Modèle psycho-cognitif du coup de chaleur d’exercice

Le coup de chaleur d’exercice (CCE) associe une température centrale supérieure à 40°C à des symptômes de défaillances neurologiques pendant ou juste après un effort physique intense (1). Le CCE est la forme la plus grave des pathologies liées à la chaleur qui comprend aussi la déshydratation et l’épuisement à la chaleur (2). En urgence, la prise en charge vise à réduire l’hyperthermie aussi vite que possible notamment grâce à l’immersion en eau froide, méthode de refroidissement de référence (3). Le pronostic est lié à l’efficacité de ce refroidissement (4). Le taux d’incidence en population générale est difficile à établir en raison de la confusion avec les diagnostics différentiels (épuisement à la chaleur, intolérance à l’effort) et le manque de mesure immédiate de la température corporelle. Dans l’armée française, le CCE est soumis à la surveillance épidémiologique du CESPA (Centre d’Epidémiologie et de Santé Publique des Armées) depuis 1989 qui relève un taux d’incidence compris entre 18 et 36 cas pour 100 000 militaires soit environ 100 cas par an. Dans cette population militaire, le profil type est un jeune homme de 26 ans issu de l’armée de Terre avec un bon niveau physique (3000m au Cooper) (5). Bien que le CCE soit une pathologie rare, le public concerné (jeune, sain et sportif) et ses conséquences potentiellement fatales en font un sujet d’intérêt dont la prévention est un enjeu important notamment dans les armées. A ce titre, bien que l’apparition d’un CCE soit difficilement prédictible, des facteurs de risque sont identifiés tels qu’une température ambiante élevée, un fort taux d’humidité relative et le port d’une tenue empêchant l’évaporation de la sueur (6). De nombreux facteurs comme l’alcool, une infection ou le manque de sommeil sont aussi connus pour favoriser le dépassement des capacités de thermorégulation (5–9).

Au repos, la température corporelle est régulée et maintenue stable autour de 37°C (homéothermie) pour un fonctionnement optimal. L’hypothalamus reçoit les afférences des thermorécepteurs centraux et périphériques qui permettent d’intégrer les températures centrale et cutanée. Il assure la thermorégulation, c’est-à-dire l’équilibre de la balance thermique entre production (thermogenèse) et élimination de la chaleur (thermolyse) (Figure 1). La thermogenèse se décompose en deux grandes parties : la production de chaleur liée au métabolisme de base (40W/m²/h) et celle liée à l’activité musculaire (jusqu’à 785W/m²/h durant une marche commando) (10). La thermolyse repose sur la vasodilatation cutanée et l’évaporation de la sueur (11). La régulation est également comportementale avec adaptation de l’allure au niveau de stockage de la chaleur (12). L’accumulation de chaleur apparaît quand les pertes sont inférieures au gain, par exemple en cas d’exercice physique ou d’exposition à la chaleur. Pourtant la physiopathologie du CCE se traduisant par une hyperthermie centrale incontrôlée reste équivoque. Dans un contexte de déséquilibre de la  balance circulatoire, d’hypoperfusion tissulaire et de cytotoxicité, l’hyperthermie non contrôlée induit une cascade inflammatoire avec une tempête de cytokines, une dysfonction endothéliale et une défaillance multi-viscérale (1). Une encéphalopathie y est associée avec dérégulation de la dopamine et de la libération de la sérotonine (1,4,13–16). Un dérèglement de la libération du calcium peut être en cause pour quelques personnes porteuses de mutation sur le récepteur de la ryanodine (RyR1), déjà mise en évidence dans les cas familiaux d’hyperthermie maligne per anesthésique. Toutefois cette mutation reste rare et la réalisation de biopsie musculaire pour étayer cette hypothèse a été arrêtée (7,17). Les modèles physiopathologiques actuels ainsi que les facteurs de risque connus ne suffisent pas pour prédire et expliquer la survenue du CCE. En effet, il apparaît chez des militaires ayant déjà réalisé le même type d’épreuve physique auparavant sans développer la pathologie (5,6). De plus, 25% des CCE entre 2005 et 2011 ont eu lieu alors que la température extérieure n’excédait pas les 17°C (6). Ainsi malgré des conditions de stress thermique compensable et des capacités thermorégulatrices a priori non altérées, il existe des cas d’hyperthermie non contrôlée.

Population et méthode 

Population 

Cas :
Les cas sont des militaires volontaires, âgés de 18 à 45 ans, ayant présenté un coup de chaleur d’exercice (CCE) diagnostiqué par leur médecin d’unité et ayant été déclarés, en conséquence, inaptes aux opérations extérieures. Ces militaires sont expertisés dans le service de Médecine Physique et de Réadaptation de l’HIA Laveran à Marseille durant une hospitalisation de 4 jours en vue de récupérer leur aptitude. Cette hospitalisation est rythmée par une épreuve d’effort afin de connaître les capacités aérobies du sujet, des prélèvements biologiques, le remplissage des questionnaires (exploités dans notre étude) et la réalisation d’une marche-course en moins de 60 minutes sur le camp de Carpiagne. Le succès à cette dernière épreuve permet de recouvrer l’aptitude aux opérations extérieures. Dans notre étude, les questionnaires exploités ont été remplis par les cas expertisés entre 2014 et 2020.

Témoins :
La population témoin de cette étude est constituée de militaires, volontaires, n’ayant jamais présenté d’épisode neurologique au cours ou au décours immédiat d’une épreuve physique intense. Les témoins ont été recrutés parmi le détachement Sentinelle positionné sur la base militaire de Brétigny-sur-Orge (91), où se trouve également localisé l’Institut de Recherche Biomédicale des Armées. Leur participation à notre étude s’est limitée au remplissage des questionnaires identiques à ceux des cas.

Auto-questionnaires psycho-cognitifs

Conscience corporelle intéroceptive

Le questionnaire MAIA mesure, en 32 items, 8 facettes de la conscience corporelle : (1) Noticing : percevoir les sensations corporelles inconfortables, confortables et neutres ; (2) Not-distracting : avoir tendance à ne pas se laisser distraire par les sensations douloureuses ou d’inconfort ; (3) Not-worrying : ne pas ressentir de peur ou d’inquiétude face à des sensations douloureuses ou d’inconfort ; (4) Attention regulation : capacité à porter son attention de manière soutenue sur les sensations corporelles ; (5) Emotional awareness : percevoir le lien entre les sensations corporelles et les états émotionnels ; (6) Self-regulation : capacité à maîtriser son stress psychologique en portant attention aux sensations corporelles ; (7) Body listening : rechercher activement la perception des sensations corporelles ; and (8) Trusting : considérer son corps comme une source d’information sûre et digne de confiance. Chaque item est côté de 0 (jamais) à 5 (toujours). Pour chaque souséchelle, le score est obtenu en moyennant les réponses aux items correspondant à chaque sous-échelle (les items 5, 6, 7, 8 et 9 sont inversés) (39,40). Dans ce travail, le questionnaire MAIA présente un niveau acceptable de consistance interne chez les cas (alpha de Cronbach = 0.90) et chez les témoins (alpha de Cronbach = 0.89).

Motivation générale

En 28 items, le Questionnaire de Motivation Générale évalue trois types de motivations intrinsèques (IM) : (1) IM à la connaissance : plaisir d’apprendre, d’explorer ou de comprendre quelque chose de nouveau, (2) à l’accomplissement : plaisir de réaliser une tâche, de créer de nouvelles choses et (3) à la stimulation : plaisir d’avoir une conversation stimulante, de ressentir du plaisir cognitif ; trois types de motivations extrinsèques : (4) identifiée : réaliser une activité car cette activité correspond à nos valeurs, (5) introjectée : faire une activité parce qu’elle est supposée bonne pour soi et (6) régulation externe : entreprendre une activité pour recevoir une récompense ou éviter une punition ; et (7) amotivation : absence de motivation intrinsèque ou extrinsèque. Chaque réponse est cotée de 1 (pas du tout) à 7 (totalement). Pour chacun des 7 types de motivation, évalués grâce à 4 questions, le score final est obtenu en moyennant le score obtenu aux questions appartenant à chaque type de motivation (41,42). Dans ce travail, le Questionnaire de Motivation Générale démontre des niveaux acceptables de consistance interne pour les cas (alpha de Cronbach = 0.88) et les témoins (alpha de Cronbach = 0.93).

Trait mindfulnes

Le questionnaire Freiburg Mindfulness Index, composé de 14 items, mesure le trait dispositionnel mindfulness en évaluant l’aspect « présence » (être conscient des expériences au moment présent) et l’aspect « acceptation sans jugement » (comprendre que les choses ne sont pas forcément telles que l’on voudrait). Ce questionnaire est sémantiquement indépendant du contexte méditatif et est applicable à tout type de population notamment à celles qui n’ont jamais pratiqué la méditation mindfulness. Chaque réponse est cotée de 1 (rarement) à 4 (quasiment toujours). Le score global de mindfulness est obtenu en additionnant le score obtenu à chaque question excepté la 13ème dont le score est inversé (43,44). Dans cette étude, le questionnaire présente des niveaux acceptables de consistance interne chez les cas (alpha de Cronbach = 0.80) et les témoins (alpha de Cronbach = 0.77).

Analyses statistiques

L’analyse des données a été effectuée avec JASP (version 0.11.1, https://jaspstats.org/). Nous avons utilisé à la fois les tests statistiques standards et leurs équivalents bayésiens afin d’améliorer la précision et guider l’interprétation de la significativité (p values), selon la vraisemblance de l’hypothèse alternative par rapport à l’hypothèse nulle. En effet, un inconvénient du test par rapport à l’hypothèse nulle est que si la p-value est non significative (par exemple s’il n’y a pas de différence significative entre les cas et les témoins sur le questionnaire de motivation générale), elle ne peut pas être interprétée comme en faveur de l’hypothèse nulle (45,46). Pour limiter cette possibilité et confirmer que les éventuels résultats non-significatifs obtenus sont en faveur de l’hypothèse nulle ou non, nous avons calculé le facteur Bayes (BF) : plus précisément, nous avons calculé l’échelle logarithmique du BF (noté log(BF10)) dont l’interprétation est plus facile. Ainsi une valeur négative est en faveur de l’hypothèse nulle alors qu’une valeur positive plaide pour l’hypothèse alternative (voir l’annexe 1 pour une interprétation de l’échelle log (BF10)) (47). Les analyses statistiques ont été réalisées grâce au test non paramétrique Mann-Whitney car les données des cas et des témoins ne respectaient pas une distribution normale. Si une différence significative était observée, nous avons calculé la taille de l’effet (pour évaluer l’ampleur de la différence) en utilisant une mesure adaptée aux analyses non paramétriques : intervalle de confiance à 95% du coefficient de corrélation point bisérial (rpbs) (48). Pour les analyses Bayesiennes, nous avons utilisé les paramètres par défaut du logiciel JASP qui supposent une taille d’effet moyenne sur une distribution de Cauchy de 0,707 pour les tests de comparaison de moyenne pour échantillons indépendants.

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Table des matières

Sommaire
INTRODUCTION
POPULATION ET METHODE
RESULTATS
DISCUSSION
CONCLUSION
ANNEXES
RÉFÉRENCES
ARTICLE EN ANGLAIS TEL QUE SOUMIS A LA PUBLICATION DANS LE BRITISH JOURNAL OF SPORTS
MEDICINE

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