Modélisation de la demande de carburant des véhicules légers
Cette section décrit quatre études qui sont particulièrement pertinentes pour notre recherche. Nous présentons à l’annexe 1 un tableau synthèse des autres références que nous avons revues mais que nous ne détaillons pas ici. Pour chacun des articles retenus, nous exposons l’objectif de recherche, le type de données, l’identité qui est utilisée pour factoriser la consommation de carburant, les principaux résultats des estimations et quelques conclusions. De plus, certains problèmes de nature économétrique sont également discutés. Les modèles sont classés en ordre chronologique et le nom des variables est standardisé.
L’objectif principal de Greene (1992) est d’évaluer l’ampleur de l’effet rebond c’est-à-dire l’accroissement de l’usage provoqué par une baisse du coût du carburant par kilomètre parcouru qui elle-même résulte d’une amélioration de l’efficacité énergétique des véhicules. Il peut être mesuré par l’élasticité (T]) de l’usage par rapport au coût d’opération par kilomètre »^ ip esskm) qui est le produit du prix du carburant à la pompe et de TCM. L’élasticité de la demande de carburant par rapport au taux de consommation moyen de carburant (r|Q, TCM) est ainsi affectée par l’effet rebond (riKM, p_esskm) de la manière suivante : X\Q^ TCM = -(1 + TIKM, p_esskm)-Connaître la magnitude de cet effet est bien entendu important puisqu’il détermine l’impact des politiques publiques qui visent à améliorer l’efficacité énergétique des VL. En effet, une politique qui améliore de 10 % l’efficacité de la flotte mais qui par le fait même stimule l’usage de 2 % ne réduit la consommation de carburant que de 8 %. Greene dispose de données de type temporel qui couvrent annuellement la période 1966 à 1989 pour les États-Unis. Bien que sa spécification se base sur l’identité (1.1) où S a été éliminé, son modèle s’intéresse particulièrement au kilométrage. Il traite toutes les variables explicatives comme exogènes. La forme fonctionnelle retenue est de type log-log c’est-à-dire que toutes les variables sont exprimées par leur logarithme naturel. Les résultats des estimations apparaissent au tableau 1.1 pour quatre spécifications différentes.
Le nombre de kilomètres parcourus par l’ensemble des VL est expliqué par un modèle dynamique lorsque la variable dépendante retardée (KMi.\) est incluse afin de tenir compte de l’inertie dans les décisions d’usage (i.e. les habitudes de déplacement des individus ne s’ajustent que progressivement). L’auteur utilise un estimateur des moindres carrés ordinaires (MCO) pour toutes ses estimations et ne tient pas compte de l’autocorrélation dans ses deux premières spécifications. Ainsi, pesskm affecte négativement la distance parcourue. Pour sa part, pnb a un coefficient positif et significatif seulement dans le cas statique alors que nconduc influence positivement l’usage dans les deux premiers modèles. Ce dernier contrôle pour les changements démographiques avec une ampleur relativement élevée particulièrement dans le cas où KMi.\ est exclue. Greene n’inclut pas de variable reliée au stock de véhicules comme variable explicative car ce déterminant est fortement corrélé avec nconduc.
Sur le plan économétrique, Greene aborde certains problèmes. Les deux premières spécifications du tableau Ll démontrent que pnb devient non significatif lorsque KMx.\ est introduit. Ce résultat est surprenant puisque le revenu est généralement considéré comme un déterminant clé de l’usage. Il semble provenir d’une mauvaise spécification du modèle et notamment de l’hypothèse concernant le terme d’erreur. En effet, l’hypothèse d’absence d’autocorrélation est rejetée et Greene estime un coefficient de corrélation entre les erreurs de la période présente et passée de 0,74. Les deux dernières spécifications du tableau 1.1 présentent les modèles où un processus d’erreur de type AR (1) est appliqué.’^ Les coefficients estimés ont les mêmes signes qu’auparavant à l’exception du déterminant relié au PNB dans l’équation dynamique qui est maintenant positif De plus, avec un processus AR (1), KMi.\ n’est plus significativement différent de zéro ce qui favorise le modèle statique. La principale conclusion de cette étude est qu’à court terme, la distance totale parcourue est relativement peu sensible aux cîhangements dans la variable pesskm et donc dans l’efficacité énergétique moyenne du parc automobile. L’effet rebond est estimé se situer entre 5 % et 15 % autant à court terme qu’à long terme car le modèle final est statique, c’est-à-dire qu’il n’inclut pas d’inertie dans la décision d’usage.
Contrairement à Greene (1992), Haughton et Sarkar (1996) relâchent l’hypothèse d’exogénéité de certaines variables explicatives. Ils tentent de déterminer, à l’aide d’un système d’équations, l’effet d’une hausse du prix de l’essence sur l’usage et le taux de consommation moyen d’essence aux États-Unis. Ils utilisent un panel de 50 états couvrant la période 1970 à 1991. Les auteurs factorisent la consommation d’essence (Q) comme le produit de la distance parcourue par conducteur (KM/nconduc), du taux de consommation moyen d’essence des VL (TCM), de la proportion de conducteurs parmi la population adulte {nconducladuT) ainsi que de la population adulte {aduT).
Les deux derniers termes sont considérés comme exogènes ce qui leur permet de construire un système de deux équations à partir de cette identité. La forme fonctionnelle établit une relation de type log-log entre les variables dans les deux cas. Les tableaux 1.2 et 1.3 résument les résultats d’estimation respectivement de KM/nconduc et de TCM selon différentes techniques.
Pour l’estimation de KMInconduc, un test F de Fisher démontre que le modèle avec effets fixes est préférable à celui impliquant une constante commune (« pooled data »). »* La variabilité entre les régions est donc importante. Au tableau 1.2, les résultats obtenus à partir du modèle avec effets fixes servent de point de départ aux auteurs. Les deux autres techniques présentées corrigent pour certains problèmes économétriques. À l’opposé de Greene (1992), la variable dépendante retardée {{KMInconduc\.\) est statistiquement significative et ne semble pas compromettre directement le coefficient relié au revenu. L’impact du prix en essence par kilomètre est semblable à l’étude précédente mais celui de rev/pop y est généralement inférieur. Noter que la variable pesskm est un terme endogène puisqu’elle dépend de TCM. Haughton et Sarkar incluent un nouveau déterminant qui tient compte de la densité du réseau routier. Il s’agit du nombre de conducteurs par kilomètre de route qui influence négativement KMInconduc avec un coefficient oscillant entre -0,64 et -0,48. Ainsi par exemple, la congestion du système routier favorise le choix d’un moyen de transport alternatif. Au contraire, si l’offre du réseau routier est relativement élevée, le coût en temps des déplacements est faible ce qui incite à un usage plus intensif La variable dépendante réagit négativement aux variables nconducladul, d74 et d79. Davantage de conducteurs ainsi qu’une augmentation substantielle des coûts d’utilisation et de l’inflation font effectivement diminuer le ratio KMInconduc.
Au tableau 1.3, les résultats d’estimation de TCM suggèrent que les variations entre les régions ne sont pas statistiquement différentes de zéro et que le modèle avec constante commune est priorisé. Le taux de consommation moyen d’essence de l’ensemble des VL dépend tout d’abord positivement de TCM^.x. Ensuite, le déterminant pei-^ contribue négativement à TCM. En effet, une hausse des coûts d’utilisation liée à un prix de l’essence plus élevé contribue intuitivement au choix d’un véhicule plus efficace par les consommateurs. Le taux de consommation moyen d’essence est aussi négativement sensible au sommet historique qu’a atteint le prix en essence par kilomètre. Au niveau du revenu, deux forces s’opposent. D’une part, un revenu plus grand favorise le rajeunissement du parc automobile et permet d’accéder à des technologies coûteuses qui sont plus efficaces.’^ D’autre part, une augmentation de revenu implique que les acheteurs sont moins affectés financièrement par les coûts plus élevés qu’entraînent le choix et l’utilisation des véhicules énergétivores souvent caractérisés par un confort et une performance accrue. Puisque revipop a un coefficient négatif, le premier argument semble dominer. Le facteur nconduciroute a, quant à lui, un impact négatif très faible sur TCM. Ce résultat signifie que vivre dans une région congestionnée incite légèrement les individus à choisir des véhicules plus efficaces. Finalement, la variable cafe est négative puisqu’elle contrôle pour le Corporate Average Fuel Economy (CAFE). Le CAFE est un standard d’efficacité moyenne en madère de consommation de carburant pour les nouveaux véhicules fabriqués par l’industrie automobile américaine (mesuré en miles par gallon). Il a pour objectif de réduire la consommation d’énergie des VL grâce à l’amélioration de leur TCM. Chaque manufacturier doit donc rencontrer annuellement des standards différents qui s’appliquent séparément aux voitures et aux camions légers construits sous peine d’amendes.
D’un point de vue technique, Haughton et Sarkar font face à des difficultés qui peuvent avoir comme conséquence des résultats biaises. Les remarques suivantes résument les principaux obstacles identifiés :
• L’utilisation d’une équation dynamique avec des données panel engendre une corrélation entre la variable dépendante retardée et le terme d’erreur. Une estimation par variable instrumentale (2MC0), où les instruments sont toutes les variables exogènes et prédéterminées du modèle, est alors utilisée.
• L’équation (1.6) présente un problème de multicolinéarité car la corrélation entre le log des variables cafe et p esskmmax s’élève à 0,83.
• L’hypothèse d’absence d’autocorrélation des termes d’erreur est rejetée et une procédure suggérée par Hatanaka’^ est introduite comme correction.
Ils estiment en conclusion que les élasticités de KMInconduc et de TCM par rapport au prix de l’essence varient respectivement de -0,09 à -0,05 et de -0,1 à -0,07 à court terme. À long terme, elles se situent entre -0,12 et -0,11 pour l’usage et entre -0,2 et -0,15 pour TCM.
Johansson et Schipper (1997) examinent l’impact de certaines alternatives, telles la réduction du nombre d’automobiles et de la distance moyenne qu’elles parcourent, afin de lutter contre les émissions de GES liées au secteur des transports. Ils ont recours à des données panel pour 12 pays de l’OCDE de 1973 à 1992. Puisque les émissions de CO2 sont approximativement proportionnelles à l’usage des carburants fossiles, ils tentent d’expliquer la consommation de carburant des VL. Ils décomposent la demande de carburant par capita {Qlpop) comme le résultat de la distance parcourue par véhicule (KM/S) multipliée par le nombre d’automobiles par capita (S/pop) et par le taux de consommation moyen de carburant de la flotte de VL (TCM). Sur base de cette identité, les auteurs construisent un système d’équations récursif à trois équations.’^ La forme fonctionnelle retenue est de type log-log excepté pour les variables reliées au taux de taxation appliqué à la possession d’un véhicule (taxe) et à la densité de la population (dem_pop) où la relation est semi-logarithmique.’** Les principaux résultats d’estimation sont présentés aux tableaux 1.4 à 1.6.
Chacune des équations admet la présence d’inertie par le biais des variables dépendantes retardées respectives. Lorsque l’estimation utilise des effets fixes, les variables taxe et dens_pop sont exclues puisque les effets fixes captent l’information qu’elles apportent. Le prix en carburant par kilomètre est significatif et influence négativement KM/S. Le déterminant pib est pour sa part positif mais statistiquement différent de zéro uniquement dans la specification utilisant les 2MC0 comme estimateur. Lors de l’estimation par effets aléatoires (MCG), dens_pop a un coefficient négatif car les régions populeuses ont davantage d’alternatives au transport par automobile. De plus, les distances moyennes à parcourir sont également plus courtes en raison de la concentration des services dans les zones à forte densité démographique. Puisqu’ils tentent d’expliquer la distance parcourue par véhicule, une augmentation de SIpop affecte cette dernière négativement. Noter que les variables pess, pih, taxe et densjyop influencent la distance parcourue par véhicule directement par l’équation (1.8) et indirectement via les équations (1.9) et (1.10).
Les deux variables endogènes dans l’équation (1.8) sont le stock de véhicules par capita et le taux de consommation moyen de carburant. Bien que la variable pess ait un coefficient négatif dans les deux équations, ce n’est pas le cas pour pib. Un revenu plus élevé favorise substantiellement l’expansion de S/pop alors qu’il réduit TCM. Dans ce dernier cas, l’augmentation du revenu est donc consacrée à une substitution technologique plus efficace et à un rajeunissement du parc automobile. Les facteurs taxe et densjjop sont quant à eux négatifs à la fois dans l’équation (1.9) et (1.10).
Le recours à un système d’équations récursif permet d’éviter certains problèmes techniques. La distance parcourue par véhicule est estimée en fonction de SIpop, depesskm et de d’autres déterminants exogènes. Toutefois, les équations (1.9) et (1.10) ne dépendent pas de KM/S ce qui simplifie considérablement l’analyse économétrique. Cette structure permet d’effectuer des estimations valables sans recourir à des méthodes d’estimation associées aux (equations simultanées. Par contre, la corrélation entre les variables dépendantes retardées et les termes d’erreur de chaque équation nécessite toujours une instrumentation (2MC0). Les instruments utilisés sont les facteurs exogènes de la période présente, ceux de la période passée ainsi que les variables dépendantes reculées de deux périodes. Cela semble avoir pour conséquence une diminution de la valeur du coefficient de KMi.\. Soulignons également que des trois équations, celle de KM/S est la plus dure à estimer en raison du nombre élevé de variables explicatives potentielles et de plusieurs corrélations possibles entre celles-ci. Johansson et Schipper concluent à partir des élasticités qu’il vaut mieux taxer directement le carburant plutôt que la possession d’un véhicule afin de réduire la consommation de carburant. Toutefois, pour tenir compte de certaines extemalités comme la congestion et le bruit, une taxe directe sur la distance parcourue pourrait être plus appropriée.’^
Plus récemment, Small et VanDender (2007) estiment l’effet rebond associé à l’amélioration de l’efficacité énergétique des VL sur la distance qu’ils parcourent aux États-Unis. Ils disposent de données panel couvrant 50 états de 1966 à 2001. Les auteurs construisent leur modèle à partir de l’identité (1.2) à l’exception qu’ils remplacent la population par le nombre d’adultes. Reconnaissant que la distance parcourue, le stock de véhicules et le taux moyen de consommation de carburant dépendent les uns des autres, ils estiment un système d’équations simultanées. Le modèle est de type log-log pour toutes les variables à l’exception de urh et railpop où une forme fonctionnelle semi-log est choisie. Les tableaux 1.7 à 1.9 présentent les résultats.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : Revue de la littérature
1.1 Approches méthodologiques
1.2 Modélisation de la demande de carburant des véhicules légers
1.3 Variables omises dans l’explication du nombre de kilomètres parcourus
1.4 Études canadiennes :
1.5 Élasticités obtenues dans la littérature
Chapitre 2 : Modélisation
2.1 Modèle général
2.2 Sources des données
2.3 Spécification économétrique
2.4 Analyse descriptive
Chapitre 3 : Résultats et interprétations
3.1 Estimation du nombre de kilomètres parcourus par personne en âge de conduire
3.2 Estimation du nombre de véhicules par personne en âge de conduire
3.3 Estimation du taux de consommation moyen de carburant des véhicules légers
3.4 Estimation des élasticités
Conclusion
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