Modèles de fragilisation par l’hydrogène
Cette partie est dédiée à la présentation des modèles de la fragilisation par l’hydrogène proposés dans le cadre de la corrosion sous contrainte :
– Adsorption-Induced Localised-Slip Model (Lynch)
– Hydrogen-Induced Plasticity (Birnbaum)
– Decohesion .
L’objectif est d’introduire les mécanismes impliquant l’hydrogène sans entrer dans les débats sur les mérites de tel ou tel modèle. Deux articles de revue sont utilisés comme base pour cette présentation. Ils sont tirés du proceeding Corrosion Deformation Interactions [CDI, 1996] pour les auteurs Lynch [Lynch, 1996] et Birnbaum [Birnbum et al., 1996].
Le modèle de Lynch s’intéresse à l’effet de l’adsorption de l’hydrogène en pointe de fissure. Le schéma de ce modèle est présenté sur la figure 1.1. L’hydrogène adsorbé en surface ou en sous-couche abaisse la barrière pour la localisation du cisaillement et des dislocations sont émises directement depuis la pointe. Dans son modèle original, l’émission a lieu de manière alternée sur des plans symétriques de part et d’autre du plan de la fissure. Cela engendre une avancée et une ouverture de la fissure. Pour rendre compte de la finesse de la fissure fragile, cette dernière doit aussi avancer par coalescence avec des nano-cavités qui se forment en avant de la pointe. L’auteur n’avance pas de mécanisme précis pour la formation de ces cavités mais il emprunte à d’autres modèles : elles pourraient nucléer quand la plasticité est suffisamment intense (rupture ductile très localisée), ou quand des lacunes sont produites (à l’intersection de deux systèmes de glissement actifs) et se condensent.
Pour adapter son modèle à la corrosion sous contrainte, Lynch fait intervenir des mécanismes présents dans d’autres modèles :
– La dissolution au niveau de l’émergence du glissement génère des lacunes qui peuvent adoucir une zone en avant de la pointe de la fissure (modèle de Magnin).
– Le glissement peut être facilité et localisé par l’hydrogène absorbé (Birnbaum) et, éventuellement, entraîner du transport d’hydrogène par les dislocations.
– La condensation de lacunes produites par la dissolution anodique en fond de fissure (Andrieu, à haute température) peut contribuer à la formation de micro cavités.
– L’interaction de la fissure principale avec la zone plastique formée par les inclusions micrométriques en avant de la pointe peut aussi être un facteur important, par exemple dans les aciers.
Birnbaum [Birnbum et al., 1996] a proposé un modèle basé sur l’intensification de la plasticité en avant d’une fissure (HELP : 88Hydrogen Enhanced Localized Plasticity′). Il s’applique aux systèmes métal-hydrogène qui ne forment pas d’hydrures (Nb, Ti, Zr …), sous contrainte. Il est fondé sur des observations expérimentales à une échelle fine : ce qui apparaît être un faciès fragile à l’échelle de quelques microns (par exemple au MEB) peut provenir d’une plasticité intense très localisée, vue en MET, et ne peut être attribué à du clivage. Il a aussi montré que l’hydrogène joue sur les propriétés élémentaires des dislocations : l’augmentation de la vitesse quand la mobilité est un phénomène activé (par σ ou T) (Fe cc) ; ou l’écrantage des interactions élastiques (cfc). Dans le cas des lames minces, l’auteur constate une localisation de la plasticité et la rupture par un mécanisme ductile local, dans une zone adoucie par l’hydrogène en solution solide (par opposition à un durcissement supposé par la précipitation d’hydrures dans les systèmes où ils peuvent être stabilisés par la contrainte). L’avancée de fissure a lieu par coalescence de cavités, que l’hydrogène soit présent ou non. Elle intervient, dans le cas avec hydrogène, pour des niveaux de contrainte plus faibles, une plasticité plus localisée et plus intense. Ce mécanisme est responsable de la propagation transgranulaire et intergranulaire (en particulier dans Ni). Dans ce cas, la fissure évolue parallèlement au joint, mais pas directement le long du joint. L’auteur précise néanmoins que la décohésion intergranulaire existe bien dans des cas où il y aurait co-ségrégation d’hydrogène et d’autres solutés (S dans Ni par exemple).
Le HELP est illustré par une image MET (fig. 1.3) post-mortem, empruntée à un autre groupe [Engelmann et al., 1996]. Il s’agit d’un alliage 600 (73 % massique de Ni) pré-chargé en hydrogène sous polarisation cathodique. L’allongement à rupture passe de 12 % à 3 % et la plasticité est localisée en bandes quand l’hydrogène est présent. La rupture, transgranulaire sur des éprouvettes épaisses, a lieu le long de bandes de glissement intense par la formation et la coalescence des cavités provenant du cisaillement des ligaments entre cavités. Un autre exemple (fig. 1.4) est celui de la rupture intergranulaire le long des joints de grains dans Ni + S + H. Même s’il s’agit de décohésion, il y a une activité plastique à la pointe de la fissure, ainsi que l’émission de petites boucles tout le long de l’interface.
Enfin, Birnbaum laisse plusieurs problèmes ouverts à la fin de sa revue du HELP, qui sont repris ici :
1. Par quel mécanisme la plasticité localisée à l’avant de la fissure provoque-t-elle une rupture : nucléation de cavités, mécanisme de Stroh ou des mécanismes encore inconnus ?
2. Comment la présence de l’hydrogène déclenche-t-elle la localisation de la plasticité ?
3. Quelle peut être la synergie entre l’hydrogène et la ségrégation intergranulaire d’autres solutés qui amène à la rupture des joints ?
Approche locale de la rupture fragile par l’hydrogène
L’importance de l’analyse de la rupture et la de la définition de critère pour la prédiction de la tenue mécanique constituent un enjeu socio-économique majeur. La sécurité d’installations en service et la prévention d’accidents motivent les efforts menés pour mieux prédire le comportement des matériaux et des structures en présence d’un défaut ou soumis à un chargement sévère. Afin d’améliorer la fiabilité des analyses développées, des modèles 88physiquement fondés′′ à partir de la description de mécanismes identifiés aux échelles 88locales′′ ou 88microscopiques′′ sont motivés par le double objectif de mieux comprendre le(s) processus de rupture mis en jeu, et de les modéliser pour en tirer des critères macroscopiques pertinents. L’approche multi-échelles est fondée sur l’idée qu’en comprenant l’origine de la rupture et en maîtrisant sa description, la fiabilité des prédictions s’en trouvera améliorée.
La méthodologie de zones cohésives a également évolué au cours des deux dernières décades : d’une approche micromécanique orientée vers les prédictions macroscopiques seules, elle a progressivement intégré une démarche multi-échelles plus large en trouvant actuellement certains de ses fondements à l’échelle atomistique pour produire des critères de rupture qui seront utilisés à l’échelle macroscopique. Etant à l’interface entre les descriptions microscopiques atomistiques ou moléculaires et les descriptions macroscopiques, un dialogue entre ces deux échelles apparaît nécessaire.
L’échelle 88mésoscopique′′ choisie doit permettre de rendre compte des interactions élastiques entre précipités intergranulaires, fissure et hydrogène mobile. Dans les alliages 7xxx, les précipités aux joints de grains, typiquement MgZn2, ont des tailles allant de quelques dizaines de nanomètres jusqu’à 100 nm. La taille du domaine intégrant ces interactions peut être de quelques microns. Dans une première approche, la plasticité est laissée de côté. La motivation pour une telle démarche se trouve dans la nécessité de baser les formulations sur des observations (à toutes les échelles) ou des descriptions aux échelles (III) et/ou (IV) pour produire des lois de comportement et des modèles de la rupture robustes pour les études aux échelles (I) et (II). Par 88robuste′′, nous entondons fiable pour des trajectoires de chargement plus générales que celles pour lesquelles les modèles ont pu être calibrés et/ou validés en laboratoire.
Modèles de zones cohésives en micromécanique
Un bref historique des modèles cohésifs est fait pour présenter les développements récents et actuels, et préciser quelle est, aujourd’hui, la problématique sous-jacente à une méthodologie de zones cohésives en science des matériaux, notamment les connections avec les échelles macroscopiques (I) et microscopiques (III) .
Barenblatt [Barenblatt, 1962] peut être considéré comme pionnier dans ce domaine. Sa motivation a été d’apporter une correction aux solutions de la mécanique élastique linéaire de la rupture pour obtenir une contrainte non divergente en fond d’entaille ainsi qu’une forme et un rayon d’entaille finis conformes aux observations. Le modèle de Dugdale [Dugdale, 1960] populaire en rupture des polymères constitue un cas particulier des travaux de Barenblatt. L’idée est de considérer que la surface du fond de l’entaille est soumise à une répartition de force d’interaction moléculaire, dont la valeur maximum ne saurait excéder la valeur du module d’Young. La connaissance de la répartition de ces forces de cohésion n’est pas connue a priori, plusieurs possibilités sont alors considérées. Dugdale (cf. fig. 1.10) considère une répartition uniforme de la contrainte normale σc en fond d’entaille.
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Table des matières
Introduction Générale
1 Contexte Général de l’étude
1.1 Modèles de fragilisation par l’hydrogène
1.2 Approche locale de la rupture fragile par l’hydrogène
1.3 Modèles de zones cohésives en micromécanique
1.4 Quelques considérations sur la formulation des zones cohésives
2 Etude expérimentale de la fragilisation par l’hydrogène des AA7xxx
2.1 Bibliographie spécifique aux alliages AlZnMg
2.1.1 La microstructure
2.1.2 La corrosion sous contrainte des alliages AlZnMg
2.1.3 Influence de la composition de l’alliage et du traitement thermique sur la sensibilité à la CSC
2.1.4 L’hydrogène dans les alliages AlZnMg
2.1.5 Fragilisation par l’hydrogène (FPH)
2.1.6 Décohésion, rôle des précipités et rôles des ségrégations en FPH
2.1.7 Influence de l’état métallurgique sur la FPH
2.1.8 Contrôle du chargement en hydrogène
2.1.9 Cristallographie de la rupture transgranulaire : influence de l’hydrogène
2.1.10 Bilan
2.1.11 Positionnement de l’étude expérimentale
2.2 Matériau d’étude
2.2.1 Composition chimique
2.2.2 Microstructure
2.2.3 Comportement mécanique
2.2.4 Sensibilité à la corrosion sous contrainte
2.3 Préparation des éprouvettes pour la fragilisation par l’hydrogène
2.3.1 Prélèvement des éprouvettes
2.3.2 Dépôt électrochimique d’une couche de nickel sur l’aluminium
2.3.3 Elaboration de microstructures modèles : traitements thermiques
2.3.4 Chargement en hydrogène
2.3.5 Chargement mécanique
2.3.6 Bilan
2.4 Résultats des essais de traction sur éprouvettes préchargées en hydrogène
2.4.1 Sensibilité à l’hydrogène
2.4.2 Caractérisation de la précipitation intergranulaire au MEB-FEG
2.5 Mécanismes de rupture
2.5.1 Rupture intergranulaire fragile
2.5.2 Rupture transgranulaire fragile
2.5.3 Rupture ductile
2.5.4 Vitesse de propagation
2.6 Bilan
2.6.1 Eléments essentiels de la microstructure
2.6.2 Ordre de grandeurs des vitesses de propagation
2.6.3 Un problème simplifié pour les simulations numériques
3 Modèle de la zone cohésive pour la rupture intergranulaire fragile
3.1 Modélisation et analyse de la rupture intergranulaire
3.1.1 Modèle cohésif pour la fissuration
3.2 Influence des précipités fragilisants sur la cohésion du joint de grains
3.2.1 Modélisation de l’interface hétérogène
3.2.2 Analyse de la tenue mécanique des joints de grains hétérogènes
3.2.3 Influence de la précipitation sur la résistance à la fissuration
3.3 Bilan
4 Analyse de la compétition entre vitesse de propagation de fissure et diffusion de l’hydrogène
4.1 Formulation du problème mécanique sous Abaqus
4.1.1 Configuration étudiée : Rupture intergranulaire en mode I
4.1.2 Description du modèle cohésif pour la rupture intergranulaire
4.2 Formulation du problème de diffusion assisté par la contrainte
4.3 Compétition entre les vitesses de diffusion et de fissuration
4.3.1 Procédure pour le couplage Mécanique-Diffusion
4.4 Analyse de la compétition entre les vitesses de diffusion et de fissuration pour une interface homogène .
4.4.1 Effet de la vitesse de propagation de fissures
4.5 Bilan
4.6 Analyse de la compétition entre les vitesses de diffusion et de fissuration : interface hétérogène
4.7 Bilan
4.8 Influence du piégeage sur la compétition entre la fissuration et la diffusion
4.8.1 Méthode de prise en compte du piégeage dans les simulations
4.8.2 Effet du piégeage aux précipités sur la vitesse de transition
4.9 Conclusion
5 Conclusion Générale
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