les rayonnements ultraviolets ce qui peut engendrer des effets thermiques indésirables affectant les performances de l’ablation pour des lasers ayant une longueur d’onde dans l’ultraviolet.
Pour ces raisons, nous avons choisi de développer et d’appliquer, dans cette thèse, l’ablation laser en champ proche en mode apertureless par couplage du faisceau laser d’ablation avec la pointe d’un AFM.
Cette partie de l’étude bibliographique a permis de dresser l’état de l’art du sujet d’ablation laser en champ proche. Les travaux déjà réalisés permettent d’ouvrir de nouvelles pistes afin de compléter ce travail et d’en ouvrir d’autres pour exploiter au mieux ce phénomène que ce soit au niveau expérimental ou théorique.
Champ proche associé avec d’autres techniques d’analyse
En parallèle avec l’ablation laser en champ proche, l’effet de pointe a été mis à profit pour d’autres techniques d’analyse chimique comme pour la spectroscopie Raman (TERS) et la microscopie de fluorescence (TEFM). Bien conscients que le principe de l’ablation laser en champ proche est totalement différent du TERS et du TEFM, nous présentons une description générale de ces techniques qui, par effet de pointe, permettent l’analyse chimique à l’échelle nanométrique.
TERS : Tip-Enhanced Raman Spectroscopy: La spectroscopie Raman consiste à détecter la fréquence de la lumière diffusée inélastiquement suite à l’excitation des états de vibrations de la molécule d’un échantillon. Cet échantillon est illuminé par une source de lumière monochromatique, un laser. Cependant, les faibles signaux détectés par Raman, complique son application et limite son pouvoir de résolution. La spectroscopie Raman exaltée par effet de pointe, connue sous l’acronyme TERS, permet d’améliorer la résolution et d’amplifier l’intensité des signaux de la lumière diffusée par rapport à la spectroscopie Raman classique. La spectroscopie TERS permet la caractérisation structurale et chimique d’un échantillon avec une résolution nanométrique. En configuration TERS, une pointe métallique placée à quelques nanomètres de la surface de l’échantillon est éclairée par le laser. Cette pointe assure d’une part, l’excitation du champ électrique local incident et d’autre part l’exaltation du champ électrique de la lumière diffusée réémise par l’echantillon [155]. Cela permet d’augmenter le rapport signal sur bruit et de rendre la spectroscopie Raman suffisamment sensible pour détecter une molécule unique. De même, la topographie de surface des échantillons est également exploitable en TERS avec une résolution latérale à l’échelle nanométrique (dépendante de la taille de la pointe) [101, 156].
TEFM : Tip-Enhanced Fluorescence Microscopy: Parmi les techniques optiques particulièrement utilisées en biologie, la microscopie de fluorescence est considérée comme un outil polyvalent et essentiel de la recherche [157]. Comme pour toute microscopie optique, la résolution de cette technique est limitée par la diffraction de la lumière. Afin d’améliorer la détection et d’atteindre des résolutions sub-longueur d’onde, l’apport de microscopes en champ proche à microscopie de fluorescence a été montré. En approchant une pointe de quelques dizaines de nm à la surface d’un échantillon éclairé par une source de lumière, une zone sub-longueur d’onde est ciblée et excitée. Le rapport signal/bruit du rayonnement de fluorescence émis est ainsi amplifié et une résolution de dizaines de nm est atteinte [158].
Comparaison de l’ablation laser en champ proche avec quelques techniques d’analyse de résolution sub-micrométrique
Dans cette partie, afin de positionner l’ablation laser en champ proche couplée à l’ICPMS, ses performances analytiques sont comparées à celles des principales techniques d’analyse d’échantillons solides de résolution sub-micrométrique (Tableau I-6).
L’ablation laser en champ proche couplée à l’ICPMS présente l’avantage d’être applicable à tout type d’échantillon, quelles que soit sa forme, ses dimensions et sa nature. Son intérêt majeur est l’échantillonnage de la matière à l’échelle de dizaines de nm. Cet échantillonnage est opéré à température et à pression atmosphérique contrairement au nano-SIMS et au nano-Auger dont l’analyse nécessite un vide poussé. L’analyse élémentaire et/ou isotopique est assurée potentiellement à l’échelle du sub-ng/g. Cependant, ce montage n’existe pas commercialement, il doit être développé par couplage de différents appareils au laboratoire et il nécessite d’être étudié et optimisé afin d’assurer les meilleurs conditions d’analyse.
Il est important de noter que les différentes techniques à résolution nanométrique assurent une complémentarité d’informations pour un échantillon donné. La préférence d’une technique par rapport à une autre est fonction du besoin analytique.
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Table des matières
Chapitre I : Etude bibliographique
Partie I : Rappels et généralités
Partie II : Etude bibliographique
II. Ablation laser
II.1 Propriétés d’un faisceau laser
II.2 Interaction laser-matière
II.3 Mécanismes de formation de particules
II.4 Ablation laser couplée à la spectrométrie de masse à plasma à couplage inductif (AL-ICPMS) : avantages et inconvénients
III. Microscopie à balayage de pointe (SPM)
III.1 Microscope à effet tunnel (STM)
III.2 Microscope à force atomique (AFM)
IV. Couplage de l’AL avec la microscopie optique en champ proche
IV.1 Principe de l’ablation laser en champ proche
IV.2. Principe de l’ablation laser en champ proche en mode « aperture »
IV.3. Principe de l’ablation laser en champ proche en mode « apertureless »
Conclusion
Références bibliographiques
Chapitre II : Instrumentation et Expérimentation
I. Instrumentation
I.1 Laser
I.2 Microscope à force atomique : AFM
I.3 Spectromètre de masse à plasma à couplage inductif (ICP-MS)
II. Expérimentation
II.1 Dispositif optique
II.2 Pointes AFM
II.3 Echantillons testés
II.4 Mode de fonctionnement de l’AFM utilisé
II.5 Méthodologie expérimentale
Conclusion
Références Bibliographiques
Chapitre III : Modélisation de l’ablation laser en champ proche
I. Amplification du champ électrique du laser par une pointe
I.1 Influence de la nature de la pointe
I.2 Influence de la nature du substrat
I.3 Influence de la longueur d’onde
II. Modélisation de la température du chauffage laser
II.1 Distribution temporelle de la température de chauffage laser
II.2 Distribution radiale de la température de chauffage laser
II.3 Distribution en profondeur de la température de chauffage laser
II.4 Influence de la durée d’impulsion sur la distribution de température de chauffage en champ proche
II.5 Influence du coefficient d’absorption des matériaux sur la distribution de température de chauffage en champ proche
Conclusion
Références bibliographiques
Chapitre IV : Caractérisation de l’ablation laser en champ proche
I. Estimation du seuil d’ablation des matériaux d’intérêt
II. Etude multiparamétrique de l’ablation laser en champ proche
II.1 Influence des paramètres de la pointe sur la résolution latérale
II.2 Influence de la fréquence du laser et de la vitesse de balayage de la pointe sur la distribution des cratères
II.3 Influence de la fluence du laser et de la distance pointe-échantillon sur les dimensions des cratères et sur la quantité de matière ablat
II.4 Influence du nombre de tirs laser sur les dimensions des cratères et sur la quantité de matière ablatée
II.5 Influence de la longueur d’onde du laser
Conclusion
Références bibliographiques
Chapitre V : Analyse et caractérisation des particules issues de l’ablation laser en champ proche
I. Généralités sur les cellules d’ablation
II. Collecte des particules sans cellule d’ablation
II.1 Approche théorique
II.2 Collecte de particules
II.3 Compromis et contraintes à prendre en considération
III. Premiers essais d’analyse par ICPMS
IV. Premiers essais de caractérisation des particules par microscopie électronique à transmission
V. Autres moyens de caractérisation de particules
Conclusion
Références bibliographiques
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