Mer Méditerranée
La mer Méditerranée est une mer intercontinentale qui couvre une superficie d’environ 2,5 millions de km² (Figure 5). Elle est reliée à l’océan Atlantique par le détroit de Gibraltar à l’Ouest, et à la mer de Marmara et la mer Noire à l’Est. Elle est également connectée à la mer Rouge dans le Sud-Est par le canal de Suez. La circulation générale de surface en Mer Méditerranée est relativement complexe. En effet, le bassin méditerranéen est divisé en plusieurs petites mers (Figure 5) et sa géomorphologie sous-marine est fortement accidentée. La profondeur moyenne de la mer Méditerranée est d’environ 1 500 mètres avec une profondeur maximum enregistrée à 5 267 mètres dans la mer Ionienne. La mer Méditerranée se divise en deux bassins, séparés par une dorsale peu profonde (le détroit de Sicile), entre la Sicile et la Tunisie : la Méditerranée occidentale (0,85 million km²) et la Méditerranée orientale (1,65 million km²). Les courants de surface suivent des trajectoires tortueuses (Figure 6), influencées par la météorologie et les saisons. Ils présentent des variabilités temporelles allant de la journée à la saison. Ils peuvent former des gyres (tourbillons) de quelques centaines de kilomètres dont la durée de vie varie de quelques mois à quelques années (Millot & Taupier-Letage, 2005). La température de surface (SST) annuelle moyenne de la mer montre une forte saisonnalité, avec des gradients allant d’Ouest en Est et du Nord au Sud (Hopkins, 1985). La production biologique diminue du Nord au Sud et d’Ouest en Est ; elle est inversement proportionnelle à l’augmentation de la température et de la salinité (Danovaro et al., 1999). La circulation générale de surface de la mer Méditerranée est assez complexe ; elle a déjà été décrite en détail (Hopkins, 1985 ; Pinardi et al., 2006). Les gyres résultant des courants peuvent s’étendre sur des centaines de kilomètres pendant plusieurs mois, voire plusieurs années (Millot & Taupier-Letage, 2005). La mer Méditerranée ne représente que 0,82 % de la surface des océans. Pourtant, elle abrite 4 à 18 % de la biodiversité marine mondiale (Coll et al., 2010) avec près de 17 000 espèces marines connues à ce jour, dont plus de 600 espèces de poissons. Une grande partie des espèces marines méditerranéennes sont endémiques (Boudouresque, 2004). Coll et al. (2010) ont mis en évidence un gradient décroissant de la biodiversité allant des régions nord-ouest vers le sud-est, associé aux patrons de production primaire. La biodiversité est également généralement plus élevée dans les zones côtières et les plateaux continentaux. Les eaux côtières peu profondes abritent des espèces clés et des écosystèmes sensibles, tels que les herbiers et les assemblages coralligènes, tandis que les eaux profondes abritent une faune unique et fragile. La population méditerranéenne vivant sur les bandes côtières s’élève maintenant à 460 millions de personnes (environ 7 % de la population mondiale) dont 150 millions sur la côte elle-même. En 2007, les pays méditerranéens ont accueilli 275 millions de touristes, soit environ 30 % de la population mondiale. Les écosystèmes marins connaissent des niveaux de menaces sans précédent (Coll et al., 2012) telles que la dégradation et la perte d’habitat, les impacts de la pêche, la pollution, le changement climatique, l’eutrophisation et l’arrivée d’espèces exotiques. Ces menaces touchent le plus grand nombre de groupes taxonomiques de Méditerranée et beaucoup de ces espèces sont maintenant classées par l’UICN comme menacées ou en danger (Coll et al., 2010 ; Costello et al., 2010). 1,08 % de la surface de la Méditerranée est sous protection juridique et 8,22 % dans la zone des 12 miles nautiques. L’inventaire des AMP méditerranéennes réalisé par MedPAN (Gabrié et al., 2012 ; Figure 7) décompte 677 AMP, ce qui représente environ 7 % du nombre total d’AMP mondiales : 161 ont un statut national, 9 un statut international et 507 sont des sites Natura 2000 en mer. 96 % de ces AMP sont situées dans le bassin nord de la Méditerranée (83 % sans Natura 2000).
Marine Geospatial Ecology Tools, le modèle de dispersion larvaire
Les patrons de dispersion larvaire ont été modélisés à l’aide du logiciel Marine Geospatial Ecology Tools (MGET) (Roberts et al., 2010b ; http://code.env.duke.edu/projects/mget). L’outil de modélisation est basé sur un algorithme eulérien d’advection-diffusion en deux dimensions (Treml et al., 2008), qui simule la dispersion hydrodynamique des larves. En sortie de simulation (Figure 8), l’outil fournit une série temporelle d’images représentant la concentration des larves dans la zone d’étude, et une matrice de connectivité qui précise, pour chaque paire de récifs, le pic de concentration de larves relâchées au niveau du récif source i qui atteint le récif de destination j. L’hypothèse de base de ce modèle admet que les larves de poissons sont passives lors de la phase de vie pélagique. Pour la mise en œuvre de l’outil, il faut tout d’abord définir l’étendue géographique et les caractéristiques de la zone d’étude (trait de côte, habitats : récifs, substrat rocheux, herbiers, etc). Ensuite, le téléchargement des produits de courants géostrophiques issus de données altimétriques se fait via le site Internet AVISO (Archiving, Validation and Interpretation of Satellite Oceanographic data). Ils sont téléchargeables directement via la « boite à outils » MGET par protocole OPeNDAP (Open-source Project for a Network Data Access Protocol). Ces produits sont disponibles à différentes résolutions temporelle (journalière ou hebdomadaire) et spatiale (en fonction de la zone d’étude). Enfin, les paramètres biologiques de la simulation sont renseignés : la date de début de simulation (correspondant à la date de ponte des œufs) ainsi que la durée de la simulation (correspondant à la durée de vie larvaire pélagique). Les autres paramètres de la simulation peuvent être définis par défaut ; il peut cependant être utile de les adapter au contexte de l’étude (pas de temps, densité initiale de larves, pourcentage limite de densité de larves, coefficient de diffusion en m²/seconde).
Matrices de connectivité
Dans le cadre des études de connectivité dans l’Océan Indien et en Méditerranée, nous avons exploité les matrices de connectivité produites en sortie de modèle afin de générer des segments spatiaux ou des matrices de migration entre les sites.
Segments spatiaux : Les matrices de connectivités produites en sortie de modèle peuvent être représentées sous forme de segments spatiaux (logiciel ArcGIS 10.2.2), reliant les paires de sites connectés. Ces segments informent sur la concentration, la distance et la direction du flux larvaire. L’analyse de ces segments spatiaux permet également de déterminer le niveau de connectivité globale à l’échelle de la région : la connectance, qui est le ratio entre les connexions réalisées sur les connexions possibles.
Matrices de migration : Les matrices de connectivité obtenues en sortie de modèle permettent de produire des matrices de migration (logiciel R, R Development Core Team, 2012). Ces matrices de migration représentent soit la proportion de larves venant de chaque site (matrice d’import de larves), soit la proportion de larves exportées vers chaque site (matrice d’export de larves).
Clustering : Les matrices de connectivité obtenues en sortie de modèle peuvent également servir à identifier les groupes de récifs fortement connectés à l’échelle sous régionale. Le clustering est une méthode statistique d’analyse des données, qui vise à diviser un ensemble de données en différents groupes homogènes partageant des caractéristiques communes. Ainsi, les objets réunis au sein d’un même groupe (appelé cluster) sont d’avantage similaires entre eux que ceux des autres groupes. Cela permet de découvrir les groupements naturels d’un ensemble d’objets (Jain, 2010). Pour obtenir un bon clustering, il faut minimiser l’inertie intra-classe pour obtenir les clusters les plus homogènes possibles, et maximiser l’inertie inter-classe pour obtenir des sous-ensembles bien différenciés. Pour cette analyse, nous avons utilisé l’outil APCluster, implémenté sous le logiciel R (Bodenhofer et al., 2011). Il s’agit d’une méthode d’ « affinity propagation » dont l’algorithme est basé sur le « passage de messages » entre points. Contrairement aux autres algorithmes de clustering (k-means ou k-medoids), il n’est pas nécessaire de déterminer ou d’estimer le nombre de clusters avant d’exécuter l’algorithme. L’outil APCluster a été initialement développé pour regrouper des photos de visages, détecter des gènes dans les données de puces à ADN, identifier les phrases représentatives dans un manuscrit ou encore dans l’étude des connexions entre aéroports (Frey & Dueck, 2007).
Indice de centralité : L’analyse de clustering peut être approfondie par un indice de centralité. La centralité se réfère aux indicateurs qui permettent l’identification des nœuds les plus importants dans un réseau. Ce concept a d’abord été développé dans l’analyse de réseaux sociaux pour identifier la ou les personnes les plus influentes dans un réseau par exemple. La centralité d’intermédiarité permet de mettre en évidence les récifs centraux, qui agissent comme des passerelles au sein du réseau. En effet, les sites ayant un indice de centralité fort sont essentiels pour permettre le passage d’individus et donc de gènes à travers le réseau sur plusieurs générations. Ils sont ainsi identifiés comme sites prioritaires de conservation. L’indice de centralité d’intermédiarité a été déterminé à partir des matrices de connectivité à l’aide de l’outil igraph implémenté sous le logiciel R (Csardi & Nepusz, 2006). Les résultats sont également présentés en termes d’occurrence pour identifier les sites avec une forte centralité indépendamment de la durée de vie larvaire des espèces.
Matrices de migration
Pour une DVL de 30 jours (valeur médiane testée), les résultats suggèrent que les récifs de la région sont connectés de manière inégale. Il y a une forte inter-connectivité au sein de plusieurs sous-régions, et une connectivité plus faible lorsqu’on considère la région dans son ensemble. Cette tendance est manifeste que ce soit dans les matrices de migration d’imports ou d’exports de larves. Par exemple, les résultats indiquent des liens solides entre les récifs dans la région du Canal du Mozambique (Figure 13, région H), entre les îles Nord des Seychelles (B), les îles Sud des Seychelles (C), et entre Tromelin et les récifs Est malgache (E). En outre, bien que l’archipel des Mascareignes semble être fortement interconnecté, il est isolé des autres récifs de la région (F). Lorsque la DVL augmente, le nombre de connexions entre les récifs augmente. Pour de faibles DVL, certains récifs sont complètement déconnectés du réseau, il n’y a ni import ni export de larve. C’est le cas par exemple pour les récifs de Pebane (25), de la péninsule de Masoala / Sainte Marie (19), Tromelin ou encore l’archipel des Mascareignes pour une DVL de 10 jours. Le récif de Pebane (25), quant à lui, est déconnecté du réseau quelle que soit la DVL. Pour les besoins d’une étude de dispersion des sargasses (algues brunes ; Mattio et al.,2013), un zoom a été porté sur la région des Mascareignes (Figure 14). Ces résultats sont issus directement des matrices de migration présentées ci-dessus. Cela illustre d’avantage l’évolution des connexions entre les récifs, en fonction des DVL. Les résultats montrent des connexions faibles mais possibles depuis St Brandon, Rodrigues et La Réunion vers l’île Maurice à partir de 20 jours de DVL.
Clustering
Le nombre de clusters varie en fonction des DVL (Figure 15). Lorsque la DVL augmente, les clusters grandissent et comptabilisent d’avantage de récifs. Par exemple, le cluster formé par les récifs du Sud-Ouest de Madagascar (32, Morondava / Anakao), Bassas da India (35) et Europa (36) pour les DVL de 10-30 jours, s’étend et intègre les récifs de Juan de Nova (27) et de l’Ouest de Madagascar (29, Masoarivo) pour 40-50 jours de DVL. De même, le cluster formé par les récifs allant de Santa Lucia en Afrique du Sud jusqu’à Maxixe au Sud du Mozambique (37, 38) à 10 jours de DVL s’étend au Nord vers l’archipel des Bazaruto (34) lorsque la DVL augmente. Enfin, ce phénomène est très marqué avec les récifs de la côte Est africaine (1), qui sont regroupés avec les Comores, Mayotte, Geyser, et le complexe récifal de Majunga (13-15, 21) pour une DVL de 10 jours. Lorsque la DVL augmente, ce cluster intègre tous les récifs Nord malgaches et les îles Nord de l’archipel des Seychelles.
Connexions entre AMP
L’analyse de connectivité entre AMP montre une connectance entre paires de sites de 6,8 % (rapport entre les connexions réalisées sur les connexions possibles), dont 4,7% dans le bassin occidental, 1,8 % dans le bassin oriental et le 0,3 % entre les deux bassins. La distance médiane des connexions réalisées est d’environ 200 km. Les résultats mettent en évidence deux zones distinctes (Figure 19): le bassin occidental et le bassin oriental. Le bassin occidental est plus fortement interconnecté que le bassin oriental. Ainsi, il existe des connexions entre les AMP d’Espagne, France, Italie, Malte, Tunisie, Algérie et Maroc. Ces dernières pourraient être reliées sur plusieurs générations aux AMP de la mer Adriatique, via la Sicile puis Malte. Dans la partie orientale, il existe des échanges entre les AMP de Grèce et de Turquie, de Chypre et de Turquie et entre la Syrie, le Liban, Israël et la Turquie. Les échanges entre les AMP de la mer Egée (Grèce, Turquie) semblent être inexistants. Les AMP d’Egypte et de Tunisie semblent également isolées. La séparation en deux zones dans la mer Méditerranée reflète ainsi le faible nombre d’AMP du bassin oriental.
Connexions côtières
L’analyse des connexions entre paires de sites (avec ou sans statut de protection) montre une connectance d’environ 3 %, et une distance médiane des connexions réalisées d’environ 187 km. Les matrices de migrations d’imports et d’exports, résumés par pays, mettent en évidence des échanges transnationaux. Néanmoins, la connectivité nationale, c’est-à-dire les échanges entre les sites d’un même pays, reste largement dominante du fait de la proximité entre les sites. L’auto-recrutement est ainsi compris entre 50 % (Liban) et 98 % (Grèce, Lybie) (Figure 20a). L’arrivée d’autres larves, issues d’allo-recrutement, provient des pays les plus proches voisins. Par exemple au Maroc, 71 % des larves sont issues d’auto-recrutement et 29% arrivent d’Espagne. La matrice d’exports (Figure 20b) met en évidence les contributions entre les pays. Dans l’ensemble, la majorité des larves restent dans leur pays d’origine, comme indiqué par la diagonale de la matrice. La rétention locale des larves, c’est-à-dire la fraction des larves produites localement qui restent dans leur pays d’origine, est comprise entre 57 % (Syrie) et 98 % (Grèce et Egypte). La plupart des exports de larves se fait vers les pays voisins.
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Table des matières
Résumé
1 Préambule
2 Etat de l’art
3 Matériels et Méthodes
3.1 Sites d’étude
3.1.1 Océan Indien
3.1.2 Mer Méditerranée
3.2 Méthodes d’analyses
3.2.1 Marine Geospatial Ecology Tools, le modèle de dispersion larvaire
3.2.2 Analyses des sorties de modèle
4 Evaluation de la connectivité dans l’Océan Indien
4.1 La connectivité à méso-échelle, entre Maurice et La Réunion
4.1.1 Méthodes
4.1.2 Résultats principaux
4.1.3 Discussion
4.1.4 Validation of a fish larvae dispersal model with otolith data in the Western Indian Ocean and implications for marine spatial planning in data-poor regions (Crochelet et al., 2013; Ocean and Coastal Management; doi:10.1016/j.ocecoaman.2013.10.002)
4.2 La connectivité à l’échelle régionale dans l’Océan Indien
4.2.1 Méthodes
4.2.2 Résultats principaux
4.2.3 Discussion
4.2.4 A model-based evaluation of Western Indian Ocean connectivity – Implications for future marine spatial planning policies (Crochelet et al., 2015a ; soumis à ICES Journal of Marine Science)
5 Evaluation de la connectivité en Méditerranée
5.1 Méthodes
5.2 Résultats principaux
5.2.1 Connexions entre AMP
5.2.2 Connexions entre les AMP et la côte
5.2.3 Connexions côtières
5.3 Discussion
5.4 A model-based assessment of fish larvae dispersal in the Mediterranean Sea: implications for local management and regional cooperation (Crochelet et al., 2015b ; soumis à Marine Policy)
6 Synthèse
6.1 Implications en termes de coopérations internationales
6.2 Avantages et limites des analyses de connectivités à l’aide d’un modèle de dispersion larvaire
6.3 Perspectives
7 Références bibliographiques
8 Annexes
8.1 Autres publications du même auteur (non présentées dans cette thèse)
8.2 Participations à des conférences
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