Depuis plusieurs années, l’analyse 3D du mouvement basée sur des marqueurs cutanés s’est généralisée dans de nombreux domaines comme le sport (critère de performance, risque de blessure…), l’ergonomie (estimation de la pénibilité et de l’inconfort lors de la réalisation d’une tâche) et la clinique (analyse des troubles de la marche, rééducation, orthopédie…). L’objet de l’analyse 3D du mouvement est la compréhension et l’analyse de la cinématique et de la dynamique articulaire au cours du mouvement, cette analyse pouvant aller jusqu’à l’évaluation de forces musculo tendineuses. Ces analyses reposent sur un certain nombre d’hypothèses simplificatrices permettant d’approcher la complexité de l’objet d’étude : le corps humain.
Classiquement, le corps humain est représenté comme un ensemble de segments rigides indépendants ou liés entre eux par des liaisons mécaniques simples (pivot, rotule, joint de cardan) et parfaites (sans raideur ni amortissement). Ces hypothèses sont limitatives mais sont globalement acceptées par la communauté scientifique. Généralement, le mouvement des segments est obtenu en suivant les trajectoires de marqueurs cutanés mesurées à l’aide de systèmes vidéographiques ou opto électroniques. Les trajectoires des marqueurs collés sur la peau d’un segment doivent permettre d’obtenir la cinématique articulaire, à savoir le mouvement relatif des os les uns par rapport aux autres.
Cependant ce type de modélisation a montré ses limites dans la prédiction de la cinématique articulaire et donc des calculs de dynamiques qui en découlent. En effet, plusieurs phénomènes viennent perturber les hypothèses classiques. Tout d’abord, les marqueurs cutanés du fait du glissement de la peau, de la contraction musculaire et des mouvements de masses molles ont un mouvement relatif par rapport aux os : les artéfacts de tissus mou. Ces artéfacts peuvent atteindre plusieurs centimètres. Ce phénomène rend l’hypothèse de corps rigide difficile à soutenir. De plus, les articulations du corps humain sont complexes. Elles sont composées d’un ensemble de surfaces articulaires irrégulières et déformables ainsi que d’un ensemble de structures péri-articulaires qui permettent de mobiliser les articulations, de guider le mouvement et d’assurer la coaptation articulaire. Les actions peuvent être actives (contraction musculaire) ou passives (actions dues aux structures autres que celles des fibres musculaires contractées). L’hypothèse de liaison mécanique simple et parfaite devient elle aussi difficile à soutenir. En regard de ce qui est énoncé ici, il devient alors envisageable d’essayer d’élargir ces hypothèses. Cette thèse aura pour objet de chercher à dépasser ces hypothèses pour obtenir une description la plus fine possible de la cinématique et de la dynamique articulaire, en particulier au niveau du genou.
Différentes solutions ont été proposées jusqu’à présent. Ainsi, concernant la cinématique, des mécanismes parallèles à un degré de liberté modélisant les structures anatomiques (ligaments, contacts articulaires) à l’aide de combinaisons de liaisons mécaniques élémentaires ont récemment été proposés. Ces modèles cinématiques sont utilisés au sein d’optimisations multi-segmentaires dans le but de limiter l’effet des artéfacts de tissus mou et d’introduire des couplages articulaires physiologiques. Cependant, ces modèles ont également leurs limites. Les structures modélisant les ligaments de ces modèles sont des bielles isométriques alors que les ligaments du genou ont une longueur variable durant la flexion. De plus, le fait qu’ils soient isométriques va limiter le nombre de ligaments possible dans les modèles.
Ainsi, la première partie de cette thèse s’attachera à proposer des méthodes permettant d’aller plus loin que les mécanismes parallèles classiques en introduisant des ligaments déformables dans les mécanismes parallèles du genou. Cette partie se concentrera donc sur la cinématique du genou. Dans un premier temps, nous ferons un bilan sur la cinématique articulaire au genou lors d’activités dynamiques en compilant les données de la littérature qui utilisent les méthodes de mesures de la cinématique articulaire les plus précises actuellement : les vis intra-corticales et la fluoroscopie bi-plane. Etant donné que les auteurs utilisent des conventions d’axe différentes, les données seront traitées afin que l’ensemble des résultats soit donné suivant les recommandations de l’International Society of Biomechanics (ISB) pour pouvoir être comparées et servir de référence. Un bilan sera également fait sur la variation de longueur des ligaments du genou au cours de la flexion passive et sous charge pour rendre compte du fonctionnement physiologique de ces ligaments. Après ce bilan sur le fonctionnement physiologique d’un genou sain, les méthodes d’optimisation multisegmentaires et les modèles cinématiques utilisés dans cette thèse seront présentés.
Les modèles cinématiques utilisés dans cette thèse sont composés de deux contacts sphèresur-plan modélisant les contacts fémoro-tibiaux ainsi que de quatre lignes d’actions modélisant les ligaments croisés antérieur (LCA) et postérieur (LCP) et les ligaments collatéraux médial (LCM) et latéral (LCL). Trois modèles géométriques sont utilisés dans cette thèse, un modèle optimisés pour reproduire au mieux la cinématique obtenue partir d’expérimentations sur pièce anatomique, un modèle obtenu à partir d’IRM et un modèle hybride reconstruit à partir de données de la littérature. Trois méthodes d’optimisation seront ensuite utilisées. La première est une méthode d’optimisation multi-segmentaire utilisant un mécanisme parallèle classique. Dans ce cas, les ligaments ont une variation de longueur nulle ce qui correspond à une contrainte stricte. Les ligaments sont alors équivalents à des bielles. Seuls trois ligaments peuvent donc être pris en compte sous peine de bloquer le mécanisme. Les deux méthodes suivantes ont été développées durant la thèse, ce sont des méthodes d’optimisation utilisant la pénalité pour gérer les contraintes ligamentaires. Ainsi, dans la première de ces deux méthodes la variation de longueur ligamentaire n’est plus nulle mais minimisée et dans la seconde, la variation de longueur ligamentaire est prescrite en fonction de la flexion du genou. La méthode de pénalité permet de relâcher les contraintes ligamentaires strictes qui sont classiquement introduites pour l’utilisation des mécanismes parallèles.
L’analyse cinématique du mouvement basée sur les méthodes de suivis de marqueurs cutanés consiste à prédire le mouvement des os à partir de marqueurs fixés sur la peau. Or, du fait du glissement de la peau et de la vibration des masses molles (muscles, masses adipeuses), ces marqueurs ont un mouvement relatif par rapport aux os appelé artéfact de tissus mous (ATM). La réduction des ATM est un des enjeux majeurs de l’analyse du mouvement car ils sont la première cause d’erreurs lors de l’estimation de la cinématique articulaire (Leardini et al., 2005).
L’optimisation multi-segmentaire est une des méthodes cherchant à réduire les ATM qui a été introduite par Lu et O’Connor en 1999 (Lu and O’Connor, 1999) et adaptée ensuite par de nombreux auteurs (Andersen et al., 2009; Charlton et al., 2004; Duprey et al., 2010; Reinbolt et al., 2005). Cette méthode vise à réduire le biais dû aux ATM à l’aide de connaissances à priori de la géométrie ou des couplages articulaires du membre étudié, dans notre cas, le membre inférieur. Une chaîne cinématique modélisant le membre inférieur est définie à priori et sera mobilisée par des contraintes liées aux marqueurs cutanés. La chaîne cinématique correspond à un modèle mathématique représentant un ensemble de segments liés entre eux par des liaisons mécaniques plus ou moins complexes. La méthode d’optimisation multisegmentaire peut être vue comme une marionnette (la chaîne cinématique) mobilisée par des fils élastiques (les contraintes liées aux marqueurs) ou comme un « filtre mécanique » excluant du signal les données ne respectant pas les contraintes liées à la chaîne cinématique. La majorité des auteurs utilisant les méthodes d’optimisation multi-segmentaire prennent en compte des liaisons mécaniques simplifiées (liaison sphérique, pivot ou joint de cardan). Le problème ici est que la cinématique calculée correspondra à la cinématique d’une liaison simplifiée, les couplages articulaires présents à la cheville (Leardini et al., 1999) et au genou (Wilson et al., 2000) ne seront donc pas décrits. De plus, il a été montré. (Andersen et al., 2010; Stagni et al., 2009) que les modèles de liaisons sphériques et de pivots n’étaient pas suffisamment avancés pour décrire précisément la cinématique articulaire à partir de marqueur cutanés.
|
Table des matières
Introduction générale
Partie I : Cinématique du genou : prise en compte des ligaments
Table des figures
Table des tableaux
1 – Positionnement du problème
2 – Bilan sur la cinématique du genou et l’allongement des ligaments
2.1 Cinématique du genou
2.2 Allongement des ligaments
3 – Modèle cinématique et contraintes
3.1 Modèle cinématique optimisé du genou
3.2 Modèles annexes du genou
3.3 Modèle de la cheville
4 – Méthodes d’optimisation multi-segmentaire
4.1 Paramétrage
4.2 Contraintes
4.3 Ligaments isométriques
4.4 Ligaments déformables
4.5 Initialisation
4.6 Cinématique angulaire et variation de longueur des ligaments
5 – Etude de l’influence des contraintes
5.1 Résultats
5.2 Discussion des résultats
6 – Evaluation de la méthode
6.1 Comparaison avec les données de la littérature
6.2 Comparaison du modèle optimisé avec des données de vis intra-corticales issus
d’études ex-vivo et in-vivo
6.3 Conclusion intermédiaire
7 – Etude de l’influence de la géométrie du modèle
7.1 Influence de la configuration des ligaments
7.2 Influence de la géométrie du modèle
7.3 Discussion à propos de la personnalisation
8 – Conclusions relatives aux modèles cinématiques
9 – Références bibliographiques
Partie II : Dynamique articulaire : prise en compte des moments passifs
Table des figures
Table des tableaux
1 Positionnement du problème
1.1 Hypothèse de liaison parfaite et structures passives
1.2 Détermination expérimentale des raideurs passives
1.3 Prise en compte des structures passives dans l’analyse de la marche
1.4 Hypothèses de travail
2 Application à la marche saine
2.1 Choix des modèles
2.2 Influence des actions passives ligamentaires sur les forces musculo-tendineuses
et les forces de réactions articulaires
2.3 Contribution des actions passives aux actions motrices
3 Conclusions relatives aux moments passifs
4 Références bibliographiques
Conclusion générale
Télécharger le rapport complet