L’omniprésence du silicium dans la majorité des dispositifs de l’industrie microélectronique est la preuve irréfutable de la qualité du silicium en tant que matériau utile et indispensable pour la fabrication des composants microélectroniques. Ce succès provient non seulement de son abondance naturelle et de sa facilité d’exploitation, mais aussi et surtout de son oxyde natif, le SiO2, qui lui confère des propriétés avantageuses. Ces propriétés, qui concernent à la fois la planéité et l’absence de défaut, sont uniques et spécifiques à l’interface créée entre le substrat de silicium et son oxyde. Le procédé d’oxydation thermique sèche est la technique la plus utilisée dans l’industrie pour créer cette interface. Il consiste à faire croître directement une couche d’oxyde à partir du substrat de silicium lui-même, en présence d’une atmosphère oxydante sèche entre 800°C et 1200°C. La qualité de cette interface et par la suite les performances et la fiabilité des composants dépendent fortement des conditions d’élaboration de la couche d’oxyde. Le procédé doit donc être minutieusement contrôlé si on veut obtenir de bonnes caractéristiques électriques et un composant fiable.
Depuis près d’un demi-siècle, dans un contexte de performances et d’enjeux économiques et industriels importants, l’évolution du marché des semi-conducteurs a été fulgurante entraînant des applications de plus en plus nombreuses et d’autant plus variées, facilitant et améliorant la vie quotidienne de chacun d’entre nous. L’avancée la plus remarquable, il y a maintenant près de cinquante ans, a été l’électronique intégrée qui a accompagné la naissance de la technologie CMOS (« Compound Metal Oxide Semiconductor »), notamment pour les transistors, permettant aux industriels d’améliorer continuellement les performances des dispositifs tout en diminuant les coûts de production. Cette amélioration constante est en partie due à l’implémentation de toujours plus de transistors dans un même dispositif, tout en conservant ses dimensions. Ainsi, dans le but d’augmenter la densité de transistors sur une même surface, à un rythme imposé par la loi de Moore datant de 1965, leurs tailles et par conséquent celle de chacune de leurs composantes, est en constante réduction. En particulier, l’épaisseur de l’oxyde de silicium utilisée dans les transistors en tant que couche isolante de grille, atteindra l’échelle atomique, en dessous du nanomètre, vers 2010 si la loi de Moore poursuit sa course. Mais pour de telles épaisseurs, les transistors deviennent défaillants, l’oxyde de silicium perdant son rôle d’isolant.
La technologie du silicium
Le silicium peut être considéré comme le matériau régnant, encore aujourd’hui et depuis près de 50 ans, sur le monde de la microélectronique. Il est en fait l’élément principal utilisé pour la fabrication de la majeure partie des composants de la microélectronique. Ses propriétés de semi-conducteur et celles particulièrement remarquables de la facilité de croissance de son oxyde, le SiO2, contribuent considérablement à la multiplication et à l’amélioration des performances des circuits intégrés .
L’utilisation
Le transistor représente à lui seul 70 % des ventes de dispositifs à semi-conducteur dans le monde. Étonnamment, la forme actuelle des transistors, élément majeur essentiel à la réalisation de circuits intégrés et autres microdispositifs, date de 1960. Depuis son invention en 1947, le transistor n’a connu qu’une « réelle » modification : celle de l’apparition des transistors dits de « deuxième génération ». Ces transistors reposent sur la technologie MOS (Métal Oxyde Semi-conducteur) et font partie de la famille des transistors à effet de champ, les MOSFET (FET : Field Effect Transistor). Le premier transistor MOS en silicium utilisant l’oxyde de silicium comme diélectrique de grille faisait déjà son apparition en 1960 et est toujours utilisé tel quel aujourd’hui.
Simplement, le MOSFET fonctionne comme un « interrupteur », permettant au courant de circuler de la source au drain à travers le canal, quand l’électrode de grille (grille) apporte suffisamment de charge. Le champ électrique appelé champ de grille, module le courant dans le canal et contrôle ainsi la conductivité du transistor. L’informatique et les télécommunications sont les plus gros consommateurs de ces composants et sont les domaines pour lesquels les progrès de la microélectronique sont les plus visibles pour chacun d’entre nous. Les transistors sont désormais au nombre de 100 millions dans les microprocesseurs pour un ordinateur ordinaire [3] et ils ne sont pas uniquement utilisés comme tels dans le domaine informatique : les propriétés des transistors MOS sont aussi utilisées en tant que capacités (les capacités MOS), pour le stockage d’informations dans les « mémoires dynamiques à accès aléatoire » (RAM). L’oxyde de silicium n’entre pas seulement dans la composition des dispositifs à base de silicium, mais il est utile et nécessaire tout au long des procédés de fabrication jouant tour à tour le rôle de couche de masque lors de l’implantation ou du dopage, de couche de passivation de surface, de couche d’isolation, de couche sacrificielle, etc.
La fabrication
La principale caractéristique du silicium, conférant à celui-ci des propriétés si remarquables, est son oxyde natif. Les films isolants d’oxyde de silicium, le SiO2, croissent directement à partir du substrat de silicium, sont lisses et presque sans défauts à l’interface. Il nous a paru intéressant de présenter rapidement les techniques industrielles disponibles aujourd’hui pour faire croître un film de SiO2 à partir d’un substrat de silicium afin de mettre en évidence leur nombre, leur diversité et quelques fois leur « simplicité » suivant l’utilisation du film d’oxyde. En effet, du procédé de fabrication utilisé dépendent fortement les propriétés électriques du film de SiO2 formé.
Les objectifs à respecter relatifs à une bonne oxydation sont :
– Un diélectrique de bonne qualité : pour cela, il est essentiel de pouvoir éliminer tous les contaminants issus de l’environnement aussi bien sur le substrat de silicium luimême que dans le matériau utilisé. Par exemple, l’oxyde natif se créant à température ambiante ou les impuretés présentes sur le substrat, doivent être éliminés avant le procédé d’oxydation.
– Une épaisseur contrôlée et désirée : l’épaisseur d’oxyde détermine les propriétés des dispositifs à base de silicium. Il est alors important de pouvoir gérer aisément les paramètres de fabrication. Ces épaisseurs doivent être uniformes et facilement reproductibles d’une plaque à l’autre, afin d’intégrer facilement un procédé industriel.
Pour ces raisons, l’oxydation se réalise en salle blanche sur des substrats (plaques) de silicium parfaitement propres prétraités selon des procédés rigoureux non détaillés ici. Les techniques de croissance sont principalement séparées suivant deux procédés :
– Le procédé d’oxydation à partir d’un substrat placé dans une atmosphère oxydante sèche (O2 sec) ou humide (H2O) à pression atmosphérique, par croissance thermique.
– Le procédé de dépôt, essentiellement par dépôt chimique en phase vapeur (CVD).
Ces deux techniques, l’oxydation thermique et le dépôt par CVD, sont utilisées dans l’industrie. D’autres techniques existent mais restent des techniques de laboratoires comme par exemple l’oxydation anodique, ou des méthodes nécessitant des conditions expérimentales particulières, comme l’ultravide à basse pression ou au contraire des hautes pressions. Elles ne seront pas détaillées ici.
Le procédé d’oxydation
L’oxydation dite « thermique » est le procédé le plus utilisé dans l’industrie [4]. Le principe, assez simple, consiste à chauffer le système pour favoriser le transport des espèces les plus mobiles, La composition de l’oxyde dans ce type de procédé est déterminée par les conditions externes, notamment « l’élément oxydant » responsable de l’oxydation (O2 ou H2O) et par les lois de la thermodynamique. L’oxydation se fait à partir du substrat lui-même, sur sa surface. le substrat initial de silicium est consommé et la couche d’oxyde s’épaissit au cours de l’oxydation. L’interface entre le silicium et son oxyde se déplace donc en profondeur dans le substrat et l’interface se situe alors en dessous de la surface initiale du substrat de silicium. La formation de SiO2 procède dans deux directions par rapport à la surface originale du substrat. L’épaisseur de silicium consommé est de 44 % de l’épaisseur finale de l’oxyde .
Le procédé de dépôt
Ce procédé est utilisé pour créer une couche isolante de masquage sans utiliser ni consommer le matériau du substrat, comme dans le cas où une couche d’oxyde de silicium est obtenue sur une couche de métal. La seule solution est alors de « déposer » l’oxyde. Pour ce faire, il existe des techniques de dépôt chimique en phase vapeur (CVD), des techniques par évaporation thermique ou encore par pulvérisation. Le dépôt, appliqué à l’oxyde de silicium, est le dépôt par CVD, les autres méthodes étant essentiellement destinées aux dépôts de métaux. Le film d’oxyde se forme directement par réaction avec la surface lors de la pyrolyse du silane SiH4 avec l’oxygène. Dans ce cas, une fois le film formé, il n’entre plus en jeu au cours de la croissance. Ce dépôt par CVD se déroule dans un four dans lequel les espèces réagissant sont introduites. Suivant les conditions externes, les propriétés physiques et chimiques du film déposé varient. En effet, des paramètres de température, de pression, de la nature du gaz dépend la morphologie de l’oxyde et par suite ses propriétés électriques.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I Cadre de l’étude
I.1 Problématique générale
I.1.1 La technologie du silicium
I.1.1.1 L’utilisation
I.1.1.2 La fabrication
I.1.2 La miniaturisation
I.1.2.1 L’idée : le « downscaling »
I.1.2.2 La cadence : la loi de Moore
I.1.3 Le silicium : les limites ?
I.1.4 Les solutions
I.2 La modélisation cinétique de l’oxydation thermique
I.2.1 Quelques généralités
I.2.2 Le modèle cinétique de Deal et Grove
I.2.2.1 Le flux à l’interface Gaz/Oxyde, F1
I.2.2.2 Le flux net dans l’oxyde, F2
I.2.2.3 Le flux net à l’interface Si/SiO2, F3
I.2.2.4 Equation de transport
I.2.2.5 Le régime linéaire-parabolique
I.2.3 Les limites du modèle de Deal et Grove
I.2.3.1 – Le « Fast Initial Oxidation Regime »
I.2.3.2 – Le « Steady State »
I.2.4 Les extensions et les révisions du modèle de Deal et Grove
I.3 Vers une compréhension plus fine des mécanismes de l’oxydation
I.3.1 La structure de l’interface
I.3.2 La zone de transition
I.3.2.1 Caractéristiques
I.3.2.2 Epaisseur du sous oxyde
I.3.2.3 Spectroscopie Photoélectronique à Rayons X
I.3.2.4 Spectroscopie InfraRouge
I.3.2.5 Microscopie électronique
I.3.2.6 Conclusion
I.3.3 Le substrat de silicium
I.3.4 Les mécanismes initiaux à faible recouvrement
I.3.4.1 Les sites réactionnels du substrat initial
I.3.4.2 L’adsorption de l’oxygène atomique et moléculaire
I.3.4.3 Les diffusions
I.3.5 L’oxydation couche par couche et la croissance latérale
I.3.6 La décomposition de l’oxyde et la désorption de SiO
I.3.7 Les modèles d’interface à plus fort recouvrement
I.4 Conclusion
Chapitre II Méthodologie
II.1 Les méthodes quantiques à l’échelle nanométrique
II.1.1 L’équation de Schrödinger
II.1.2 Approximation de Born-Oppenheimer
II.1.3 Méthode basée sur la fonction d’onde
II.1.3.1 Principe de la méthode Hartree-Fock
II.1.3.2 Les limites de la méthode Hartree-Fock
II.1.4 Méthode basée sur la densité électronique
II.1.4.1 Les théorèmes de Hohenberg et Kohn
II.1.4.2 Les équations de Kohn et Sham
II.1.5 Les principales approximations
II.1.5.1 L’Approximation Locale de la Densité
II.1.5.2 L’Approximation du Gradient Généralisé
II.1.6 Les pseudopotentiels
II.1.7 Intérêt, succès et limites des méthodes quantiques
II.2 Les méthodes Monte Carlo à l’échelle microscopique
II.2.1 Monte Carlo Metropolis
II.2.2 Monte Carlo cinétique
II.2.3 Avantages et inconvénients des techniques Monte Carlo
II.3 Données expérimentales disponibles à l’échelle macroscopique
II.3.1 Particularité de l’observation de la silanone
II.3.2 Données de spectroscopie infrarouge
II.3.3 Données de Microscopie à Effet Tunnel
II.4 Notre démarche : l’approche multi-échelles
II.4.1 Intérêt d’une approche multi-échelles
II.4.2 Échelle nanométrique
II.4.3 Échelle mésoscopique
II.4.4 Échelle macroscopique
II.4.5 Hiérarchisation
Chapitre III La chimie de l’oxydation thermique
III.1 Nos choix
III.1.1 Paramètres de calculs
III.1.2 Description de la molécule d’oxygène
III.1.3 Simulation de la diffusion et chemin réactionnel
III.1.4 Choix de la surface utilisée
III.2 La chimie de l’oxydation
III.2.1 Adsorption d’une molécule d’oxygène sur un substrat propre de silicium : le mécanisme initiateur de l’oxydation
III.2.1.1 Mode opératoire
III.2.1.2 Résultats
III.2.1.2.1 Positions initiales de la molécule d’oxygène
III.2.1.2.2 Structures finales
III.2.1.2.3 Paramètres énergétiques
III.2.1.2.4 Largeur du canal de réaction
III.2.1.2.5 Les effets de spin
III.2.1.3 Bilan sur le mécanisme d’arrivée
III.2.1.3.1 Sites réactionnels
III.2.1.3.2 Structures résultantes
III.2.1.3.3 Stabilité des structures
III.2.2 L’arrachage et la décomposition de l’oxyde
III.2.2.1 Mode opératoire
III.2.2.2 La désorption de la molécule SiO volatile
III.2.2.2.1 Si1+ : un atome d’oxygène en brin
III.2.2.2.2 Si2+ : un atome d’oxygène en brin et un second dans une liaison dimère
III.2.2.2.3 Si2+ : un atome d’oxygène en brin et un second inséré dans une liaison arrière Si-Si
III.2.2.2.4 Bilan
III.2.2.3 La décomposition de l’oxyde : les cas Si3+ et Si4+
III.2.2.3.1 Si3+ : un atome d’oxygène en brin, un en liaison arrière et un en liaison dimère
III.2.2.3.2 Si3+ : un atome d’oxygène en brin et deux atomes d’oxygène insérés dans deux liaisons arrières
III.2.2.3.3 Si4+ : un atome d’oxygène en brin, un atome d’oxygène en dimère et deux atomes d’oxygène insérés dans chacune des liaisons arrières
III.2.2.4 Conclusion
III.2.3 Incorporations, diffusions de l’atome d’oxygène sur la surface
III.2.3.1 Incorporation d’un atome d’oxygène en position de brin
III.2.3.1.1 Incorporation dans le dimère
III.2.3.1.2 Incorporation dans une liaison arrière
III.2.3.1.3 Incorporation dans une position pontante entre deux dimères
III.2.3.1.4 Conclusion
III.2.3.2 Les diffusions de surface
III.2.3.2.1 La diffusion de liaison arrière en liaison arrière dans le rail de dimères
III.2.3.2.1.1 Diffusion de liaison arrière en liaison arrière par un chemin direct
III.2.3.2.1.2 Diffusion de liaison arrière en liaison arrière par une position intermédiaire
III.2.3.2.2 La traversée du canal
III.2.3.2.2.1 La traversée du canal via un intermédiaire positionné au centre du canal
III.2.3.2.2.2 La traversée du canal à l’aide de « sauts » de liaison Si-Si en liaison SiSi
III.2.3.3 Bilan sur les incorporations et les diffusions
III.2.4 La structure silanone
III.2.4.1 Chemin réactionnel théorique vers la structure silanone
III.2.4.2 Simulation du recuit
III.2.4.3 La silanone : structure incontournable dans le processus d’oxydation
III.2.4.4 Validation expérimentale par microscopie à effet tunnel
III.2.5 Les premières esquisses de la germination de l’oxyde
III.2.5.1 Choix de la surface préoxydée
III.2.5.2 Transferts de charge
III.2.5.3 Arrivée d’une deuxième molécule d’oxygène
III.2.5.3.1 Résultats
III.2.5.3.2 La conversion de spin
III.2.5.3.3 Bilan
III.2.5.4 La germination de l’oxyde : les diffusions vers une structure hexagonale
III.2.5.4.1 Exploration statique
III.2.5.4.1.1 Structures possédant trois atomes d’oxygène
III.2.5.4.1.2 Structures possédant quatre atomes d’oxygène
III.2.5.4.1.3 Importance de la position pontante entre deux dimères adjacents pour le processus d’oxydation
III.2.5.4.1.4 Noyaux d’oxydes identifiés
III.2.5.4.2 Aspect migratoire
III.2.5.4.2.1 Chemin migratoire 1
III.2.5.4.2.2 Chemin migratoire 2
III.2.5.5 Bilan
III.3 Conclusions
Conclusion générale