MODALITES DE LECTURE DU POEME-OBJET
Écrire et peindre, un seul mot signifiait l’un et l’autre dans l’ancienne Egypte .
Contrairement au livre, le poème-objet ne saurait offrir une pratique à la fois intime et ubiquiste de la lecture. Dans un premier temps, s’il est vrai qu’en sa qualité de déclaration poétique et amoureuse à la femme aimée, le poème-objet est un cadeau intime — voire intimiste —, celles à qui ces offrandes singulières étaient destinées pouvaient difficilement en jouir de la même façon que d’un livre, ces incunables plastiques n’offrant pas à ses destinataires la commodité du livre. Dans un deuxième temps, comme les poèmes-objets se trouvent seulement dans certains musées d’art moderne ainsi que dans des collections privées, il n’est plus question d’une pratique ubiquiste de la lecture. A moins d’être un collectionneur ou un marchand d’art, difficile d’acquérir un poème-objet comme on se procurerait un exemplaire du dernier roman à la mode en librairie ; impossible encore d’en emprunter un comme on le ferait avec tout autre document dans une bibliothèque. Les modalités de lecture du poème-objet, de par sa nature et les circonstances qui ont présidé à sa création, diffèrent donc grandement de celles traditionnellement associées au livre.
En tenant compte de la configuration du livre, qui commande le sens de son parcours, Michel Melot affirme que les illustrations sont une distraction éloignant le lecteur de son parcours plutôt qu’une de ses étapes. « Si le livre est un parcours, l’image est un obstacle (ou une aire de repos) dans la marche régulière du lecteur ».
Il est tout simplement insensé d’adopter la même position au sujet de la lecture du poème-objet. Suivant la logique de Melot, les œuvres à la fois poétique et plastique de Breton ne seraient que de malheureux obstacles. Cette distanciation entre le livre et le poème-objet semble davantage marquée lorsqu’on inclut la notion de temps dans la lecture. Qu’impose le poème-objet, de par sa nature, dans le temps ? Alors que l’action de tourner les pages rythme la lecture, le poème-objet ne demande pas, telle la sculpture, de tournoyer autour, d’en examiner tous les angles il s’offre en un bloc, la plupart du temps, au regard seul, le temps d’un instantané, alors que « [l]e livre inscrit son contenu dans un temps qui a un début et une fin, ce qu’on appelle une histoire ».Il ne s’agit pourtant pas de prendre connaissance d’une histoire le poème-objet n’obéit en rien à cette structure faite d’une introduction, d’un développement et d’une conclusion. Un bref retour au Manifeste de 1924 nous convainc de manière irrévocable Breton y définit le surréalisme comme un « automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée ». Cette dictée de la pensée n’a aucune ambition morale ou esthétique ; d’ailleurs, du côté des arts visuels, ce que les premiers peintres surréalistes cherchent à faire, c’est « […] rejeter le formalisme de la peinture constructiviste il ne s’agit pas de livrer une organisation plastique guidée par une exigence de rigueur, mais de donner forme à un monde intérieur fait de pulsions, de fantasmes, d’angoisses ». La subjectivité profonde de l’artiste, son intériorité, se retrouve donc à la base du processus de création. Peindre peut libérer l’inconscient et cette liberté seule est en mesure d’ouvrir la voie à une révolution artistique « Breton pense que les artistes doivent désinhiber leur regard des aliénations culturelles afin que la peinture s’ouvre à une autre réalité que celle de l’évidence ». Du même coup, si l’artiste fuit l’évidence pour l’opacité et la certitude pour le doute, l’approche du lecteur-spectateur ne saurait relever de l’évidence elle offre aussi sa part de nébulosité.
|
Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I L’EBULLITION SURREALISTE
HISTORIQUE DES PRATIQUES SURRÉALISTES
L’ÉCRITURE AUTOMATIQUE
LES SOMMEILS HYPNOTIQUES ET LES RÉCITS DE RÊVE
DU LANGAGE À L’OBJET VISITES AUX MARCHÉS AUX PUCES
LE POÈME-OBJET DANS L’ART CONTEMPORAIN
LE LIVRE, SUPPORT IMMUABLE
LE POÈME-OBJET ET LE LIVRE D ‘ ARTISTE
DIALOGUE ENTRE LES ARTS ET LA LITTÉRATURE
L’OBJET À TRAVERS LES GRANDS MOUVEMENTS LITTÉRAIRES DU X X E SIÈCLE
CHAPITRE II LES GRANDS THEMES SURREALISTES
LE DÉSIR
LA RENCONTRE
LE HASARD
LE RÊVE
LA POÉSIE
L’AMOUR
LA LIBERTÉ
CHAPITRE III MODALITES DE LECTURE DU POEME-OBJET
ENTRE LECTURE ET CONTEMPLATION
DÉCODAGE DU TITRE JE VOIS J’IMAGINE
APPROCHE ESTHÉTIQUE ATTENTION OU INATTENTION ?
LE CAS PARTICULIER DU POÈME-OBJET
LE SCANNING SELON ANTON EHRENZWEIG
LECTURE MODERNE D’UNE ŒUVRE SURRÉALISTE ANALYSE DE POÈMES-OBJETS CHOISIS
CORRESPONDANCE AVEC LES THÈMES ET LES TEXTES SURRÉALISTES
CONSTANCES FORMELLES
LE CADRE
L’OXYMORE ET SON POUVOIR D’EXALTATION
POÉTIQUE DU POÈME-OBJET CHEZ ANDRÉ BRETON
TENSIONS ENTRE POÉSIE ET PLASTIQUE
CONCLUSION
Télécharger le rapport complet