Les enjeux d’innovation et de renouvellement de l’identité des objets sont multiples
Les sociétés de l’industrie manufacturière réalisent la plupart de leurs profits en vendant des produits ayant moins de trois ans d’existence. Une des conséquences de ce rythme d’innovation intensif est le besoin d’une capacité d’innovation répétée, soit par le renouvellement constant de produits existants, soit par la création de nouveaux ([66]). Après une décennie de développement principalement concentrée sur des extensions de produits et l’obtention de succès rapides, la quête de « l’idée de génie », ou de l’innovation de rupture est devenue un besoin vital de gestion ([23]). La multiplication de produits aux capacités jusqu’alors inconnues (comme l’iPhone en 2007 ) et introduisant de nouvelles interfaces suscite une demande sociale croissante pour des innovations capables d’intégrer des impératifs d’ergonomie, d’usage, et d’expérience utilisateur. Gérer ce type d’innovation requiert des capacités, des processus et des outils spécifiques afin de garantir que celle-ci ne restera pas «orpheline» ([2]).
Les designers industriels disposent de méthodes de créativité reconnues
Les designers industriels sont identifiés comme particulièrement créatifs
En parallèle, un grand nombre d’études académiques souligne le fait que, au sein de contextes créatifs, le design industriel est essentiel pour déclencher, nourrir et soutenir l’innovation ([79, 111]). Berkowitz ([5]) indique également que le design industriel contribue à la performance des sociétés de manière mesurable. Les compagnies investisent de plus en plus dans le design et impliquent des agences spécialisées en innovation dans leurs processus de conception ([83]). Les journaux académiques publient de nombreux articles qui explorent les contributions du design au développement de produits et à la performance des entreprises ([41, 53]). Le Journal of Product Innovation Management, a consacré deux «special issues» à l’étude de la relation entre design industriel et innovation de produit, et en particulier aux interactions entre marketing et design ([56, 57]). Cependant, selon une citation de Steve Jobs dans Business Week, la créativité reposerait seulement sur la capacité à mettre des connaissances en connexion. En effet, «lorsque vous demandez à des gens créatifs comment ils ont fait telle ou telle chose, ils se sentent un peu coupables parce qu’ils n’ont pas vraiment fait quelque chose, [ils ont simplement] été capables de connecter des expériences qu’ils ont eues et de les synthétiser sous une nouvelle forme». Si la créativité est un simple coup de chance, comment la rendre accessible ? Afin de parvenir à innover, les entreprises désireuses de s’arroger les compétences de concepteurs créatifs ont essentiellement recours à deux solutions. D’un côté, se sont développés de nombreux séminaires, ateliers ou formations proposant l’acquisition rapide de certaines des méthodes utilisées par des grandes figures de l’innovation. D’un autre côté, les designers industriels étant aussi identifiés comme créatifs, il paraît souhaitable de pouvoir les intégrer au sein des équipes de recherche et développement afin qu’ils participent au processus de conception et augmentent ses capacités d’innovation. Les designers industriels possèdent en effet des méthodes spécifiques qui les conduisent à produire des innovations. Toutefois, une telle réussite est conditionnée par un aménagement des conditions de travail de ces professionnels au sein d’un environnement approprié. Par ailleurs, les deux cas indiqués précédemment révèlent une information cruciale : l’accès à l’innovation repose ainsi sur des méthodes particulières. Quelles sont donc les méthodes qui permettent d’être créatif en milieu industriel ?
Il existe une grande variété de méthodes favorisant la créativité
Derrière le «mythe» de la créativité, la littérature identifie plus précisément une multiplicité de techniques. Cependant, précisons dès à présent qu’une gageure décisive est que ces techniques ne semblent pas pouvoir se plier à tous les processus, surtout lorsque ceux-ci sont industriels. Certains chercheurs ([24]) indiquent ainsi que les problèmes de conception sont distincts de ceux rencontrés par les scientifiques, mathématiciens ou chercheurs. Ces problèmes ont des particularités spécifiques qui les rendent mal définis et structurés, voire même mal posés ([88]). Toutefois, ces analyses ne sont pas partagées par l’ensemble de la communauté s’intéressant à ces questions. Citons notamment Verganti (2009) qui indique qu’il est possible de traiter la conception avec une méthodologie similaire à celle des autres disciplines scientifiques. En parallèle, des efforts significatifs ont été opérés par la littérature récente en matière de conception concentrée sur la recherche d’une approche spécifique au design industriel généralement appelée « design centré sur les usages » ([110, 19, 113]). Cette approche, sous le feu des projecteurs, particulièrement grâce au succès d’agences de design majeures, telles que IDEO ([60]) ou Continuum ([71]), implique que la conception de tout produit doit être initiée par une phase détaillée d’analyse des besoins des clients.
Brown ([14]) suggère que le « design thinking » est une méthode qui réunit de façon transverse l’intégralité des types d’innovation avec une philosophie basée sur le « human centered design ». Cet article propose une décomposition du processus de conception en trois phases, « inspiration », « ideation » et «implémentation ». Selon Dym et al. ([33]), plusieurs dimensions du «designthinking» expliquent pourquoi la conception est difficile à apprendre et à enseigner. Ces difficultés étaient déjà au centre des préoccupations lorsqu’il s’agissait de déterminer quels devaient être les enseignements de l’école du Bauhaus qui est souvent considérée comme la première école de design industriel au monde ([32]). Des débats similaires ont agité l’école d’ULM ([6]). Bien plus, pour Buxton ([16]), un processus de conception idéalisé serait «une traîtrise» car il serait non seulement d’une valeur médiocre, mais également difficilement descriptible. Cette troublante conclusion ne l’empêche pas de proposer que la phase de conception créative doit être achevée avant de commencer celle d’ingénierie, et de suggérer un processus de conception accessible dans sa globalité aux designers industriels. Dans son livre, il ajoute que l’activité archétypale de la conception est le «sketching», qui donne accès au «design thinking » mais également à l’apprentissage de la conception.
Les modalités d’intégration des designers industriels dans les processus industriels sont indéterminées
Les moyens à mettre en œuvre pour intégrer les designers industriels restent obscurs et les solutions actuellement proposées sont limitées. Historiquement, les designers industriels ont toujours été difficiles à intégrer dans le processus de conception industriel standardisé des ingénieurs, et ce dès l’apparition de la profession ([70]). En effet, les designers industriels sont encore considérés commeincompris et mystérieux ([98]). Leur collaboration avec lesautresprofessions de concepteurs, tels que les gestionnaires de projets et les ingénieurs est notamment complexifiée par de fortes différences de langage de conception ([114, 76]). Lafin ainsi que les moyens que les designers industriels mobilisent pour réaliser ce qu’ils considèrent comme une conception réussie et le type d’innovationqu’ils visent sont également très variés des autres concepteurs ([86, 76]).Se pose ainsi une première question de recherche, comment faire pour intégrer les designers industriels ainsi que leurs méthodes de création sans dégrader leur performance en innovation ?
Une approche reposant sur les outils de la conception numérique pour les designers industriels créatifs
Les dimensions connexes à notre recherche doctorale qui ne seront pas traitées
Afin de traiter la question de l’intégration des designers industriels, nous concentrons notre étude des outils numériques employés au cours des processus de conception. Cette intégration complexe, et dans un contexte plus large de l’assimilation de concepteurs créatifs, est rendue difficile par la confusion des activités et des débats sur les professions. Il faut bien noter que nous optons pour l’étude de l’intégration des designers industriels dans les processus de conception industrielle. Cependant, il ne s’agit pas d’une thèse sur la profession de designer industriel. En effet, depuis quinze ans, les entreprises industrielles tentent de les intégrer sans succès dans les suites de conception numériques. Nous estimons qu’une nouvelle approche orientée outils est pertinente. Il s’agit donc pour nous de ne pas :
>Traiter la problématique de l’intégration par la voie professionnelle. Cette approche est centrée sur la structuration de la profession des designers industriels et la place qui doit leur être attribuée dans les processus de conception. Nous ne nous pencherons pas non plus sur une définition de cette profession par ses périmètres d’action, comme c’est parfois le cas au sein de la littérature, lorsque les designers industriels sont identifiés comme spécialisés dans les usages, l’ergonomie ou encore l’apparence des produits qu’ils conçoivent.
>Sonder la complexité de cette profession multi-facette de designers au sens français du terme. Des dizaines de formations, écoles et spécialités coexistent sous des appellations très proches, recouvrant des activités diverses évoluant régulièrement. Nous ne décortiquerons pas les différentes formations qui sont ainsi proposées ainsi que le détail des enseignements offerts. Les designers appartenant aux catégories graphistes et artistiques ne seront pas traités.
>Analyser les concepteurs créatifs ayant d’autres méthodes, tels que les ingénieurs, les artistes 3D ou les architectes. Ces autres professions disposent elles aussi de méthodes, formations et outils spécifiques qui ne sont pas inclus dans l’étude proposée au sein de cette thèse.
>Evoquer les concepteurs créatifs n’ayant pas de méthode établie. Ces concepteurs appartenant au milieu artistique sont parfois comparés à des designers industriels « stars». En effet, ils modifient drastiquement les organisations dans lesquelles ils interviennent ponctuellement en imposant leurs méthodes, sans se préoccuper d’une éventuelle intégration.
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Table des matières
Introduction
1 Les designers industriels créatifs à méthode doivent être intégrés dans les processus industriels de conception
1.1 Les enjeux d’innovation et de renouvellement de l’identité des objets sont multiples
1.2 Les designers industriels disposent de méthodes de créativité reconnues
1.2.1 Les designers industriels sont identifiés comme particulièrement créatifs
1.2.2 Il existe une grande variété de méthodes favorisant la créativité
1.3 Les modalités d’intégration des designers industriels dans les processus industriels sont indéterminées
2 Une approche reposant sur les outils de la conception numérique pour les designers industriels créatifs
2.1 Les dimensions connexes à notre recherche doctorale qui ne seront pas traitées
2.2 Les processus de conception peuvent être enrichis par les capacités et méthodes des designers industriels
2.3 Une méthodologie qui exploite la richesse des outils numériques de conception
2.3.1 Pour intégrer les méthodes des designers industriels, la compréhension et l’analyse de leurs outils sont nécessaires
2.3.2 La littérature organisationnelle considère le sujet des outils comme ancien et opérationnel
2.3.3 Les outils des designers industriels sont un sujet brûlant de la littérature des outils numériques
2.3.4 Les outils numériques de conception produisent des données riches et exploitables pour la recherche académique
2.4 Le thème de recherche de ce travail doctoral
3 Un nouveau cadre analytique pour une modélisation affinée des processus de conception numérique
3.1 Introduction au modèle séquentiel
3.2 L’hégémonie des processus séquentiels dans la conception industrielle
3.2.1 Les avantages de ce modèle séquentiel pour l’industrie sont nombreux
3.2.2 Le processus séquentiel permet également une juxtaposition des phases créatives et de développement industriel
3.2.3 Cette segmentation entraine des critiques de la part des designers industriels
3.2.4 Le design gap est un épineux problème de la juxtaposition
3.3 Le modèle séquentiel se fonde sur certaines hypothèses simplificatrices
3.3.1 Hypothèse1
3.3.2 Hypothèse2
3.3.3 Hypothèse3
3.4 Un nouveau modèle est nécessaire, pour proposer des hypothèses différentes
4 Un cadre ainsi qu’une méthode de type recherche-intervention
4.1 Les théories de la conception fournissent un cadre théorique pour traiter des questions d’innovation
4.2 Dassault Systèmes est le partenaire idéal pour conduire des expérimentations
5 Résultats attendus
5.1 Partie II : Un nouveau modèle des outils numériques de conception
5.1.1 Problématique et enjeux
5.1.2 Méthodologie implémentée
5.2 Partie III : des ateliers capables de proposer simultanément robustesse et générativité
5.3 Partie IV : des processus de conception renouvelés qui exploitent la créativité des concepteurs
5.4 Partie V : de nouveaux outils numériques pour les designers industriels
Conclusion