Mobilités urbaines et inégalités

Au centre des recherches sur les inégalités socio-spatiales et la ségrégation résidentielle, l’analyse des pratiques de mobilités apparait aujourd’hui comme l’un des facteurs clés de l’inclusion ou de l’exclusion sociale des populations au sein des métropoles. Les villes latinoaméricaines, caractérisées par une expansion accrue, par de faibles densités, par de fortes inégalités sociales et par une importante ségrégation résidentielle représentent un contexte peu favorable aux mobilités à la fois résidentielles et quotidiennes (Dureau, 2006c). Pourtant, l’étalement urbain et la dynamique réticulaire des villes ne cessent de se développer dans un contexte où l’augmentation des vitesses est recherchée et où la mobilité est désormais appréhendée comme une ressource. En ce sens, les politiques publiques engagées par les gouvernements latino-américains et les administrations métropolitaines se sont engagées dans l’élaboration d’importantes réformes des systèmes de transport en ville. Des projets urbains tels que le Transmilenio mis en place en 2001 à Bogotá, ou plus récemment le Transantiago au Chili (2007), ont marqué la volonté d’améliorer la mobilité quotidienne des habitants en proposant des systèmes de transport de masse plus performants, reliant les différents quartiers de la ville entre eux. Néanmoins, les résultats de ces initiatives sont mitigés: bien que la desserte des transports en commun se soit globalement améliorée, d’autres lacunes apparaissent ou persistent, comme l’augmentation des tarifs, la saturation des systèmes aux heures de pointe ou encore la mauvaise desserte des quartiers périphériques, le plus souvent populaires (Gouëset, 2014). Ces contraintes, conjuguées à l’expansion urbaine, aux inégalités socio-spatiales, et à une spécialisation importante des espaces, compromettent l’accès aux mobilités d’une partie de la population. Or la capacité à se rendre « mobile » est aujourd’hui devenue une exigence de plus en plus impérieuse, notamment dans le monde du travail, ce qui contraint les plus démunis ou les habitants résidant loin des pôles d’emploi à réaliser des navettes quotidiennes souvent longues et pénibles (Fol, 2009). Cette « injonction à la mobilité » pose en réalité la question des conditions de circulation des populations dans l’analyse des inégalités socio-spatiales. De cette façon, l’inégal accès à la mobilité a fait l’objet de travaux récents comme celui de Fol (2009) qui, s’intéressant aux déplacements des pauvres dans les pays du Nord, envisage les risques d’exclusion des populations les moins mobiles. Les résultats de ces recherches renvoient au paradigme de la mobilité, qui postule que celles-ci doivent être appréhendées comme une norme sociale (Le Breton, 2005), voire un quasi-droit social (Amar, 2010) et que de sa maîtrise dépendrait l’inclusion sociale des individus .

Mobilités quotidiennes, pratiques résidentielles, inégalités et vieillissement en Amérique latine et au Brésil: cadre théorique et méthodologique 

La Première partie de la thèse se centrera sur l’enjeu des mobilités quotidiennes et des pratiques résidentielles dans des contextes urbains marqués par de fortes vulnérabilités sociales qui affectent les groupes de population les plus fragiles. Afin de répondre à la problématique énoncée en introduction de la thèse, qui s’interroge sur l’articulation entre les mobilités quotidiennes, les pratiques résidentielles et stratégies des habitants dans l’identification des inégalités de mobilité, il est important de saisir ici les différentes thématiques urbaines auxquelles se rattache l’étude des mobilités. Quel est alors l’intérêt de se pencher sur les pratiques de mobilité ? Quel est leur impact pour les individus dans leurs pratiques de l’espace urbain? Si l’analyse des mobilités en ville est souvent associée aux travaux liés aux inégalités sociales et aux ségrégations résidentielles, quels enjeux constituentelles lorsque l’on s’intéresse à une population particulière – les personnes âgées – dans un contexte de marginalité sociale et spatiale – les quartiers populaires de Recife ? L’objectif de cette première partie est donc de poser la problématique de thèse en appréhendant les différents contextes (théorique, méthodologique, social, spatial, politique, etc.) dans lequel s’intègre notre travail de recherche.

L’enjeu des mobilités quotidiennes, des pratiques résidentielles et du vieillissement dans le contexte latino-américain 

Les mobilités quotidiennes et les pratiques résidentielles dans l’analyse des inégalités socio-spatiales 

Aborder simultanément les mobilités quotidiennes et les pratiques résidentielles s’avère pertinent pour comprendre l’évolution du contexte urbain à travers des pratiques plus complexes − comme par exemple la bi-résidentialité, renvoyant à des formes de déplacements hybrides (Kaufmann, 2010 ; J. Lévy, 2000) − qui créent de nouvelles dynamiques sur le territoire. De façon concomitante, l’observation de ces pratiques sur le territoire nous permet d’appréhender les inégalités socio-spatiales à l’échelle des villes, des quartiers mais aussi d’identifier les inégalités entre les populations, les ménages ou les individus qui habitent ces espaces.

Le cadre théorique des études sur les pratiques de mobilité territoriales

Au centre des recherches sur les inégalités socio-spatiales et des ségrégations résidentielles, l’analyse des pratiques de mobilité apparait aujourd’hui comme un facteur déterminant de l’inclusion/exclusion sociale dans les villes. Les mobilités résidentielles, par exemple, auraient donc un rôle structurel pour l’urbain. Elles sont en partie à l’origine de l’expansion urbaine, du développement des réseaux de services et de voirie (J.-P. Lévy, 2009 ; Baccaïni, 1992) ainsi qu’à la spécialisation sociale de l’espace (Cornuel D., 2010). Les mobilités quotidiennes, quant à elles, permettent de maintenir une continuité urbaine (J.-P. Lévy, 2009) dans un espace de plus en plus fragmenté. Toutes deux sont par ailleurs étroitement liées car en fonction du lieu de résidence, les mobilités quotidiennes varieront d’un habitant à l’autre. Les différentes formes de mobilités seraient alors complémentaires dans l’analyse des inégalités sociales et spatiales : en reprenant la notion de Amar (2010 : 94), « la mobilité est riche en reliance lorsqu’elle permet de rester relié (aux autres, au monde), lorsqu’elle favorise la création de liens nouveaux […] et entretient les réseaux sociaux auxquels on appartient lorsqu’elle rend lisibles et accessibles les territoires urbains et les ressources ou services dont on a besoin ». L’accès à la mobilité serait alors une condition pour que chaque individu maintienne un lien avec les habitants qu’il côtoie et avec l’espace qu’il fréquente. Pouvoir se déplacer librement sur le territoire, avoir accès à un logement et dans le même temps aux aménités de la ville quel que soit le quartier de résidence constitue des facteurs stratégiques dans l’intégration socio-spatiale des habitants. Bien plus qu’un simple moyen d’accès à la ville, la mobilité serait alors une valeur quasi-normative selon Bertrand (2010 : 8) : « Autrefois comprise comme un simple vecteur vers des ressources territorialisées, et liée à l’aménagement du territoire, la mobilité est désormais perçue elle-même comme ressource dans et de la ville. ». Elle deviendrait une « valeur montante des sociétés urbaines » (Bacqué, Fol, 2007), une « compétence » dans l’accès au logement, au travail et aux aménités urbaines (Bertrand, 2010 ; Lévy, 2000). L’accès aux différentes formes de mobilité favoriserait donc à la fois les interactions entre habitants et entre le rapport que chaque individu entretient avec le territoire urbain.

En ce sens, l’analyse simultanée des mobilités quotidiennes et résidentielles se justifie par leur complémentarité. Selon les caractéristiques du lieu de résidence (localisation, desserte en transports collectifs, équipements, commerces, services, etc.) dépendront en partie les déplacements quotidiens des habitants. Ainsi, les conditions d’accès au logement et aux aménités de la ville (telles que le travail, les commerces et les services, les équipements, etc.), analysées par les mobilités quotidiennes des individus, reflètent les difficultés et les vulnérabilités rencontrées dans le quotidien et dans le parcours de vie des populations.

L’expansion des villes, le développement des systèmes de transports et des nouvelles technologies ont favorisé l’augmentation et la diversification des mobilités quotidiennes dans les villes (Lannoy, Ramadier, 2007). L’augmentation des vitesses de déplacement a permis de réaliser des mobilités plus étendues sur le territoire, tout en maintenant des durées de déplacement relativement stables (Kaufmann, 1999 ; Massot, Orfeuil, 2005). Pourtant, l’accès aux nouveaux moyens de transports ainsi qu’aux nouvelles technologies n’est pas généralisé et constitue de ce fait un facteur important dans l’intensification des inégalités de mobilités. L’accès à l’automobile par exemple, constitue un facteur d’inégalités important dans les villes latino-américaines : alors que seul 1% des ménages à bas revenus de Bogotá disposent d’une automobile, 68% des ménages à hauts revenus en sont équipés (Gouëset et al., 2014). De la même façon, à Santiago du Chili et à São Paulo, les ménages les plus pauvres, équipés d’une automobile représentent 10% et 8% respectivement de l’ensemble des ménages à bas revenus (ibidem).

Malgré un accès inégal aux mobilités, les habitants se déplacent pourtant à travers différents quartiers dans la ville. Les mobilités quotidiennes reflètent ainsi une volonté, une nécessité ou une obligation de réaliser des pratiques sur différents espaces. Ces pratiques se traduisent majoritairement par des activités professionnelles, par la fréquentation d’établissements scolaires, par la réalisation des courses, par l’accès à différents services (santé, administrations, etc.), par des activités liées aux loisirs, par des visites aux membres de la famille ou aux amis, etc. Dans l’analyse des mobilités quotidiennes, les déplacements se réalisent dès lors qu’ils sont considérés « viables » pour l’individu, la famille ou le ménage (Vasconcellos, 2001). Une priorité est donnée aux mobilités qui permettront de maintenir ou d’améliorer les conditions de vie des habitants, comme c’est le cas lorsque l’on se rend sur le lieu de travail ou à l’école par exemple. Les individus tentent de les réaliser dans les meilleures conditions possibles, à la hauteur de leurs moyens et au détriment parfois des mobilités secondaires (pouvant être liées aux loisirs par exemple), notamment pour les classes les plus démunies. A titre d’exemple, les individus peuvent privilégier l’usage des transports collectifs dans la réalisation des activités principales comme le travail, en assumant le coût parfois élevé qu’ils représentent, et privilégient des modes de transport moins coûteux (comme la marche à pied) ou limitent les déplacements considérés comme secondaires (comme aller au cinéma ou à la plage) (Vasconcellos, 2001).

Les pratiques résidentielles dans les processus de ségrégation urbaine en Amérique latine 

Les dernières décennies ont été marquées par un phénomène d’étalement urbain des villes latino-américaines où l’on a notamment observé l’apparition d’ensembles résidentiels fermés de haut standing en périphérie des villes. Dureau (2006a) souligne que dans certaines villes, comme Santiago, Bogotá ou Mexico, les populations aisées privilégient le choix de vivre loin des centres afin d’éviter les problèmes de congestion ou d’insécurité auxquels sont soumis les quartiers centraux. Ces populations trouvent alors refuge dans ces ensembles résidentiels fermés qui parfois s’insèrent géographiquement dans des quartiers pauvres. L’amélioration des infrastructures routières, l’essor de l’investissement immobilier privé et le déficit d’offre de logement dans les quartiers centraux des villes ont impulsé le développement de zones commerciales et de ces ensembles résidentiels fermés dans les communes périphériques (Sabatini, Brain, 2008). A partir des années 1980, on observe donc la formation d’une « polarisation sociale» (Janoschka, 2002) à échelle réduite, qui se produit en périphérie mais aussi dans les quartiers plus centraux (Dureau, 2006c), où pauvres et riches se côtoient sur le même espace. Cette nouvelle proximité géographique n’est pourtant pas synonyme de mixité sociale mais il s’agit plutôt d’une forme de ségrégation nouvelle, observable à une échelle micro (Dureau, 2000b, Dureau 2006c ; Janoschka, 2002). Pour suivre la définition de Brun et Rhein (1994), il s’agirait dans ce cadre d’une « ségrégation spontanée » (ou « inverse »), d’un choix délibéré de prise de distance par les riches, en opposition à l’idée d’une situation subie par les pauvres, à laquelle renvoie le concept initial de ségrégation. C’est le cas de Nordelta qui, au-delà de constituer un espace résidentiel propice aux nouvelles aspirations des classes aisées – proposant notamment des logements de grande taille avec jardin et assurant la sécurité des habitants – est doté de services, de commerces et d’équipements de loisirs adaptés aux nouveaux résidents (Janoschka, 2002). La privatisation de cet espace restreint la fréquentation de ces aménités aux seuls habitants de Nordelta, excluant ainsi les populations résidant en dehors de l’ensemble. La ségrégation urbaine s’effectue alors par la mise en place de barrières physiques, matérialisées par des murs ou clôtures qui encerclent ces ensembles résidentiels de prestige dans des communes populaires. Ces formes d’urbanisation sont donc loin d’encourager la mixité sociale, au contraire, elles sont le reflet d’une volonté commune, celle des populations aisées, à maintenir une distinction sociale claire vis-à-vis des autres groupes de la hiérarchie sociale (Cabrales Barajas, Canosa Zamora, 2001).

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Table des matières

Introduction générale
PREMIERE PARTIE : Mobilités quotidiennes, pratiques résidentielles, inégalités et vieillissement en Amérique latine et au Brésil: cadre théorique et méthodologique
Chapitre 1 : L’enjeu des mobilités quotidiennes, des pratiques résidentielles et du vieillissement dans le contexte latino-américain
Chapitre 2 : Les pratiques de mobilité des personnes âgées dans une ville marquée par les inégalités et la ségrégation : le cas de Recife
Chapitre 3 : Les terrains d’enquête et la méthodologie de la recherche
DEUXIEME PARTIE : Les inégalités de mobilité quotidienne et les pratiques résidentielles
Chapitre 4 : Les inégalités au troisième âge : l’enjeu des pratiques résidentielles et des nouvelles conditions de vie des habitants
Chapitre 5 : Les facteurs d’inégalité dans la mobilité quotidienne des personnes âgées des quartiers populaires de Recife
TROISIEME PARTIE : La réduction des mobilités : d’une limite à un potentiel?
Chapitre 6 : Les résistances à la mobilité
Chapitre 7 : Le potentiel d’immobilité et la réduction des mobilités contraignantes : des marqueurs d’inégalités ?
CONCLUSION GENERALE
Annexes
Bibliographie

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