La redistribution de la pluie par un couvert végétal peut avoir non seulement un impact considérable sur le transfert de solutés et de matière dans le sol, mais aussi sur la prolifération de maladies, par dispersion de spores dans le feuillage, en raison des flux d’eau et des éclaboussures générés sous le couvert et en son sein. En effet, la pluie interceptée est redistribuée en deux types de flux, le stemflow localisé sur le tronc ou la tige principale et le throughfall réparti sous le feuillage, tous deux tributaires de l’architecture du couvert. Au cours de l’interception, de fines gouttelettes d’eau sont projetées par éclaboussures (splash), pouvant entraîner alors les spores au fur et à mesure dans le feuillage. En conséquence, l’étude des processus d’interception est essentielle, d’une part pour mieux prédire le devenir des produits agro-chimiques et leur impact sur l’environnement et la santé humaine, et d’autre part pour mieux comprendre l’occurrence de maladies par dispersion de spores dans le couvert.
Ces risques sont particulièrement élevés en milieu tropical marqué par une forte pluviométrie car ces flux préférentiels peuvent lessiver les engrais et les produits phytosanitaires utilisés en culture intensive et entraîner leur ruissellement ou infiltration en profondeur dans les sols. En effet, en Guadeloupe, la culture bananière sur la Basse-Terre se développe essentiellement sous une pluviométrie variant entre 2.5 et 4.5 m de pluie/an. Cependant, elle peut être limitée par la disponibilité en nutriments, ainsi que par des pathogènes et des prédateurs tels que les nématodes, les charançons, les champignons et les rats. En culture intensive, la recherche de rendements élevés se fait en approvisionnant la plante en minéraux par l’apport massif d’engrais NPK (nitrate, phosphate et potassium), soit 400 kg/hectare/an d’unité d’azote, et en luttant contre les maladies et les prédateurs par l’apport de pesticides (18 kg/hectare). L’efficacité de ces méthodes réside essentiellement dans la rémanence des intrants dans les parcelles. Aussi, afin de pallier leur lessivage, d’importantes quantités sont apportées et leur stabilité chimique a été renforcée. Des études préliminaires sur les flux d’eau générés sous bananeraie en Guadeloupe, travaux effectués par l’INRA en collaboration avec le CIRAD, ont mis en évidence l’importance du stemflow. Ce flux le long du pseudo-tronc du bananier, constitué par l’eau écoulée sur les feuilles, se concentre au pied du bananier, zone où sont épandus en totalité les fertilisants et la majeure partie des produits phytosanitaires, facilitant leur lessivage. De plus, le throughfall, comprenant des gouttes gravitaires (grosses gouttes de taille supérieure à celle des gouttes incidentes), peut provoquer le détachement de fines particules de sol (Moss et Green, 1987), du fait de leur fort potentiel érosif, puis la formation d’une croûte étanche à la surface du sol (Shainberg et al., 1992), facilitant ainsi le ruissellement. Les écoulements le long des feuilles accompagnés de splash peuvent également constituer des vecteurs de propagation de champignons sur les bananiers puisque certaines études menées en Afrique et au sud-est asiatique, ont montré que la Cercosporiose du bananier se développait principalement par dispersion des ascospores et conidies par lessivage et par splash (Marin et al., 2003; Coste et al., 2004).
L’architecture du bananier confère à la plante un caractère fortement redistributif de la pluie en raison des larges feuilles qui sont érigées lorsqu’elles sont émergentes, favorisant l’approvisionnement du stemflow, et planophiles lorsqu’elles sont plus âgées, facilitant la protection du sol. Il est donc important de comprendre les mécanismes de redistribution de la pluie, de quantifier et localiser les flux potentiels présentant un risque de lessivage et d’infiltration des intrants dans les sols, en étudiant l’impact de l’architecture des plantes sur ces flux. Dans ce cadre, l’objectif général de nos recherches est de produire des connaissances indispensables pour l’évaluation des risques liés aux pratiques actuelles et permettant de tester les techniques correctrices d’épandage d’intrants plus respectueux de l’environnement.
Le modèle ainsi amélioré permet de simuler les mécanismes qui peuvent provoquer le lessivage des produits agro-chimiques et l’érosion des sols. L’approche de modélisation qui est proposée dans ce mémoire est innovante car, contrairement à la plupart des modèles d’interception (modèle de Gash, de Rutter ou Wimo (Rutter et Morton, 1975; Gash, 1979; Hormann et al., 1996)), elle aborde les phénomènes à l’échelle de la surface élémentaire de feuille (quelques centimètres carrés), qui jusque là a peu été étudiée (Calder, 1986). Nous avons dû, pour cela, distinguer deux types de pluie : la pluie primaire (pluie incidente audessus des plantes) et la pluie secondaire (les égouttages) constituant toutes deux le throughfall. Le travail a nécessité les étapes suivantes :
• L’implémentation des modifications du code du modèle pour son amélioration et son adaptation au bananier.
• La mise au point de techniques de mesure permettant d’étudier les processus locaux d’interception (stockage, splash, évaporation et transmission).
• L’établissement des lois d’écoulement en fonction des propriétés des surfaces (inclinaison, flexibilité et mouillabilité) et de celles des gouttes d’impact (diamètre, énergie cinétique relative aux vitesse et hauteur de chute) afin de les introduire dans le modèle.
• La généralisation du modèle à un ensemble de bananiers en interaction et son évaluation en parcelle.
Nécessité de la connaissance du devenir des intrants en bananeraie
Le bananier
Le Bananier est une monocotylédone qui se développait, dans son berceau d’origine, sous couvert forestier en milieu tropical humide. De ce fait, il a besoin pour sa croissance d’humidité et de peu d’ensoleillement. Une pluviométrie minimale de l’ordre de 100 à 150 mm par mois et une température moyenne de l’air de 25°C sont les conditions propices à son développement. Le bananier est constitué d’un bulbe (le rhizome) d’où partent des gaines foliaires imbriquées, assemblées en pseudo-tronc et terminées par des feuilles. Elles s’amincissent dans leur partie supérieure pour former chacune un pétiole terminé par un très large limbe. Les feuilles comportent une nervure centrale qui sépare le limbe en deux parties allongées presque symétriques. Elles apparaissent au sommet du pseudo-tronc, à l’intérieur des gaines des feuilles préalablement développées, leur nombre pouvant aller jusqu’à 30. Une fois la dernière feuille émise, le développement végétatif cesse et une inflorescence, appelée hampe, apparaît. La hampe, dont l’extrémité est un bourgeon terminal, est constituée de plusieurs étages florifères, appelés mains, apparaissant le long du rachis. Ces étages sont composés, dans leur première partie, de fleurs femelles produisant des fruits, tandis que leur partie terminale jusqu’au bourgeon, est constituée de fleurs mâles qui ne vivent que quelques heures après leur apparition .
Le bulbe du bananier donne des ramifications latérales qui sortent de terre à sa périphérie : ce sont des rejetons ou rejets. Le bananier est cultivé en cycles variant de 8 à 12 mois selon la température moyenne ambiante et démarrant à la coupe du pied mère après totale floraison, puis récolte et développement d’un de ses rejetons préalablement sélectionné. La bananeraie en culture intensive perdure environ 4 cycles mais certaines bananeraies, les bananeraies pérennes, peuvent subsister jusqu’à 50 ans.
Le bananier a des besoins édaphiques très particuliers pour son développement. En effet, ses racines qui ont un pouvoir de pénétration faible, sont plus fines et irrégulières en présence d’un sol compact. A l’inverse, dans des sols sablo-argileux ou sablo-limoneux, elles sont bien aérées : leur architecture montre d’abondantes racines moyennes à grosses pouvant descendre jusqu’à 60 cm de profondeur (Lecompte, 2002). Elles sont principalement réparties dans la couche supérieure du sol : 80 à 90% des racines se trouvent entre 0.2 et 0.3 m de profondeur (Champion, 1963). En ce sens, un sol aéré et poreux est nécessaire pour un bon développement des racines. La plante nécessite également pour son développement un sol riche en azote et en potassium : compte tenu des pertes par lessivage, un apport de près de 400 Kg/ha d’azote et 1500 Kg/ha de potassium est requis pour un rendement de 50 T/ha (Dorel, 2001). Elle est peu sensible au pH des sols (de 4.5 à 8.0) et tolère en particulier l’aluminium habituellement toxique dans les sols acides. L’extension racinaire en surface est limitée par des nématodes (parasites), principalement les Radopholus similis, et des insectes appelés charançons (Cosmopolites sordidus) qui attaquent les racines et le bulbe du bananier, causant des nécroses racinaires.
Architecture et flux d’eau sur le bananier
L’architecture du bananier est fortement redistributive de l’eau de pluie en raison de ses larges feuilles qui sont érigées verticalement pour les plus récentes et horizontales pour les plus anciennes. La pluie redistribuée au sol est composée du stemflow (flux le long du pseudo-tronc) et du throughfall, flux constitué à la fois de l’eau interceptée par les feuilles puis redistribuée au sol par égouttage et de la pluie incidente passant à travers le feuillage. Les pluies observées en Guadeloupe sont caractérisées par des intensités ne dépassant généralement pas 30 mm.h-1 (Asselin de Beauville et al., 1988; Cattan et al., 2005) et des diamètres médians (D50) de goutte de l’ordre de 2 mm (Asselin de Beauville et al., 1988; Choisnard, 2000). Les gouttes issues du throughfall sont des gouttes gravitaires (de diamètre supérieur à celui des pluies incidentes) dont le diamètre médian varie en fonction de la position des égouttages sur le limbe. La mesure des diamètres d’égouttages sous les bananiers placés sous simulateur de pluie (Deltalab), a en effet montré que la taille des gouttes variait entre 5.5 et 6.9 mm (Figure 1.2), selon qu’elles étaient émises à partir d’un bord, d’un bout ou d’une déchirure de feuille (Sansoulet, 2002). Les gouttes de throughfall peuvent être émises à des hauteurs élevées dans la mesure où, à l’âge adulte, certaines variétés de bananiers peuvent atteindre une hauteur de 8 m. De ce fait, ces gouttes gravitaires génèrent des énergies cinétiques importantes contribuant au phénomène d’érosion. A ce jour, seul le volume de pluie redistribué en throughfall sous bananier a été étudié. La connaissance de la répartition du throughfall en fonction de la distance au tronc du bananier, qui permettrait de localiser les zones à risque d’érosion sous la couronne foliaire, reste donc un domaine à découvrir.
Les études menées par Jimenez et Lhomme (1994) ont montré que le stemflow représente près de 10% de la pluie incidente sur un bananier. Il augmente avec l’indice de surface foliaire (LAI), représentant jusqu’à 30 fois la pluie incidente (Nouvellon, 1999; Cattan et al., 2005). Pour des parcelles de bananiers de variété « Grande Naine », plantées avec une densité de 1800 pieds/ha et un écart entre pieds de 2.35 m × 2.35 m, les hauteurs d’eau de stemflow peuvent représenter jusqu’à 52 fois la pluie incidente, avant le stade de floraison des bananiers et jusqu’à 82 fois la pluie incidente, dans le cas de parcelles avec régimes (Nouvellon, 1999).
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1 Synthèse bibliographique
1.1 Nécessité de la connaissance du devenir des intrants en bananeraie
1.1.1 Le bananier
1.1.2 Architecture et flux d’eau sur le bananier
1.1.3 Quels sont les risques environnementaux en bananeraie ?
1.2 Interception de la pluie par les végétaux
1.2.1 Les pertes par stockage et évaporation au cours de l’interception
1.2.2 Les facteurs qui influent sur l’interception de la pluie
1.2.3 Calcul du bilan hydrologique du couvert
1.3 Etude du fonctionnement des végétaux par la modélisation
1.3.1 Etude des interactions entre les plantes et leur environnement
1.3.2 Approches modulaires et représentation 3-D des plantes
1.3.3 Méthodes d’enregistrement 3-D des architectures
1.4 Modèles informatiques et approches 3-D
1.4.1 Langages informatiques pour l’étude de la croissance des plantes
1.4.2 De l’approche 1-D à 3-D pour l’étude des échanges avec l’environnement
1.4.3 Les modèles d’interception de la pluie
Chapitre 2 Matériels et méthodes
2.1 Les dispositifs expérimentaux
2.1.1 La digitalisation des architectures
2.1.2 La simulation de pluie et la mesure des distributions de pluie au sol
2.1.3 Etude de l’interception locale de la pluie
2.1.4 Expérimentations pour l’amélioration des dispositifs expérimentaux
2.2 Présentation du modèle DROP
2.2.1 Description du modèle
2.2.2 Principe de fonctionnement du modèle
2.2.3 Comparaison des cartographies de distribution de pluie mesurées et simulées
2.3 Améliorations apportées au modèle DROP
2.3.1 Récapitulatif des améliorations portées
2.3.2 Modélisation des phénomènes locaux d’interception
2.3.3 Reconstitution d’une plante enregistrée dans plusieurs repères 3-D
2.3.4 Amélioration de la représentation de l’architecture
2.3.5 Calcul des surfaces foliaires
2.3.6 Application du modèle à plusieurs plantes
Chapitre 3 Résultats expérimentaux et lois d’interception
3.1 Evaluation de la fiabilité des dispositifs expérimentaux
3.1.1 Introduction
3.1.2 Evaluation de la simulation de la pluie
3.1.3 Evaluation de la sensibilité de la digitalisation
3.1.4 Discussion
3.2 Lois d’interception
3.2.1 Introduction
3.2.2 Capacité de stockage
3.2.3 Le splash
3.2.4 Hauteur maximale du splash
3.2.5 Mesure de la proportion d’eau transmise en throughfall
3.2.6 Modélisation des lois d’interception
Chapitre 4 Evaluation du modèle DROP
4.1 Evaluation du modèle architectural
4.1.1 Introduction
4.1.2 Capacité de DROP-TRI à décrire les surfaces foliaires du bananier
4.1.3 Discussion
4.2 Evaluation de DROP-INT pour la simulation des écoulements de pluie
4.2.1 Introduction
4.2.2 Capacité de DROP-INT à simuler les écoulements sous un bananier
4.2.3 Discussion
Chapitre 5 Applications du modèle DROP
5.1 Localisation des zones d’écoulement préférentiel sous bananier
5.1.1 Introduction
5.1.2 Simulation des énergies cinétiques et des débits sous bananier
5.1.3 Discussion
5.2 Simulation des écoulements sous des bananiers en interaction
5.2.1 Introduction
5.2.2 Surfaces interceptrices de bananier, avec et sans interaction d’autres bananiers
5.2.3 Effets de l’interaction entre bananiers sur les distributions de pluie
5.2.4 Effets des interactions entre bananiers sur les énergies cinétiques et les débits de pluie
5.2.5 Comparaison des répartitions des écoulements simulés et mesurés au champ
Conclusions
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