Mode de vie et diversité génétique dans les populations humaines d’Asie Centrale

L’Homme moderne, comme toute autre espèce, a évolué au cours du temps en étroite relation avec son environnement. Sa plasticité, à la fois biologique et culturelle, lui a permis de coloniser la majorité de la planète. Durant cette conquête, les populations humaines ont rencontré des milieux climatiques extrêmes, se sont exposées à de nouveaux pathogènes et ont appris à tirer leur énergie de sources alimentaires variées. Elles ont également subi une forte croissance démographique et se sont structurées en unités culturelles distinctes, évoluant alors avec différents niveaux d’interactions entre elles. Des barrières à la reproduction complexes, de nature géographique, linguistique, religieuse, ou encore politique, se sont établies, à la fois à l’intérieur des populations et entre elles. Diverses évolutions culturelles, comme par exemple la sédentarisation et la pratique de l’agriculture, ont permis de s’affranchir de certaines pressions environnementales, mais ont également été sources de nouvelles contraintes (notamment alimentaires et infectieuses). Ces changements se sont déroulés sur une courte période aux yeux de l’évolution, l’Homme moderne ayant migré hors d’Afrique pour coloniser les autres continents il y a seulement 60 000 – 40 000 ans (pour une revue, voir Trinkaus, 2005). L’influence de ces évènements sur la diversité biologique humaine (notamment la diversité génétique, morphologique et physiologique) suscite de multiples interrogations.

De nombreuses disciplines s’intéressent ainsi depuis longtemps à l’histoire évolutive humaine, dont notamment l’anthropologie qui, au sens large, étudie les variations biologiques et culturelles entre groupes humains. L’anthropologie fait elle-même appel à de nombreuses disciplines, dont la paléontologie (étude des restes fossiles), l’archéologie (étude des vestiges matériels), l’ethnologie (étude des caractères sociaux et culturels), la médecine, la linguistique, ou encore la primatologie. Plus récemment, de nouvelles disciplines sont venues enrichir nos connaissances, comme la génétique évolutive, et plus précisément la génétique des populations (étude des forces qui influencent la diversité génétique des populations). Ces nouvelles données, qu’il s’agisse initialement de données de polymorphismes génétiques acquises dans les années 1960 (Cavalli-Sforza, 1966), ou de projets à grande envergure d’étude de la diversité génétique mondiale comme le projet HapMap (International HapMap Consortium, 2003, International HapMap Consortium, 2005, International HapMap Consortium et al., 2007), en passant par la publication de la séquence complète du génome humain dans les années 2000 (Lander et al., 2001, Venter et al., 2001), ont permis d’apporter un nouveau point de vue sur l’histoire évolutive de l’Homme moderne (Cavalli-Sforza et al., 1988, Harpending & Rogers, 2000, Goldstein & Chikhi, 2002, Cavalli-Sforza & Feldman, 2003, Beaumont, 2004, Rosenberg et al., 2005, Li et al., 2008). En effet, la diversité génétique est fortement influencée par l’histoire démographique des espèces (fluctuation de la taille des populations, intensité des migrations entre populations, etc.), ainsi que par les contraintes du milieu (avantage de certaines mutations dans certains environnements). Elle offre donc une source d’informations précieuses pour étudier le passé évolutif des populations humaines. De plus, depuis peu, cette discipline a rassemblé suffisamment d’outils moléculaires, statistiques et informatiques pour pouvoir réellement avancer dans la compréhension de l’histoire évolutive humaine, qui suscite toujours autant d’intérêt, de la part des scientifiques comme des non scientifiques. S’interroger sur ces questions de recherche présente finalement non seulement un intérêt d’ordre théorique, pour comprendre quelles forces majeures gouvernent l’évolution humaine en général, mais également d’ordre médical, puisque les sciences de l’évolution permettent d’appréhender la question des différences de problèmes de santé entre populations (médecine évolutive ou darwinienne, voir Nesse & Williams, 1996, Stearns & Koella, 2007), ainsi que d’ordre sociétal, car la connaissance des points communs entre tous les Hommes, et de la diversité qui fait de chacun de nous un être unique suscite le plus souvent un vif intérêt de la part du grand public.

La génétique des populations comme outil pour appréhender le passé 

L’objectif de la génétique des populations est de comprendre et d’interpréter le rôle relatif des forces évolutives qui façonnent notre diversité génétique. Cette discipline s’intéresse donc exclusivement à la part du génome qui est variable entre les individus. Les différentes forces évolutives sont la mutation, la recombinaison, la migration, la dérive et la sélection, et chacune laisse des signatures particulières dans notre génome. De toutes les forces évolutives, la mutation est la seule qui crée de la diversité. La recombinaison, comme son nom l’indique, ne crée pas de mutations mais de nouvelles combinaisons de mutations. La dérive génétique est la conséquence des effets d’échantillonnage liés à la reproduction des individus dans une population de taille finie ; elle se traduit par une variation stochastique des fréquences alléliques d’une génération à l’autre et par une perte de diversité. Cette perte de diversité est d’autant plus forte que la taille efficace de la population Ne  est faible (Wright, 1951). Enfin, une migration limitée favorise la différenciation génétique des populations, tandis qu’une forte migration permet leur mélange.

La migration et la dérive sont fréquemment regroupées sous le terme de forces démographiques et ont pour point commun qu’elles influencent, en espérance, tout le génome de la même manière (bien qu’il existe une certaine variance de leurs effets à différents marqueurs). Opposée aux précédentes forces, car elle agit sur un ou plusieurs marqueurs en particulier, intervient la sélection. Cette force favorise l’augmentation (sélection positive) ou la diminution (sélection négative) de la fréquence de certaines mutations en fonction de leurs effets sur la reproduction ou la survie des individus (c’est-à-dire en fonction de leur valeur sélective). La sélection change donc, localement dans le génome, le niveau de diversité génétique. Bien que les forces sélectives et démographiques ont des effets confondants sur le niveau de variation à un marqueur donné, il est possible de les distinguer de par cette particularité : les forces démographiques affectent tous les marqueurs de la même façon en espérance, tandis que la sélection laisse une signature singulière seulement à un sousensemble de marqueurs (à l’exception de certaines formes de sélection, comme la sélection d’arrière plan : voir Charlesworth et al., 1995). Ainsi, pour détecter les signatures laissées par la sélection, il faut au préalable avoir décrit la diversité génétique neutre des populations.

Apport de la génétique des populations à l’histoire évolutive humaine 

Les premières études en génétique des populations ont permis de calculer que chez l’Homme moderne, la vaste majorité de la diversité génétique (à hauteur de 86%) se situe à l’intérieur des populations (Lewontin, 1972). Ainsi, deux individus venant de continents différents ne présentent pas beaucoup plus de différences génétiques que deux individus habitant au même endroit. Cette information a eu un fort retentissement car elle a répandu l’idée que les populations humaines n’étaient pas structurées génétiquement et qu’il ne pouvait donc pas y avoir de fortes différences biologiques entre populations. Cette répartition de la diversité génétique peut s’expliquer par le fait que l’Homme moderne est une espèce relativement jeune (apparue en Afrique il y a environ 200 000 ans, Trinkaus, 2005), qui a subi une croissance démographique très récente (à la fin du Paléolithique, il y a environ 12 000 ans, la population humaine ne comptait guère plus d’un million d’individus, Harris, 1996), et pour qui finalement les migrations entre populations jouent certainement un rôle important.

Cependant, bien que nous soyons une espèce jeune et peu structurée génétiquement, certaines études récentes basées sur un grand nombre de marqueurs ont révélé que les individus peuvent être répartis dans des groupes distincts, correspondant approximativement aux différents continents (Cavalli-Sforza et al., 1988, Rosenberg et al., 2002, Cavalli-Sforza & Feldman, 2003, Bamshad et al., 2004, Rosenberg et al., 2005, Li et al., 2008). Bien que la présence d’océans, de déserts ou de montagnes engendre indiscutablement de fortes barrières géographiques, de par la difficulté de les traverser, il est intéressant de se demander dans quelle mesure nous pouvons parler de groupes humains différents et dans ce cas, affilier chaque population à un de ces groupes, ou s’il ne faut pas plutôt considérer qu’il existe des variations continues de diversité (Rosenberg et al., 2005). Il est également remarquable que, plus l’on augmente le nombre de marqueurs étudiés, plus l’on réussit à distinguer les populations entre elles. Plusieurs études en Europe ont ainsi montré que l’on pouvait inférer l’origine géographique des individus, à partir de leur génotype à plus de 500 000 marqueurs, à quelques 700 km près (Lao et al., 2008, Novembre et al., 2008). Ces résultats sont basés uniquement sur des individus ayant les quatre grands-parents de même origine, mais ils montrent bien que l’étude d’un nombre suffisamment important de marqueurs génétiques permet de retracer l’origine géographique des individus.

Répartition de la diversité génétique : le rôle de la géographie et de la linguistique 

La géographie est donc un facteur majeur pour expliquer la répartition de la diversité humaine. La probabilité d’appariement plus forte entre individus géographiquement proches a donné lieu au modèle démographique d’isolement par la distance (Malécot, 1973). Ce modèle considère que la migration des individus est localisée (limitée dans l’espace), que les populations sont à l’équilibre démographique (c’est-à-dire sont stables dans le temps), et qu’il n’y a pas de sélection. Il a été montré dans ces modèles que, lorsque que l’on considère un espace à deux dimensions, la distance génétique augmente linéairement avec le logarithme de la distance géographique (Rousset, 1997).

Un autre facteur a également été proposé comme responsable de barrières majeures à la reproduction : la linguistique. Cavalli-Sforza a été le premier à attirer l’attention sur une éventuelle coévolution entre gènes et langues (Cavalli-Sforza et al., 1988). Les matrices de distances linguistiques entre populations sont en effet assez bien corrélées avec celles des distances génétiques, ce qui suggère que les populations échangent des migrants préférentiellement quand il y a intercompréhension linguistique (Sokal, 1988, Poloni et al., 1997, Lum et al., 1998). Cependant, Rosser (2000) a remarqué que, si l’on prend en compte les distances géographiques, la corrélation entre distances linguistiques et génétiques disparaît, suggérant ainsi que la géographie est la seule responsable des différences génétiques. Depuis, d’autres études ont montré, d’après des données génomiques, qu’une corrélation faible mais significative existe bien entre gènes et langues, même si l’on prend en compte la géographie (Belle & Barbujani, 2007, Lansing et al., 2007). La question du rôle respectif des distances linguistiques et géographiques pour favoriser ou empêcher le brassage des populations reste donc ouverte.

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE I . HISTOIRE DÉMOGRAPHIQUE : PEUPLEMENT ET ORGANISATION SOCIALE EN ASIE CENTRALE
I. ETAT DE L’ART
II. MATERIEL ET MÉTHODES
A. Populations échantillonnées
B. Analyses moléculaires
III. DIVERSITÉ GÉNÉTIQUE NEUTRE EN ASIE CENTRALE
IV. INFLUENCE DE L’ORGANISATION SOCIALE SUR LA DIVERSITÉ GÉNÉTIQUE
A. Problématique
B. Résultats
V. CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
CHAPITRE II . HISTOIRE ADAPTATIVE : ALIMENTATION ET MODE DE VIE EN ASIE CENTRALE
I. INTRODUCTION
II. ADAPTATION A LA CONSOMMATION DE LAIT ?
A. Problématique
B. Matériel et méthodes
C. Résultats
D. Discussion
III. ADAPTATION A LA CONSOMMATION DE VIANDE ?
A. Problématique
B. Résultats
IV. QUAND L’ADAPTATION DEVIENT MALADAPTATION : LE CAS DU DIABETE DE TYPE II
A. Problématique
B. Description du mode de vie et de l’état de santé
C. Analyses génétiques
D. Discussion
V. CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
CONCLUSION GÉNÉRALE
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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