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Cartographies de risque en biologie de la conservation
La spatialisation des enjeux est un aspect incontournable et commun à de nombreuses études en biologie de la conservation, que ce soit pour représenter la distribution d’une espèce (Monnet et al., 2015) ou les enjeux relatifs à l’impact d’infrastructures anthropiques (Reid et al., 2015), aux changements climatiques (Giorgi and Lionello, 2008) ou à la progression d’espèces invasives (Peterson et al., 2003). Les analyses spatiales ont débuté par le dessin à la main de cartes de distribution d’espèces et aujourd’hui, avec la numérisation des données, le stockage et le partage des données facilité, et le développement constant des méthodes d’analyses spatiales, les conditions techniques pour répondre à ces problématiques n’ont jamais été aussi performant es.
La cartographie spatiale du risque, « risk-mapping » pour les anglophones, est utilisée notamment vis-à-vis des infrastructures anthropiques, dans un objectif de planification de l’implantation des infrastructures et en particulier du développement de l’é nergie éolienne en milieu marin (Certain et al., 2015; Furness et al., 2013; Garthe and Huppop, 2004).
Localisation et hiérarchisation des interactions des oiseaux avec le réseau de tra nsport d’électricité en France potentielles interactions avec des projets de parcs éoliens afin de planifier l’implantation des éoliennes de manière à éviter l’impact. Etant données les nombreuses convergences techniques entre l’interaction avec les lignes électriques et l’interaction avec les éoliennes, ainsi que le peu d’études et de méthodologies proposées sur les lignes électriques, les méthodes de spatialisation du risque développé es pour le risque éolien peuvent tout à fait être transposées au risque lié aux lignes électriques.
Certain et al. (2015) proposent une méthodologie se basant sur la combinaison de données à l’échelle spécifique, pondérées par des indices de vulnérabilité et de sensibilité des espèces, pour construire des indices d’enjeux de collision entre oiseaux et éoliennes à l’échelle de la communauté.
La vulnérabilité d’une espèce est relative à la probabilité qu’elle soit impactée par une pression donnée alors que la sensibilité de l’espèce fait référence à la résilience de l’espèce à tout type de pression, c’est-à-dire sa capacité à retrouver un état de fonctionnement et de développement identique à son état avant perturbation (Tilman, 1996).
Pour estimer la vulnérabilité des oiseaux marins aux champs d’éoliennes, Furness et al. (2013) ont utilisé le temps passé en vol et la proportion du temps passé à la hauteur des pales des éoliennes, la manœuvrabilité en vol et l’activité nocturne des espèces.
Parmi les facteurs relatifs à la sensibilité, ceux liés au statut de conservation des espèces reflètent l’ampleur que tout type de pression peut avoir sur ces espèces.
Les individus d’une espèce donnée peuvent être vulnérables à un type de pression mais si cette espèce est résiliente, alors l’impact de la pression sur l’espèce s’en retrouve modéré. Inversement, une pression modérée sur une espèce à cycle de reproduction lent peut avoir un impact plus important car les populations de cette espèce présentent une probabilité plus importante de ne pas être capable de compenser une mortalité accidentelle additionnelle (Saether and Bakke, 2000).
Certain et al. (2015) calculent un indice de fragilité global spécifique à partir des indices de vulnérabilité et de sens ibilité. Cet indice de fragilité est utilisé pour p ondérer les données de distribution des espèces afin d’obtenir un indice d’enjeux pour la communauté entière des oiseaux marins. Les sorties de ces études de « risk mapping » proposées par Certain et al. (2015) sont constituées principalement d’un jeu de cartes présentant une distribution spatiale de la fragilité de la communauté d’oiseaux à chaque pression dont la mortalité par collision avec les éoliennes.
Dans le but d’appliquer ces méthodes de « risk mapping » au risque d’interaction des oiseaux avec les lignes électriques – collision et/ou modification comportementale – j’ai réalisé une synthèse de la littérature afin de déterminer les facteurs impactant la vulnérabilité des oiseaux vis-à-vis des lignes électriques. Comme nous l’avons vu en introduction de cette thèse, les facteurs affectant le mouvement des oiseaux, et donc les interactions avec les lignes électriques, sont des facteurs intrinsèques aux oiseaux que sont l’état interne, les capacités de navigation et de locomotion ; et des facteurs externes que sont les facteurs environnementaux. Certain et al. (2015) ne prennent pas en compte la configuration et la distribution des éoliennes dans leur étude car il s’agit d’une étude avant implantation, or dans le c as des lignes électriques HT et THT, la majorité est déjà implantée et ces facteurs doivent donc être pris en compte.
La sensibilité des espèces est commune à tout type de pression et les facteurs pris en compte sont donc les mêmes que ceux utilisés en rapport avec les éoliennes. Peu d’études s’intéressent à mettre en relation les études de mortalité à la dynamique des populations et montrent un effet biologiquement significatif des collisions sur les populations (Shaw et al., 2010). Dans les populations présentant de forts taux de reproduction, l’impact des lignes électriques en tant que facteur indépendant de mortalité est probablement compensé (Bevanger, 1998). Cependant pour des petites populations ou des espèces présentant de faibles taux de reproduction, la perte d’un individu peut affecter significativement la viabilité de populations locales, rares ou menacées d’extinction (Bevanger, 1998).
Les facteurs affectant la vulnérabilité des oiseaux à l’interaction avec les lignes électriques
Etat interne, capacités de navigation et de locomotion
La proportion de temps passé en vol et la hauteur de vol vont affecter la probabilité d’un oiseau d’être en interaction avec les lignes électriques et sont en partie déterminés par la phase du cycle journalier et annuel dans laquelle il se trouve : à l’échelle d’une journée, en fonction de la période d’alimentation, de transit entre deux sites d’alimentation ou vers un dortoir, d’une exposition à un prédateur ou à un dérangement engendrant une fuite ra pide ; à l’échelle de l’année, en fonction de sa décision de migrer, trait génétique faisant l’objet d’une certaine plasticité phénotypique (cas des migrateurs partiels, en particulier) dont l’expression dépend notamment des conditions environnementales, du sexe et de l’âge (Pulido, 2007).
La migration est une adaptation permettant aux oiseaux d’exploiter de manière optimale les ressources dans le temps et dans l’espace. Elle peut s’effectuer sur de grandes distances (jusqu’à 71 000 km parcourus en une année par la Sterne arctique Sterna paradisaea) ou sur de simples gradients altitudinaux (espèces montagnardes), être régulière d’une année sur l’autre (majorité des oiseaux) ou dépendre de la rareté soudaine d’une ressource (espèces irruptives) (Zucca, 2015).
De nombreuses stratégies existent pour migrer : des espèces vont voler des milliers de kilomètres à très haute altitude, sans se poser pendant plusieurs jours, et n’auront donc qu’une très faible exposition aux lignes électriques (jusqu’à 11 000 km d’une seule traite pour la Barge rousse, Limosa lapponica, (Gill et al., 2009). Elles feront ensuite halte plusieurs jours, voire plusieurs semaines, sur un site de halte migratoire où leur exposition peut être plus importante. La plupart des oiseaux migrateurs effectuent des vols plus courts, d’une nuit ou d’une journée, entrecoupées de haltes de plusieurs jours pour reconstruire leurs rése rves énergétiques (Alerstam, 1990). Certaines espèces se nourrissent durant le vol actif, combinant vol migratoire à basse altitude et recherche de proies (cas de certains rapaces tels que l’Epervier d’Europe Accipiter nisus, le Faucon émerillon Falco columbarius, le Balbuzard pêcheur Pandion haliaetus) et ont donc une forte exposition aux lignes électriques durant leur migration. Les rapaces et autres planeurs, de manière générale, migrent à une altitude très variable en fonction de la force des courants ascendants, et présentent ainsi une vulnérabilité importante vis à vis des lignes électriques, accentuée par leur forte envergure. Les cygnes et les oies migrent le plus souvent à 300 mètres de hauteur, et l’altitude de vol est très variable (de quelques dizaines de mètres à plusieurs milliers de mètres) chez les canards, les limicoles et les passereaux. Les migrateurs diurnes volent en moyenne plus bas que les migrateurs nocturnes, et les migrateurs courte distance tels que les Pinsons des arbres (Fringilla coelebs), Alouettes des champs (Alauda arvensis), Pipits farlouses (Anthus pratensis) progressent à quelques dizaines de mètres de haut seulement par vent adverse, à hauteur des lignes électriques (Bruderer, 1997; Liechti, 2006). Toutes les espèces sont sinon potentiellement en contact avec des lignes électriques au début de l’ascendance et à l’approche de l’atterrissage, qui se produisent de nuit pour la plupart des espèces, et dans un environnement inconnu. Ce risque est accentué par la présence de sources lumineuses (de longueurs d’onde élevées, en particulier) pouvant désorienter les oiseaux migrateurs nocturnes et les attirer droit vers une ligne électrique, particulièr ement par conditions météorologiques défavorables (particulièrement en présence de brouillard ou de nuages bas) (Gauthreaux and Belser, 2006). Les périodes de migration peuvent ainsi représenter d’importants risques de collision. Ces risques sont cependant importants tout au long de l’année. Hors des périodes de vol migratoire actif, les oiseaux effectuent des mouvements fréquents et des vols répétés. L ’exposition aux lignes électriques peut alors être importante ce qui peut exposer les oiseaux à un risque de collision à la proximité des lignes. Citons par exemple les déplacements nocturnes quotidiens des canards depuis leurs sites de repos jusqu’à leurs sites de gagnage, les allers-retours depuis les dortoirs en hiver, et les nombreux trajets pour nourrir les jeunes au nid en période de reproduction.
Les collisions semblent être plus probables de nuit que de jour en raison des mauvaises conditions de visibilité pour les oiseaux, cependant il faut être prudent dans cette généralisation. Deng and Frederick (2001) montrent une moins grande réactivité face aux lignes électriques des oiseaux volant de nuit comparé à ceux volant de jour, mais ces oiseaux volant de nuit volaient généralement p lus haut par rapport au sol que les oiseaux volant de jour. En volant plus haut de nuit les oiseaux peuvent diminuer leur risque d’interaction avec des obstacles naturels ou anthropiques. Cependant le risque peut être maximal au moment du départ ou de l’arrivée des oiseaux sur les sites de nidification, par exemple les puffins de Newell (Puffinus auricularis newelli) croisent les lignes électriques à une plus grande proximité au lever du jour qu’à la tombée de la nuit et les collisions sont enregistrées lor s des vols matinaux (Cooper and Day, 1998). Des études radar ont montré que sous de bonnes conditions météorologiques, en absence de vents violents, de pluie ou de brouillard, 84 à 97% des oiseaux migrants de nuit volent à des altitudes de plus de 125 mètres du sol où elles ne sont pas exposées au risque de collision (études privées américaines , Avian Power Line Interaction Committee (APLIC), 2012).
Il existe des comportements spécifiques qui peuvent distraire l’oiseau de la présence des lignes électriques. Le vol en formation rend les espèces plus vulnérables à la collision car il laisse peu de place à la manœuvre et que la vision de l’individu est partiellement obstruée par les individus qui l’entourent (Croft et al., 2013, 2015; Crowder and Rhodes, 2002). En revanche la présence d’un groupe peut être avantageuse car les groupes peuvent détecter les obstacles et y réagir à de plus grandes distances que les oiseaux évoluant seuls (Crowder and Rhodes, 2002) et la structure du groupe avec un individu dominant expérimenté peut réduire le risque de collision (Croft et al., 2015). Pour les espèces prédatrices, le risque de collision peut être lié à la poursuite d’une proie. Bevanger (1994) suggère que les chasseurs aériens tels que les hirondelles et certains rapaces comme le faucon pèlerin (Falco peregrinus), l’aigle royal (Aquila chrysaetos), et l’autour des palombes (Accipiter gentilis), malgré une très bonne manœuvrabilité en vol et une bonne vision, peuvent être distraits de la présence de la ligne par la poursuite de leurs proies. Les comportements liés à la reproduction peuvent augmenter le risque de collision si les sites de reproduction sont proches des lignes électriques. Ces comportements regroupent les parades nuptiales, la défense du territoire, la construction du nid et le nourrissage des jeunes, les envols des jeunes, et les vols autour des nids et de la colonie de manière générale.
Le risque peut aussi être associé à l’âge des individus reflétant leurs capacités de navigation, avec les oiseaux les plus vieux étant souvent habitués à la présence des lignes électriques et développant des stratégies d’évitement les exposant à un moins grand risque que les jeunes (Henderson et al., 1996). Les jeunes ont en général un moins bon contrôle de leur vol, une moins bonne connaissance de leur environnement et sont plus vulnérables à la collision que les adultes. Les capacités de perception de l’environnement par les oiseaux sont peu connues à ce jour. La vision est considérée comme le principal sens permettant l’acquisit ion d’indices perceptuels par les oiseaux et elle est très différente de la vi sion humaine. Le champ de vision binoculaire est généralement réduit et la vision frontale des oiseaux a une acuité visuelle généralement inférieure à leur vision latérale qui est davantage utilisée pour détecter les détails (Martin, 2011). Les passereaux ont des champs binoculaires significativement plus larges que les non passereaux. Parmi les passereaux, les corvidés ont les champs binoculaires les plus larges. Parmi les non passereaux, il existe une grande variabilité des champs visuels entre familles et même au sein de genres. Les principaux moteurs des différences dans les champs visuels sont associés à la variabilité des défis perceptuels que rencontrent les oiseaux à travers les différents modes de prospection alimentaire (Martin, 2014). Martin and Shaw (2010) ont montré que chez les familles d’oiseaux présentant de forts risques de collision avec de forts taux de mortalité associée aux lignes électrique (grues et outardes) le champ de vision frontale est très étroit, alors que les champs binoculaires verticaux sont assez longs (caractéristique des espèces qui prennent les aliments directement dans le bec sous surveillance visuelle). Il existe de très grandes zones aveugles au-dessus et en dessous des champs binoculaires et dans la direction de déplacement. En vol, les mouvements de tête dans le plan vertical, vont rendre l’oiseau aveugle à sa direction de déplacement. De tels mouvements peuvent se produire quand les oiseaux scannent le paysage en dessous d’eux, à la recherche de nourriture ou de sites de perchoirs ou de congénères.
La probabilité pour un oiseau d’entrer en collision est en partie fonction de sa morphologie qui affecte sa manœuvrabilité en vol et donc ses capacités de locomotion (Bevanger, 1994; Crowder and Rhodes, 2002; Janss, 2000; Rubolini et al., 2005). Bevanger (1994) classe les espèces dans différentes catégories de manœuvrabilité en vol sur la base de leur morphologie en utilisant le poids, la charge alaire (le ratio entre la masse corporelle et la surface alaire) ainsi que l’allongement de l’aile (le ratio entre l’envergure de l’oiseau montée au carré et l a surface alaire). Il trouve que les oiseaux avec une forte charge alaire (ailes courtes et/ou corps lourds) présentent généralement une moins bonne manœuvrabilité en vol et donc un plus grande susceptibilité à la collision que les oiseaux avec une faible charge alaire. De même, les espèces avec un faible allongement (des ailes plus courtes que larges) sont plus vulnérables que celles avec un fort allongement (des ailes plus longues que larges). Il en conclut donc que les oiseaux avec une forte charge alaire et un faible allongement représentent les espèces avec une mauvaise manœuvrabilité en vol qui pourraient ne pas avoir l’agilité nécessaire pour rapidement éviter la collision. Janss (2000) et Rubolini et al. (2005) reprennent la méthodologie de Bevanger (1994) et mettent en relation la morphologie des espèces avec les effectifs d’oiseaux trouvés morts sous les lignes, notamment pour étudier les caractéristiques morphologiques qui permettraient de distinguer les victimes de collision des victimes d’électrocution. Ils parviennent à la même conclusion que Bevanger (1994) selon laquelle les espèces avec une forte charge alaire et un faible allongement représentent les espèces les plus susceptibles à la collision (Janss, 2000; Rubolini et al., 2005). Par exemple, Brown and Drewien (1995) trouvent que les oiseaux d’eau (en particulier le canard colvert Anas platyrhynchos) représentent plus de la moitié des effectifs d’oiseaux morts par collision.
En comparaison, Henderson et al. (1996) étudient une colonie de sternes pierregarin (Sterna hirundo), espèce considérée agile en vol, dont les sites alimentaires et les dortoirs sont séparés par des lignes électriques et qui malgré une exposition importante aux lignes, présente une faible mortalité avec seulement deux individus trouvés morts par collision. Cependant, les études mettant en relation des effectifs d’oiseaux trouvés morts sous les lignes avec les traits morphologiques de ces espèces doivent être considéré es avec prudence puisque les suivis de mortalité sont très fortement biaisés et qu’il y a de très fortes chances que l’échantillon collecté sous les lignes ne soit pas représentatif du gradient morphologique d’oiseaux qui entrent en collision avec les lignes.
Les facteurs externes à l’oiseau – facteurs environnementaux
Ø Lignes électriques
Les câbles de garde sont souvent associés à la collision car ils sont placés tout en haut et sont généralement de plus faible épaisseur que les conducteurs, les rendant moins visibles (Savereno et al., 1996). Le plus petit diamètre des câbles de garde par rapport aux conducteurs influence le risque de collision (Jenkins et al., 2010; Savereno et al., 1996).
La présence de câble de ga rde est le seul facteur relatif aux lignes influençant le risque d’interaction étudié scientifiquement, bien que d’autres caractéristiques soient identifiées comme influençant ce risque (Avian Power Line Interaction Committee (APLIC), 2012). Ainsi, les lignes qui sont positionnées perpendiculairement aux routes de migration et aux autres routes empruntées par les oiseaux, aux crêtes des montagnes, aux vallées fluviales et aux lignes de rivage pourraient poser de plus grands risques d’interaction. Le nombre de plans de conducteurs par rapport au sol est également un facteur qui fait sens mais qui n’a pas été étudié. Une partie des chercheurs est d’accord pour dire qu’il faut garder l’arrangement vertical des conducteurs à un minimum car cela réduit la hauteur de la zone de collision quand d’autres suggèrent qu’au contraire la concentration des câbles va les rendre plus visibles pour les oiseaux (Avian Power Line Interaction Committee (APLIC), 2012).
Ø Les conditions météorologiques
Les conditions météorologiques ou de luminosité peuvent affecter la visi bilité et la manœuvrabilité des oiseaux en vol. Le brouillard, la couverture nuageuse, les vitesses de vent fortes et les précipitations sont associées à de plus forts risques d’interaction (Drewitt and Langston, 2008; Shamoun-Baranes et al., 2006). La visibilité réduite et de forts vents peuvent forcer les oiseaux à voler à de plus faibles altitudes, les mettant potentiellement à la même hauteur que les lignes électriques, comme cela a été montré sur les grues du Canada (Grus canadensis) (Morkill and Anderson, 1991).
Ø Habitat
Les lignes électriques localisées près d’habitats très utilisés (sites de reproduction, de prospection, de dortoirs) peuvent présenter un plus fort risque d’exposition à la collision, car ces lignes vont être fortement fréquentées . C’est particulièrement vrai lorsque les habitats de dortoirs et de prospection alimentaire sont séparés par une petite distance , où les oiseaux volent à de faibles altitudes, les amenant potentiellement à la hauteur des lignes électriques. Le risque particulier causé par une ligne va donc dépendre en partie de l’utilisation de l’habitat adjacent par l’oiseau. Champs agricoles, zones humides et aires urbaines contribuent positivement à la présence d ’oiseaux dans la zone d’étude (près des aé roports dans une zone tampon de 13 km en Italie) (Coccon et al., 2015).
Cette synthèse de la littérature nous a permis d’identifier les facteurs influ ant la vulnérabilité des espèces. La proportion de temps passée en vol et la proportion de temps de vol passée à hauteur risquée vis-à-vis des lignes électriques sont dépendantes de l’état interne, des capacités de navigation et de locomotion des oiseaux. Afin de prendre en compte les effets de l’état interne, la variabilité saisonnière de l ’utilisation de l’espace par les oiseaux est prise en compte grâce aux données de présence des oiseaux au cours de la reproduction et au cours de la migration. Les données de reproduction concernent la distribution des espèces qui se reproduisent en France à partir du printemps jusqu’à la fin de l’été.
Les données de migration concernent la distribution des espèces qui vont traverser la France au tout début du printemps et à la fin de l’été pour se déplacer entre leurs aires de reproduction et d’hivernage. En ce qui concerne les capacités de navigation, la connaissance scientifique n’est pas encore suffisante à ce jour pour attribuer un poids différent aux espèces selon le ur vision et plus globalement leur capacité à percevoir leur environnement (Martin, 2011). Pour les capacités de locomotion, les études de Bevanger (1994); Janss, 2000 et Rubolini et al. (2005) mettant en relation des traits morphologiques et des effectifs d’oiseaux trouvés sous les lignes sont très probablement biaisées (Chapitre 2). En effet, certaines espèces peuvent être fortement représentées parmi les victimes de collision en raison de leur abondance (l’étourneau sansonnet Sturnus vulgaris formant des groupes de plusieurs milliers d’individus par exemple), ce qui reflète donc plus l’abondance de l’espèce que sa vulnérabilité à la collision (Janss, 2000). Par ailleurs, les carcasses de passereaux sont si petites qu’elles sont difficilement trouvées et leur nombre peut être sous -estimé et donc sous représenté dans ces études (Drewitt and Langston, 2008). Nous ne pouvons donc pas nous reposer sur cette classification de la manœuvrabilité en vol des oiseaux. Les connaissances scientifiques ne permettent pas actuellement de pondérer sur des données chiffrées la proportion de temps passé en vol et la proportion de temps passé à des hauteurs de vol dangereuse vis-à-vis de la collision avec les lignes électriques pour plusieurs centaines d’espèces d’oiseaux.
Pour représenter spatialement le risque d’interaction entre oiseaux et lignes électriques à l’échelle de la France, trois types de données sont combinés par le biais d’analyses spatiales. Ces données concernent les distributions spatiales des populations d’oiseaux au cours de la reproduction et de la migration, construites en prenant en compte des variables d’habitat, de climat et de topographie, et enfin la distribution spatiale du réseau de transport d’électricité français.
Nous avons essayé de répondre aux questions suivantes:
• Quelle est la distribution des interactions entre les oiseaux et les lignes électriques à l’échelle nationale ? Peut-on identifier des zones à fort enjeu dans le but d’accentuer les mesures de protection sur les secteurs prioritaires ?
• La distribution de ces interactions est-elle différente pour des espèces à fort enjeu de conservation ?
• La distribution des sites identifiés jusqu’à présent comme étant à fort risque de collision est-elle corrélée à celle des sites identifiés comme à plus fort risque d’interaction par notre méthodologie reposant sur des données collecté es à large échelle ?
Matériels et Méthodes
L’unité choisie pour les analyses spatiales de la localisation et de la hiérarchisation du risque d’interaction des oiseaux vis-à-vis des lignes électriques est une maille de 10 x 10 km se basant sur la maille de l’Atlas des oiseaux nicheurs de France (Issa and Muller, 2015), qui constitue la résolution spatiale la plus large des trois types de données utilisée s.
Des modèles de distribution d’espèces sont utilisés pour estimer les probabilités de présence des oiseaux au cours de la reproduction et de la migration (Figure 5). Ces modèles utilisent les données de l’atlas des oiseaux nicheurs, les données de reprise de bague des oiseaux en période de migration et des variables environnementales (Tableau 1). Les caractéristiques environnementales des sites utilisés par une espèce sont comparées par ces modèles aux caractéristiques des sites disponibles pour l’espèce sur une zone d’étude définie . Une fois que les conditions environnementales favorables à la présence de l’espèce sont caractérisées, les sites q ui présentent ces conditions sur la zone d’étude sont identifiés et la distribution potentielle de l’espèce peut être cartographiée (Pearson, 2007). Les modèles de distribution d’espèces permettent ainsi de prédire la probabilité de présence d’une espèce qui peut être non détectée localement sur une maille par les protocoles de suivis appliqués sur le terrain. Ils permettent également de lisser les artefacts causés par des différences d’application du protocole de suivi des oiseaux nicheurs entre les régions (notamment en Nord-Pas-de-Calais et en Corse) (Issa and Muller, 2015) (Figure 6).
Variables environnementales
Les variables environnementales utilisées dans les modèles de distribution d’espèce sont des variables d’habitat issues de (CORINE Land Cover, 2006) (précision à 20 -25 m), des variables climatiques issues de Bioclim 1.4 (Hijmans et al., 2005) et des variables topographiques issues de modèles numériques de terrain (précision 25 m) (Tableau 1). Pour chaque maille de 10 x 10 km, les surfaces d’habitat par maille, les valeurs moyennes des variables climatiques et les valeurs moyennes des variables topographiques sont calculées avec le plugin Qmarxan sous Qgis 2.8.3-Wien (Quantum GIS Development Team, 2016).
Afin de ne conserver que les variables environnementales qui ne sont pas fortement corrélées entre elles pour les modèles de distribution, des coefficients de corrélation de Spearman sont calculés et une valeur supérieure ou égale à 0.7 est utilisée pour identifier les variables fortement corrélées . Une ACP est réalisée sur les variables topog raphiques, les variables climatiques et la variable habitat « esp_ouverts », qui représente la distribution des glaciers, car ces variables sont fortement corrélées entre elles . Les deux premiers axes de l’ACP sont sélectionnés et les coordonnées des mailles sur ces deux axes sont ensuite utilisées comme variables explicatives (Axis1 et Axis 2) dans les modèles de distribution d’espèces. Les variables habitat sont centrées-réduites pour utilisation dans les modèles.
Oiseaux nicheurs
Modélisation de la distribution des espèces nicheuses en France
Les probabilités de présence de s espèces nicheuses sont modélisées sur la base des données de présence des oiseaux nicheurs collectées dans le cadre de l’atlas des oiseaux nicheurs de France (2009-2012) (Issa and Muller, 2015). Ces données concernent la présence des espèces nicheuses sur l’ensemble de la France par unité de mailles de 10 km x10 km (5875 mailles). La reproduction possible, probable et certaine des espèces dans chaque maille est renseignée, toutes trois sont considérées comme une donnée de présence des espèces dans les mailles pour les analyses. Sur les 320 espèces pour lesquelles l’atlas fournit des informations, les nicheurs accidentels et les espèces d’oiseaux marins pélagiques vivant en haute mer ne sont pas utilisées dans les analyses car peu confrontées au risque de collision (Annexe A Tableau 1A).
Etant donné que l’on souhaite modéliser la probabilité de présence d ’un grand nombre d’espèces dont les niches, c’est-à-dire l’ensemble des conditions environnementales nécessaires à la survie et au maintien de l’espèce (Hutchinson, 1957), varient énormément entre espèces, un large ensemble de variables environnementales est utilisé dans les analyses (Tableau 1). Cependant le nombre de variables explicatives que l’on peut utiliser dans un modèle est limité par le nombre de données afin d’éviter une sur-paramétrisation des modèles . De plus, la prévalence des espèces (la proportion des données de présence par rapport au nombre total de données d’observation) affecte la performance des modèles et doit être prise en compte dans la détermination du nombre adéquat de variables explicatives à utiliser dans les modélisations (McPherson et al., 2004).
Pour chaque espèce disposant de plus de 30 données de présence (ratio de prévalence > 0.005), la probabilité de présence est modélisée (2 48 espèces) (Elith et al., 2006). Afin de concilier la nécessité d’un nom bre important de variables explicatives pour représenter la variabilité des préférences environnementales des espèces et d’autre part les faibles ratios de prévalence pour 137 espèces limitant le nombre de variables explicatives, 13 variables explicatives ont été utilisées (Tableau 1). L’autocorrélation spatiale des données de présence pour chaque espèce n’est pas prise en compte dans les modèles en raison de la lourdeur des procédures visant à intégrer ce type de facteur dans les modèles et du grand nombre d’espèces dont on souhaite modéliser la distribution. Un modèle de régression linéaire généralisée (GLM) suivant une loi de distribution binomiale est utilisé pour modéliser la probabilité de présence de chaque espèce (N=248). Aucune sélection de variable n’est faite, la fiabilité de la prédiction étant pour nous prioritaire par rapport à la significativité des variables explica tives et l’objectif de cette étude étant de prédire la distribution des espèces et non pas de décrire leur niche (Legendre and Legendre, 1998)..
Pour chaque espèce, les modèles sont évalu és par validation croisée : chaque modèle est construit avec 80% du jeu de données et est ensuite testé sur les 20% restant. L’AUC (Area Under the Curve) est calculé pour évaluer la prédiction des modèles avec la fonction roc du package pROC dans R v3.2.1 (Encart 1) (Cumming, 2000; R Core Team, 2015; Robin et al., 2011). Pour chaque espèce 100 répétitions de validation croisée sont réalisées et la moyenne des AUC est calculée. Ensuite, pour l’ensemble des 248 espèces, la moyenne, le minimum et le maximum de ces AUC sont calculés. Le nombre d’espèces pour lesquelles l’AUC est inférieur à 0.7 est reporté.
Les modélisations de la distribution des espèces nicheuses ont une valeur moyenne d’AUC de 0.83 pour l’ensemble des espèces et sont comprises entre 0.64 et 0.99 pour chaque espèce. Seules 11 espèces présentent des AUC moyens inférieurs à 0.7. Ces prédictions sont donc considérées comme fiables (Encart 1) . La distribution de la probabilité de présence de chaque espèce nicheuse est intégrée aux analyses de pondération des enjeux pour la construction de la distribution spatiale de l’indice communautaire de fragilité des oiseaux au cours de la reproduction.
Oiseaux migrateurs
Modélisation de la distribution des oiseaux migrateurs en France
Pour représenter la distribution des voies de migration, nous avons utilisé des données de reprises d’oiseaux migrateurs bagués, collectées depuis 1954 et issues de la base de données de baguage et déplacements d’oiseaux de France (Dehorter and CRBPO, 2015). Les données de reprises de bague sont utilisées car elles permettent de réduire le biais observateur sur la distribution des données. En effet, les reprises de bague correspondent à la découverte d’un oiseau bagué mort et peuvent donc être réalisées par n’importe qui et ne d épendent donc pas d’un effort de terrain. L’information est ensuite transmise au centre de gestion des données de baguage (CRBPO).
Le biais restant est celui de la distribution des populations humaines, car aux endroits peu habités de France, la probabilité de reprise de bague est plus faible. Pour 930 mailles, aucune donnée de reprise de bague n’a été enregistrée depuis 1954, ces mailles sont donc sûrement des mailles où la densité de population est faible comme les zones de haute montagne (Figure 9). Cela représente seulement 15.8% des mailles ce qui suggère une assez bonne couverture et un faible biais de distribution des populations sur ces données et donc sur les couloirs de migration issus de ces données.
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Table des matières
Introduction générale
L’espace aérien, un habitat en cours de fragmentation
Lignes électriques, fragmentation et conséquences pour l’avifaune
L’écologie du mouvement des oiseaux dans l’espace aérien
1. Etat interne – qu’est-ce qui motive le mouvement ?
2. Capacités de navigation – Où et vers quelle cible le mouvement est-il produit ?
3. Capacité de locomotion – comment le mouvement est-il produit ?
4. Les facteurs externes : quels sont les facteurs externes qui affectent le mouvement et comment?
5. Comment interagissent tous ces facteurs ?
Emergence du projet – Etude des interactions entre oiseaux et réseau de transport d’électricité français
Localisation et hiérarchisation des interactions des oiseaux avec le réseau de transport d’électricité en France
Introduction
1. Cartographies de risque en biologie de la conservation
2. Les facteurs affectant la vulnérabilité des oiseaux à l’interaction avec les lignes électriques
2.1. Etat interne, capacités de navigation et de locomotion
2.2. Les facteurs externes à l’oiseau – facteurs environnementaux
Matériels et Méthodes
1. Variables environnementales
2. Oiseaux nicheurs
2.1. Modélisation de la distribution des espèces nicheuses en France
2.2. Pondération des enjeux pour chaque espèce
2.3. Indice communautaire de fragilité des oiseaux nicheurs
3. Oiseaux migrateurs
3.1. Modélisation de la distribution des oiseaux migrateurs en France
3.2. Distribution spatiale de la communauté des oiseaux migrateurs
4. Configuration des lignes électriques
5. Calcul du risque relatif d’interaction des oiseaux avec les lignes électriques
6. Comparaison des cartographies de risque obtenues avec l’identification actuelle des « points sensibles avifaune »
Résultats
1. Distribution spatiale du risque relatif d’interaction l’actuelle identification des Points Sensibles Avifaune
Discussion
Collision avec les lignes électriques : quantifier la mortalité
Quand la fragmentation induit la mortalité par collision
Méthodologie pour la quantification de la mortalité par collision et biais associés
1. Le biais de « crippling loss »
2. Le biais « d’habitat »
3. Les biais de persistance et de détection – étude expérimentale
3.1. Matériels et méthodes
3.2. Résultats
Discussion
Mouvement à proximité des lignes: évitement, utilisation – le cas des vautours fauves
Introduction
1. Ecologie du mouvement en milieu perturbé
2. L’évitement de la perturbation par les oiseaux à différentes échelles spatiales – applications aux lignes électriques
3. Cas d’étude – l’évitement des lignes électriques par les vautours fauves
3.1. Le suivi télémétrique : un outil précis pour l’étude du mouvement
3.2. Pourquoi les vautours fauves?
3.3. Jeux de données et hypothèses
Matériels et Méthodes
1. Le vautour fauve dans les Grands Causses
2. Marquage et suivi télémétrique des vautours fauves
2.1. Captures
2.2. Caractéristiques et fonctionnement des récepteurs GPS
2.3. Données de suivi utilisées dans les analyses
3. Analyse du macro-évitement, domaines vitaux de mouvement en 3D
3.1. Domaines vitaux de mouvement en 3D
3.2. Domaine vital populationnel de mouvement en 3D
4. Analyse du méso-évitement, modèles mixtes non linéaires avec structure d’autocorrélation temporelle
4.1. Construction du modèle d’évitement et variables environnementales
5. Micro-évitement, exploration graphique de l’approche des lignes électriques
Résultats
1. Macro-évitement
2. Méso-évitement
2.2. Facteurs affectant la hauteur de vol
3. Micro-évitement
Discussion
Discussion générale
Principaux résultats
Perspectives de recherches et applications
1. Suivre la mortalité par collision des grands oiseaux par comptage au sol
2. Suivre la collision par des dispositifs d’acquisition automatisée des données
3. Mettre en rapport collision et fréquentation
4. Des outils pour mieux comprendre l’utilisation de l’espace par les oiseaux
5. Eviter et réduire l’impact
Bibliographie
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