Nappes fibrées dans une structure 3D : cadre général
Les matériaux composés de couches de fibres sont très présents dans l’industrie. Ils sont notamment utilisés dans les sports automobiles et dans l’aéronautique, secteurs de pointe dans lesquels le compromis rigidité/poids est très important. Ces composites sont constitués de deux parties : la matrice et des renforts fibrés. Les fibres assurent la solidité et la rigidité du matériau. La matrice, quant à elle, sert uniquement à maintenir les fibres solidaires les unes des autres. Elle est donc souvent choisie peu résistante et assez légère.
Un matériau composite est généralement stratifié, c’est à dire que plusieurs couches de fibres (appelées « plis ») sont empilées. Ces plis peuvent être constitués soit de fibres placées toutes dans le même sens (plis unidirectionnels, cf (Grandidier and Potier-Ferry, 1990)), soit d’un tissage de fibres (comme pour un tissu classique, – cf (Drapier et al., 1996)). On considèrera surtout dans cette étude des nappes fibrées qui sont entourées de matrice homogène . Cela peut correspondre à des structures possédant une seule couche de fibres, ou bien à des composites stratifiés dans lesquels les plis sont éloignés les uns des autres. Le travail rapporté dans ce mémoire porte sur la modélisation d’une nappe fibrée noyée dans une structure 3D, dans le cas particulier où :
– le comportement des matériaux est hyperélastique ;
– la structure peut subir de grandes déformations ;
– la matrice est incompressible ;
– l’écartement entre les fibres est constant.
Un exemple standard de nappes correspondant à ces hypothèses est celui des plis de renforts présents dans un pneumatique, qui sont composés de gomme incompressible et de câbles (textiles ou métalliques) .
La structure d’une nappe fibrée est assez complexe, et peut être décomposée en trois échelles :
– niveau macroscopique : on se place à l’échelle de la nappe fibrée, dont le volume est noté ΩM . Chaque point matériel de son plan est au centre d’un volume élémentaire représentatif noté Ωm, comprenant des parties fibres et matrice ;
– niveau mésoscopique : on se place à l’échelle d’une fibre. Chaque point matériel est à l’intérieur d’un volume élémentaire constitué d’une section de fibre entourée d’un petit volume de matrice ;
– niveau microscopique : échelle du comportement élémentaire. Dans cette étude, on ne descendra jamais jusqu’à l’échelle microscopique, en se limitant aux niveaux macroscopique et mésoscopique. On suppose pour cela que l’on dispose d’une loi de comportement approchée à l’échelle mésoscopique.
L’objectif de ce travail est d’élaborer une méthode numérique permettant de simuler de manière fiable le comportement d’une telle nappe fibrée, couplée avec le reste de la structure 3D, dans des situations de grande déformation avec forte flexion et compression potentielle.
Néanmoins, du fait de leur structure multi-échelles, le comportement mécanique des nappes fibrées est très complexe, surtout en situations de forte flexion et de compression dans le sens des fibres : la réponse du composite dépend alors des deux échelles par :
– la rigidité des fibres en compression (échelle macroscopique);
– la rigidité des fibres en flexion (échelle macroscopique) ;
– les efforts exercés par la gomme sur les fibres (échelle mésoscopique).
On décrit une telle situation dans ce qui suit.
Mise en évidence des phénomènes importants
On décrit dans cette section tous les phénomènes physiques et numériques qui peuvent avoir un rôle important dans la modélisation des nappes fibrées.
Phénomènes physiques macroscopiques
Les phénomènes physiques macroscopiques qui ont un rôle important sont mis en valeur par des résultats expérimentaux.
Rigidité dans le sens des fibres
Les nappes fibrées présentent un effet orthotrope : les fibres assurant la rigidité du matériau, la nappe sera beaucoup plus résistante en traction et en flexion dans leur direction. Notre modélisation devra prendre en compte cette résistance des fibres en traction et en flexion, alors que la nappe se comportera essentiellement comme une membrane dans la direction normale aux fibres.
Instabilités en compression axiale
La résistance des câbles en compression étant très élevée par rapport à celle en flexion, on peut s’attendre en pratique à ce qu’une fibre mise en forte compression présente une instabilité de flambement.
Phénomènes physiques mésoscopiques
Les résultats expérimentaux ne permettent pas d’observer ce qui se passe à l’intérieur des nappes, à l’échelle mésoscopique. En particulier, on ne peut pas mesurer les déformations de la gomme localisées à l’interface avec un câble ou encore son cisaillement par la mise en flexion des câbles voisins. Pour étudier l’importance de ces micro-déformations, une solution est de réaliser des simulations numériques soit sur la géométrie complète de la nappe, soit à l’échelle d’un volume élémentaire représentatif.
Ces résultats montrent l’existence de déformations importantes de la gomme localisée près des câbles, traduisant un couplage entre les deux matériaux :
– La gomme guide la position des fibres par sa résistance en traction/compression ;
– La torsion des câbles est contrôlée par la mise en cisaillement de la gomme.
Ces remarques prouvent l’importance de l’échelle mésoscopique sur le comportement global de la nappe à l’échelle macroscopique.
Modélisation en grandes déformations
La gomme qui compose les nappes étudiées est un matériau élastomère, élaboré en grande partie à base de caoutchouc, mais auquel on peut ajouter 10 à 20 composants différents. Certains sont nécessaires pour la vulcanisation (soufre, oxyde de zinc, …), d’autres permettent d’en accélérer le processus. Certains autres protègent (antioxygènes, …), ramollissent (huiles, graisses, acides gras, …), ou encore colorent le vulcanisat (oxyde de zinc, lithopone, …). Pour faciliter le mélange de ces ingrédients au caoutchouc brut, on peut ajouter une huile de mise en oeuvre. La majorité des caoutchoucs utilisés pour les applications mécaniques contiennent en plus une charge : les charges peuvent améliorer l’élasticité du produit final sans augmenter sa résistance (ce sont alors des produits à base de carbonate de calcium ou de sulfate de baryum) ou améliorer la résistance du produit final (noir de carbone, oxyde de zinc, carbonate de magnésium ou différentes argiles). Le noir de carbone, qui reste la principale charge renforçante du caoutchouc, se présente sous la forme de petites particules de carbones mélangées à la gomme naturelle avant vulcanisation. Le caoutchouc est alors un matériau diphasique composé de constituants avec des propriétés mécaniques complètement différentes.
Une propriété mécanique particulièrement prisée de ces matériaux est leur remarquable élasticité, due à la structure moléculaire des élastomères. Le caoutchouc peut subir des grandes déformations (éventuellement de plusieurs centaines de pour cent) et revenir ensuite à sa configuration initiale. Il faut également évoquer la quasi incompressibilité de ces matériaux : le module de compressibilité du caoutchouc varie entre 1000 et 2000 MPa, alors que l’ordre de grandeur du module de cisaillement est d’environ 1 MPa. Cette différence signifie que le caoutchouc ne varie guère de volume, même sous de fortes contraintes. Son comportement est ainsi quasi incompressible. (Le lecteur intéressé pourra regarder (Saad, 2003) pour plus de détails sur le comportement des caoutchoucs).
La nature complexe de la gomme lui confère des comportements hautement non linéaires. L’objectif de cette sous section est de faire quelques rappels de mécanique des milieux continu, et d’introduire les outils permettant de modéliser ce type de comportement en grandes déformations (cf (Holzapfel, 2000)).
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Table des matières
1 Introduction générale
1.1 Présentation du problème
1.1.1 Nappes fibrées dans une structure 3D : cadre général
1.1.2 Exemple représentatif : compression sous flexion circulaire
1.2 Mise en évidence des phénomènes importants
1.2.1 Phénomènes physiques macroscopiques
1.2.2 Phénomènes physiques mésoscopiques
1.2.3 Contraintes numériques
1.3 Enjeux de la modélisation et travaux existants
2 Cinématique et modèle macroscopique
2.1 Hypothèses et notations utilisées
2.1.1 Géométrie de la nappe fibrée au repos
2.1.2 Modélisation en grandes déformations
2.2 Problématique et modèles existants
2.3 Modélisation d’une fibre
2.3.1 Cinématique
2.3.2 Mesure des déformations
2.3.3 Modèle énergétique
2.4 Modélisation d’une nappe fibrée
2.4.1 Cinématique
2.4.2 Mesure des déformations des câbles
2.4.3 Modèle énergétique
2.4.4 Formulation variationnelle du problème de nappe isolée
2.5 Méthode de résolution formelle
2.5.1 Équations d’Euler-Lagrange linéarisées
2.5.2 Projection sur l’espace des directeurs orthonormés
2.5.3 Calcul des multiplicateurs de Lagrange
3 Écriture formelle et analyse du modèle
3.1 Verrouillage numérique des structures minces
3.2 Formulation non linéaire continue
3.2.1 Problème 2D sous forme asymptotique
3.2.2 Problèmes non linéaires limites
3.3 Résolution par la méthode des éléments finis classique
3.3.1 Problème non linéaire discrétisé
3.3.2 Problème discret linéarisé
3.3.3 Problème linéarisé autour d’une configuration de référence plane
3.3.4 Convergence sur un problème de nappe non inhibée
3.4 Formulation mixte non linéaire
3.4.1 Problème mixte continu
3.4.2 Eléments finis mixtes : cas général
3.4.3 Problème linéarisé
3.4.4 Analyse du problème linéarisé
3.4.5 Convergence uniforme : condition inf-sup
3.4.6 Démonstration de la condition inf-sup pour une nappe plane
3.4.7 Les pistes pour une convergence uniforme plus générale
3.5 Technique de sous-intégration partielle sélective
4 Méthode de résolution et applications numériques
4.1 Discrétisation par éléments finis
4.1.1 Discrétisation par éléments finis
4.1.2 Restriction cinématique
4.1.3 Problème discret à résoudre
4.2 Méthode de résolution
4.2.1 Equations d’Euler-Lagrange linéarisées
4.2.2 Projection sur l’espace des directeurs orthonormés
4.2.3 Calcul des multiplicateurs de Lagrange
4.2.4 Gestion des conditions aux limites
4.2.5 Algorithme complet
4.3 Comportement asymptotique : tests numériques
4.3.1 Problème en flexion non inhibée : flexion Cantilever
4.3.2 Problème en flexion pure inhibée : nappe bisupportée sous poids propre
4.4 Validation du modèle sur des tests analytiques
4.4.1 Flexion sous effort tranchant
4.4.2 Flambement sous compression axiale
4.5 Compression d’une nappe sour flexion circulaire
5 Modélisation multi-échelles des composites fibrés – Etat de l’art
5.1 Principe des méthodes d’homogénéisation
5.2 Approches analytiques
5.2.1 Résultats d’homogénéisation en élasticité linéaire
5.2.2 Homogénéisation analytique en élasticité non linéaire
5.3 Approches numériques
5.3.1 Homogénéisation numérique du premier ordre
5.3.2 Homogénéisation numérique du second ordre
5.4 Conclusions et application sur notre problème de nappe
6 Modèle multi-échelles par analyse asymptotique
6.1 Formulation du problème
6.1.1 Problème mécanique – Décomposition de domaine
6.1.2 Forme des déformations
6.1.3 Modèle énergétique
6.1.4 Equations d’équilibre
6.2 Analyse asymptotique du problème
6.2.1 Développements asymptotiques
6.2.2 Etude de l’ordre 0
6.2.3 Etude de l’ordre 1
6.2.4 Etude de l’ordre 2
6.3 Choix de la stratégie multi-échelles
6.3.1 Déformations microscopiques dans la gomme
6.3.2 Description macroscopique des câbles
6.3.3 Problème complet à l’échelle globale
6.3.4 Coercivité du modèle
7 Conclusion générale
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