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ASPECTS METHODOLOGIQUES
Les méthodologies en linguistique de terrain
Il existe chez les chercheurs qui optent pour un travail de terrain un choix épistémologique à faire entre l’approche hypothético-déductive et celle empirico-inductive (Blanchet, 2000, p. 28). La racine de ce dilemme se trouve dans la divergence de point de vue sur les rapports entre les données empiriques et la modélisation intellectuelle (op.cit., p. 64). Nous allons voir les caractéristiques fondamentales de chacune de ces approches afin de trancher quant à la démarche à adopter.
Démarche hypothético-déductive
Cette approche a été transférée depuis les sciences exactes aux sciences humaines et sociales (op.cit., p. 29). Elle se base sur la proposition d’hypothèses au départ de la recherche, lesquelles hypothèses seront validées ou invalidées au cours d’expérimentation (ibid.). Les données obtenues viennent ainsi confirmer ou infirmer une construction rationnelle. La prééminence est de ce fait accordée à ce modèle théorique préconçu plutôt qu’aux données factuelles (ibid.). En effet, c’est le chercheur lui-même qui sélectionne et organise les données et décide de la validité des hypothèses à partir d’un certain seuil de fréquence statistique (ibid.). Cette démarche repose essentiellement sur des données quantitatives.
L ‘échantillonnage dans cette démarche répond à un souci de représentativité sans prise en compte des variables contextuelles pouvant influer sur les résultats. On cherche principalement à expliquer les faits, à établir des lois de causalité visant une prédictibilité générale. Une telle approche est caractérisée par une totale désubjectivation (Blanchet, 2000, p. 61). Cette méthodologie est justement critiquée pour sa tendance objectiviste et réductionniste de par sa démarche analytique ; « réductionniste, puisqu’il fallait arriver aux unités élémentaires non décomposables, lesquelles seules pouvaient être cernées clairement et distinctement » (Morin, 2005, p. 74). Pourtant, quand on parle de l’Homme, « ce n’est pas simplement la société qui est complexe, mais chaque atome du monde humain » (op. cit., p. 78).
Démarche empirico-inductive
La démarche empirico-inductive prend, en revanche, en considération les phénomènes humains dans toute leur complexité. Dans cette méthodologie de recherche, le terrain prime sur la construction intellectuelle. On s’interroge sur la signification de phénomènes humains et c’est dans les données empiriques que l’on recherche les réponses. Il s’agit primo d’une approche qualitative où les données chiffrées et chiffrables restent auxiliaires, et secundo d’une approche inévitablement subjective, l’homme étant lui-même l’objet de sa propre démarche de connaissance (Blanchet, 2000, p. 30).
Cette approche dite « de terrain » est inductive (ibid.) : le chercheur tente de développer une compréhension des phénomènes à partir d’un tissu de données sans pour autant prétendre à une représentativité. Elle s’appuie sur des corpus contextualisés réunis par enquêtes non sélectives (op. cit., p. 37), tous les témoins étant considérés comme uniques et dignes d’étude (op. cit., p. 31). L’objectif est de donner du sens aux phénomènes humains en focalisant l’attention sur les données de terrain et en étant également attentif à tous les détails pouvant concourir à la compréhension des phénomènes (ibid.). Le chercheur tient ainsi compte de tout ce qui peut aider à comprendre les faits observés notamment le contexte dans lequel évoluent les personnes concernées par son étude, leur système de référence et même l’effet qu’il produit sur ces dernières, et tout ceci en évitant de mettre en avant ses propres convictions et ses concepts a priori (ibid.). Il doit considérer tous ces paramètres dans son interprétation des données. Ces particularités de la recherche qualitative font qu’elle requiert de la part du chercheur beaucoup plus un savoir-faire que l’utilisation de techniques.
Option méthodologique : l’approche qualitative
Au regard des objectifs de l’enquête susmentionnés, notre recherche sera essentiellement menée suivant une démarche empirico-inductive. La présente étude est basée sur la réalisation d’enquête de terrain centrée sur la problématique du bi/plurilinguisme et de sa gestion dans le cadre éducatif. L’approche qualitative adoptée s’est imposée par la nature même des interrogations qui ont motivé notre étude. En effet, nous ne souhaitons pas nous contenter de savoir ce que pensent « les Malgaches » de la PLE actuelle, mais plutôt d’en comprendre les enjeux sociolinguistiques en confrontant les choix des autorités à la mise en œuvre effective. Il s’agit pour nous de rendre compréhensibles et d’interpréter les situations, les pratiques, et les représentations linguistiques des usagers de la (des) langues(s) concernés par la PLE car ce couple pratiques/représentations doit être décrit, analysé avec une prise en compte de « la niche écolinguistique » (Calvet, 1999, p. 281).
L’étude que nous avons entreprise concerne un fait humain, un fait social. Plus encore, nous nous intéressons à la gestion des langues en présence au sein de l’institution scolaire. D’où la nécessité de faire appel à une méthodologie alliant observation et sensation, en réponse au caractère complexe de l’étude du langage humain. Le contexte éducatif plurilingue malgache est d’autant plus intéressant que le sujet alimente souvent des débats passionnés au sein de la communauté éducative.
PRESENTATION DU TERRAIN
Le choix du terrain d’enquête n’est pas fortuit mais relève de plusieurs critères. Mondada (1998, p. 47) souligne que « le terrain n’est pas un espace neutre où l’on va simplement recueillir des objets ». Toutes les sélections effectuées sont foncièrement liées aux fins escomptées et à la démarche méthodologique mise en œuvre. De plus, le choix de ce terrain est suggéré par la prise en compte des moyens temporels et techniques à notre disposition. A cela s’ajoute le souci de travailler avec un corpus de taille appropriée, qui puisse être traité dans les limites d’un travail d’initiation à la recherche.
LIEU ET MILIEU D’ENQUETE
Situé sur l’axe de la RN17, au PK15, dans la commune rurale d’Alakamisy-Fenoarivo, dans la région d’Analamanga, le collège privé FJKM AmbohimiarinaJerosalema a été choisi pour l’enquête.
Une zone suburbaine
Cette localité fait partie de la zone périphérique de la capitale. D’un point de vue sociolinguistique, bien que rurale, la commune présente pratiquement les mêmes caractéristiques que la zone urbaine en termes de langues en présence. En effet, elle dispose entre autres de la même couverture médiatique que la ville et comme dans toute la région des hautes terres centrales, la variété officielle y assure une double fonction de langue véhiculaire et de langue vernaculaire8. Une ligne dessert directement la ville et offre ainsi une facilitation de déplacement de la population en milieu urbain. Néanmoins, sur le plan socio-économique, la localité présente toutes les propriétés d’une campagne au regard du paysage encore rustique et de la population majoritairement paysanne vivant principalement de cultures et d’élevage.
D’un côté, notre choix s’est porté sur une zone périphérique comme milieu d’étude car il s’agit véritablement d’une zone tampon. La périphérie est un point de convergence de l’espace urbain et de la campagne. Le contexte malgache se spécifie par un taux élevé de population rurale qui atteint les 89,85%9. Le plurilinguisme est certes plus manifeste en ville. Calvet (2005, p. 11) note que la sociolinguistique s’est surtout intéressée au terrain urbain laissant la ville apparaître comme le terrain par excellence de l’approche sociale des faits de langue. Cependant, la ville n’est qu’un des terrains qui, « par un hasard historique, a été celui des premiers à s’être réclamés de la sociolinguistique » (op. cit.,p. 19) mais il n’existe pas un lien de nécessité entre les deux. Il serait par conséquent intéressant de se pencher sur un terrain intermédiaire, rural tout en partageant les traits sociolinguistiques urbains. L’habitant de la périphérie a souvent déjà un pied en ville et l’autre à la campagne. D’un autre côté, la situation géographique de l’école rend notre enquête techniquement plus aisée, nous-même étant riveraine du quartier.
Un établissement privé/confessionnel/protestant
Dans leur analyse des PLE malgaches « post-refrancisation », Bavoux et Bavoux (1993, p. 79) posent l’enseignement public comme étant la principale victime des turbulences des décisions en matière de PLE. Ce qui suppose que la situation serait plus « enviable » dans le privé, et particulièrement dans le confessionnel.
Le collège privé confessionnel FJKM Ambohimiarina est rattaché à l’église éponyme locale. Historiquement, l’école malgache est née avec l’arrivée des envoyés de la London Missionary Society, « la plus importante entité du champ missionnaire protestant de l’époque et qui inaugure une page assez dense de l’histoire éducative à Madagascar » (Ranaivo, 2013, p. 71). L’Eglise FJKM est issue de la LMS. Ainsi, la première école malgache a été « protestante ». Un intérêt sans doute discutable et pourtant, il ne faut pas oublier que les missionnaires protestants ont accordé une place prépondérante à la langue malgache dans l’enseignement formel assurant « un ancrage relativement réussi de l’instruction et de la scolarisation » (op. cit.,p. 76). L’avènement de la période coloniale marque un tournant décisif dans l’histoire de l’enseignement. L’idée directrice coloniale était l’occultation de la dimension culturelle et linguistique des colonisés (op. cit., p. 139) et les ambitions du projet éducatif y afférentes se résumaient à « constituer un personnel indigène apte à seconder les détenteurs de l’autorité » (op. cit., p. 149). Il n’est donc pas étonnant que la priorité des priorités du pouvoir colonial sur le plan de l’enseignement a été de réduire l’importance des écoles confessionnelles et particulièrement de neutraliser l’influence du protestantisme (Babault, 2002, p. 84), imposant la langue française comme base de l’enseignement dans les écoles de l’île. Cette place importante occupée par l’Eglise protestante depuis les prémices de l’éducation formelle dans le pays justifie l’intérêt particulier que nous accordons à ce type d’établissement.
Une raison, subsidiaire d’apparence mais utile de fait, s’ajoute : nous fréquentons cette église. Outre l’intérêt personnel que cela suscite, cette proximité sociale impactera nécessairement sur la qualité des données recueillies. Notre appartenance à la communauté étudiée écarte la méfiance des enquêtés, dû à notre intégration suffisante dans le groupe. Cela permettra par conséquent de réduire un certain nombre de biais méthodologiques. Cependant, cette connaissance du terrain pose comme désagrément ce que l’on appelle communément en anthropologie « la myopie du familier ». En effet, notre lien étroit avec le terrain suscite des problèmes de distanciation. Nous reviendrons sur ces questions quand nous aborderons les techniques d’enquête (cf. infra : l’observation participante).
Les classes de CE et de CM2
Quoique la question de langues d’enseignement concerne tous les niveaux, du préscolaire à l’enseignement supérieur, nous avons fixé comme cadre de recherche les années d’éducation fondamentale du premier cycle. En effet, « le problème est d’abord et surtout dans l’enseignement primaire » (Chaudenson, 2002, p. 20). Les statistiques affichent une diminution substantielle du taux de fréquentation de l’école après l’achèvement de la scolarité obligatoire. Le primaire reste le niveau-pilier sur lequel repose toute la réussite de l’éducation. Faire fi de cette évidence relève d’un aveuglement intentionnel. Il s’agit du niveau d’acquisition des bases fondamentales à la formation du citoyen développant sa personne et participant au développement de son pays.
Les classes de 9ème et de 7ème ont été retenues pour l’enquête. La première classe, le CE, correspond à l’année à partir de laquelle les élèves sont censés commencer à être confrontés à un enseignement effectivement bilingue10, rompant avec le monolinguisme des classes antérieures. La deuxième, le CM2, termine les études primaires à l’issue desquelles est sanctionné le CEPE11, donnant accès au niveau secondaire. De ce fait, il s’agit des classes-charnières du deuxième cycle du primaire, marquant un tournant décisif dans la scolarité de l’élève, particulièrement sur le plan linguistique. C’est la partie de son parcours où se construisent les soubassements de son éducation, lui ouvrant la voie des études secondaires, largement francophones.
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Table des matières
Introduction
CHAPITRE 1. CONTEXTE, OBJECTIFS DE L’ENQUETE ET CADRAGE METHODOLOGIQUE ..
1.1. CONTEXTE ET OBJECTIFS DE L’ENQUETE
1.2. ASPECTS METHODOLOGIQUES
1.2.1. Les méthodologies en linguistique de terrain
1.2.1.1. Démarche hypothético-déductive
1.2.1.2. Démarche empirico-inductive
1.2.2. Option méthodologique : l’approche qualitative
CHAPITRE 2. PRESENTATION DU TERRAIN
2.1. LIEU ET MILIEU D’ENQUETE
2.2. POPULATION D’ENQUETE
2.2.1. Les élèves
2.2.2. Les enseignants
2.2.3. Le directeur
2.2.4. Les parents
2.3. PERIODE D’ENQUETE
CHAPITRE 3. MODALITES DE REALISATION DE L’ENQUETE
3.1. METHODES D’ENQUETE
3.1.1. L’entretien
3.1.2. L’observation participante
3.1.3. L’observation de classe
3.2. OUTILS D’ENQUETE
3.2.1. Le guide d’entretien
3.2.2. Les thématiques de l’observation participante
3.2.3. La grille d’observation de classe
3.3. MATERIELS DE COLLECTE DES DONNEES
3.4. LANGUE D’ENQUETE
Conclusion
DEUXIEME PARTIE :DES PLE INSTITUTIONNELLES AUX REALITES DE CLASSE
Introduction
CHAPITRE 1. LES PLE EXPLICITES MALGACHES
1.1. LES PLE POSTCOLONIALES : PRESENTATION HISTORIQUE
1.1.1. Le système hérité de la colonisation
1.1.2. La malgachisation
1.1.3. Le retour au français
1.1.4. Le trilinguisme institutionnel
1.2. DESCRIPTION DE LA PLE ACTUELLE : DE LA CONSTITUTION AUX PROGRAMMES SCOLAIRES
1.3. CARACTERISTIQUES DES PLE MALGACHES
CHAPITRE 2. LES PLE IMPLICITES : DES REALITES DE L’ECOLE AUX REALITES DE CLASSES
2.1. LES LANGUES UTILISEES AU NIVEAU DE L’ETABLISSEMENT
2.2. LA GESTION DES LANGUES DANS LES CLASSES DE CE ET DE CM2 : LES PLE DES ENSEIGNANTS
2.2.1. Les gestions des langues d’enseignement déclarées
2.2.2. Les réalités de classe à travers les pratiques observées
2.2.2.1. La gestion des langues dans l’enseignement des langues et des matières aux traits authentiquement malgaches
2.2.2.2. La gestion des langues dans l’enseignement des matières scientifiques
Conclusion
TROISIEME PARTIE: LES RAPPORTS AUX LANGUES DES TEMOINS
Introduction
CHAPITRE 1. USAGES DE LANGUES DECLARES DES TEMOINS
1.1. USAGES DE LANGUES DECLARES DES ENSEIGNANTS
1.2. LES USAGES DE LANGUES DECLARES DES PARENTS : LA POLITIQUE LINGUISTIQUE FAMILIALE
1.3. LES USAGES DE LANGUES DECLARES DES ELEVES
CHAPITRE 2. REPRESENTATIONS LINGUISTIQUES
2.1. RL ET ENSEIGNEMENT
2.1.1. RL sur les langues d’enseignement
2.1.1.1. Au primaire
2.1.1.2. Au-delà du primaire
2.1.2. RL sur les langues de réussite scolaire
2.2. RL ET SOCIETE
2.2.1. RL sur les langues de réussite professionnelle
2.2.2. RL sur les langues à maîtriser
2.2.3. RL sur les langues à pratiquer à la maison
Conclusion
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
SITOGRAPHIE
ANNEXES
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