Le Golfe de Guinée est défini comme l’espace maritime qui s’étend des îles de Bissagos (Guinée-Bissau) au cap Lopez (Gabon) dans la partie Est de l’océan Atlantique tropical. Cette zone est caractérisée par des remontées d’eaux profondes froides (upwelling) saisonnières dans des zones géographiques relativement stables (Berrit, 1973) principalement situées le long de la Guinée Bissau, de la Côte d’Ivoire et du Ghana ainsi qu’au cap Lopez (Gabon). Ces remontées d’eaux profondes contribuent significativement à l’enrichissement du milieu (Binet 1983) et ont un rôle potentiel sur le climat de ces régions (Opoku Ankomah and Cordery, 1994). L’upwelling côtier au Nord du Golfe de Guinée (ou uwpelling ivoiro-ghanéen) diffère des upwellings classiques que sont ceux du Benguela, du Humboldt, de Californie, et des Canaries (Gruber et al., 2011) appelés les systèmes d’upwelling de bord Est (en anglais EBUS pour « Eastern Boundary Upwelling Systems »). En effet, l’uwpelling ivoiro-ghanéen est zonal tandis que les 4 EBUS sont méridiens et leur mise en place est généralement attribuée à la divergence du transport d’Ekman (1905). Plusieurs causes de l’upwelling au Nord du Golfe de Guinée ont été énoncées dont les principales sont:
— les variations saisonnières du Courant de Guinée (Ingham, 1970) ;
— l’effet des caps et les tourbillons cycloniques (Marchal and Picaut, 1977) ;
— le pompage d’Ekman dû au rotationnel du vent (Colin, 1991) ;
— le forçage lointain et les ondes de Kelvin équatoriales et côtières (Servain et al., 1982 ; Picaut, 1983).
L’ECOSYSTEME DU GOLFE DE GUINÉE
Les caractéristiques physiques
La bathymétrie dans le Golfe de Guinée
Le littoral de la région Nord du Golfe de Guinée est une zone de contact entre plusieurs cordons littoraux récents (sable roux), de cordons anciens (sables gris), des lagunes côtières ou marais qui séparent les deux cordons et les glacis ogoliens (sables argileux jaunes). La zone côtière de la région Nord du Golfe de Guinée est généralement basse avec des parties de côte plus raides entre le Cap Palmas et le Cap des Trois Pointes jusqu’au niveau de l’embouchure de la Volta. Du Cap Palmas au Cap des Trois Pointes (Côte d’Ivoire et extrémité Ouest du Ghana), la côte est rocheuse et humide, puis une plaine côtière, et enfin de nouveau rocheuse, avec un plateau continental étroit de forme concave et s’étend sur 620 km. La bathymétrie dans cette région est composée d’un plateau de profondeur comprise entre 0 et 200 m, d’un talus (200-2000 m de profondeur) correspondant à une forte pente d’une largeur de 100-2000 m, puis de plaines abyssales de plus de 5000 m. Un chapelet d’îles et de monts sous-marins est aussi présent dans cette zone selon une direction nord-est et sud-ouest.
Vents, courants de surface et de subsurface
Les variations d’intensité et de position des deux centres d’actions permanents (le centre de haute pression des Açores dans l’hémisphère Nord et le centre de haute pression de Sainte Hélène dans l’hémisphère Sud) régulent l’évolution saisonnière du vent (ou alizé) en surface dans l’Atlantique tropical. En hiver boréal, l’intensité de l’anticyclone des Açores est maximale tandis que celle de l’anticyclone de Saint Hélène est faible. Les alizés du Nord dominent donc les alizés du sud. Les vents sont aussi faible à l’équateur et la zone de convergence intertropicale (ITCZ) est dans sa position la plus au sud. Durant cette période, l’ITCZ entraine sur le continent ouest africain les vents d’harmattan (Hastenrath and Lamb, 1978 ; Wauthy, 1983). En été boréal, l’intensité de l’anticyclone de Sainte Hélène est maximale. L’anticyclone de Açores est faible et les vents du Sud dominent les vents de Nord. L’ITCZ atteint sa position la plus au Nord (vers 15◦N) avec un effet de mousson sur le continent ouest africain (Katz, 1987 ; Hisard and Henin, 1987 ; Zhenget al., 1999). Le climat du Golfe de Guinée est associé aux migrations latitudinales de l’ITCZ. Dans le bassin de l’atlantique équatorial, les alizés sont en moyennes zonaux au centre et à l’Ouest (tandis qu’ils sont méridiens au Nord, Sud et Est .
La température de la surface de mer
Le cycle annuel de la température de surface de la mer (SST) le long des côtes Nord du Golfe de Guinée se décompose en 6 saisons (Morlière, 1970) :
— une petite saison froide de Janvier à Mars caractérisé par de courtes périodes d’upwellings peu intense.
— une grande saison chaude qui s’étend de Mars à Juin marquée par des températures les plus élevées sur l’ensemble du Golfe de Guinée.
— une saison de transition de Juin à Juillet annonçant le début de la grande saison froide
— une grande saison froide, de Juillet à début Septembre caractérisé par une période intense d’upwelling avec des SSTs souvent inférieures à 23◦C.
— une saison de transition qui s’étend d’Octobre à Novembre avec un retour des eaux chaudes ;
— une petite saison chaude situé entre Novembre à Décembre.
Les saisons marines présentées ci-dessus n’ont pas les mêmes intensités partout à la côte. La petite saison froide (Janvier à Mars) a des variations thermiques faibles de l’ordre de 1◦C à 3◦C et sont limitées à la côte. Le minimum de SST durant la petite saison froide d’upwelling se propage le long des côtes du Ghana et de la Côte d’Ivoire de l’Est vers l’Ouest selon Roy (1989). Concernant la grande saison d’upwelling, Picaut (1983) a montré que le signal de température de surface se propageait d’Est en Ouest à partir du Togo-Bénin jusqu’au Cap des Palmes avec des variations saisonnières de 5◦C. La saisonnalité de la couche de mélange est considérée comme une signature de la variabilité de l’upwelling et module aussi l’apport en nutriment. La couche de mélange est la couche de surface dans laquelle les caractéristiques en température, salinité et densité sont verticalement homogènes jusqu’à une certaine profondeur. Dans la région Nord du Golfe de Guinée, De Boyer Montégut et al. (2004) ont montré que la couche de mélange est comprise entre 10 et 30 m.
Upwelling équatorial et upwelling ivoiro-ghanéen
Situé entre 20◦W et la côte africaine vers 12◦E et entre 10◦N et 5◦S, la langue d’eau froide (ou « Atlantic Cold Tongue » ACT) constitue le cycle dominant du signal de la SST dans l’Atlantique équatorial (Caniaux et al., 2011). L’ACT s’établit d’Avril à Décembre avec une grande période froide entre Avril et Octobre et une petite saison froide entre Novembre et Décembre (Caniaux et al., 2011). L’ACT est caractérisé par l’isotherme 25◦C (Bakun, 1978 ; HardmanMountford and McGlade, 2003) et est composé de deux parties qui s’imbriquent à savoir l’upwelling équatorial et l’upwelling côtier au Sud du Golfe de Guinée (Gabon-Congo). Ces deux upwellings sont générés par le transport d’Ekman induit par la friction du vent (Fig. 1.4) (Voituriez, 1983 ; Philander and Pacanowski, 1986a).
Entre 1◦N et 4◦N, l’ACT et l’upwelling côtier au Nord du Golfe de Guinée appelé upwelling ivoiro-ghanéen sont séparés par une large bande d’eau chaude. L’upwelling ivoire-ghanéen a un caractère saisonnier bien marqué avec une petite saison en hiver (Janvier à Mars) et une grande saison en été (Juillet à Septembre). Il a été mis en évidence pour la première fois par Varlet (1958). Ce refroidissement s’étend sur la zone côtière entre la Côte d’Ivoire et le Nigéria. Les mécanismes des upwellings de l’Atlantique intertropical sont bien connus pour les côtes du Sénégal et de la mauritanie et aussi pour l’équateur. En revanche, ils sont moins connues pour les côtes ivoiro-ghanéene. En effet, l’upwelling ivoiroghanéen se manifeste le long d’une côte zonale et les vents dans cette région sont perpendiculaires à la côte. La théorie du transport d’Ekman (1905) ne peut donc pas s’appliquer. Certaines études ont montré que l’upwelling côtier ivoiro-ghanéen est dû à un forçage local comme l’action locale du vent, la dynamique du courant de guinée et l’effet des caps (Ingham, 1970 ; Marchal and Picaut, 1977 ; Colin, 1988, 1991 ; Binet, 1997, Jouanno et al., 2011). D’autres études lui attribuent une cause lointaine notamment la propagation des ondes de Kelvin équatoriales (Moore et al., 1978 ; Clarke, 1979 ; Servain et al., 1982 ; Picaut, 1983 ; Polo et al., 2008). Récemment, Djakouré et al. (2014, 2017) ont montré que deux processus distincts contribuent à la génération de cet upwelling côtier : l’upwelling à l’Est du Cap des Palmes est lié au détachement du Courant Guinée à la côte et celui à l’Est du Cap des Trois Pointes est associé au transport d’Ekman. Les processus responsables de la mise en place de cet upwelling particulier au Nord du Golfe de Guinée font encore l’objet de nouvelles études. Cependant, très peu d’études se concentrent sur la la dynamique des premiers stades de vie des espèces marins notamment la sardinelle dans cette région (Koné et al., 2017). Notons également que l’upwelling ivoiro-ghanéen apparaît comme une source de production primaire relativement mineure.
Les caractéristiques biogéochimiques
Dans l’écosystème ivoiro-ghanéen au Nord du Golfe de Guinée, la température et les conditions d’éclairement sont favorables à la photosynthèse. Dans les systèmes d’upwelling, les eaux de la couche euphotique sont très enrichies en nutriments. Ces sels nutritifs propulsés dans cette couche gouvernent la production primaire (assurée par les communautés phytoplanctoniques) qui initie à son tour le développement de la production secondaire (zooplancton). Nous décrirons dans ce chapitre, les caractéristiques biogéochimiques (sels nutritifs, phytoplancton et zooplancton) de la région Nord du Golfe de Guinée.
Les nutriments
Les distributions des nutriments observées dans la région Nord du Golfe de Guinée sont similaires à celles des autres régions d’upwelling. Durant les périodes d’upwelling dans l’écosystème ivoiro-ghanéen, les eaux froides et riches en sels nutritifs sont advectées dans la couche euphotique et permettent le développement de la production primaire. Le dioxyde de carbone et les éléments nutritifs sont fixés par le phytoplancton en utilisant l’énergie lumineuse afin de synthétiser sa matière organique suivant l’établissement et la localisation de la thermocline au cours de la photosynthèse. Les composés minéraux de l’azote (nitrate, nitrite, ammonium), du phosphore (phosphate) et du silicium (silicate) communément désignés sous le nom de macro-nutriments constituent les principaux nutriments dans la région Nord du Golfe de Guinée. On retrouve également d’autres éléments appelés micro-nutriments dans cette région. Oudot et Morin (1987) ont montré que les fortes concentrations en nutriments dans la bande équatoriale sont dues à l’EUC et aussi à l’élévation de la pycnocline. L’enrichissement en surface de nutriment dans le Golfe de Guinée est dû à la présence des zones d’upwelling côtière africaine (Nubi et al., 2016). Il faut noter que la production primaire peut être limitée par la carence de ces micro-nutriments même en présence de macro-nutriments et d’un éclairement suffisant. Le fer (micro-nutriment) est l’un de ces éléments et peut jouer un rôle majeur dans l’écosystème pélagique (Duce and Tindale, 1991). Du fait que la chimie soit très spécifique, il parait donc difficile de discuter du devenir des nutriments dans toute la région Nord du Golfe de Guinée.
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Table des matières
INTRODUCTION
0.1 Contexte général
0.2 Objectifs et plan de thèse
1 L’ECOSYSTEME DU GOLFE DE GUINÉE
1.1 Les caractéristiques physiques
1.1.1 La bathymétrie dans le Golfe de Guinée
1.1.2 Vents, courants de surface et de subsurface
1.1.3 La température de la surface de mer
1.1.4 Upwelling équatorial et upwelling ivoiro-ghanéen
1.2 Les caractéristiques biogéochimiques
1.2.1 Les nutriments
1.2.2 Production primaire et secondaire
1.3 Les populations de petits poissons pélagiques
1.3.1 Distribution géographique de S. aurita
1.3.2 Sardinella aurita de la zone ivoiro-ghanéenne
1.3.3 Autres espèces de petits poissons pélagiques de la zone ivoiro-ghanéenne
2 MATERIELS ET METHODES
2.1 Modèle hydrodynamique
2.1.1 Equations primitives du modèle et conditions aux limites
2.1.2 Discrétisation spatio-temporelle
2.2 Implémentation du modèle CROCO dans le Golfe de Guinée
2.3 Modèle biogéochimique
2.3.1 Equations du modèle
2.3.2 Modèle couplé CROCO-PISCES dans le Golfe de Guinée
2.4 Modèle individu-centré : ICHTHYOP
2.4.1 Simulations et validations de la configuration régionale du modèle hydrodynamique CROCO dans le nord du Golfe de Guinée
2.4.2 Dispersion et croissance des larves de S. aurita
2.5 Les données et produits utilisés
2.5.1 Trajectoires de drifters
2.5.2 Trajectoires de dispositifs à concentration de poissons
2.5.3 Produit de courant OSCAR
2.5.4 Produit de courant GlobCurrent
2.5.5 Produits de température de surface de la mer
2.5.6 Données de couche de mélange
2.5.7 Produits de chlorophylle de surface
3 VALIDATION DES CHAMPS PHYSIQUES ET BIOGEOCHIMIQUES
3.1 Introduction
3.2 Evaluation des champs de courants simulés
3.2.1 Comparaison des courants de surface
3.2.2 Comparaison des trajectoires
3.2.3 Comparaison des densités spatiales
3.2.4 Comparaison des distributions de vitesses
3.2.5 Comparaison des performances (« skills ») des modèles
3.3 Evaluation des champs du modèle couplé hydrodynamique-biogéochimie
3.3.1 Courants zonaux de surface
3.3.2 Température de surface
3.3.3 Profondeur de la couche de mélange
3.3.4 Chlorophylle de surface
3.3.5 Distribution spatiale des champs de proies
3.4 Discussion et conclusion
4 DISPERSION ET CROISSANCE DES LARVES DE S. AURITA
4.1 Simulation de référence (sans limitation de la croissance par l’alimentation)
4.2 Simulations avec limitation de la croissance par l’alimentation
4.2.1 Alimentation sur les diatomées
4.2.2 Alimentation sur le mesozooplancton
4.2.3 Alimentation sur le microzooplancton
4.2.4 Alimentation sur l’ensemble des proies
4.3 Discussion
5 CONCLUSION GENERALE