Modélisation de la réponse océanique à un cyclone tropical et de sa rétroaction sur l’atmosphère

Cyclone tropical, ouragan, typhon. Derrière ces différents noms se cache l’une des plus belles, mais également l’une des plus meurtrières créations de la Nature. Ces phénomènes météorologiques exceptionnels sont à la fois source de fascinations pour les scientifiques et de craintes pour les populations côtières des régions tropicales. Leurs impacts en termes d’activités et de vies humaines peuvent être colossaux. Ils se positionnent donc naturellement comme l’un des plus grands mystères, mais également défis, face à nos connaissances scientifiques actuelles afin de percer leurs secrets. Car mieux nous comprendrons les cyclones tropicaux, mieux nous pourrons les prévoir et nous en protéger.

Mais au delà de leurs impacts sociétaux, les cyclones tropicaux constituent avant tout un rouage important du système climatique de la planète Terre. Se développant uniquement au dessus des océans chauds du globe, ils représentent l’un des mécanismes naturels les plus efficaces pour répartir et rééquilibrer l’énergie entre les zones tropicales surchauffées et les régions des moyennes latitudes plus froides. Nous bénéficions donc indirectement de leurs effets sur le climat planétaire, malgré les catastrophes qu’ils entraînent localement lorsqu’ils viennent s’échouer sur les côtes.

Contexte opérationnel et régional 

Le centre Météo-France de l’île de la Réunion a été désigné en 1993 comme « Centre Météorologique Régional Spécialisé » (RSMC) pour la surveillance des cyclones tropicaux du sud-ouest de l’océan Indien par l’Organisation Mondiale de la Météorologie. Sept autres RSMC se répartissent dans les autres bassins cycloniques afin de surveiller l’intégralité des zones présentant un risque cyclonique (Fig. 1). L’aire de responsabilité du RSMC de la Réunion s’étend de 0° à 40°S, et du continent africain jusqu’à 90°E, en incluant le canal du Mozambique. Elle est désignée en tant que bassin Indien sud-ouest (BISO). La mission principale du RSMC consiste à fournir des informations et une assistance concernant toutes les perturbations tropicales présentes dans sa zone de responsabilité aux différents pays du bassin. Mais le RSMC s’implique également dans des activités de recherche et développement à travers l’équipe « cyclones » de Laboratoire de l’Atmophère et des Cyclones afin d’améliorer en permanence la qualité de leurs prévisions. Le travail mené au cours de cette thèse s’inscrit pleinement dans cette démarche.

Il faut également noter que le BISO demeure le bassin le moins documenté et le moins étudié vis à vis des cyclones tropicaux. L’absence totale de campagnes de mesures et la pauvreté des observations in-situ dans cette région pourtant très active météorologiquement illustrent bien ce point. Cette thèse vise donc également de remédier en partie à ce déficit de connaissances sur les cyclones tropicaux du BISO.

L’océan, source d’amélioration pour la prévision des cyclones tropicaux ? 

L’une des nombreuses pistes d’amélioration qui a été longtemps négligée est la représentation de l’océan et de son évolution dans les modèles atmosphériques. On sait pourtant depuis presque 50 ans que la température de surface de l’océan (l’abréviation « TSM », pour température de surface de la mer, sera utilisée par la suite) est l’un des facteurs les plus importants pour l’atmosphère tropicale, pilotant les cyclogenèses, mais également l’intensité des cyclones matures. La chaleur contenue dans l’océan superficiel constitue en effet la principale source d’énergie pour la formation et l’intensification des cyclones. Il paraît donc logique qu’une forte dépendance existe entre l’amplitude de la TSM et l’intensité d’un cyclone. Des études climatologiques (Gray 1968, 1975, 1979) ont ainsi démontré que des TSM supérieures à 26°C sur plusieurs dizaines de mètres de profondeur sont une condition nécessaire, mais non suffisante, à la cyclogenèse. Des comparaisons entre TSM et intensité ont également été menées par des approches théoriques (Emanuel 1988), numériques (Merrill 1988, DeMaria et Kaplan 1994) et par l’utilisation d’observations (Miller 1958).

Sans rentrer dans le détail de ces études, on voit qu’il existe une forte dépendance entre la TSM et la pression centrale (Fig. 3), même si cette relation peut fortement varier suivant le type d’approche utilisée et la TSM considérée (climatologique ou in-situ). On obtient ainsi en moyenne qu’une variation de la TSM de 1°C correspond à une variation de la pression centrale de 10 à 15 hPa. Le modèle théorique d’Emanuel (1986) permet par exemple de calculer l’intensité potentielle maximale d’un cyclone, c’est-à-dire celle qu’il pourrait atteindre dans un environnement parfaitement favorable. Elle permet donc de déterminer une limite supérieure climatologique à l’intensité des cyclones. Mais DeMaria et Kaplan (1994) ont démontré qu’en moyenne, les cyclones n’atteignent que 50% de cette intensité maximale théorique, et que seulement 1 sur 5 atteint 80%. Enfin, Holliday et Thompson (1979) et Evans (1993) ont montré que des TSM supérieures à 28°C sont une condition nécessaire à l’intensification rapide des cyclones tropicaux.

Détermination des coefficients d’échange dans un cyclone tropical 

L’approche « bulk » apparaît d’autant moins adaptée dans un cyclone tropical, où l’intensité des vents peut dépasser les 200 km/h dans la couche limite et où la direction du vent peut basculer de 180° en moins d’une heure. On imagine aisément l’exploit technique, voire le miracle, qui doit être accompli afin d’obtenir des estimations correctes des flux turbulents dans ces conditions. Il existe pourtant depuis très récemment quelques estimations des coefficients de transfert neutre à 10m à l’intérieur des cyclones (Fig. 4). Malgré un échantillon très faible de valeurs et une dispersion très marquée, ces mesures constituent une avancée très encourageante qui a déjà permis d’établir quelques propriétés importantes des flux turbulents par vent très fort (> 20 m/s).

Le phénomène de saturation des coefficients d’échange

Pendant très longtemps, aucune estimation des flux turbulents n’a été possible pour des vitesses de vent supérieures à ~20 m/s, principalement pour des raisons techniques. La seule alternative possible a donc été d’extrapoler linéairement les coefficients de transfert déduits des mesures effectuées par vent faible à des vents plus forts. Les modèles atmosphériques servant à la prévision des cyclones utilisaient par conséquent jusqu’à récemment des paramétrisations des flux turbulents de surface telles que Large et Pond (1981), Smith (1980), ou encore Louis (1979) pour les modèles de prévision de Météo-France, dont les coefficients de transfert dépendent linéairement de la vitesse de vent. Mais des études ont pointé du doigt dès 1984 cette extrapolation du coefficient de traînée à l’aide de bilans de quantité de mouvement effectués à l’intérieur de la couche limite cyclonique (Frank 1984, Kaplan et Frank 1993). Les auteurs ont en effet montré que la quantité de mouvement dissipée à l’intérieur de la couche limite d’un cyclone est trop importante pour maintenir des vents d’intensité élevée lorsque CD est extrapolé linéairement. Andreas et Decosmo (1999) ont également montré que la paramétrisation COARE 2.5 (Fairall et al. 1992) surestimait le flux de chaleur latente pour des vitesses de vent supérieures à 15 m/s par comparaison à de nouvelles mesures par vent fort issues de la campagne HEXOS. Ces travaux ont conduit à introduire pour la première fois une limite aux coefficients de transfert pour les vents supérieurs à 20 m/s dans la paramétrisation COARE 3.0 (Fairall et al. 2003). Parallèlement à cela, Emanuel (1995) a démontré dans le cadre d’une étude théorique que le vent maximum et la pression centrale d’un cyclone dépendent du quotient entre le coefficient de transfert de l’enthalpie (CK , approximé par la somme des coefficients de transfert de chaleur latente et sensible) et celui de quantité de mouvementC C K D . Ces travaux montrent également que ce quotient doit être supérieur à 0,75 pour permettre le développement d’un cyclone. Des mesures réalisées dans une tempête tropicale lors de la campagne de mesure CBLAST (Black et al. 2007) ont donné un quotient très proche de cette valeur théorique égal à 0,7. Des travaux plus récents d’Emanuel (2007) sur le cyclone Isabel (2003) indique que ce rapport augmente pour des vents supérieurs à 30 m/s, alors qu’il reste quasi-constant pour des vents compris entre 20 et 30 m/s du fait de l’augmentation simultanée deCK et deCD (Andreas et Emanuel 2001).

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Table des matières

1 Introduction
1.1 Contexte général
1.2 Contexte opérationnel et régional
1.3 L’océan, source d’amélioration pour la prévision des cyclones tropicaux ?
1.4 Plan du manuscrit
Partie 1 : Paramétrisation des flux turbulents à la surface de l’océan
2 0BEstimation des flux turbulents à la surface de l’océan
2.1 1BL’approche « bulk »
2.2 Détermination des coefficients d’échange dans un cyclone tropical
2.2.1 3BLe phénomène de saturation des coefficients d’échange
2.2.2 4BPrincipaux résultats de la campagne C CBLAST
2.2.3 5BApproche « bottom-up » par l’océan
2.3 Influence des vagues, de l’écume et des embruns
3 La paramétrisation ECUME
Partie 2 : Réponse de l’océan à un forçage cyclonique
4 Revue des études sur la réponse de l’océan au passage d’un cyclone
4.1 Approches et observations historiques
4.2 Revue des processus océaniques
4.2.1 Aspects ondulatoires
4.2.2 Processus physiques
5 Modèles océaniques et représentation du mélange turbulent vertical
5.1 Le système aux Equations Primitives
5.1.1 La diffusion verticale turbulente
5.1.2 Modèle unidimensionnel et paramétrisation de Gaspar et al. (1990)
5.1.3 Validation
5.2 Les modèles intégraux
5.2.1 La vitesse d’entraînement
5.2.2 Amélioration et validation de la paramétrisation de Gaspar (1988)
6 « Numerical investigation of an oceanic resonant regime induced by hurricane winds »
6.1 Résumé détaillé
6.2 Article
Partie 3 : Rétroaction de l’océan sur les cyclones tropicaux
7 Caractéristiques océaniques et atmosphériques du bassin Indien sud-ouest
7.1 Propriétés océaniques
7.1.1 Le dôme de la thermocline des Seychelles-Chagos
7.1.2 Les tourbillons du canal du Mozambique
7.1.3 Quelques mots sur RAMA
7.2 Climatologie et variabilité des cyclones tropicaux
7.2.1 Caractéristiques principales (d’après Neumann 1993)
7.2.2 Variabilité intra-saisonnière à pluri-annuelle
8 Revue des études sur les interactions océan-cyclone
8.1 Processus internes gouvernant l’intensité des cyclones
8.2 Etudes idéalisées du couplage océan-cyclone
8.3 Etude de l’influence du couplage pour des cas réels
9 Étude du cyclone tropical Ivan et de son interaction avec l’océan
9.1 Synopsis et motivations
9.1.1 Synopsis
9.1.2 Intérêts du cas d’étude
9.2 Le système couplé Méso-NH, Surfex/Ecume et Océan 1D
9.2.1 Le modèle atmosphérique Méso-NH
9.2.2 Description du couplage entre les modèles
9.3 Configuration des expériences et initialisation des modèles
9.3.1 Configuration
9.3.2 Conditions initiales atmosphériques
9.3.3 Conditions initiales océaniques
9.4 Validation et analyse de la simulation atmosphérique
9.4.1 Trajectoires et erreurs de distance
9.4.2 Intensité en termes de pression et de vent
9.4.3 Structure du champ de vent et des précipitations
9.5 Validation et analyse de la réponse océanique
9.5.1 Température de surface de la mer
9.5.2 Contenu thermique océanique
9.5.3 Profondeur et courants de la couche mélangée
9.6 Effet du couplage avec l’océan sur le cyclone modélisé
9.6.1 Aspects globaux
9.6.2 Période 1 : du 13 au 15 Février
9.6.3 Période 2 : du 15 au 17 Février
9.6.4 Impact global sur l’atmosphère
9.7 Résumé des principaux résultats
10 Conclusion

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